CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 19 février 2019, n° 17/14920
PARIS
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Hebert-Pageot
Conseillers :
M. Bedouet, Mme Texier
Exposé du litige :
La Sarl Eifa, créée en 2006, exerçait une activité de peinture, décoration, carrelage, revêtements de sol, de mur et de ravalement. Elle a été dirigée successivement par sept personnes, Mme Somin K. en ayant été la gérante du 29 juin 2013 au 5 mai 2014, date à laquelle elle a démissionné, M.D. lui ayant succédé dans cette fonction.
Sur déclaration de cessation des paiements du 13 octobre 2014, le tribunal de commerce d'Evry a ouvert, le 24 novembre 2014, une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Eifa, la date de cessation des paiements étant fixée au 13 octobre 2014. Le redressement a été converti en liquidation judiciaire le 13 avril 2015, Maître S. étant désigné liquidateur.
Sur assignation en responsabilité pour insuffisance d'actif et en sanction personnelle, initiée par Maître S., ès qualités, à l'encontre des quatre derniers gérants, le tribunal de commerce d'Evry a, par jugement du 19 juin 2017, assorti de l'exécution provisoire, condamné solidairement MM.Ali W. et Jérôme B. au paiement de 150.000 euros au titre de l'insuffisance d'actif, a rejeté les plus amples demandes de ce chef, a prononcé à l'encontre de M.W. une faillite personnelle d'une durée de 10 ans et une interdiction de gérer d'une durée de cinq ans à l'encontre de Mme K., de Mme A. et de M.D.
Mme K. a relevé appel de cette décision le 21 juillet 2017, en intimant Maître S., ès qualités.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 19 octobre 2017, Mme K. demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté à son égard la demande du liquidateur au titre de la responsabilité pour insuffisance d'actif, de l'infirmer en ce qu'il a prononcé à son encontre une interdiction de gérer, de débouter Maître S., ès qualités de l'ensemble de ses prétentions et de le condamner au paiement de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Dans ses conclusions n°2 notifiées par voie électronique le 15 décembre 2017, Maître S., ès qualités, sollicite la confirmation du jugement et la condamnation de Mme K. à lui payer 3.000 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d'appel.
Dans ses observations écrites notifiées par voie électronique le 26 juin 2018, le ministère public est d'avis de voir confirmer le jugement s'agissant du grief retenu par le tribunal, mais de le réformer sur la durée en limitant la durée de l'interdiction de gérer à 3 ans.
SUR CE
L'appel ne porte que sur la mesure d'interdiction de gérer, Maître S. n'ayant pas formé d'appel incident.
Est inopérant le moyen invoqué par Mme K., pris de l'absence de motivation de l'interdiction de gérer dans le jugement, dès lors que l'appelante n'en tire aucune conséquence juridique dans le dispositif de ses conclusions.
Dans son assignation, le liquidateur visait à l'encontre des différents gérants l'existence d'une comptabilité défaillante ou incomplète, le défaut de coopération avec les organes de la procédure, une confusion de patrimoines entre la société Eifa et diverses autres sociétés ayant conduit à un détournement d'actif et la poursuite d'une activité déficitaire.
Le tribunal a retenu à l'encontre de Mme K. le défaut de tenue d'une comptabilité complète et fiable et admis l'existence de la poursuite d'une activité déficitaire.
En cause d'appel, Maître S. soutient que Mme K. a été gérante à une période où la société a poursuivi une activité fortement déficitaire, sans prendre de mesure de restructuration, qu'elle n'a pas fait établir de comptabilité analytique et qu'elle n'a pas réagi à l'envoi des avis de mise en recouvrement du Trésor Public, qui aurait dû la conduire à effectuer une déclaration de cessation des paiements. Il ne reprend pas à son encontre le grief tiré d'un défaut de coopération avec les organes de la procédure, Mme K. n'étant plus gérante lors de l'ouverture de la procédure collective, ni celui relatif à la confusion de patrimoines ayant conduit à un détournement d'actif.
Mme K. a dirigé la société Eifa du 29 juin 2013 au 5 mai 2014, soit durant environ 10 mois. La société Eifa a enregistré entre 2011 et 2014 une baisse importante de son chiffre d'affaires.
Les opérations de liquidation ont mis en évidence une insuffisance d'actif de plus d'un million d'euros.
- sur le défaut de déclaration de cessation des paiements:
La date de cessation des paiements ayant été fixée par le jugement d'ouverture au 13 octobre 2014, soit plusieurs mois après la démission de Mme K. intervenue le 5 mai 2014, l'absence de déclaration de cessation des paiements ne peut être imputée à cette dernière.
- sur la poursuite d'une activité déficitaire:
L'article L. 653-4,4° du code du commerce dispose que le tribunal peut prononcer la faillite personnelle à l'égard de tout dirigeant d'une personne morale pour avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale'.
Le liquidateur soutient que Mme K. a été gérante à une période où la société a poursuivi une activité fortement déficitaire, la perte d'exploitation de l'exercice 2013 s'étant élevée à 332.136 euros.
Mme K. conteste ce grief, soulignant qu'elle a démissionné de ses fonctions avant la date de cessation des paiements et que Maître S. ne justifie aucunement d'une aggravation du passif du fait de la poursuite d'activité.
Ainsi, que le relève le ministère public, il n'est pas établi que Mme K., vraisemblablement gérante 'de paille', a poursuivi cette activité déficitaire dans un intérêt personnel, de sorte que ce grief n'est pas caractérisé et ne sera pas retenu.
- sur le caractère incomplet de la comptabilité:
Aux termes de l'article L. 653-5, 6° du code du commerce, le tribunal peut prononcer une faillite personnelle à l'égard de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1, qui n'a pas tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation ou qui a tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables.
Mme K. affirme que la comptabilité a bien été tenue, à tout le moins pour l'année 2013 durant laquelle elle a exercé son mandat, ainsi que le démontre la communication de la liasse fiscale pour 2013. S'agissant de l'année 2014, elle argue qu'ayant démissionné en mai 2014, il incombait à son successeur de faire établir le bilan et approuver les comptes dans les six mois de la clôture de l'exercice.
Maître S. n'impute pas à Mme K. une absence totale de comptabilité, mais un défaut de comptabilité analytique, outil, selon lui, indispensable au suivi des chantiers.
Cependant, les articles R. 123-173 et R. 123-174 du code du commerce disposent que tout commerçant tient obligatoirement un livre journal et un grand livre dans lequel les mouvements affectant le patrimoine de l'entreprise sont enregistrés opération par opération et jour par jour pour le livre-journal. Il ne résulte pas de ces dispositions que la tenue d'une comptabilité analytique, qui constitue un outil de bonne gestion en ce qu'elle permet à l'entreprise de calculer sa rentabilité, relève cependant d'une obligation.
Dès lors, le grief articulé au visa de L. 653-5, 6° du code du commerce, n'est pas caractérisé.
Aucune des fautes invoquées, permettant de fonder une sanction personnelle, n'étant établie, il y a lieu d'infirmer le jugement et, statuant à nouveau, de dire n'y avoir lieu à sanction.
Aucune considération d'équité ne justifie de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Dans les limites de l'appel,
Infirme le jugement en ce qu'il a prononcé une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale, artisanale toute exploitation agricole et toute personne morale à l'égard de Mme K. et l'a condamnée solidairement aux dépens,
Statuant à nouveau,
Dit n'y avoir lieu à sanction personnelle contre Mme Somin K.,
Y ajoutant,
Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,
Dit n'y avoir lieu de condamner Mme K. aux dépens de première instance et ordonne l'emploi des dépens d'appel en frais privilégiés de procédure collective.