Cass. com., 9 avril 2002, n° 99-15.315
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Hitier Y Douglas (SA)
Défendeur :
Outsider (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dumas
Rapporteur :
M. Sémériva
Avocat général :
M. Jobard
Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué, que la société Outsider a poursuivi la société Hitier en indemnisation de préjudices résultant de la rupture d'un accord portant sur la conclusion d'un contrat de franchise entre les parties ;
Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches :
Attendu que la société Hitier fait grief à l'arrêt d'avoir dit qu'un accord de principe était intervenu quant à la distribution sous franchise des produits Y Douglas fabriqués et diffusés par la société Hitier, et de l'avoir condamnée à payer à la société Outsider la somme de 240 000 francs à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de franchise, alors, selon le moyen :
1°) que le silence ne vaut pas acceptation ; qu'il en est de même de "l'absence de réserve" qui, à elle seule, n'est autre que le silence ; que l'acceptation tacite d'une contre-proposition ne peut résulter que d'actes manifestant sans équivoque la volonté de l'acceptant ; qu'en l'espèce, la société Hitier avait notamment exigé, pour que la société Outsider puisse "utiliser immédiatement l'enseigne Y Douglas" et qu'un contrat de franchise soit conclu, plusieurs conditions, dont une répartition "80 % de produits Y Douglas pour 20 % d'autres produits agréés (par la société Hitier)" ; que la société Hitier avait précisé que ces conditions devaient être "rigoureusement remplies" (lettre du 18 mars 1994) ; que M. X, gérant de la société Outsider, avait entendu modifier la condition rappelée ci-dessus en y ajoutant "hors produits Levis" (ibid.) ;
que dès lors que la condition exigée n'était ainsi nullement "strictement remplie", il ne pouvait y avoir lieu à la conclusion d'un contrat de franchise ; qu'en s'abstenant par conséquent de rechercher si la société Hitier n'avait livré des marchandises à la société Outsider que dans la perspective de la conclusion d'un contrat de franchise et seulement dans la mesure où celui-ci serait conclu, ce dont il résultait que ces livraisons ne pouvaient en aucun cas constituer un élément révélant une prétendue acceptation tacite de la contre-proposition faite par la société Outsider, eu égard à l'exigence de la société Hitier rappelée ci-dessus, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134, 1147 et 1184 du Code civil ;
2 °) qu'en se bornant à affirmer, de façon vague et imprécise, que "les premières ventes (d'articles Y Douglas effectuées par la société Outsider) ont été prometteuses" et que la société Hitier gère une autre boutique depuis mi-décembre 1994 dans le même centre commercial, en s'abstenant de justifier concrètement, par exemple en relevant le montant du chiffre d'affaires réalisé et en le comparant à d'autres situations de lancement de cette marque ou d'une marque comparable, en quoi une période de vente d'à peine plus d'un mois par l'intermédiaire de la société Outsider aurait pu donner à la société Hitier la certitude de ce que la marque Y Douglas était de nature à générer durablement des bénéfices importants, la cour d'appel, qui n' a pas légalement justifié son affirmation de comportement déloyal, a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147 et 1184 du Code civil ;
3°) que la réparation d'un préjudice ne peut aller jusqu'à procurer un bénéfice à la victime ; qu'en l'espèce, en condamnant la société Hitier à rembourser à la société Outsider la totalité du prix des travaux effectués par cette dernière, sans rechercher si, au moins pour partie, ces travaux concernant la devanture et divers aménagements intérieurs n'avaient pas apporté des avantages et embellissements dont la société Outsider profitait pour développer les ventes d'articles autres que ceux de la marque Y Douglas, ces derniers n'ayant au demeurant été commercialisés par elle guère plus d'un mois, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ;
4°) qu'en ne caractérisant nullement les éléments, prétendument "suffisants" , sur lesquels elle se fondait pour chiffrer à 240 000 francs le préjudice total subi par la société Outsider, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant retenu, par motifs adoptés, qu'au vu des pièces versées au débat, un accord de principe était bien intervenu quant à la distribution sous franchise des produits "Y Douglas", confirmation en étant apportée par la lettre du 18 mars 1994 adressée par la société Hitier à la société Outsider et dont cette dernière a approuvé les termes, puis par la livraison d'un lot important de produits "Y Douglas" à un détaillant qui ne pouvait être, compte tenu de la politique de distribution de la société Hitier, qu'un franchisé potentiel, et, par motifs propres, que la société Hitier n'a émis aucune réserve sur la modification proposée par la société Outsider, et qu'elle a continué à lui livrer des marchandises jusqu'au mois d'avril 1994, la cour d'appel a légalement justifié sa décision déduisant l'acceptation contestée, non du seul silence de la société Hitier, mais d'un ensemble d'actes manifestant sans équivoque la volonté de cette acceptante ;
Attendu, en deuxième lieu, qu'ayant constaté l'ouverture, à la mi-décembre 1994, dans le centre commercial dans lequel se trouve le magasin exploité par la société Outsider, d'une boutique à l'enseigne "Y Douglas" que la société Hitier ne contestait pas gérer directement, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à la recherche inopérante visée au pourvoi, a légalement justifié sa décision déclarant déloyal le comportement de cette société ;
Et attendu enfin que la cour d'appel, qui, sans faire droit à l'entière réclamation de la société Outsider, a notamment retenu que cette dernière était en droit de croire que les relations commerciales seraient durables, a souverainement fixé la réparation du préjudice consécutif aux fautes de la société Hitier ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Mais sur le second moyen :
Vu les articles 70 et 567 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que pour déclarer irrecevable la demande reconventionnelle de la société Hitier tendant à l'indemnisation d'un préjudice consécutif à l'utilisation de son enseigne après la rupture des relations entre les parties, l'arrêt énonce que cette demande nouvelle ne procède nullement d'une évolution du litige ;
Attendu qu'en statuant ainsi, sans rechercher si cette demande se rattachait à la demande principale par un lien suffisant, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande reconventionnelle de la société Hitier, l'arrêt rendu le 11 mars 1999, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.