CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 15 janvier 2019, n° 18/18185
PARIS
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Hebert-Pageot
Conseillers :
M. Bedouet, Mme Texier
Le 25 janvier 2018, l'Urssaf, se prévalant de deux créances de respectivement 23.983 euros et 3.552 euros, a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Paris M.M., médecin généraliste, pour voir ouvrir à son égard une procédure de liquidation judiciaire ou subsidiairement de redressement judiciaire.
Le tribunal a ordonné une enquête sur la situation économique de M.M., désignant M.R. en qualité de juge enquêteur, assisté de Maître P., mandataire judiciaire.
Suite au dépôt du rapport, M.M. a suivant conclusions du 21 juin 2018 sollicité l'ouverture d'une procédure de rétablissement professionnel.
Par jugement du 5 juillet 2018, le tribunal de grande instance de Paris a constaté que M.M. se trouvait en état de cessation des paiements, a déclaré irrecevable sa demande d'ouverture d'une procédure de rétablissement professionnel, ouvert une procédure de redressement judiciaire et fixé la date de cessation des paiements au 5 janvier 2017, Maître P. étant désigné mandataire judiciaire.
M.M. a relevé appel de cette décision par déclaration du 19 juillet 2018, en intimant l'Urssaf d'Ile de France, Maître P. ès qualités de mandataire judiciaire, l'Ordre des médecins et le ministère public.
Par conclusions n°2 signifiées le 22 octobre 2018, M.M. demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevable sa demande d'ouverture d'une procédure de rétablissement professionnel, statuant à nouveau, de constater qu'il est éligible à une telle procédure et d'ouvrir une procédure de rétablissement professionnel, de désigner le juge-commissaire chargé de recueillir tous renseignements sur sa situation patrimoniale, ainsi qu'un mandataire judiciaire chargé de l'assister et de statuer ce que de droit sur les dépens.
Dans ses écritures signifiées le 2 octobre 2018, l'Urssaf demande à la cour de constater que M.M. se trouve en état de cessation des paiements depuis le 5 janvier 2017, de juger irrecevable la demande de rétablissement professionnel, de dire que son redressement judiciaire n'est pas manifestement impossible, de confirmer le jugement, de débouter M.M. de toutes ses prétentions et de statuer ce que de droit quant aux dépens.
Suivant conclusions signifiées le 4 septembre 2018, Maître P., ès qualités, sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a, d'une part, dit irrecevable la demande de rétablissement professionnel, subsidiairement son rejet comme étant mal fondée, d'autre part, en ce qu'il a ouvert une procédure de redressement judiciaire et fixé la date de cessation des paiements au 5 janvier 2017, et le rejet des prétentions contraires.
Dans ses observations écrites notifiées par voie électronique le 5 novembre 2018, le ministère public est d'avis de confirmer le jugement.
La Conseil de l'Ordre des médecins n'a pas constitué avocat sur la signification de la déclaration d'appel à personne habilitée le 8 août 2018.
SUR CE
- Sur la demande de rétablissement professionnel
Pour déclarer irrecevable la demande de rétablissement professionnel présentée par M.M., le tribunal a relevé qu'elle n'était que la conséquence de l'assignation de l'Urssaf, l'intéressé n'ayant fait aucune demande alors qu'il se trouvait en état de cessation des paiements depuis plus de 18 mois et qu'il était tenu de demander l'ouverture d'une procédure collective dans les 45 jours qui suivent la cessation des paiements.
M.M. fait valoir qu'en statuant ainsi, le tribunal a ajouté à la loi, l'article R. 645-2 du code de commerce ne posant pas comme condition d'ouverture d'un rétablissement professionnel l'absence d'assignation d'un créancier.
Le ministère public soutient qu'un rétablissement professionnel ne peut être ouvert que si le débiteur a lui-même déclaré son état de cessation des paiements et demandé l'ouverture d'une liquidation judiciaire.
Maître P., es qualités, argue qu'un débiteur ne peut solliciter un rétablissement professionnel à titre reconventionnel que dans l'hypothèse d'une assignation de son créancier aux fins de liquidation judiciaire, de sorte que si le tribunal rejette la demande de rétablissement professionnel, il ouvre une liquidation judiciaire, que tel n'est pas le cas en l'espèce, l'Urssaf ayant demandé subsidiairement l'ouverture d'un redressement judiciaire.
Quant à l'Urssaf, elle s'en rapporte sur la recevabilité d'une demande présentée à titre reconventionnel, mais discute la possibilité de présenter une telle demande au delà du délai de 45 jours suivant l'état de cessation des paiements.
L'article L. 645-1 du code du commerce institue une procédure de rétablissement professionnel sans liquidation ouverte à tout débiteur, personne physique, mentionné au premier alinéa de l'article L. 640-2 , en cessation des paiements et dont le redressement est manifestement impossible, qui ne fait l'objet d'aucune procédure collective en cours, n'a pas cessé son activité depuis plus d'un an, n'a employé aucun salarié au cours des six derniers mois et dont l'actif déclaré a une valeur inférieure à 5.000 euros. La procédure ne peut être ouverte à l'égard d'un débiteur qui a affecté à l'activité professionnelle en difficulté un patrimoine séparé de son patrimoine personnel en application de l'article L. 526-6. Elle ne peut davantage être ouverte en cas d'instance prud'homale en cours impliquant le débiteur.
L'article L. 645-2 du même code exclut également du bénéfice de la procédure de rétablissement professionnel, le débiteur qui a fait l'objet depuis moins de cinq ans, au titre de l'un quelconque de ses patrimoines, d'une procédure de liquidation judiciaire clôturée pour insuffisance d'actif ou d'une décision de clôture d'une procédure de rétablissement professionnel.
Il est constant que M.M., qui n'avait pas déclaré son état de cessation des paiements, a présenté une demande de rétablissement professionnel dans le cadre de l'instance engagée par l'Urssaf, créancier poursuivant l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire ou subsidiairement de redressement judiciaire.
L'article L. 645-3 du code de commerce dispose que 'Le débiteur qui demande l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire peut, par le même acte, solliciter l'ouverture d'une procédure de rétablissement professionnel'. Les articles R. 645-2 et R. 645-3 du même code précisent, que si le tribunal ouvre la procédure de rétablissement professionnel, il sursoit à statuer sur la demande d'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire, et que, dans le cas où le débiteur ne remplit pas les conditions requises pour bénéficier d'un rétablissement professionnel, il rejette cette demande et statue sur la demande d'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire.
Il ne résulte pas de ces dispositions l'impossibilité pour le débiteur de présenter une demande de rétablissement professionnel postérieurement à la délivrance par un créancier d'une assignation aux fins d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire, y compris dans un cadre reconventionnel, l'article R. 645-2 du code de commerce indiquant que 'Lorsque le tribunal ouvre la procédure de rétablissement professionnel à la demande du débiteur, il sursoit à statuer sur la demande d'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire faite par ce dernier et, le cas échéant, sur l'assignation du créancier ou sur la requête du ministère public aux mêmes fins'.
Les articles L. 645-1 et L. 645-2 sus visés, qui définissent les conditions d'éligibilité au rétablissement professionnel, n'enferment pas davantage le dépôt de cette demande dans le délai de 45 jours de la date de cessation des paiements, l'omission pour le débiteur de déclarer son état de cessation des paiements dans ce délai relevant du régime des sanctions commerciales.
Cependant, il découle de l'article L. 645-3 du code du commerce que la demande de rétablissement professionnel est indissociable d'une demande en liquidation judiciaire présentée par 'le débiteur' et 'par le même acte, étant relevé que cette procédure, qui tend à l'effacement des dettes, est expressément subordonnée à l'impossibilité manifeste d'un redressement du débiteur en état de cessation des paiements.
M.M., qui s'est limité devant le tribunal, puis la cour, à solliciter un rétablissement professionnel sans l'associer à une demande de liquidation judiciaire, est en conséquence irrecevable en sa demande d'ouverture d'une procédure de rétablissement professionnel.
A ces motifs, le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande de rétablissement professionnel.
- Sur la demande d'ouverture d'une procédure collective présentée par l'Urssaf
Si la déclaration d'appel de M.M. tend également à l'infirmation du jugement en ce qu'il a constaté un état de cessation des paiements depuis le 5 janvier 2017 et en ce qu'il a ouvert une procédure de redressement judiciaire, le dispositif de ses conclusions devant la cour ne comporte pas de prétentions relatives à la liquidation ou au redressement judiciaire, ni à la fixation d'une autre date de cessation des paiements.
M.M. revendique dans ses conclusions son état de cessation des paiements, faisant état d'un passif de l'ordre de 100.000 euros, auquel il ne peut faire face, son compte bancaire présentant un solde débiteur de 1.857,10 euros au 31 juillet 2018 et son actif se limitant à un véhicule Peugeot 106 dont la valeur de réalisation est de 4.097 euros.
Le passif déclaré au 22 août 2018, principalement social et fiscal, s'élevait à 130.325,76 euros, dont 1.548 euros à échoir. Toutes les parties conviennent de l'existence d'un état de cessation des paiements, l'actif étant inférieur à 5.000 euros, de sorte que M.M. relève bien d'une procédure collective.
Ainsi que l'a retenu le tribunal, le redressement de M.M., âgé de 43 ans, n'apparaît pas manifestement impossible, dès lors qu'il exerce une activité de médecin généraliste remplaçant sous la forme libérale, qui lui a procuré un bénéfice de l'ordre de 40.000 euros sur chacun des exercices 2015 à 2017, que son chiffre d'affaires est en augmentation, qu'il vient d'obtenir un diplôme en chirurgie esthétique devant lui permettre d'augmenter son activité, d'autre part, que le passif tel qu'actuellement déclaré est d'un montant modéré. Ses difficultés financières ressortent davantage d'une mauvaise gestion que d'une insuffisance d'activité.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a ouvert une procédure de redressement judiciaire. Il le sera également sur la date de cessation des paiements, reportée au 5 janvier 2017, au regard de l'ancienneté de la créance de l'Urssaf (cotisations impayées en 2015, 2016 et 2017 notamment ), M.M. faisant d'ailleurs état dans ses conclusions d'un passif accumulé depuis de nombreuses années.
Les dépens seront employés en frais privilégiés de procédure collective.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement par arrêt réputé contradictoire en dernier ressort,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de procédure collective.