Livv
Décisions

Cass. com., 26 janvier 2022, n° 19-16.956

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Défendeur :

Label agence (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocats :

SCP Lesourd, SCP Yves et Blaise Capron

Président :

Mme Darbois

Rapporteur :

Mme Bessaud

Versailles, du 12 mars 2019

12 mars 2019

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 12 mars 2019), la société Sysoft, immatriculée le 9 mars 1987, qui avait notamment une activité de conseil en informatique, de conception et commercialisation de logiciels et matériels informatiques, et qui était gérée par M. [C], a déposé trois marques successives portant sur le signe « Sysoft » :

- la marque verbale française « Sysoft » n° 1408909, déposée le 18 mars 1987 et enregistrée pour désigner des produits et services en classes 9 et 42, cet enregistrement n'ayant pas été renouvelé à l'issue de la période initiale de 10 ans ;

- la marque verbale française « Sysoft » n° 01 3 110 289, déposée le 9 juillet 2001 et enregistrée pour désigner des produits et services en classes 9, 35, 36, 38 et 42, cet enregistrement n'ayant pas été renouvelé à l'issue de la période initiale de 10 ans ;

- la marque verbale française « Sysoft » n° 13 4 012 300, déposée le 13 juin 2013 et enregistrée pour désigner des produits et services en classes 9, 35, 36 et 42.

2. Les noms de domaine « sysoft.fr » et « sysoft.eu », réservés respectivement les 25 mars 2003 et 7 juillet 2006, ont été exploités pour diffuser un site internet présentant ces services.

3. Le 19 novembre 2009, a été déposée la marque verbale française « E-Sysoft », enregistrée sous le numéro 09 3 692 408 pour désigner des produits et services en classe 42.

4. La société E-Sysoft, qui a pour activité la création de sites « internet vitrine, E-commerce, réalisation de logos et plaquettes », a été immatriculée le 19 novembre 2010.

5. Le 5 novembre 2014, la société Sysoft a assigné la société E-Sysoft en contrefaçon de la marque « Sysoft » ainsi qu'en concurrence déloyale.

6. En cours d'instance, les marques successives « Sysoft » ont été cédées à M. [C], selon acte de cession du 30 août 2015 enregistré à l'Institut national de la propriété industrielle le 17 septembre 2015, et la société Sysoft a été radiée du registre du commerce et des sociétés après clôture des opérations de liquidation.

7. M. [C] est intervenu volontairement à l'instance, reprenant en son nom l'ensemble des demandes de la société Sysoft et y ajoutant la contrefaçon de chacune des marques ainsi qu'une demande personnelle fondée sur le parasitisme.

8. La société E-Sysoft a soulevé l'irrecevabilité à agir de M. [C] ainsi que l'inopposabilité de la marque n° 01 3 110 289.

Moyens

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche et en sa seconde branche en tant que celle-ci vise la marque « Sysoft » n° 1408909, ci-après annexé

Motivation

9. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation. Moyens

Sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

10. M. [C] fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes tendant à la suppression, dans les conclusions d'appel de la société Label agence, de toute référence à son activité à l'INRIA et à son litige personnel relatif à son appartement et à la condamnation de la société Label agence à lui verser la somme d'un euro à titre de dommages-intérêts pour propos diffamatoires, alors « que dans ses dernières conclusions d'appel, au titre des articles 7.c. et 7.d., respectivement dénommés "INRIA 1981-affabulations et diffamation de M. [C] par E-Sysoft" et "Sur la condamnation personnelle de M. [C] par le tribunal d'instance de Paris en 2010", M. [C] visait très précisément les passages des conclusions d'appel de la société Label agence qu'il jugeait diffamatoires ; qu'en affirmant le contraire, pour déclarer irrecevables ses demandes, la cour d'appel a dénaturé ses dernières conclusions d'appel et ainsi a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile. »

Réponse de la cour

11. Selon l'article 41, alinéas 4 et 5, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, ne donnent lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte-rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux. Les juges saisis de la cause et statuant sur le fond, peuvent, néanmoins prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts. L'application de ce texte est exclusive de celle de l'article 1382, devenu 1240, du code civil et des dispositions de l'article 24 du code de procédure civile.

12. Il en résulte que les demandes de M. [C] tendant à la suppression dans les conclusions de la société Label agence de toute référence à son activité à l'INRIA et à son litige personnel relatif à un appartement en application des dispositions de l'article 24 du code de procédure civile et à l'allocation de dommages-intérêts en réparation de propos diffamatoires sur le fondement de l'article 1382, devenu 1240, du code civil, étaient irrecevables.

13. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié.

14. Le moyen ne peut donc être accueilli.

Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, en tant qu'il vise la marque « Sysoft » n° 01 3 110 289

Enoncé du moyen

15. M. [C] fait grief à l'arrêt attaqué de le déclarer irrecevable à agir en contrefaçon de la marque « Sysoft » déposée le 9 juillet 2001, alors « que l'action en contrefaçon d'une marque est recevable dès lors que les faits argués de contrefaçon ont été commis avant la perte du droit de protection de la marque ; que la propriété de la marque s'acquiert par l'enregistrement, lequel produit ses effets pour une période de dix ans à compter de son dépôt, et elle interdit l'usage ou l'imitation de la marque pour des produits ou des services similaires, sauf autorisation du propriétaire, s'il peut en résulter un risque de confusion dans l'esprit du public ; qu'en se fondant, pour dire que l'action en contrefaçon de la marque "Sysoft" enregistrée le 9 juillet 2001 était irrecevable, sur la circonstance inopérante tirée de ce qu'à défaut d'avoir été renouvelée, elle n'était plus protégée à la date de délivrance de l'assignation et de l'intervention volontaire de M. [C], et tandis qu'il résultait de ses propres constatations que la société Label agence avait commencé à faire usage du signe incriminé "E-Sysoft" en novembre 2010, soit dans les dix ans du dépôt de la marque et donc de protection de la marque, la cour d'appel a violé les articles L. 712-1, L. 713-1, L. 713-3, L. 716-1 et L. 716-5 du code de la propriété intellectuelle. »

Réponse de la cour

Vu l'article L. 712-1 du code de la propriété intellectuelle :

16. Selon ce texte, la propriété de la marque s'acquiert par l'enregistrement, lequel produit ses effets à compter de la date de dépôt de la demande pour une période de dix ans.

17. Pour déclarer M. [C] irrecevable à agir en contrefaçon de la marque n° 01 3 110 289, enregistrée le 9 juillet 2001, l'arrêt retient que l'enregistrement de cette marque n'a pas été renouvelé dix ans après son dépôt, de sorte qu'elle n'était plus protégée lors de la délivrance de l'assignation en justice, le 5 novembre 2014, et a fortiori lors de l'intervention volontaire de M. [C] le 13 octobre 2015.

18. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté, d'un côté, que la société Label agence avait commencé à faire usage du signe incriminé « E-Sysoft » le 19 novembre 2010, donc antérieurement à l'expiration de la validité de la marque n° 01 3 110 289, tombée dans le domaine public et, d'un autre, que le contrat de cession du 30 août 2015 emportait subrogation de M. [C] dans toutes les actions et prétentions du cédant contre la société E-Sysoft concernant la marque, et par conséquent dans l'action en contrefaçon intentée par assignation du 5 novembre 2014, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

19. M. [C] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable son action en concurrence déloyale, alors « que l'action en concurrence déloyale, qui est ouverte à celui qui ne peut se prévaloir d'aucun droit privatif sur la marque, peut être fondée sur des faits matériellement identiques à ceux allégués au soutien d'une action en contrefaçon rejetée, dès lors qu'il est justifié d'un comportement fautif ; qu'en déclarant irrecevable l'action en concurrence déloyale formée par M. [C] au motif que ce dernier ne justifiait d'aucun droit sur la dénomination sociale, le nom commercial et les noms de domaine "sysoft.fr" et "sysoft.eu" de la société Sysoft, cependant qu'il ressortait de ses conclusions d'appel que M. [C] avait également fondé son action en concurrence déloyale sur l'usage illicite de la marque "Sysoft", dont il n'était pas contesté qu'il était cessionnaire, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile. »

Motivation

Réponse de la Cour

Vu l'article 5 du code de procédure civile :

20. Aux termes de ce texte, le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé.

21. Pour déclarer recevable M. [C] en son intervention volontaire s'agissant de l'action en contrefaçon de marque et irrecevable pour le surplus de ses demandes, l'arrêt retient qu'agissant à titre personnel, il ne justifie, en sa seule qualité, d'aucun droit sur la dénomination sociale, le nom commercial et les noms de domaine de la société Sysoft dont la liquidation a été clôturée, de sorte qu'est irrecevable sa demande de concurrence déloyale et parasitaire pour usurpation fautive de la dénomination sociale, du nom commercial et des noms de domaine de la société Sysoft.

22. En statuant ainsi, alors que M. [C] reprochait, en outre, à la société Label agence une concurrence déloyale et des actes parasitaires du fait d'atteintes à « la marque Sysoft » dont il était cessionnaire et de l'utilisation fautive de la dénomination sociale, du nom commercial et des noms de domaine de la société Sysoft, qui l'auraient empêché, à la date de son départ à la retraite, de tirer le fruit de son travail au sein de la société, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Moyens

Sur le même moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

23. M. [C] fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'en se fondant exclusivement sur les extraits du site Whois, pour retenir que M. [C] ne rapportait pas la preuve de ses droits sur les noms de domaines "sysoft.eu" et "sysoft.fr", sans examiner les captations du site [03] qu'il avait également produites en ce sens et desquelles il résultait qu'il était bien propriétaire de ces noms de domaine, la cour les a dénaturées par omission, en violation du principe de l'interdiction faite au juge de dénaturer les documents de la cause. »

Motivation

Réponse de la Cour

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer les documents de la cause :

24. Pour déclarer irrecevable la demande de concurrence déloyale de M. [C], l'arrêt retient qu'il ne justifie d'aucun droit sur les noms de domaine « sysoft.fr » et « sysoft.eu ».

25. En statuant ainsi, alors qu'il ressort des captations du site [03] que ceux-ci ont été enregistrés à son nom, la cour d'appel a dénaturé, par omission, ces documents clairs et précis.

Moyens

Sur le même moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

26. M. [C] fait encore le même grief à l'arrêt, alors « qu'en retenant que l'extrait Whois que M. [C] produisait n'indiquait pas que le nom "sysoft.eu" avait été enregistré à son nom tandis que ce document indiquait au contraire que tel était bien le cas, la cour d'appel l'a dénaturé et a ainsi violé le principe de l'interdiction faite au juge de dénaturer les documents de la cause. »

Motivation

Réponse de la Cour

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer les documents de la cause :

27. Pour déclarer irrecevable la demande de concurrence déloyale de M. [C], l'arrêt retient qu'il ne justifie d'aucun droit sur le nom de domaine « sysoft.eu » dans la mesure où l'extrait Whois relatif à ce nom de domaine n'indique nullement qu'il l'avait réservé en son nom.

28. En statuant ainsi, alors qu'il ressort de cet extrait que le nom de domaine « sysoft.eu » a été enregistré par « [P] A. [C] » pour l'organisation du « Cabinet [C] », la cour d'appel a dénaturé ce document clair et précis.

Moyens

Et sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

29. M. [C] fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en contrefaçon de la marque « Sysoft » n° 131012300 (lire 13 4 012 300), déposée le 13 juin 2013, alors « en toute hypothèse, que même lorsque l'utilisation d'un signe similaire comme dénomination sociale, nom commercial ou enseigne est antérieure à l'enregistrement d'une marque, le titulaire de l'enregistrement peut demander que l'utilisation en soit limitée ou interdite si elle porte atteinte à ses droits ; qu'en se bornant à relever, pour rejeter l'action en contrefaçon de la marque "Sysoft" n° 13401300 (lire n° 13 4 012 300) que la société Label agence avait commencé à utiliser le signe "E-Sysoft" antérieurement à l'enregistrement de la marque, sans rechercher si l'utilisation du signe "E-Sysoft" ne portait pas atteinte aux droits de M. [C] sur la marque "Sysoft" de sorte qu'il convenait d'en interdire l'utilisation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 713-6 du code de la propriété intellectuelle. »

Motivation

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 713-6 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 :

30. Il ressort de ce texte que l'enregistrement d'une marque ne fait pas obstacle à l'utilisation du même signe ou d'un signe similaire comme dénomination sociale, nom commercial ou enseigne, lorsque cette utilisation est antérieure à l'enregistrement. Toutefois, si cette utilisation porte atteinte à ses droits, le titulaire de l'enregistrement peut demander qu'elle soit limitée ou interdite.

31. Pour débouter M. [C] de sa demande en contrefaçon de la marque « Sysoft » n° 13 4 012 300, et par conséquent de sa demande d'interdiction, l'arrêt se borne à relever que la société E-Sysoft a fait usage de sa dénomination sociale et de son nom commercial antérieurement à l'enregistrement de la marque opposée.

32. En se déterminant ainsi, sans rechercher si l'utilisation de la dénomination sociale et du nom commercial « E-Sysoft » ne portait pas atteinte, ainsi qu'il l'alléguait, aux droits de M. [C], titulaire de la marque « Sysoft », la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Dispositif

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il confirme le jugement en ce qu'il avait déclaré M. [C] irrecevable en sa demande en contrefaçon de la marque n° 01 3 110 289 pour la période du 19 novembre 2010 au 9 juillet 2011 et en concurrence déloyale, pour actes de parasitisme et pour atteintes à « la marque » et aux noms de domaine, en ce qu'il l'avait débouté de sa demande en contrefaçon de la marque n° 13 4 012 300, et en ce qu'il statue sur les dépens et les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 12 mars 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée  Condamne la société Label agence aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Label agence et la condamne à payer à M. [C] la somme de 3 000 euros.