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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 26 janvier 2022, n° 20/08372

PARIS

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Agle International (SARL)

Défendeur :

Intertek Certification France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Depelley, Mme Lignières

T. com. Paris, du 2 juin 2020, n° 201902…

2 juin 2020

FAITS ET PROCEDURE

La société Intertek certification France (ci-après "la société Intertek"), qui a notamment pour activité la certification de produits, systèmes ou process, a signé le 8 juillet 2015 avec M. X, gérant de la société Agle International (ci-après "la société Agle") qui a une activité d'audit organisationnel et de conseil, un contrat de sous-traitance de missions d'audit portant sur les systèmes de qualité, environnement, sécurité et autres prestations de contrôle et de surveillance.

Par courriel du 24 septembre 2018, la société Intertek a mis fin au contrat de sous-traitance aux motifs de diverses réclamations sur l'exécution des missions par M. X.

Par acte d'huissier délivré le 1er avril 2019, la société Agle a assigné la société Intertek devant le tribunal de commerce de Paris afin d'obtenir sa condamnation à lui verser des dommages-intérêts sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce.

Par jugement du 2 juin 2020, le tribunal de commerce de Paris a :

- Débouté la SAS INTERTEK CERTIFCATION FRANCE de sa demande d'irrecevabilité pour défaut d'intérêt à agir de la SARL AGLE INTERNATIONAL ;

- Condamné la SAS INTERTEK CERTIFICATION FRANCE à payer à la SARL AGLE INTERNATIONAL la somme de 3.850,89 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait d'une rupture brutale des relations commerciales établies par application de l'article L. 442-6 I, 5° du code de commerce ;

- Débouté la SARL AGLE INTERNATIONAL de sa demande visant à la condamnation de la SAS INTERTEK CERTIFICATION FRANCE au paiement d'une somme de 10.000 € au titre d'un préjudice annexe ;

- Débouté la SAS INTERTEK CERTIFICATION FRANCE de sa demande reconventionnelle visant à la condamnation de la SARL AGLE INTERNATIONAL au paiement de la somme de 10.000 €, à titre de dommages et intérêts du fait d'une prétendue concurrence déloyale ;

- Condamné la SAS INTERTEK CERTIFICATION FRANCE à payer à la SARL AGLE INTERNATIONAL la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Débouté les parties de leurs autres demandes plus amples ou contraires ;

- Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement ;

- Condamné le SAS INTERTEK CERTIFICATION FRANCE aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 € dont 12,20 € de TVA.

La société Agle a interjeté appel le 1er juillet 2020 et sollicité l'infirmation du jugement sur le montant d'indemnisation des préjudices.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 6 octobre 2021, la société Agle demande à la Cour de :

- Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

- Débouté la SAS INTERTEK CERTIFICATION FRANCE de sa demande d'irrecevabilité.

- Débouté la SAS INTERTEK CERTIFICATION FRANCE de sa demande de condamnation au titre d'un prétendu acte de concurrence déloyale par dénigrement.

- Retenu une rupture abusive des relations commerciales.

- Condamné la SAS INTERTEK CERTIFICATION FRANCE à verser 2000€ sur le fondement de l'article 700 du NCPC et aux entiers dépens ;

- Réformer pour le surplus et :

- Condamner la SAS INTERTEK à verser 50.000 € au titre de la perte de gain résultant de cette rupture brutale.

- Condamner en sus la société INTERTEK à verser à la société AGLE INTERNATIONAL une somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts, eu égard au préjudice annexe et à l'état de dépendance économique de la société AGLE INTERNATIONAL.

- Condamner la société INTERTEK à verser à la société AGLE INTERNATIONAL une somme de 5.000 € en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société INTERTEK aux dépens de première instance et d'appel.

- Débouter la société INTERTEK de l'ensemble de ses plus amples demandes.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 21 décembre 2020, la société Intertek demande à la Cour, de :

Vu l'article L. 1240 du code civil.

Vu les articles L. 31, 122 et 700 du code de procédure civile.

Vu l'article L. 442-6 I, 5° du code de commerce.

Vu le contrat du 8 juillet 2015 et les pièces produites.

A titre principal,

Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 2 juin 2020 en ce qu'il a débouté la société INTERTEK CERTIFICATION FRANCE de sa demande d'irrecevabilité pour défaut d'intérêt à agir de la société AGLE INTERNATIONAL.

Statuant à nouveau,

Constater que le contrat du 8 juillet 2015 a été conclu entre la société INTERTEK CERTIFICATION FRANCE et Monsieur X.

Dire et juger que l'apposition en date du 17 juillet 2015, sur l'annexe « code éthique » du contrat du 8 juillet 2015, du cachet de la société AGLE INTERNATIONAL qui, à ces dates, exerçait l'activité de formation continue d'adultes, ne prouve pas l'intérêt à agir de l'appelante à l'encontre de la société INTERTEK CERTIFICATION FRANCE dans le cadre d'un contrat d'audit technique de certification.

Dire et juger que le fait que la société INTERTEK CERTIFICATION FRANCE n'ait pas, en cours de contrat, discute « ou conteste » chaque facture de Monsieur X alors même qu'elle avait conclu un contrat avec ce dernier, en nom propre, que celui-ci avait signé des engagements en son nom propre et que les factures émises par Monsieur X (Pièce adverse n° 8) et payées par la société INTERTEK CERTIFICATION FRANCE portaient toute l'en-tête « X INTERNATIONAL » avec comme seule adresse celle qu'il a fait figurer dans le contrat du 8 juillet 2015 : « ADRESSE », ne prouve pas l'intérêt à agir de l'appelante à l'encontre de la société INTERTEK CERTIFICATION FRANCE.

En conséquence, déclarer la demande de la société AGLE INTERNATIONAL irrecevable pour défaut d'intérêt à agir.

Débouter la société AGLE INTERNATIONAL de l'ensemble de ses demandes.

A titre subsidiaire,

Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 2 juin 2020 en ce qu'il a dit que la société INTERTEK CERTIFICATION FRANCE ne démontrait à l'encontre d'AGLE INTERNATIONAL aucune faute d'un niveau de gravite' suffisant pour l'exonérer de l'octroi d'un préavis.

Statuant à nouveau,

Dire et juger que les fautes contractuelles d'AGLE INTERNATIONAL justifient la résiliation par la société INTERTEK CERTIFICATION FRANCE du contrat du 8 juillet 2015 aux torts exclusifs de son cocontractant.

En conséquence,

Débouter la société AGLE INTERNATIONAL de l'intégralité de ses demandes.

A titre très subsidiaire,

Dire et juger que la société AGLE INTERNATIONAL ne démontre pas le montant du prétendu préjudice subi.

A titre infiniment subsidiaire,

Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 2 juin 2020 en ce qu'il a condamné la société INTERTEK CERTIFICATION FRANCE à payer à la société AGLE INTERNATIONAL la somme de 3.850,89 euros à titre de dommages et intérêts.

Statuant à nouveau,

Dire et juger que le préjudice subi par la société AGLE INTERNATIONAL ne saurait excéder un mois de préavis, soit 1.196 euros.

Sur l'appel incident,

Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 2 juin 2020 en ce qu'il a débouté la société INTERTEK CERTIFICATION FRANCE de sa demande de dommages et intérêts pour concurrence déloyale par dénigrement.

Statuant à nouveau,

Condamner la société AGLE INTERNATIONAL à payer à la société INTERTEK CERTIFICATION FRANCE la somme de 10.000 euros au titre du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale commis à son encontre.

En tout état de cause,

Condamner la société AGLE INTERNATIONAL à payer à la société INTERTEK CERTIFICATION FRANCE la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles d'instance, outre les dépens de première instance et d'appel.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 octobre 2021.

La cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR

Sur la recevabilité des demandes de la société Agle International.

La société Intertek soutient que la société Agle International, n'étant pas la co-contractante de la société Intertek, mais M. X en son nom propre, n'a pas d'intérêt à agir. Elle précise que le cachet de la société Agle sur un document annexe au contrat est sans emport, d'autant plus que cette société avait une activité de formation continue pour adulte. Elle ajoute que les factures qu'elle a payées ont été émises par M. X et portaient toute l'entête « JF G. International ».

Par de justes motifs, non utilement contredits à hauteur d'appel par la société Intertek, et que la Cour adopte, le tribunal a retenu que M. X, gérant de la société Agle International, a été par le contrat de sous-traitance mis à la disposition de la société Intertek en tant qu'auditeur, et que tant les annexes du contrat que les facturations des missions permettent d'établir qu'une relation commerciale s'est bien nouée entre les sociétés Agle International et Intertek, en sorte que celle-ci justifie d'un intérêt à agir.

Sur la rupture de la relation commerciale.

L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige, dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

Sur le caractère établi de la relation.

Par de justes motifs, non contestés en appel et que la Cour adopte, le tribunal a retenu que les parties ont noué une relation commerciale établie du 8 juillet 2015 au 24 septembre 2018, soit pendant trois ans et 2 mois.

Sur la brutalité de la rupture.

Le texte précité vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou l'insuffisance de préavis. Il n'est pas contesté en l'espèce par la société Intertek qu'elle a rompu la relation commerciale par courriel du 24 septembre 2018, sans préavis, mais elle soutient que de graves manquements de la part de M. X dans l'exécution des missions justifient cette rupture. Elle précise que ce dernier a fait l'objet de très nombreuses plaintes des clients d'Intertek quant à l'exécution de ses missions d'auditeur, et malgré les avertissements délivrés, l'insatisfaction des clients a persisté.

Par de justes motifs, qui ne sont pas utilement contestés par la société Intertek à hauteur d'appel et que la Cour adopte, le tribunal a retenu que les pièces versées aux débats, dont notamment les questionnaires de satisfaction ou des courriels de demande de complément d'information, sont insuffisants à établir des manquements graves de la part de M. X qui les réfute, notamment au regard des missions d'audit de certification pouvant aboutir à des constatations qui ne conviennent pas nécessairement au client et en l'absence de tout avertissement ou observation préalable de la part de la société Intertek.

Dès lors, il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a considéré que la société Intertek a brutalement rompu la relation commerciale établie qu'elle entretenait avec la société Agle.

Sur l'évaluation du préjudice.

La société Agle soutient que le préavis de trois mois fixé par le tribunal est insuffisant, en ce que l'attitude de la société Intertek a été particulièrement déloyale et que la rupture brutale de la relation commerciale l'a placée dans une situation difficile sachant qu'elle réalisait avec Intertek plus de 80 % de son chiffre d'affaires et que le marché n'est pas substituable. Aussi, la société Agle réclame, au titre de l'indemnisation de son préjudice, la somme de 50 000 euros correspondant à la perte de chiffre d'affaires par rapport à l'année 2017 qui est la seule année complète d'activité. Elle précise que compte tenu de la nature de son activité, sa marge commerciale correspond à son chiffre d'affaires, n'ayant aucun frais spécifique de fonctionnement.

La société Intertek réplique que la société Agle ne justifie pas de son préjudice allégué. Elle relève qu'elle n'a jamais imposé une relation de dépendance économique avec la société Agle qui était libre de développer sa clientèle, et qu'aucun investissement particulier n'a été demandé. Elles estiment que le délai de préavis, devait être d'un mois tout au plus.

Sur ce,

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.

Le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture est constitué par la perte de la marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé. La référence à retenir est la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture.

S'il n'est pas contesté que la société Agle effectuait plus de 80 % de son chiffre d'affaires avec la société Intertek, il n'est produit aucun élément complémentaire à hauteur d'appel pour démontrer l'impossibilité pour la société Agle de diversifier sa clientèle et de ses difficultés pour trouver de nouveaux partenaires sur ce type d'activité. Dès lors, compte tenu de la durée de la relation commerciale, le délai de préavis de trois mois retenus par le tribunal est nécessaire mais suffisant.

Il ressort des soldes intermédiaires de gestion pour les exercices 2016 et 2017 de la société Agle, ainsi que de l'attestation de l'expert-comptable du 13 mars 2019 (pièce n° 6) que le chiffre d'affaires (hors refacturation de frais) réalisé avec le client Intertek, pour les exercices 2016 et 2017, seules années complètes d'activité précédant la rupture, est de 23 670 euros pour 2016 et 45 608 euros pour 2017, soit un chiffre d'affaires annuel moyen de 34 639 euros et mensuel moyen de 2 886 euros. Les frais de déplacement et kilométriques apparaissant comme les principaux coûts variables sur l'activité de conseil, il y a bien lieu d'évaluer la perte de marge sur la perte de chiffre d'affaires hors frais refacturés. Aussi, la perte de marge sur la période d'absence de préavis de trois mois, est évaluée à la somme arrondie de 8700 euros.

Dès lors la société Intertek sera condamnée à payer à la société Agle la somme de 8700 euros à titre d'indemnité en réparation de la rupture brutale et le jugement sera infirmé sur ce quantum d'indemnité. La société Agle sera déboutée du surplus de sa demande, et en particulier sur sa demande d'indemnisation d'un préjudice annexe et de dépendance économique, dont il n'est justifié ni de la réalité, ni de lien avec la brutalité de la rupture.

Sur la demande de la société Intertek au titre d'une concurrence déloyale.

La société Intertek réclame la condamnation de la société Agle au paiement de la somme de 10 000 euros au titre d'acte de concurrence déloyale, au motif que M. X, immédiatement après la résiliation du contrat de sous-traitance, a pris contact avec des clients d'Intertek en proposant ses services tout en dénigrant la société Intertek.

Comme l'a justement retenu le tribunal, et sans que la société Intertek apporte d'élément complémentaire à hauteur de son appel incident, l'unique mail du 13 novembre 2018 versé au débat à l'appui de ses prétentions est insuffisant à caractériser des actes graves de dénigrement et constituer un acte de concurrence déloyale.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Intertek de sa demande de dommages-intérêts.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Intertek aux dépens de première instance et à payer à la société Agle la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Intertek, succombant pour l'essentiel, sera condamnée aux dépens d'appel.

En application de l'article 700 du code de procédure civile en appel, la société Intertek sera déboutée de sa demande et condamnée à payer à la société Agle la somme de 4 000 euros.

PAR CES MOTIFS

CONFIRME le jugement, sauf sur le quantum de l'indemnité au titre de la rupture brutale de la relation commerciale.

Statuant de nouveau du chef infirmé et y ajoutant.

CONDAMNE la société INTERTEK CERTIFICATION FRANCE à payer à la société AGLE INTERNATIONAL la somme de 8 700 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale de la relation commerciale.

DÉBOUTE la société AGLE INTERNATIONAL du surplus de ses demandes.

CONDAMNE la société INTERTEK CERTIFICATION FRANCE aux dépens d'appel.

CONDAMNE la société INTERTEK CERTIFICATION FRANCE à payer à la société AGLE INTERNATIONAL la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

REJETTE toute autre demande.