TUE, 8e ch. élargie, 2 février 2022, n° T-616/18
TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Polskie Górnictwo Naftowe i Gazownictwo S.A., République de Lituanie, République de Pologne, Overgas Inc.
Défendeur :
Commission européenne, Gazprom PJSC, Gazprom export LLC
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. van der Woude
Juges :
M. Svenningsen (rapporteur), M. Barents, M. Mac Eochaidh, Mme Pynnä
Avocats :
Me Karasiewicz, Me Kaźmierczak, Me Kicun, Me Moskwa, Me Gröss, Me Cappellari, Me Karenfort, Me Hainz, Me Evtimov, Me Tuominen, Me Heithecker, M. O’Keeffe
LE TRIBUNAL (huitième chambre élargie),
I. Antécédents du litige et développements postérieurs à l’introduction du recours
1 La requérante, Polskie Górnictwo Naftowe i Gazownictwo S.A., est la société mère du groupe PGNiG, lequel est actif dans le secteur gazier et pétrolier, principalement en Pologne. Ce groupe a notamment des activités d’exploration et de production de gaz et de pétrole brut ainsi que d’importation, de vente et de distribution de gaz.
2 La requérante demande l’annulation de la décision C(2018) 3106 final de la Commission européenne, du 24 mai 2018, relative à une procédure d’application de l’article 102 TFUE et de l’article 54 de l’accord EEE (Affaire AT.39816 – Approvisionnement en gaz en amont en Europe centrale et orientale) (ci-après la « décision attaquée »), ayant rendu obligatoires des engagements présentés par Gazprom PJSC et Gazprom export LLC (ci-après, dénommées ensemble, « Gazprom »).
3 La décision attaquée a clos une procédure administrative menée par la Commission, laquelle a examiné, au regard de l’interdiction des abus de position dominante prévue à l’article 102 TFUE, la conformité de certaines pratiques de Gazprom affectant le secteur gazier dans certains pays d’Europe centrale et orientale (ci-après les « PECO »), à savoir en Bulgarie, en République tchèque, en Estonie, en Lettonie, en Lituanie, en Hongrie, en Pologne et en Slovaquie (ci-après, dénommés ensemble, les « PECO concernés »).
A. Sur la procédure administrative ayant donné lieu à la décision attaquée
4 Entre 2011 et 2015, la Commission a pris plusieurs mesures en vue d’enquêter sur le fonctionnement des marchés du gaz en Europe centrale et orientale. En particulier, elle a, au titre des articles 18 et 20 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), envoyé des demandes de renseignements à divers acteurs du marché, y compris à Gazprom et à certains de ses clients, dont la requérante, et procédé à des inspections, y compris, en 2011, dans des locaux de cette dernière. La procédure administrative correspondant à cette enquête et qui est directement en cause en l’espèce a été enregistrée sous la référence « Affaire AT.39816 – Approvisionnement en gaz en amont en Europe centrale et orientale » (ci-après l’« affaire AT.39816 »).
5 Dans le cadre de cette affaire, la Commission a, formellement, ouvert, le 31 août 2012, une procédure en vue d’adopter, conformément à l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003 et à l’article 2 du règlement (CE) no 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles [101] et [102 TFUE] (JO 2004, L 123, p. 18), une décision en application du chapitre III du règlement no 1/2003.
6 Le 22 avril 2015, la Commission a, conformément à l’article 10 du règlement no 773/2004, envoyé une communication des griefs à Gazprom (ci-après la « CG »). Dans cette communication, la Commission avait conclu, à titre préliminaire, que Gazprom occupait une position dominante sur les marchés nationaux de la fourniture de gaz de gros en amont dans les PECO concernés et qu’elle abusait de cette position en déployant une stratégie anticoncurrentielle aux fins de fragmenter et d’isoler ces marchés et, ainsi, d’empêcher la libre circulation du gaz dans les PECO concernés, en violation de l’article 102 TFUE.
7 La Commission avait estimé que cette stratégie de Gazprom recouvrait trois ensembles de pratiques anticoncurrentielles affectant ses clients dans les PECO concernés (ci-après les « clients concernés ») et leurs contrats conclus avec elle (ci-après les « contrats concernés ») :
– premièrement, Gazprom aurait imposé des restrictions territoriales dans le cadre de ses contrats de fourniture de gaz avec des grossistes ainsi qu’avec certains clients industriels dans les PECO concernés (ci-après les « griefs concernant les restrictions territoriales »), restrictions qui résulteraient de clauses contractuelles, interdisant l’exportation hors du territoire de livraison ou obligeant l’utilisation dans un territoire donné du gaz fourni ; Gazprom aurait également utilisé d’autres mesures empêchant les flux transfrontaliers de gaz ;
– deuxièmement, ces restrictions territoriales auraient permis à Gazprom de mener une politique tarifaire déloyale dans cinq des PECO concernés, à savoir la Bulgarie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie et la Pologne (ci-après les « cinq PECO concernés par les pratiques tarifaires »), en imposant des prix excessifs en ce qu’ils auraient été nettement plus élevés que le niveau de ses coûts ou de certains prix considérés comme étant des prix de référence (ci-après les « griefs concernant les pratiques tarifaires ») ;
– troisièmement, Gazprom aurait, en ce qui concerne la Bulgarie et la Pologne, subordonné ses fournitures de gaz à l’obtention de certaines assurances, de la part de grossistes, relatives à des infrastructures de transport gazier ; ces assurances portaient, d’une part, sur des investissements par le grossiste bulgare dans le projet de gazoduc South Stream et, d’autre part, sur l’acceptation par le grossiste polonais, à savoir la requérante, du renforcement du contrôle de Gazprom sur la gestion du tronçon polonais du gazoduc Yamal, l’un des principaux gazoducs de transit en Pologne (ci-après les « griefs Yamal »).
8 Le 29 septembre 2015, Gazprom a répondu à la CG en contestant les préoccupations concurrentielles de la Commission, puis, conformément à l’article 12 du règlement no 773/2004, elle a été entendue lors d’une audition qui s’est tenue le 15 décembre 2015.
9 Le 14 février 2017, tout en continuant de contester les préoccupations concurrentielles de la CG, Gazprom a, en application de l’article 9 du règlement no 1/2003, présenté un projet formel d’engagements (ci-après les « engagements initiaux »). Ce projet avait été précédé par des propositions informelles d’engagements.
10 Le 16 mars 2017, afin de recueillir les observations des parties intéressées sur les engagements initiaux, la Commission a publié au Journal officiel de l’Union européenne une communication conformément à l’article 27, paragraphe 4, du règlement no 1/2003 (JO 2017, C 81, p. 9), contenant un résumé de l’affaire AT.39816 ainsi que l’essentiel du contenu des engagements initiaux. En application de cette même disposition, les parties intéressées disposaient d’un délai de sept semaines à compter de la date de publication de ladite communication pour soumettre leurs observations (ci-après la « consultation du marché »). La Commission a reçu 44 séries d’observations de parties intéressées, y compris de la requérante, du gouvernement polonais, du président de l’Urząd Regulacji Energetyki (Office de régulation de l’énergie polonais, ci-après l’« Office polonais ») et de Gaz-System S.A., le gestionnaire du tronçon polonais du gazoduc Yamal.
11 Le 15 mars 2018, après avoir reçu les versions non confidentielles des observations des parties intéressées sur les engagements initiaux, Gazprom a présenté un projet modifié d’engagements (ci-après les « engagements finaux »).
12 Conformément à l’article 14 du règlement no 1/2003, la Commission a consulté le comité consultatif en matière d’ententes et de positions dominantes (ci-après le « comité consultatif ») et lui a notamment communiqué un avant-projet de décision. Le 2 mai 2018, le comité consultatif a rendu un avis favorable sur cet avant-projet. Par ailleurs, conformément à l’article 16 de la décision 2011/695/UE du président de la Commission, du 13 octobre 2011, relative à la fonction et au mandat du conseiller-auditeur dans certaines procédures de concurrence (JO 2011, L 275, p. 29), le conseiller-auditeur a rendu son rapport final le 2 mai 2018.
13 Le 24 mai 2018, la Commission a adopté la décision attaquée, à laquelle ont été annexés les engagements finaux. Par cette décision, elle a approuvé et rendu obligatoires lesdits engagements et a clos la procédure administrative en concluant qu’il n’y avait plus lieu qu’elle agît concernant les pratiques potentiellement abusives initialement identifiées dans la CG.
B. Sur la décision attaquée
14 Dans la décision attaquée, la Commission a d’abord exposé une évaluation préliminaire des pratiques de Gazprom, avant de présenter les engagements initiaux, les résultats de la consultation du marché ainsi que les engagements finaux. Ensuite, elle a exposé son évaluation des engagements finaux et les raisons l’ayant conduite à les considérer comme satisfaisants au regard de ses préoccupations concurrentielles.
1. Sur l’évaluation préliminaire des pratiques en cause
15 Dans la section 4 de la décision attaquée, exposant l’évaluation préliminaire, la Commission a défini les marchés pertinents comme étant les marchés nationaux de la fourniture de gaz en gros en amont. À cet égard, elle a également constaté que Gazprom occupait une position dominante sur les marchés pertinents dans les PECO concernés.
16 La Commission a considéré que Gazprom pourrait avoir abusé de sa position dominante, en violation de l’article 102 TFUE, en déployant une stratégie anticoncurrentielle visant à empêcher la libre circulation du gaz dans les PECO concernés et, ce faisant, à isoler les marchés pertinents de ces pays. Plus particulièrement, elle a estimé que cette stratégie recouvrait trois ensembles de pratiques anticoncurrentielles correspondant essentiellement aux préoccupations concurrentielles identifiées dans la CG et exposées au point 7 ci-dessus.
17 S’agissant des griefs Yamal, alors que, dans le cadre de la consultation du marché, certaines des parties intéressées avaient mis en cause l’absence d’engagements remédiant à ces griefs, la Commission a expliqué, au considérant 138 de la décision attaquée, que, après avoir enquêté davantage, ses préoccupations concurrentielles préliminaires n’avaient pas été confirmées. D’une part, elle a indiqué que, dans une décision du 19 mai 2015 certifiant Gaz-System en tant que gestionnaire de réseau indépendant (ci-après le « GRI ») du tronçon polonais du gazoduc Yamal (ci-après la « décision de certification »), l’Office polonais avait notamment conclu que Gaz-System exerçait un contrôle décisif sur les décisions en matière d’investissements relatives à ce tronçon ainsi que sur leur mise en œuvre. Partant, ni System Gazociągów Tranzytowych EuRoPol Gaz S.A. (ci-après « EuRoPol »), en tant que propriétaire du gazoduc, ni Gazprom, en tant qu’actionnaire d’EuRoPol, n’étaient en mesure de bloquer ces décisions. D’autre part, la Commission a relevé le caractère intergouvernemental des relations entre les parties actives dans le secteur gazier en Pologne, tout particulièrement en ce qui concerne la construction et la gestion du tronçon polonais du gazoduc Yamal, et a conclu que cette circonstance pouvait, dans une large mesure, avoir déterminé le comportement des parties concernées.
2. Sur le contenu des engagements finaux
18 Les engagements finaux, qui sont annexés à la décision attaquée, sont censés répondre aux préoccupations concurrentielles de la Commission.
19 S’agissant, en premier lieu, des engagements en vue de répondre aux préoccupations relatives aux restrictions territoriales (ci-après les « engagements relatifs aux restrictions territoriales »), d’abord, Gazprom s’est, en substance, engagée à supprimer, dans les contrats de fourniture de gaz conclus avec ses clients établis dans les PECO concernés, toutes les clauses qui interdisaient ou entravaient, directement ou indirectement, la libre circulation du gaz dans la région constituée par ces pays.
20 Ensuite, afin de permettre un flux de gaz entre, d’une part, la Bulgarie et les pays baltes et, d’autre part, les autres PECO concernés, malgré l’isolement infrastructurel des premiers, Gazprom s’est engagée à prendre des mesures afin d’accorder aux clients concernés la possibilité de demander que l’ensemble ou une partie de leurs volumes de gaz contractuels fournis à certains points de livraison en Hongrie, en Pologne et en Slovaquie soient livrés à un autre point de livraison en Bulgarie ou dans les pays baltes. À la suite de la consultation du marché, Gazprom a, dans les engagements finaux, notamment renforcé sa proposition relative à la modification des points de livraison.
21 En outre, afin de permettre au gestionnaire de réseau de transport bulgare de contrôler les flux en Bulgarie, Gazprom s’est en particulier engagée à prendre des mesures pour modifier les contrats pertinents de fourniture et de transport de gaz afin de permettre la conclusion de contrats en matière d’interconnexion entre la Bulgarie et d’autres États membres, en particulier la Grèce, ainsi que l’ajustement de la méthode d’attribution du gaz.
22 S’agissant, en deuxième lieu, des engagements en vue de répondre aux préoccupations en matière de prix (ci-après les « engagements relatifs aux pratiques tarifaires »), Gazprom s’est engagée à introduire des clauses de révision de prix ou, le cas échéant, à modifier les clauses existantes dans les contrats avec ses clients concernés en Bulgarie, en Estonie, en Lettonie, en Lituanie et en Pologne. Ces clauses nouvelles ou modifiées de révision des prix prévoient notamment que, si les parties ne parviennent pas à un accord au sujet d’un nouveau prix dans un délai de 120 jours, chaque partie pourra renvoyer le différend devant un tribunal arbitral, qui devra se fonder sur les orientations tarifaires incluses dans ces clauses et être institué au sein de l’Union européenne. De plus, les prix révisés s’appliqueront rétroactivement à partir de la date de notification de la demande de révision de prix.
23 S’agissant, en troisième lieu, des engagements liés aux préoccupations concurrentielles relatives à la subordination de l’approvisionnement en gaz à un prix donné à l’obtention, de la part du grossiste bulgare, d’une assurance concernant des investissements dans le projet de gazoduc South Stream, Gazprom s’est engagée à permettre aux partenaires bulgares impliqués dans ce projet de se retirer de celui-ci sans rechercher leur responsabilité civile et sans récupérer les rabais sur les prix du gaz qu’elle avait accordés en contrepartie de leur participation audit projet. Par ailleurs, eu égard au renoncement annoncé du tronçon bulgare de ce projet de gazoduc, Gazprom s’est également engagée à ne pas réclamer des dommages et intérêts, à titre de compensation spécifique liée à ce renoncement.
3. Sur l’évaluation et la mise en œuvre des engagements finaux
24 Dans la décision attaquée, la Commission a conclu, en substance, que les engagements finaux étaient efficaces et nécessaires, sans être disproportionnés, pour répondre à ses préoccupations concurrentielles, en indiquant avoir tenu compte, à cet égard, des développements sur les marchés du gaz depuis la notification de la CG. En particulier, elle a relevé, premièrement, que Gazprom avait déjà pris certaines mesures en vue de rendre son comportement davantage conforme aux règles du droit de la concurrence, deuxièmement, que la situation en termes d’infrastructures gazières s’était améliorée dans certains des PECO concernés, à savoir en République tchèque, en Hongrie, en Pologne et en Slovaquie, de manière à rendre possibles des flux transfrontaliers de gaz, même si les marchés du gaz dans les pays baltes et en Bulgarie demeuraient isolés des autres marchés du gaz de l’Union, et, troisièmement, que, à la suite de la chute des prix du pétrole, certains des prix à long terme du gaz, résultant de formules comportant une indexation par référence aux prix de produits pétroliers, avaient également baissé.
25 En conséquence, la Commission a décidé de rendre obligatoires les engagements finaux, en application de l’article 9 du règlement no 1/2003. S’agissant de leur durée d’application, la décision attaquée prévoit que ceux-ci sont applicables pour une période de huit ans à compter de la date de notification à Gazprom de ladite décision, à l’exception des engagements relatifs au projet de gazoduc South Stream, évoqués au point 23 ci-dessus, qui sont obligatoires pour une période de quinze ans à compter de cette date.
26 Le dispositif de la décision attaquée se lit comme suit :
« Article premier
Les Engagements listés dans l’annexe sont obligatoires pour [Gazprom], ainsi que toute entité juridique directement ou indirectement contrôlée par celle-ci, pour une période de huit années, à l’exception des engagements identifiés au point 21 de l’annexe qui sont obligatoires pour une période de quinze années, et ce à compter de la date définie dans les engagements.
Article 2
Il est conclu qu’il n’y a plus lieu [pour la Commission d’agir] dans cette affaire […] »
C. Sur la plainte
27 En parallèle à la procédure administrative engagée par la Commission et ayant donné lieu à la décision attaquée, la requérante avait, le 9 mars 2017 et en application de l’article 5 du règlement no 773/2004, déposé une plainte dénonçant de prétendues pratiques abusives de Gazprom (ci-après la « plainte »). Ces pratiques, lesquelles recoupaient, en grande partie, les préoccupations déjà exposées dans la CG, incluaient notamment des allégations relatives à des abus de Gazprom liés au tronçon polonais du gazoduc Yamal.
28 Le 29 mars 2017, la Commission a accusé réception de la plainte, laquelle a ensuite été enregistrée sous la référence « Affaire AT.40497 – Prix polonais du gaz » (ci-après l’« affaire AT.40497 »).
29 Dans une lettre du 31 mars 2017 adressée à la requérante, la Commission a relevé que les pratiques exposées dans la plainte et celles concernées par les engagements initiaux semblaient se chevaucher et l’a invitée à soumettre des observations sur ces engagements dans le cadre de la consultation du marché lancée le 16 mars 2017. Après avoir obtenu une prorogation du délai applicable, la requérante a déposé ses observations le 19 mai 2017.
30 Le 15 mai 2017, Gazprom a communiqué ses observations concernant la plainte à la Commission.
31 Par une lettre adressée à la requérante le 23 janvier 2018 (ci-après la « lettre d’intention de rejet »), la Commission a, conformément à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 773/2004, indiqué qu’elle prévoyait de rejeter la plainte et l’a invitée à faire connaître son point de vue dans un délai de quatre semaines à compter de la réception de ladite lettre. La Commission a également envoyé une version non confidentielle de la CG ainsi qu’une version non confidentielle des observations de Gazprom concernant la plainte, évoquées au point 30 ci-dessus.
32 Le 2 mars 2018, la requérante a déposé des observations en réponse à la lettre d’intention de rejet. Outre qu’elle exprimait son insatisfaction quant aux conclusions contenues dans ladite lettre, la requérante critiquait la conduite de l’enquête par la Commission et notait que cette dernière avait enfreint ses droits en tant que plaignante dans l’affaire AT.39816, en particulier en ce que, malgré de nombreuses demandes, la Commission ne lui aurait ni donné accès à la CG pendant près d’une année, ni permis de déposer des observations sur cette communication.
33 Le 5 septembre 2018, soit postérieurement à l’adoption de la décision attaquée, la requérante a envoyé au conseiller-auditeur une demande motivée, au sens de l’article 7, paragraphe 2, sous b), de la décision 2011/695, dans laquelle elle réclamait l’accès à tous les documents sur lesquels la Commission fondait son appréciation provisoire exposée dans la lettre d’intention de rejet, notamment l’accès à une version de la CG comportant moins d’informations omises. Le 17 septembre 2018, le conseiller-auditeur a transféré à la direction générale (DG) « Concurrence » de la Commission les demandes d’accès formulées dans cet envoi du 5 septembre 2018. Par lettre du 25 septembre 2018, la Commission a rejeté les demandes d’accès à des documents formulées par la requérante dans ses lettres des 2 mars et 5 septembre 2018.
34 Le 24 janvier 2019, la requérante a envoyé une lettre à la membre de la Commission chargée de la concurrence dans laquelle elle invitait la Commission, au titre de l’article 265, deuxième alinéa, TFUE, à agir soit en adoptant une décision rejetant la plainte, soit en poursuivant la procédure dans l’affaire AT.40497. Le 8 février 2019, la Commission a répondu à cette lettre en rappelant que la plainte avait déjà donné lieu à plusieurs échanges entre elles. La Commission a également indiqué, s’agissant de l’affaire AT.39816, qu’elle avait adopté la décision attaquée, laquelle, notamment, tenait compte des observations présentées par la requérante dans le cadre de la consultation du marché, et, s’agissant de l’affaire AT.40497, qu’elle avait envoyé la lettre d’intention de rejet, à laquelle avait répondu la requérante, et qu’elle finalisait son analyse de la plainte.
35 Le 17 avril 2019, la Commission a adopté la décision C(2019) 3003 final, relative à un rejet de plainte (Affaire AT.40497 – Prix polonais du gaz).
36 Le 25 juin 2019, la requérante a introduit un recours devant le Tribunal contre cette décision de rejet de la plainte, enregistré sous le numéro d’affaire T‑399/19.
II. Procédure et conclusions des parties
37 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 15 octobre 2018, la requérante a introduit le présent recours. Le mémoire en défense, la réplique et la duplique ont été déposés, respectivement, le 9 janvier, le 27 février et le 8 mai 2019.
38 Par acte séparé accompagnant la requête, la requérante a, en vertu de l’article 152 du règlement de procédure du Tribunal, demandé au Tribunal de statuer sur l’affaire selon la procédure accélérée. Par décision du 30 novembre 2018, le Tribunal a rejeté cette demande.
39 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 26 février 2019, Gazprom a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la Commission. Par actes déposés au greffe du Tribunal, respectivement, le 25 février, le 27 février et le 28 février 2019, Overgas Inc., la République de Lituanie et la République de Pologne ont demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la requérante.
40 Par décision du 5 avril 2019, la présidente de la première chambre du Tribunal a, les parties principales entendues, admis l’intervention de la République de Pologne. Par ordonnances du 17 mai 2019, elle a, les parties principales entendues, admis les interventions de la République de Lituanie, de Gazprom et d’Overgas.
41 Les mémoires en intervention ont été déposés le 30 août 2019 pour la République de Lituanie, le 6 septembre 2019 pour la République de Pologne et Overgas et le 4 octobre 2019 pour Gazprom. La requérante et la Commission ont déposé leurs observations sur les mémoires en intervention le 15 novembre 2019, la Commission ayant toutefois renoncé à déposer des observations sur le mémoire en intervention de Gazprom.
42 Le 4 octobre 2019, la composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la huitième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.
43 Par lettres du greffe du Tribunal du 17 décembre 2019, dans le cadre de mesures d’organisation de la procédure, la requérante a été invitée à produire plusieurs documents et la Commission a été invitée à répondre par écrit à une question concernant la confidentialité de certaines informations figurant dans la version confidentielle de la CG.
44 Par ordonnance du même jour, le Tribunal a ordonné à la Commission, au titre, d’une part, de l’article 24, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et, d’autre part, de l’article 91, sous b), et de l’article 92, paragraphe 3, du règlement de procédure, et sous réserve de l’application de l’article 103 de ce règlement, de produire une copie intégrale de la version confidentielle de la CG.
45 Les parties ont dûment déféré, dans les délais impartis, aux mesures d’organisation de la procédure adoptées le 17 décembre 2019 ainsi qu’à l’ordonnance de mesure d’instruction rendue par le Tribunal le même jour.
46 Par lettres du greffe du Tribunal du 6 mai 2020, la requérante et la Commission ont été invitées à produire des documents et à répondre par écrit à des questions posées par le Tribunal à titre de mesures d’organisation de la procédure. Elles ont déféré à ces mesures dans le délai imparti.
47 Par décision du 28 mai 2020, le président de la huitième chambre a, au titre de l’article 67, paragraphe 2, du règlement de procédure, lu conjointement avec l’article 19, paragraphe 2, de ce même règlement, décidé, au vu des circonstances particulières de la présente affaire, de lui accorder un traitement prioritaire.
48 Le 8 juin 2020, sur proposition de la huitième chambre, le Tribunal a décidé, en application de l’article 28 du règlement de procédure, de renvoyer la présente affaire devant la huitième chambre élargie. Un membre de cette chambre élargie ayant été empêché de siéger, le président du Tribunal a été désigné pour compléter la chambre par décision du 15 juin 2020.
49 Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure. En vue de celle-ci, la requérante, la Commission et Overgas ont été invitées à produire des documents et à répondre par écrit à des questions posées par le Tribunal à titre de mesures d’organisation de la procédure. En réponse à ces mesures, Overgas a déposé ses observations le 26 novembre 2020, tandis que la requérante et la Commission ont déposé leurs observations respectives et produit des documents le 8 décembre 2020 (ci-après les « réponses du 8 décembre 2020 »).
50 En outre, s’agissant de la copie intégrale de la version confidentielle de la CG produite par la Commission (voir points 43 et 45 ci-dessus), le Tribunal a, en application de l’article 103, paragraphe 2, du règlement de procédure, décidé de porter ce document à la connaissance des représentants de la requérante, à condition qu’ils souscrivent préalablement des engagements de confidentialité, afin qu’elle puisse faire valoir des observations à cet égard. Ces représentants ayant fourni des engagements de confidentialité signés, ledit document leur a été signifié et la requérante a présenté ses observations le 8 décembre 2020.
51 Pour des raisons liées à la crise sanitaire due à la COVID-19 et à la suite de demandes formulées par certaines parties, le président de la huitième chambre élargie a décidé de reporter l’audience, initialement fixée pour les 20 et 21 janvier 2021.
52 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience des 18 et 19 mai 2021. À cette occasion, le Tribunal a également indiqué avoir pris note des observations sur le rapport d’audience présentées par la Commission le 27 avril 2021.
53 Lors de la seconde journée d’audience, et dans le cadre de questions posées par le Tribunal relativement à la recevabilité du recours, la Commission a revu sa position quant à cette recevabilité et soutenu que la requérante n’avait pas démontré son intérêt à agir dans la présente affaire, de sorte que le recours ne serait pas recevable.
54 La requérante a présenté des demandes de traitement confidentiel à l’égard de la République de Lituanie, de la République de Pologne, de Gazprom et d’Overgas, quant à certaines informations figurant dans divers actes de la procédure. Ces dernières n’ont pas émis d’objections à l’égard de ces demandes.
55 La requérante, soutenue par la République de Lituanie, la République de Pologne et Overgas, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– condamner la Commission aux dépens.
56 La Commission, soutenue par Gazprom, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– déclarer le recours irrecevable ou, à titre subsidiaire, rejeter le recours comme étant non fondé ;
– condamner la requérante aux dépens.
III. En droit
57 À l’appui de son recours, la requérante soulève six moyens, tirés, en substance :
– le premier, d’une violation de l’article 9 du règlement no 1/2003, lu conjointement avec l’article 102 TFUE, et du principe de proportionnalité, en ce que la Commission aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en concluant que les griefs Yamal se seraient révélés être non fondés et en acceptant des engagements qui ne répondraient aucunement à ces griefs ;
– le deuxième, d’une violation de l’article 9 du règlement no 1/2003, lu conjointement avec l’article 102 TFUE, et du principe de proportionnalité, en ce que la Commission a accepté les engagements finaux alors qu’ils ne répondraient pas adéquatement aux griefs concernant les pratiques tarifaires ;
– le troisième, d’une violation de l’article 9 du règlement no 1/2003, lu conjointement avec l’article 102 TFUE, et du principe de proportionnalité, en ce que la Commission a accepté les engagements finaux alors qu’ils ne répondraient pas adéquatement aux griefs concernant les restrictions territoriales ;
– le quatrième, d’une violation de l’article 194, paragraphe 1, TFUE, lu conjointement avec l’article 7 TFUE, en ce que la décision attaquée serait contraire aux objectifs de la politique énergétique de l’Union et en ce que la Commission n’aurait pas tenu compte de l’incidence négative de cette décision sur le marché européen de la fourniture de gaz ;
– le cinquième, d’une violation de l’article 18, paragraphe 1, TFUE et du principe d’égalité de traitement, en ce que la Commission aurait opéré une discrimination entre les clients de Gazprom actifs dans les États membres d’Europe occidentale et ceux actifs dans les PECO concernés ;
– le sixième, d’un détournement de pouvoir et d’une violation des formes substantielles, en ce que, par la décision attaquée, la Commission aurait méconnu l’objectif de l’article 9 du règlement no 1/2003 ainsi que les limites de ses pouvoirs dans la gestion de la procédure administrative.
A. Sur les demandes de mesures d’organisation de la procédure
58 Dans ses écritures, la requérante a formulé des demandes visant à ce qu’il soit enjoint à la Commission de produire, à titre principal, « les actes de la procédure AT.39816 », « les actes de la procédure AT.40497 » ainsi que, pour autant qu’ils ne relèvent pas déjà de ces deux catégories, certains documents identifiés plus précisément. À titre subsidiaire, la Commission devrait produire ces derniers documents ainsi qu’une version non confidentielle de la CG contenant moins d’informations omises que celle déjà en possession de la requérante. Les documents demandés seraient utiles en ce que le Tribunal ne saurait contrôler la légalité de la décision attaquée qu’en tenant compte du contexte constitué par l’intégralité des dossiers dans les affaires AT.39816 et AT.40497.
59 La Commission considère que, à l’exception de la CG, aucun des documents ou des informations concernés n’est utile pour les besoins de l’instance et soutient que la requérante ne justifie pas suffisamment ses demandes.
60 À cet égard, il convient de rappeler qu’un plaignant ou un tiers admis à la procédure, au sens des articles 5 et 11 du règlement no 773/2004, n’a pas un droit d’accès au dossier tel que celui, prévu à l’article 15 de ce règlement, dont bénéficient les destinataires d’une communication des griefs, pour lesquels cet accès a notamment pour objet de leur permettre de prendre connaissance des éléments de preuve figurant dans le dossier de la Commission, afin qu’ils puissent se prononcer utilement, sur la base de ces éléments, sur les conclusions auxquelles la Commission est parvenue dans sa communication des griefs (voir notamment arrêt du 14 mai 2020, NKT Verwaltung et NKT/Commission, C‑607/18 P, non publié, EU:C:2020:385, point 261 et jurisprudence citée). En revanche, conformément à l’article 6 dudit règlement, un plaignant a le droit de recevoir une copie de la version non confidentielle de la communication des griefs relative à une affaire au sujet de laquelle la Commission a été saisie d’une plainte.
61 Toutefois, ces règles ne s’appliquent pas à la procédure juridictionnelle devant le Tribunal, celle-ci étant régie par l’article 24 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et par le règlement de procédure de celui-ci. Dans ce contexte, l’appréciation de l’opportunité d’adopter une mesure d’organisation de la procédure ou une mesure d’instruction relève du juge, et non des parties, ces dernières pouvant, le cas échéant, contester le choix opéré en première instance dans le cadre d’un pourvoi (arrêt du 12 mai 2010, Commission/Meierhofer, T‑560/08 P, EU:T:2010:192, point 61). Ainsi, le Tribunal peut demander aux parties de produire tous les documents et de fournir toutes les informations qu’il estime désirables conformément à l’article 89 du règlement de procédure. À cette fin, la partie requérante peut demander au Tribunal d’ordonner la production de documents qui sont en possession de la partie défenderesse, mais, pour permettre à celui-ci de déterminer s’il est utile au bon déroulement de la procédure d’ordonner une telle production, la partie requérante doit identifier les documents sollicités et fournir au moins un minimum d’éléments accréditant l’utilité de ces documents pour les besoins de l’instance (voir, en ce sens, arrêt du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C‑185/95 P, EU:C:1998:608, points 90 à 93).
62 En l’espèce, la requérante se limite, dans une large mesure, à formuler des demandes visant des ensembles vastes de documents sans identifier avec un degré de précision suffisant les documents dont elle sollicite la production et sans préciser les raisons pour lesquelles les documents demandés pourraient présenter une utilité pour les besoins de l’instance, autrement qu’en affirmant qu’ils constitueraient « le contexte » dont devrait tenir compte le Tribunal dans son appréciation de la légalité de la décision attaquée.
63 Partant, et après avoir examiné les demandes formulées par la requérante au regard des moyens et des arguments invoqués, le Tribunal conclut qu’il n’y a pas lieu d’adopter, au titre de l’article 89, paragraphe 3, sous d), du règlement de procédure, les mesures d’organisation de la procédure demandées. Cela étant, il convient de relever que, ainsi qu’il est noté aux points 43, 46 et 49 ci-dessus, le Tribunal, aux fins de traiter les moyens soulevés à l’appui du recours, a adopté diverses mesures d’organisation de la procédure, lesquelles incluent notamment des demandes de production de documents.
64 S’agissant du traitement de la CG, et plus particulièrement de la version confidentielle de cette pièce, cette question sera examinée dans le cadre du traitement du sixième moyen ci-après.
B. Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 9 du règlement no 1/2003, lu conjointement avec l’article 102 TFUE, et du principe de proportionnalité, en ce que la Commission aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant que les griefs Yamal se seraient révélés être non fondés et en acceptant des engagements qui ne répondraient aucunement à ces griefs
65 Le premier moyen porte sur le traitement, par la Commission, des griefs Yamal. Ce moyen se divise, en substance, en deux branches.
1. Sur la première branche du premier moyen, relative à des erreurs de la Commission quant à l’abandon des griefs Yamal et à l’absence d’engagement répondant à ces griefs
66 La requérante, soutenue par la République de Pologne, reproche à la Commission d’avoir abandonné les griefs initiaux concernant le gazoduc Yamal et, par corollaire, l’absence d’engagement relatif à ces griefs. Elle estime que, contrairement à ce que la Commission soutient dans le cadre du présent recours, cette dernière était tenue de justifier cette manière de procéder. Par ailleurs, les deux motifs figurant néanmoins au considérant 138 de la décision attaquée à cet égard seraient entachés d’une erreur manifeste d’appréciation.
67 La Commission considère que cette branche doit être écartée comme étant non fondée.
a) Sur le grief tiré de l’obligation, pour la Commission, de justifier l’absence d’engagement répondant aux griefs Yamal
68 La requérante fait valoir que la Commission n’a pas respecté les exigences posées à l’article 9 du règlement no 1/2003 en ce qui concerne son traitement et, plus particulièrement, son abandon des griefs Yamal.
69 En effet, la Commission aurait, dans la CG, exposé le comportement de Gazprom consistant à bloquer les décisions d’EuRoPol nécessaires à la mise en œuvre de flux bidirectionnels, virtuels ou physiques, sur le tronçon polonais du gazoduc Yamal et aurait considéré que ce comportement constituait une pratique anticoncurrentielle établie à suffisance de droit. Partant, eu égard aux exigences posées à l’article 9 du règlement no 1/2003, la Commission ne pouvait pas, selon la requérante, accepter des engagements qui ne remédiaient aucunement aux griefs Yamal. En réalité, la Commission aurait essentiellement modifié la portée des griefs retenus contre Gazprom sans suivre la procédure prévue à cet effet et sans expliquer les raisons de cette modification.
70 En outre, la requérante conteste la position de la Commission visant à faire primer les préoccupations concurrentielles exposées dans l’« évaluation préliminaire » de la décision attaquée (section 4) sur celles exposées dans la CG. Conformément au paragraphe 123 de la communication de la Commission concernant les bonnes pratiques relatives aux procédures d’application des articles 101 et 102 TFUE (JO 2011, C 308, p. 6, ci-après les « bonnes pratiques »), lorsqu’une communication des griefs a été notifiée à l’entreprise concernée, celle-ci « f[erait] office d’évaluation préliminaire ». Or, rien n’indique que, en l’espèce, la Commission aurait, après avoir notifié la CG, communiqué une nouvelle évaluation préliminaire, délestée des griefs Yamal. Partant, elle n’aurait jamais formellement modifié la portée de sa CG.
71 Sur ce point, la requérante estime que la Commission ne saurait faire abstraction des étapes de la procédure administrative ayant précédé l’adoption de la décision attaquée, dont, en particulier, la notification de la CG. En effet, un tel comportement ferait obstacle au contrôle opéré par le juge de l’Union, lequel doit vérifier le caractère correct, complet et fiable des faits ayant donné lieu à une décision de la Commission et ne saurait être empêché d’utiliser une communication des griefs pour procéder à l’interprétation d’une telle décision. L’approche préconisée par la Commission reviendrait à lui accorder un pouvoir arbitraire concernant l’approbation d’engagements, étant donné qu’elle serait en mesure d’« aligner » le contenu d’une évaluation préliminaire sur celui des engagements qu’une entreprise serait prête à prendre.
72 Pour sa part, la Commission rappelle que son rôle, dans le cadre de l’application de l’article 9 du règlement no 1/2003, est d’examiner les engagements proposés par l’entreprise concernée à l’aune des préoccupations concurrentielles dont elle a informé cette entreprise par le biais d’une « évaluation préliminaire ». La Commission distingue les préoccupations exposées dans la CG de celles exposées dans l’évaluation préliminaire de la décision attaquée, en ce que ces dernières n’incluent plus les griefs Yamal. Ainsi, à partir du moment où ces griefs avaient été abandonnés, elle aurait pu, sans commettre d’erreur, procéder à l’examen des engagements, même s’ils ne remédiaient pas auxdits griefs.
73 Par ailleurs, outre que la requérante ferait une interprétation erronée de l’arrêt du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala (C‑413/06 P, EU:C:2008:392), et accorderait à la CG une valeur excédant la nature procédurale et préparatoire normalement reconnue à ce type de document, la Commission souligne que, contrairement aux décisions adoptées au titre de l’article 7 du règlement no 1/2003, la décision attaquée en l’espèce, adoptée au titre de l’article 9 de ce règlement, ne procéderait à aucune constatation contraignante quant à l’existence d’une infraction. Partant, il conviendrait de rejeter le postulat d’un contrôle juridictionnel examinant la régularité de la décision attaquée, laquelle comprendrait une évaluation ayant un caractère préliminaire, à la lumière des préoccupations exposées dans la CG, laquelle aurait un caractère provisoire.
74 S’agissant encore du prétendu caractère arbitraire de son approche, la Commission relève qu’elle n’avait pas à motiver l’abandon des griefs Yamal, que ce soit au regard de la jurisprudence relative au droit d’être entendu ou de l’obligation de motivation afférente à une décision adoptée au titre de l’article 9 du règlement no 1/2003. Cela étant, dès lors que des parties intéressées l’avaient interpellée concernant l’absence d’engagement portant sur le gazoduc Yamal, elle aurait inclus, conformément aux principes de bonne administration et de transparence, les motifs pour lesquels ses préoccupations préliminaires n’avaient pas été confirmées.
75 Il convient de rappeler que, aux termes de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, lorsque la Commission envisage d’adopter une décision exigeant la cessation d’une infraction et que les entreprises concernées offrent des engagements de nature à répondre aux préoccupations dont elle les a informées dans son évaluation préliminaire, elle peut, par voie de décision, rendre ces engagements obligatoires pour les entreprises.
76 À cet égard, le mécanisme introduit par l’article 9 du règlement no 1/2003 vise à assurer une application efficace des règles de concurrence en apportant une solution plus rapide aux préoccupations concurrentielles que la Commission a identifiées, au lieu d’agir par la voie de la constatation formelle d’une infraction. Cette disposition est inspirée par des considérations d’économie de procédure et permet aux entreprises de participer pleinement à la procédure, en proposant les solutions qui leur semblent les plus appropriées et adéquates pour répondre auxdites préoccupations (voir, en ce sens, arrêts du 29 juin 2010, Commission/Alrosa, C‑441/07 P, ci-après l’« arrêt Alrosa », EU:C:2010:377, point 35, et du 15 septembre 2016, Morningstar/Commission, T‑76/14, ci-après l’« arrêt Morningstar », EU:T:2016:481, point 39).
77 En outre, si l’article 9 du règlement no 1/2003 ne se réfère pas expressément à la notion de proportionnalité, contrairement à l’article 7 de ce règlement, qui concerne les décisions constatant une infraction, il n’en demeure pas moins que, en tant que principe général du droit de l’Union, le principe de proportionnalité constitue un critère de la légalité de tout acte des institutions de l’Union. Cela étant, les caractéristiques spécifiques des mécanismes prévus aux articles 7 et 9 de ce règlement ainsi que les moyens d’action qu’il offre en vertu de chacune de ces dispositions sont différents, notamment en ce que l’objectif du premier mécanisme est de mettre fin à une infraction alors que l’objectif du second est de répondre aux préoccupations de la Commission résultant de son évaluation préliminaire. Partant, l’obligation d’assurer le respect du principe de proportionnalité, qui incombe à la Commission, a une portée et un contenu différents selon qu’elle est considérée dans le cadre de l’une ou de l’autre de ces dispositions (voir, en ce sens, arrêt Alrosa, points 36 à 38 et 46, et arrêt Morningstar, points 43 et 44).
78 Ainsi, dans un cas d’application de l’article 9 du règlement no 1/2003, l’évaluation préliminaire évoquée dans cette disposition est destinée aux entreprises visées par l’enquête de la Commission et doit leur permettre d’apprécier l’opportunité de proposer des engagements appropriés. Quant à la Commission, elle est dispensée de l’obligation de qualifier et de constater l’infraction, son rôle se limitant à l’examen et à l’éventuelle acceptation des engagements proposés, à la lumière des préoccupations concurrentielles identifiées dans cette évaluation ainsi qu’au regard des buts qu’elle poursuit. Dans ce contexte, la mise en œuvre du principe de proportionnalité se limite à la vérification, d’une part, que les engagements en question répondent à ces préoccupations et, d’autre part, que lesdites entreprises n’ont pas offert d’engagements moins contraignants répondant d’une façon aussi adéquate auxdites préoccupations. Dans l’exercice de cette vérification, la Commission doit prendre en compte les circonstances de l’espèce, à savoir en particulier les intérêts des tiers et l’étendue des préoccupations identifiées (voir, en ce sens, arrêt Alrosa, points 40 et 41 ; arrêt du 9 décembre 2020, Groupe Canal +/Commission, C‑132/19 P, EU:C:2020:1007, point 105, et arrêt Morningstar, point 45).
79 En l’espèce, il importe, tout d’abord, de constater que, nonobstant ce qu’a pu laisser entendre la Commission, la CG a fait office d’évaluation préliminaire au sens de l’article 9 du règlement no 1/2003, ce qui ressort manifestement de la décision attaquée et correspond par ailleurs à l’hypothèse envisagée au paragraphe 123 des bonnes pratiques.
80 Il s’ensuit que la Commission ne saurait soutenir que les développements repris sous l’intitulé « Évaluation préliminaire » (section 4) dans la décision attaquée, laquelle décision a été adoptée à l’issue de la procédure administrative et a clos cette procédure, doivent constituer le point de référence à l’aune duquel devrait être apprécié le caractère adéquat d’engagements présentés antérieurement à l’adoption de cette décision. De même, la Commission n’identifie aucun autre document, produit entre la notification de la CG et l’adoption de la décision attaquée, dans lequel elle aurait fait part à Gazprom d’une évaluation préliminaire révisée, en particulier s’agissant des griefs Yamal, avant que cette entreprise ne présente des propositions informelles d’engagements au cours des années 2015 et 2016, puis les engagements initiaux en février 2017.
81 À l’aune de ce constat relatif à la CG, il convient de considérer que les exigences liées au respect du principe de proportionnalité ne sauraient impliquer que toutes les préoccupations concurrentielles exposées dans une évaluation préliminaire, y compris lorsqu’une telle évaluation prend la forme d’une communication des griefs, doivent nécessairement obtenir une réponse dans les engagements proposés par les entreprises concernées, ainsi que l’a reconnu la requérante pour des situations autres qu’en ce qui concerne les griefs Yamal dans le cas d’espèce.
82 En effet, interpréter autrement l’article 9 du règlement no 1/2003 et le principe de proportionnalité risquerait de figer l’évaluation préliminaire de la Commission, par nature provisoire, et de rendre caduque, dans certaines circonstances, la procédure d’engagements. De même, il ressort de la jurisprudence qu’une communication des griefs est un document à caractère procédural et préparatoire qui circonscrit l’objet de la procédure administrative que la Commission a engagée, cette dernière ayant l’obligation de tenir compte des éléments résultant de la procédure administrative, pour, notamment, abandonner des griefs qui se seraient révélés mal fondés (voir, en ce sens, arrêts du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, C‑413/06 P, EU:C:2008:392, point 63 et jurisprudence citée, et du 28 janvier 2021, Qualcomm et Qualcomm Europe/Commission, C‑466/19 P, EU:C:2021:76, point 66 et jurisprudence citée).
83 Il n’en demeure pas moins que, dans les conditions de l’espèce et, en particulier, en l’absence d’évaluation préliminaire révisée, l’article 9 du règlement no 1/2003 imposait à la Commission, contrairement à ce qu’elle soutient, d’avoir des raisons justifiant l’absence d’engagement répondant aux griefs Yamal. De même, en ce que la Commission soutient que son erreur ne saurait conduire à l’annulation, même partielle, de la décision attaquée, le Tribunal juge que cette erreur relève bien du dispositif de cette décision, étant donné que, même si ces griefs ne sont pas visés par l’article 1er, rendant obligatoires les engagements finaux, ils sont couverts par l’article 2 qui conclut qu’il n’y a plus lieu d’agir dans l’affaire AT.39816.
84 Pour le reste, cette obligation de justifier une absence d’engagement ne saurait aller jusqu’à attendre de la Commission qu’elle démontrât l’impossibilité de constater une infraction. Une telle approche ne serait pas compatible avec la nature d’une procédure d’engagements, étant entendu que, conformément aux termes de l’article 9 du règlement no 1/2003, lu à la lumière du considérant 13 de ce règlement, une décision relative à des engagements n’établit pas s’il y a eu ou s’il y a toujours une infraction et est sans préjudice de la faculté qu’ont les autorités de la concurrence et les juridictions des États membres de faire de telles constatations (voir, en ce sens, arrêts du 23 novembre 2017, Gasorba e.a., C‑547/16, EU:C:2017:891, points 26 et 30, et du 9 décembre 2020, Groupe Canal +/Commission, C‑132/19 P, EU:C:2020:1007, point 108).
85 En l’espèce, en toute hypothèse, force est de constater que la Commission a présenté les raisons pour lesquelles elle n’avait pas imposé d’engagement répondant aux griefs Yamal, lesquelles prennent la forme des deux motifs figurant au considérant 138 de la décision attaquée. Le premier motif a trait à la décision de certification et le second motif est lié au caractère intergouvernemental des relations dans le secteur gazier en Pologne (comme cela est exposé au point 17 ci-dessus).
b) Sur les griefs contestant le bien-fondé desdeux motifsfigurant au considérant 138 de la décision attaquée
86 Dans le cadre d’un premier grief, la requérante, soutenue par la République de Pologne, soutient que la Commission se serait prévalue, à tort, de la décision de certification pour conclure que les griefs Yamal ne nécessitaient pas d’engagement de la part de Gazprom.
87 En premier lieu, la requérante estime que l’adoption de la décision de certification par l’Office polonais ne constitue pas une circonstance justifiant l’évolution de l’appréciation de la Commission quant aux griefs Yamal entre la notification de la CG, le 22 avril 2015, et la présentation des engagements initiaux, le 14 février 2017, lesquels ne répondaient pas à ces griefs. En réalité, nonobstant l’adoption, le 19 mai 2015, de cette décision par ledit Office, la Commission aurait été face à un ensemble de circonstances essentiellement inchangées entre le moment où elle avait formulé ses préoccupations dans la CG et le moment, soit quelques semaines après la notification de cette CG, de l’adoption de ladite décision, voire jusqu’à l’issue de l’affaire AT.39816.
88 En deuxième lieu, la Commission aurait été particulièrement informée des questions relatives à l’influence de Gazprom sur le tronçon polonais du gazoduc Yamal, compte tenu précisément de son intervention dans le cadre de la procédure de certification de Gaz-System. Ainsi, dans deux avis qu’elle a adressés à l’Office polonais, datés du 9 septembre 2014 et du 19 mars 2015, portant sur des projets de décision similaires à la décision de certification, la Commission aurait examiné les conditions de gestion, par Gaz‑System, de ce tronçon et aurait expressément recommandé que l’exploitation des stations de compression et de comptage situées sur ledit tronçon fût transférée à cette dernière, afin d’éviter une distorsion de concurrence en faveur de Gazprom.
89 Dans ce cadre, l’appréciation de la Commission finalement retenue dans la décision attaquée serait surprenante eu égard au fait que le transfert d’exploitation des stations de compression et de comptage n’aurait finalement pas été réalisé, malgré le délai de 24 mois fixé dans la décision de certification et expirant en mai 2017. Il serait sans pertinence que ce transfert n’ait été qu’une « recommandation », l’important étant que le blocage serait imputable à Gazprom et que la Commission en avait été informée, dans le cadre de la consultation du marché, par le gouvernement polonais, par le président de l’Office polonais, par Gaz-System et par la requérante.
90 En troisième lieu, la Commission n’aurait pas non plus tenu compte des menaces de suspension de la fourniture de gaz en cas de mise en œuvre du transfert d’exploitation, ce dont la requérante l’aurait informée dans la plainte. Pourtant, la réalité de ces menaces serait avérée eu égard à l’injection par Gazprom de gaz, dans le gazoduc Yamal, d’une qualité inadaptée au réseau gazier polonais, peu après l’échéance du délai de 24 mois dans lequel ce transfert aurait dû avoir lieu, ainsi qu’à l’aune d’une lettre envoyée par le ministre de l’Énergie russe à son homologue polonais le 30 août 2016, par laquelle il aurait menacé de suspendre la fourniture de gaz par Gazprom si cette dernière était obligée de procéder audit transfert.
91 S’agissant de cette lettre, le ministre de l’Énergie russe y aurait rappelé que les fournitures de gaz à la Pologne dépendaient du respect, par le gouvernement de la République de Pologne, de ses obligations en vertu d’une série d’accords intergouvernementaux conclus entre la République de Pologne et la Fédération de Russie et portant, notamment, sur les volumes de fourniture de gaz à la Pologne ainsi que sur la construction et la gestion du gazoduc Yamal (ci‑après les « accords Pologne-Russie »), à savoir, concrètement, des obligations en vertu desquelles l’exploitation des stations de compression et de comptage devait demeurer aux mains d’EuRoPol. Or, la requérante souligne que cette exploitation revenait à Gaz-System pour assurer l’indépendance de cette dernière, conformément à la réglementation de l’Union en matière de gaz, et la Commission aurait elle-même considéré, dans son avis du 19 mars 2015, qu’il s’agissait de l’une des fonctions centrales des pouvoirs de gestion d’un GRI.
92 La Commission considère que ce grief doit être écarté comme étant non fondé.
93 À cet égard, il convient de rappeler que la Commission jouit d’une marge d’appréciation dans le cadre de l’acceptation d’engagements au titre de l’article 9 du règlement no 1/2003, dans la mesure où elle est appelée à effectuer une analyse nécessitant la prise en compte de nombreux facteurs économiques, telle qu’une analyse prospective afin d’évaluer l’adéquation des engagements offerts par l’entreprise en cause, et que le Tribunal doit en tenir compte dans l’exercice de son contrôle. Ainsi, ce contrôle porte uniquement sur le point de savoir si l’appréciation à laquelle s’est livrée la Commission est manifestement erronée et le juge de l’Union ne peut substituer sa propre appréciation à celle de la Commission, en présentant sa propre évaluation de circonstances économiques complexes, sauf à empiéter sur la marge d’appréciation de celle-ci, au lieu de contrôler la légalité de l’appréciation en cause (voir, en ce sens, arrêt Alrosa, points 42, 60 et 67, et arrêt Morningstar, point 41).
94 En l’espèce, il y a lieu de noter que les griefs Yamal sont examinés principalement dans les sections 13 et 15.9 de la CG. Il en ressort que les préoccupations de la Commission se focalisaient sur des comportements allégués de Gazprom visant à maintenir ou à renforcer son contrôle sur les investissements sur le tronçon polonais du gazoduc Yamal, notamment en ce que cette entreprise aurait cherché à disposer de pouvoirs décisionnels importants au sein d’EuRoPol et à maintenir auprès de cette dernière entité, plutôt qu’auprès du GRI responsable de ce tronçon, à savoir Gaz-System, les compétences en matière d’investissement sur ledit tronçon. C’est dans ce contexte que la Commission avait examiné le contrat de gestion conclu en 2010 entre EuRoPol et Gaz-System, les nouveaux statuts d’EuRoPol adoptés en 2011 ainsi que [confidentiel] (1).
95 Plus particulièrement, ainsi qu’il ressort notamment de la section 15.9.2 de la CG, l’objectif des comportements prétendument abusifs de Gazprom visant à maintenir son contrôle dans les investissements sur le tronçon polonais du gazoduc Yamal aurait été d’empêcher le développement des infrastructures permettant la diversification des sources et des fournisseurs en gaz (à savoir des concurrents de Gazprom). En particulier, Gazprom serait parvenue à retarder l’instauration de flux inversés virtuels et physiques sur ce tronçon et, par ce biais, aurait empêché une telle diversification. Partant, la Commission avait provisoirement conclu que, par l’obtention de pouvoirs sur les investissements, Gazprom avait, potentiellement du moins, commis un abus d’exploitation en empêchant l’accès de concurrents audit tronçon, en violation de l’article 102, sous d), TFUE.
96 Par la suite, la Commission a toutefois accepté de rendre obligatoires les engagements finaux, qui n’incluent aucune mesure répondant aux griefs Yamal. Dans la décision attaquée, après avoir relevé, au considérant 137, que certaines parties intéressées s’étaient, dans le cadre de la consultation du marché, étonnées d’une telle absence de mesure, la Commission a expliqué, au considérant 138 de cette décision, que ses préoccupations concurrentielles préliminaires n’avaient pas été confirmées, et ce pour les deux motifs exposés dans ce considérant.
97 S’agissant du premier motif, ayant trait à la décision de certification, la Commission a, en particulier, noté que, par la décision de certification, l’Office polonais avait notamment conclu que Gaz-System exerçait un contrôle décisif sur les décisions en matière d’investissements relatives au tronçon polonais du gazoduc Yamal ainsi que sur leur mise en œuvre. Partant, ni EuRoPol, en tant que propriétaire du gazoduc, ni Gazprom, en tant qu’actionnaire d’EuRoPol, n’étaient en mesure de bloquer ces décisions.
98 À cet égard, premièrement, il convient de relever que la décision de certification, comme le soutient à juste titre la Commission, inclut, à l’aune d’un examen détaillé des circonstances pertinentes, dont le contrat de gestion du 25 octobre 2010 et les statuts d’EuRoPol, diverses constatations quant au contrôle de Gaz-System sur les investissements sur le tronçon polonais du gazoduc Yamal. Sur la base de ces constatations, le président de l’Office polonais a, en définitive, octroyé un certificat d’indépendance à Gaz-System, indiquant que cette entreprise remplissait les exigences liées au rôle de GRI, notamment en termes de maîtrise des investissements.
99 Certes, la requérante et la République de Pologne font valoir diverses circonstances qui pourraient impliquer que Gaz-System pourrait être découragée de prendre certaines décisions en matière d’investissements sur ledit tronçon ou pourrait être exposée à des coûts substantiels liés à des procédures administratives ou judiciaires engagées en particulier par EuRoPol. Ce faisant, elles remettent en cause l’appréciation portée par la Commission relativement à la décision de certification.
100 Toutefois, la requérante et la République de Pologne ne contestent pas la validité en tant que telle de la décision de certification adoptée par l’Office polonais et n’ont pas évoqué d’erreurs qui auraient été commises par ce dernier et qui seraient liées à des constatations particulières figurant dans cette décision, ni indiqué quelles constatations seraient, selon elles, incorrectes. Dans ce contexte, et compte tenu du rôle accordé aux autorités nationales de régulation des États membres dans le cadre de la réglementation de l’Union relative au secteur du gaz, et notamment par la directive 2009/73/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 2003/55/CE (JO 2009, L 211, p. 94, ci-après la « directive sur le gaz »), la Commission pouvait raisonnablement tenir compte de constatations faites par une telle autorité et, en l’espèce, se fonder sur ladite décision, dans laquelle l’Office polonais a conclu que Gaz-System avait le contrôle des investissements sur le tronçon polonais du gazoduc Yamal et a certifié cet opérateur comme étant un GRI.
101 Deuxièmement, les arguments avancés par la requérante et la République de Pologne concernant la décision de certification se focalisent surtout sur l’existence et la nature de la recommandation, figurant dans cette décision, relative au transfert d’exploitation des stations de compression et de comptage, ainsi que sur le prétendu non-respect de cette recommandation. Or, il ne ressort ni de ladite décision ni des arguments avancés par la requérante et la République de Pologne que la maîtrise de Gaz‑System sur les investissements sur le tronçon polonais du gazoduc Yamal dépendrait de la mise en œuvre de ladite recommandation.
102 À cet égard, il importe de relever que l’exploitation quotidienne des stations de compression et de comptage ne se confond pas avec la question du contrôle des flux de gaz sur le tronçon polonais du gazoduc Yamal. Interrogée sur la question de savoir si Gaz‑System avait le contrôle effectif des flux de gaz sur ce tronçon, la requérante a confirmé que tel était le cas. Ainsi, l’absence de mise en œuvre de la recommandation relative à cette exploitation ne saurait impliquer une éventuelle mainmise de Gazprom sur ces flux, par le biais d’EuRoPol, de nature à faire naître des doutes quant à la pertinence de la maîtrise de Gaz-System sur les investissements relatifs audit tronçon et, par voie de conséquence, sur les possibilités de diversification des sources de gaz.
103 Dans ces conditions, les arguments concernant l’absence de mise en œuvre de la recommandation relative au transfert d’exploitation ainsi que concernant le comportement obstructif prétendument opposé par Gazprom, par le biais d’EuRoPol, lié à cette mise en œuvre ne sont pas susceptibles de remettre en cause l’appréciation portée par la Commission relative à la maîtrise des investissements par Gaz-System.
104 De même, l’argumentation de la requérante liée aux deux avis adressés par la Commission à l’Office polonais, dans le cadre de la procédure de certification de Gaz-System en tant que GRI, ne saurait remettre en cause l’appréciation de cette institution relative au motif contesté. En effet, il convient de relever que, dans divers considérants de la décision de certification finalement adoptée, l’Office polonais a répondu aux observations formulées par la Commission dans ces avis.
105 En outre, s’il est vrai que la Commission avait formulé, dans ses deux avis, des observations relatives à la nécessité de transférer l’exploitation quotidienne des stations de compression et de comptage et avait considéré que cette exploitation constituait l’une des « tâches centrales » d’un gestionnaire de réseau, ces observations ne concernaient pas la planification et la maîtrise des investissements, mais étaient plutôt guidées par des considérations relatives à d’autres exigences découlant de la directive sur le gaz, notamment liées au risque qu’EuRoPol accédât à des informations confidentielles concernant d’autres opérateurs. Or, un tel risque ne correspondait pas aux préoccupations exprimées par la Commission dans les griefs Yamal.
106 Par ailleurs, il y a lieu de noter que le service de la Commission ayant rédigé les deux avis examinait les projets de décisions de l’Office polonais à l’aune de la réglementation de l’Union relative au secteur du gaz, alors que la DG « Concurrence » analysait les faits pertinents dans le cadre d’une procédure relative à l’application de l’article 102 TFUE. Partant, si les réserves éventuellement exprimées dans lesdits avis pouvaient, pour certaines du moins, intéresser cette direction générale, elles ne sauraient déterminer son analyse sur le plan du droit de la concurrence et, en particulier, quant au maintien des griefs Yamal et à l’éventuelle nécessité d’un engagement à ce sujet. À cet égard, s’il est vrai que la Commission a elle-même, au point 1016 de la CG, relevé une apparente contradiction entre la teneur du contrat de gestion du 25 octobre 2010 et les règles prévues dans la directive sur le gaz, le président de l’Office polonais a noté, dans la décision de certification, que le plan de développement du réseau préparé par EuRoPol concernait essentiellement des questions de rénovation et, en tout état de cause, que cela ne limitait pas les pouvoirs de Gaz‑System en matière d’investissements, parmi lesquels la préparation du plan décennal de développement prévu par cette directive.
107 Troisièmement, la requérante ne peut être suivie lorsqu’elle soutient que, alors qu’aucune circonstance pertinente n’avait évolué, la Commission aurait, à tort, modifié son appréciation relative aux griefs Yamal entre les mois d’avril 2015, date à laquelle elle a notifié la CG à Gazprom, et de mai 2018, date à laquelle elle a adopté la décision attaquée. En effet, l’adoption de la décision de certification constituait une telle circonstance pertinente. De plus, cette adoption s’inscrivait dans un contexte dans lequel des investissements significatifs avaient été réalisés sur le tronçon polonais du gazoduc Yamal ou étaient liés à ce tronçon, lesquels investissements devaient précisément permettre la diversification des sources d’approvisionnement en gaz. Ainsi, le président de l’Office polonais avait constaté, dans cette décision, que les investissements relatifs à l’instauration des flux inversés physiques sur le tronçon polonais du gazoduc Yamal avaient été réalisés. Sur ce point, la Commission avait déjà relevé, de manière préliminaire, que les méthodes dilatoires de Gazprom auraient été mises en œuvres entre 2009 et 2013 et que Gaz-System était parvenue à procéder à divers investissements afin de permettre de tels flux inversés à partir de l’année 2014 (voir points 734 et 1033 de la CG).
108 Il en résulte que, au regard de l’obligation énoncée au point 83 ci-dessus et des considérations qui précèdent relatives aux constatations reprises dans la décision de certification et aux investissements réalisés concernant le tronçon polonais du gazoduc Yamal, la Commission pouvait, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, accepter, pour le motif fondé sur cette décision de certification, les engagements finaux, bien qu’ils n’incluent aucune mesure répondant aux griefs Yamal. Partant, le présent grief doit être écarté.
109 Dans ces conditions, et étant donné qu’il est constant que les deux motifs avancés par la Commission au considérant 138 de la décision attaquée sont autonomes, il n’est pas nécessaire d’examiner le bien-fondé du second grief de la première branche du premier moyen, contestant le motif fondé sur les accords Pologne-Russie et sur l’application de l’exception dite de l’action étatique (ci-après l’« exception de l’action étatique »). En effet, même à supposer ce second grief fondé, il ne serait pas susceptible d’entraîner l’annulation de la décision attaquée en ce qu’elle clôt l’affaire AT.39816, de sorte qu’il doit être écarté comme étant inopérant.
110 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu d’écarter la première branche du premier moyen.
2. Sur la seconde branche du premier moyen, relative à la violation des principes de bonne administration, de transparence et de coopération loyale
111 Au soutien d’arguments de la requérante liés à l’étendue du contrôle juridictionnel afférent à l’abandon de griefs au cours d’une procédure d’engagements, la République de Pologne a avancé une argumentation relative à la violation des principes de bonne administration, de transparence et de coopération loyale.
112 La Commission, qui relève que cette argumentation constitue, en substance, un moyen nouveau, considère au demeurant que la seconde branche doit être écartée comme étant non fondée.
113 À cet égard, s’agissant de la recevabilité des arguments avancés par la République de Pologne, force est de constater qu’ils sont susceptibles de former un moyen distinct du premier moyen tel que présenté dans la requête et fondé sur une violation de l’article 9 du règlement no 1/2003 et du principe de proportionnalité.
114 Toutefois, ces arguments s’inscrivent dans le cadre de la contestation formulée par la requérante en ce qui concerne l’absence d’engagement répondant aux griefs Yamal, de sorte qu’ils ne modifient pas l’objet du litige tel que circonscrit par les conclusions et les moyens des parties principales. Partant, lesdits arguments sont recevables au titre de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable au Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, dudit statut, et de l’article 142, paragraphe 1, du règlement de procédure de ce dernier, tels qu’interprétés par la jurisprudence (voir, en ce sens, arrêts du 10 novembre 2016, DTS Distribuidora de Televisión Digital/Commission, C‑449/14 P, EU:C:2016:848, point 114 et jurisprudence citée ; du 20 septembre 2019, Port autonome du Centre et de l'Ouest e.a./Commission, T‑673/17, non publié, EU:T:2019:643, points 44 et 45, et ordonnance du 15 novembre 2019, Front Polisario/Conseil, T‑279/19, non publiée, EU:T:2019:808, point 41).
a) Sur la violation des principes de bonne administration et de transparence
115 La République de Pologne, sans contester le droit de la Commission de retirer certains griefs initialement exposés dans une communication des griefs, soutient que cette dernière a enfreint les principes de bonne administration et de transparence, en violation de l’article 1er et de l’article 10, paragraphe 3, TUE et de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. En effet, ces principes impliqueraient, en particulier, l’obligation pour l’administration de motiver ses décisions. Or, les constatations générales figurant aux considérants 137 et 138 de la décision attaquée ne sauraient être considérées comme constituant des motifs suffisants, et cette insuffisance serait d’autant plus injustifiable que la Commission aurait, pendant des années, fait part aux autorités polonaises de ses inquiétudes concernant la gestion du tronçon polonais du gazoduc Yamal.
116 De plus, le considérant 138 de la décision attaquée serait trompeur en ce qu’il laisserait l’impression que la décision de certification, plutôt qu’une application au cas d’espèce de l’exception de l’action étatique, constituerait le motif principal d’abandon des griefs Yamal. Sur ce point, les accords Pologne-Russie seraient évoqués en des termes généraux qui n’auraient pas permis de comprendre que la Commission se prévalait de cette exception, ce qui ne serait devenu apparent que dans le cadre du présent recours. De plus, la Commission aurait omis de s’expliquer quant aux mesures de droit russe guidant prétendument le comportement de Gazprom et quant à la faculté d’invoquer ladite exception, eu égard à la jurisprudence et à l’effectivité du droit de la concurrence, lorsque la contrainte étatique émanerait d’un État tiers.
117 La Commission conteste cette argumentation.
118 À cet égard, il convient de rappeler que, parmi les garanties conférées par le droit de l’Union dans les procédures administratives figure, notamment, le principe de bonne administration, consacré par l’article 41 de la charte des droits fondamentaux, auquel se rattache l’obligation pour l’institution compétente d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce (voir arrêt du 27 septembre 2012, Applied Microengineering/Commission, T‑387/09, EU:T:2012:501, point 76 et jurisprudence citée).
119 En l’espèce, s’il est manifeste qu’elle conteste l’appréciation de la Commission relative au retrait des griefs Yamal, la République de Pologne n’indique pas quels seraient les éléments pertinents du cas d’espèce qui n’auraient pas été examinés avec soin et impartialité par cette institution, d’autant plus qu’elle n’invoque pas une violation particulière des règles procédurales prévues par les règlements nos 1/2003 et 773/2004. De manière similaire, la République de Pologne n’explique pas en quoi la Commission aurait violé le principe de transparence, tel qu’il serait consacré dans ces règlements.
120 Par ailleurs, dans la mesure où la République de Pologne et, en substance, la requérante contestent en réalité le caractère suffisant de la motivation figurant au considérant 138 de la décision attaquée, un tel grief doit également être écarté.
121 En effet, il y a lieu de rappeler que l’obligation de motivation doit s’appliquer, en principe, à tout acte de l’Union produisant des effets juridiques. La motivation doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre, d’une part, aux intéressés de connaître les justifications de la décision prise afin de défendre leurs droits et, d’autre part, au juge de l’Union d’exercer son contrôle sur la légalité de cette décision (voir arrêt du 19 décembre 2019, Puppinck e.a./Commission, C‑418/18 P, EU:C:2019:1113, point 94 et jurisprudence citée). L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes ayant qualité pour agir peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir, en ce sens, arrêt du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, EU:C:1998:154, point 63 et jurisprudence citée).
122 En l’espèce, la Commission a, au considérant 138 de la décision attaquée, exposé les deux motifs justifiant l’absence d’engagement répondant aux griefs Yamal. S’agissant du premier motif, fondé sur la décision de certification, il apparaît, à l’aune du traitement du grief relatif à ce motif (voir points 86 à 110 ci-dessus), que la requérante et la République de Pologne, qui étaient particulièrement à même d’être informées sur la situation dans le secteur polonais du gaz et sur les activités de l’Office polonais, ont été en mesure de connaître les justifications liées audit motif, afin de défendre leurs droits, et que le Tribunal a pu exercer son contrôle sur la légalité de la décision attaquée, en particulier en ce qui concerne son considérant 138. Partant, la Commission a répondu à son obligation de motivation à cet égard.
123 S’agissant du second motif, lié au caractère intergouvernemental des relations entre parties dans le secteur du gaz en Pologne, sur lequel portent principalement les reproches de la requérante et de la République de Pologne, ces dernières estiment, en substance, que la Commission a insuffisamment motivé sa position en ce qu’elle se prévaut essentiellement d’une possible application de l’exception de l’action étatique en raison de l’impact, sur le comportement de Gazprom, des accords Pologne-Russie et de la réglementation russe ainsi que de la conduite du gouvernement de la Fédération de Russie.
124 À cet égard, ainsi que cela est exposé aux points 108 et 109 ci-dessus, le Tribunal a conclu que la Commission n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en acceptant, pour le motif fondé sur la décision de certification, les engagements finaux alors qu’ils n’incluaient aucune mesure visant à répondre aux griefs Yamal et que, pour cette raison, et compte tenu du caractère autonome de chacun des deux motifs figurant au considérant 138 de la décision attaquée, il n’y avait pas lieu d’examiner le bien-fondé du grief de la requérante relatif au second motif. Il en découle que les arguments de la requérante et de la République de Pologne quant à l’insuffisance de la motivation relative à ce second motif sont eux aussi inopérants.
125 Enfin, dans la mesure où la République de Pologne cherche en réalité à contester l’appréciation de la Commission quant à l’abandon des griefs Yamal, il suffit de relever qu’un tel grief a déjà été écarté dans le cadre du traitement de la première branche du premier moyen.
126 Partant, les arguments tirés d’une violation des principes de bonne administration et de transparence doivent être écartés.
b) Sur laviolation du principe de coopération loyale
127 Selon la République de Pologne et la requérante, la décision attaquée implique une violation du principe de coopération loyale, prévu à l’article 4, paragraphe 3, TUE. En effet, en concluant que les griefs Yamal « n’[avaient] pas été confirmés », la Commission aurait effectivement constaté l’absence d’infraction à l’article 102 TFUE à cet égard et adopté une décision allant au-delà de ce que permettait l’article 9 du règlement no 1/2003. Ce faisant, elle aurait tranché une question qui n’était pas couverte par les engagements finaux et qui aurait pu faire l’objet d’une appréciation, différente le cas échéant, par les autorités nationales de la concurrence ou les juridictions nationales. De fait, la Commission aurait empêché ces dernières d’agir quant aux pratiques visées par lesdits griefs, alors que celles-ci remplissent une fonction essentielle dans l’application des règles de concurrence de l’Union.
128 Or, cette violation serait d’autant plus malheureuse que les autorités nationales de la concurrence et les juridictions nationales ne pouvaient pas agir tant que l’affaire AT.39816 était en cours. En effet, en application, respectivement, de l’article 11, paragraphe 6, et de l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, ces autorités et ces juridictions auraient déjà été privées du pouvoir d’agir pendant une période de près de six ans, à savoir à partir de l’ouverture de la procédure formelle, le 31 août 2012, jusqu’à l’adoption de la décision attaquée, le 24 mai 2018. À défaut pour la Commission d’avoir formellement modifié la portée de la CG, l’autorité nationale de la concurrence et les juridictions polonaises pouvaient légitimement s’attendre à ce que la Commission intervienne quant à ces griefs, eu égard en particulier aux positions exprimées à cet égard par Gaz-System, par le président de l’Office polonais et par le gouvernement polonais dans le cadre de la consultation du marché. S’agissant en particulier des juridictions nationales, elles auraient permis des retards, au risque que certaines actions soient désormais prescrites.
129 La Commission conteste cette argumentation.
130 À cet égard, conformément à l’article 16 du règlement no 1/2003, il est vrai que les autorités de la concurrence et les juridictions nationales ne peuvent prendre des décisions qui iraient à l’encontre de la décision attaquée. Par ailleurs, celles-ci ne sauraient ignorer une décision adoptée au titre de l’article 9 du règlement no 1/2003, dès lors qu’un acte de ce type présente, en tout état de cause, un caractère décisoire et que tant le principe de coopération loyale, énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE, que l’objectif d’une application efficace et uniforme du droit de la concurrence de l’Union imposent à ces autorités et à ces juridictions de tenir compte d’une évaluation préliminaire de la Commission et de la considérer comme un indice, voire comme un commencement de preuve, de l’existence d’une infraction aux articles 101 et 102 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 23 novembre 2017, Gasorba e.a., C‑547/16, EU:C:2017:891, point 29).
131 En l’espèce, la Commission a certes précisé, au considérant 138 de la décision attaquée, que ses préoccupations concurrentielles préliminaires, formulées sous la forme des griefs Yamal, « n’[avaient] pas été confirmées ».
132 Toutefois, si les autorités de la concurrence et les juridictions nationales doivent effectivement tenir compte du considérant 138 de la décision attaquée, le cas échéant comme constituant un indice de l’absence d’infraction aux articles 101 et 102 TFUE, il ne ressort ni du libellé de ce considérant ni, plus généralement, de la teneur du reste de la décision attaquée que la Commission ait expressément constaté, s’agissant des griefs Yamal, une absence d’infraction à l’article 102 TFUE. Partant, il convient plutôt de comprendre le libellé litigieux comme signifiant que la Commission a décidé de retirer ces griefs et de se satisfaire des engagements finaux même si ceux-ci ne répondaient pas auxdits griefs.
133 En tout état de cause, le libellé litigieux figurant au considérant 138 de la décision attaquée ne saurait modifier la nature de la décision attaquée et empêcher les autorités de la concurrence et les juridictions nationales d’intervenir. En effet, selon l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, lu à la lumière du considérant 13 de ce règlement, la Commission peut se livrer à une simple « évaluation préliminaire » de la situation concurrentielle, sans que, par la suite, la décision relative aux engagements prise sur le fondement de cet article établisse s’il y a eu une infraction. Ainsi, il ne saurait être exclu qu’une juridiction nationale conclue que des comportements faisant l’objet d’une décision sur des engagements méconnaissent les articles 101 ou 102 TFUE et que, ce faisant, elle entende, à la différence de la Commission, établir une infraction à l’un ou l’autre article. Dans le même sens, les considérants 13 et 22 du règlement no 1/2003, lus conjointement, précisent explicitement que les décisions relatives aux engagements sont sans préjudice de la faculté qu’ont les autorités de la concurrence et les juridictions des États membres de statuer sur l’affaire et n’affectent pas le pouvoir qu’ont ces juridictions et ces autorités d’appliquer les articles 101 et 102 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 23 novembre 2017, Gasorba e.a., C‑547/16, EU:C:2017:891, points 26 et 27).
134 Partant, la Commission n’a pas violé le principe de coopération loyale et cette conclusion n’est pas remise en cause par les autres arguments avancés par la République de Pologne et la requérante.
135 Premièrement, le fait que des autorités nationales de la concurrence n’aient pas pu agir pendant six années n’est que le résultat de la mise en œuvre de l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003, qui prévoit que l’ouverture de la procédure formelle dessaisit ces autorités de leur compétence pour appliquer les articles 101 et 102 TFUE. Leur compétence est restaurée dès que la procédure engagée par la Commission est achevée (voir, en ce sens, arrêt du 14 février 2012, Toshiba Corporation e.a., C‑17/10, EU:C:2012:72, points 80 et 83 à 87).
136 S’agissant de juridictions nationales, celles-ci ne sont pas, en cas d’ouverture d’une procédure formelle, dessaisies indéfiniment de toute possibilité d’intervention dans des affaires portant sur des faits liés ou connexes aux griefs Yamal. L’article 16, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 prévoit uniquement que ces juridictions doivent éviter de prendre des décisions qui iraient à l’encontre de la décision envisagée dans une procédure intentée par la Commission et peuvent, à cette fin, évaluer s’il est nécessaire de suspendre leurs procédures. L’allégation selon laquelle certaines actions nationales seraient désormais prescrites, en raison de retards pris par des juridictions polonaises, est dénuée de pertinence dès lors que les délais de prescription pertinents et l’administration judiciaire de ces actions relèvent, en l’absence de réglementation du droit de l’Union applicable, de l’autonomie procédurale de la République de Pologne.
137 Par ailleurs, aucune disposition des règlements nos 1/2003 ou 773/2004 n’impose à la Commission d’informer formellement les autorités nationales de la concurrence ou, plus généralement, les tierces parties intéressées lorsqu’elle abandonne, en cours de procédure, certains griefs à l’égard d’une entreprise concernée. En tout état de cause, la requérante et la République de Pologne ne font état d’aucune procédure nationale spécifique qui aurait prétendument été affectée par le comportement de la Commission en l’espèce.
138 Deuxièmement, il y a lieu d’écarter l’argument de la République de Pologne selon lequel l’autorité de la concurrence et les juridictions polonaises pouvaient légitimement s’attendre à ce que la Commission intervienne quant aux griefs Yamal, à défaut pour cette dernière d’avoir formellement modifié la portée de la CG. En effet, la conséquence prévue à l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003, à savoir que l’ouverture de la procédure formelle dessaisit les autorités nationales de la concurrence de leur compétence pour appliquer les articles 101 et 102 TFUE au regard des faits faisant l’objet de cette procédure, consiste à mettre les entreprises concernées à l’abri de poursuites parallèles de la part de ces autorités (voir, en ce sens, arrêt du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, EU:C:1981:264, point 18, et ordonnance du 15 mars 2019, Silgan Closures et Silgan Holdings/Commission, T‑410/18, EU:T:2019:166, point 20), mais ne saurait signifier que la Commission était obligée d’adopter une décision, que ce soit au titre de l’article 7 ou de l’article 9 de ce règlement (voir, en ce sens, arrêt du 26 septembre 2018, EAEPC/Commission, T‑574/14, EU:T:2018:605, point 86).
139 Enfin, à supposer que la République de Pologne se prévale du principe de protection de la confiance légitime, il convient de rappeler que le droit de se prévaloir de ce principe appartient à tout justiciable à l’égard duquel une institution de l’Union, en lui fournissant des assurances précises, a fait naître des espérances fondées (voir arrêt du 13 juin 2013, HGA e.a./Commission, C‑630/11 P à C‑633/11 P, EU:C:2013:387, point 132 et jurisprudence citée). Or, la République de Pologne ne fait état d’aucune assurance précise fournie par la Commission. Pour le reste, la CG ne saurait constituer de telles assurances, dès lors que ce document était adressé à Gazprom et qu’il n’avait qu’un caractère provisoire. De même, ne constituent pas de telles assurances l’organisation de la consultation du marché et le fait pour certaines parties intéressées d’avoir déposé des observations dans le cadre de cette consultation, étant donné que ces circonstances s’inscrivent dans le cadre de la mise en œuvre ordinaire de l’article 27, paragraphe 4, du règlement no 1/2003.
140 Partant, l’argument relatif à une violation du principe de coopération loyale doit être écarté ainsi que la seconde branche du premier moyen.
141 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu d’écarter le premier moyen, dans son intégralité, comme étant en partie non fondé et en partie inopérant.
C. Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’article 9 du règlement no 1/2003, lu conjointement avec l’article 102 TFUE, et du principe de proportionnalité, en ce que la Commission a accepté les engagements finaux alors qu’ils ne répondraient pas adéquatement aux griefs concernant les pratiques tarifaires
142 La requérante, soutenue par la République de Pologne et la République de Lituanie, fait valoir que la Commission aurait commis diverses erreurs manifestes d’appréciation et des erreurs de droit, en violation de l’article 9 du règlement no 1/2003, lu conjointement avec l’article 102 TFUE, et du principe de proportionnalité, en ce que cette institution a conclu que les engagements relatifs aux pratiques tarifaires (points 18 et 19 des engagements finaux) étaient adéquats alors même que, selon la requérante, la République de Pologne et la République de Lituanie, lesdits engagements ne permettaient pas de maintenir ou de rétablir, de manière rapide et efficace, les prix du gaz à un niveau comparable aux prix de référence concurrentiels. Ce moyen se décompose, en substance, en quatre branches.
143 La Commission, soutenue par Gazprom, considère que le deuxième moyen doit être écarté comme étant non fondé.
1. Sur la première branche du deuxième moyen, relative à une erreur commise dans l’objet des engagements relatifs aux pratiques tarifaires en ce qu’ils ne remédieraient pas à l’essence des griefs concernant ces pratiques
144 La requérante estime que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en acceptant des engagements circonscrits à des modifications des clauses de révision de prix (price revision clauses) incluses dans les contrats de Gazprom avec ses clients dans les cinq PECO concernés par les pratiques tarifaires, alors même que les préoccupations concurrentielles exposées dans la CG ne portaient pas sur les révisions des prix, mais sur le caractère inéquitable et excessif des prix appliqués par Gazprom dans le cadre de ces contrats (ci-après les « prix contractuels »). Ces engagements, limités à établir un nouveau processus de révision de prix, ne remédieraient pas à la source du problème, à savoir l’existence de formules tarifaires (price formulae) indexées sur les prix de certains produits pétroliers.
145 Ainsi, en premier lieu, la requérante relève que la Commission aurait, dans la CG, qualifié les pratiques en cause de contraires à la première partie de l’article 102, sous a), TFUE, relative aux « prix non équitables », et non à sa seconde partie, relative aux « autres conditions de transaction non équitables ». Ce serait donc les prix excessifs qui auraient été visés par les préoccupations concurrentielles, et non le processus de révision de ces prix.
146 À cet égard, la Commission aurait elle-même constaté, dans la CG, que les formules tarifaires existantes, indexées sur des prix pétroliers, étaient le principal facteur contributif des prix contractuels excessifs. Elle aurait également constaté qu’une indexation des prix du gaz sur les prix de produits pétroliers serait une pratique révolue, susceptible de générer des prix ne reflétant pas la valeur économique du gaz. Dans le même sens, elle aurait expressément envisagé, dans la CG, des mesures correctrices, en particulier une modification de ces formules, afin que celles-ci génèrent des prix qui ne soient pas supérieurs à ceux de la plateforme néerlandaise Title Transfer Facility (TTF) ou qui soient liés aux coûts de Gazprom. Ainsi, en s’abstenant d’imposer, dans les engagements finaux, une modification des formules tarifaires et en permettant ainsi le retour de prix excessifs, la Commission n’aurait pas remédié à l’essence de ses préoccupations initiales concernant les pratiques tarifaires ni aux causes de ces prix excessifs, de sorte que les engagements relatifs aux pratiques tarifaires seraient inadéquats et que la décision attaquée serait contraire aux objectifs de l’article 102 TFUE.
147 Dans le même sens, la République de Lituanie rappelle que les prix inéquitables et excessifs en vigueur dans les cinq PECO concernés par les pratiques tarifaires résultaient du fait que la tarification du gaz dans ces pays différait de celle applicable en Europe occidentale. Afin d’éviter ce résultat, une formule tarifaire devrait d’elle-même produire des prix concurrentiels, de sorte que cette formule aurait dû être modifiée, plutôt que le processus de révision des prix, lequel durerait au moins six mois et serait tributaire du bon vouloir de Gazprom.
148 En second lieu, la requérante estime non fondé le seul véritable motif avancé par la Commission, au considérant 165 de la décision attaquée, pour justifier son choix de ne pas modifier les formules tarifaires. En effet, le seul fait que les prix résultant de ces formules avaient connu, en 2015 et en 2016, une baisse et une « certaine convergence » avec les prix sur les plateformes de négoce n’aurait pas permis à la Commission de conclure que son intervention n’était plus justifiée.
149 En particulier, ce motif ne serait aucunement étayé, notamment par des analyses économiques, et ne tiendrait aucunement compte du caractère, par nature, évolutif des prix pétroliers, du fait que ces prix échappent au contrôle des institutions de l’Union, et, partant, de la possibilité que les prix contractuels puissent redevenir excessifs. La Commission aurait ignoré le fait que les prix du pétrole, autour de 2015 et 2016, se situaient, pour diverses raisons, à des niveaux minimaux, en écart par rapport aux moyennes de ces prix.
150 La Commission conteste ne pas avoir remédié à l’essence des préoccupations concurrentielles visées par les griefs concernant les pratiques tarifaires.
151 Il y a lieu de rappeler que les engagements relatifs aux pratiques tarifaires sont consacrés aux points 18 et 19 des engagements finaux. Le point 18 prévoit, en substance, que, dans un délai de dix semaines à compter de leur entrée en vigueur, Gazprom devait proposer de modifier les contrats concernés, afin d’inclure une nouvelle clause de révision des prix ou de modifier les clauses existantes afin de parvenir au même résultat, à savoir, concrètement, un nouveau processus de révision des formules tarifaires qui déterminent les prix contractuels du gaz. Gazprom devrait proposer cela pour tous les contrats de fourniture de gaz d’une durée d’au moins trois ans, qu’il s’agisse de contrats en cours ou de nouveaux contrats. Le point 19 des engagements finaux prévoit cinq éléments que doit comporter ce nouveau processus afin de parvenir, en cas d’activation du processus, à de nouvelles formules tarifaires.
152 Il résulte donc des points 18 et 19 des engagements finaux que la Commission a effectivement fait le choix d’autoriser un nouveau processus de révision des prix plutôt que d’assurer une modification immédiate des formules tarifaires.
153 À cet égard, il est vrai que, dans la CG, la Commission ne s’est pas focalisée sur les processus de révision des prix, mais a examiné les formules tarifaires existantes dans les contrats concernés et, en particulier, l’indexation sur les prix de produits pétroliers intégrée dans ces formules, en s’interrogeant sur les effets inflationnistes, sur les prix contractuels du gaz, de cette indexation, comme cela ressort notamment de la section 11.4 de la CG, intitulée « [confidentiel] ». La Commission avait observé que les raisons ayant initialement justifié une indexation des formules tarifaires sur les prix de produits pétroliers, à savoir en particulier la maturité insuffisante des marchés gaziers, avaient, dans une large mesure, disparu (point 545 de la CG), ce dernier constat ressortant également, en substance, du considérant 76 de la décision attaquée. Il n’en reste pas moins que les préoccupations concurrentielles exposées, à titre préliminaire, dans la CG par la Commission portaient toutefois avant tout sur l’existence de prix contractuels potentiellement excessifs et que la Commission n’avait pas [confidentiel] (voir notamment points 949 et 981 de la CG). Cela se retrouve, en substance, dans le résumé de l’évaluation préliminaire figurant dans la décision attaquée (considérants 62 et 63).
154 Quelle qu’ait été, au stade de son évaluation préliminaire, la position de la Commission concernant l’indexation des formules tarifaires, en premier lieu, il importe de relever que, au stade de la procédure administrative durant lequel étaient examinés les engagements proposés par Gazprom, les prix contractuels, liés à la baisse des prix de produits pétroliers, avaient baissé, de sorte que ces prix convergeaient avec ceux applicables sur les plateformes de négoce du gaz d’Europe occidentale. Ce constat, mis en avant par la Commission et par Gazprom dans le cadre du présent recours, ressort de la décision attaquée (voir considérant 76 et note en bas de page no 49, ainsi que considérants 162 et 164) et n’est, en réalité, pas contesté par la requérante, qui souligne plutôt le risque d’une augmentation future des prix pétroliers et, corrélativement, d’une hausse des prix contractuels à des niveaux potentiellement excessifs.
155 Partant, compte tenu du niveau des prix au moment de l’adoption des engagements finaux, il n’était pas question de prix potentiellement excessifs requérant une modification des formules tarifaires ayant un effet immédiat.
156 Sur ce point, il convient d’ajouter que les clients concernés pouvaient rapidement introduire une demande de révision de prix afin d’obtenir une modification des formules tarifaires. En effet, en vertu du point 19, sous ii), dernier alinéa, des engagements finaux, ces clients peuvent introduire leur première demande de révision de prix à tout moment dès que le nouveau processus de révision des prix a été intégré dans un contrat donné, étant entendu que Gazprom devait proposer cette intégration dans un délai de dix semaines à compter de la date de notification de la décision attaquée.
157 En second lieu, il importe de souligner que, ainsi qu’il est exposé au considérant 176 de la décision attaquée, le choix de la voie d’un nouveau processus de révision des prix permettait à la Commission de ne pas devoir configurer elle-même, en coordination avec Gazprom, de nouvelles formules tarifaires pour chacun des contrats concernés, ce qui n’aurait pas été aisé compte tenu de la complexité d’un tel exercice. En effet, [confidentiel] (ainsi qu’il ressort des points 223 et 1065 de la CG). Il s’ensuit qu’il n’était pas manifestement déraisonnable pour la Commission, en particulier compte tenu de la nécessité de devoir étudier l’équilibre économique et les caractéristiques particulières de chaque contrat concerné, de ne pas s’être engagée, dans le cadre de cette élaboration des engagements, dans une telle configuration des formules tarifaires.
158 Pour le surplus, il convient d’écarter l’argument selon lequel les engagements relatifs aux pratiques tarifaires permettraient la répétition des pratiques initialement mises en causes, à savoir celles de prix potentiellement excessifs, et seraient donc contraire à l’article 9 du règlement no 1/2003, lu conjointement avec l’article 7 de ce règlement. En effet, dès lors que le choix d’un nouveau processus de révision des prix doit permettre de contrer les effets d’une éventuelle hausse future des prix pétroliers, en assurant, comme cela est affirmé au considérant 179 de la décision attaquée, que les prix dans les cinq PECO concernés par les pratiques tarifaires ne divergeront jamais des prix de référence concurrentiels d’Europe occidentale « au-delà d’une période de temps très courte », ce choix vise précisément à éviter une telle répétition.
159 Eu égard à ce qui précède, et sans préjudice du traitement des branches suivantes du deuxième moyen, par lesquelles la requérante conteste, en substance, le caractère adéquat du nouveau processus de révision des prix en tant que tel, il convient de conclure que la Commission pouvait, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, accepter un engagement prévoyant l’établissement de ce nouveau processus plutôt qu’une modification immédiate des formules tarifaires.
160 Partant, il y a lieu d’écarter la première branche du deuxième moyen comme étant non fondée.
2. Sur la deuxième branche du deuxième moyen, relative au caractère ineffectif du nouveau processus de révision des prix
161 Dans le cadre de la deuxième branche, la requérante remet en cause le caractère effectif du nouveau processus de révision des prix prévu par les engagements relatifs aux pratiques tarifaires. Cette branche se décompose, en substance, en quatre griefs.
162 La Commission conteste les erreurs alléguées par la requérante.
a) Sur l’inefficacité des engagements compte tenu des pratiques obstructives de Gazprom (premiergrief)
163 La requérante soutient que la Commission a commis des erreurs quant aux raisons pour lesquelles Gazprom était parvenue à maintenir des prix contractuels excessifs, ce qui l’aurait conduite à accepter un nouveau processus de révision des prix inefficace.
164 En effet, la Commission aurait conclu à tort que les prix contractuels excessifs passés résultaient de l’absence, dans les contrats concernés, de clauses effectives de révision des prix renvoyant à des prix de référence appropriés, tels que les prix sur des plateformes de négoce du gaz. Une telle conclusion serait contraire aux éléments de preuve dont disposait la Commission et à ses constatations dans la CG. En particulier, un examen correct de la clause de révision de prix incluse dans le contrat de la requérante avec Gazprom aurait permis à la Commission de constater que cette clause permettait déjà d’invoquer le niveau de certains prix de référence tant comme circonstance justifiant de déclencher une révision de prix que comme critère dans la détermination d’un nouveau prix.
165 Or, nonobstant le fait que les clauses existantes de révision des prix renvoyaient déjà à des prix de référence concurrentiels et à la réalisation de certaines révisions, les clients de Gazprom auraient néanmoins fait face à des divergences continues entre les prix révisés et les prix concurrentiels du gaz et auraient été obligés de payer des prix non concurrentiels.
166 En réalité, le véritable obstacle aux révisions de prix proviendrait, ainsi que la Commission l’aurait d’ailleurs constaté dans la CG, des comportements obstructifs de Gazprom, laquelle avait refusé par le passé de réviser ses prix et d’appliquer les prix révisés. Tant que la formule tarifaire existante favoriserait Gazprom, cette entreprise se permettrait de faire durer les procédures de révisions de prix, étant donné que ses clients, tenus de payer des prix excessifs, se montreraient finalement disposés à accepter des réductions même marginales des prix.
167 Plus particulièrement, la requérante relève, tout d’abord, qu’une révision de prix nécessite la coopération de Gazprom à divers stades, supposant, au minimum, que cette dernière soit prête à s’engager de bonne foi dans des négociations tarifaires et à reconnaitre les prix révisés résultant du processus de révision, le cas échéant, en exécutant une éventuelle sentence arbitrale. Or, Gazprom aurait précisément utilisé les faiblesses inhérentes au processus de révision des prix prévu par les clauses existantes et pratiqué un chantage auprès de ses clients pendant de nombreuses années, notamment en menaçant de réduire ou d’interrompre les fournitures de gaz si ceux-ci insistaient sur un prix révisé. Par ailleurs, Gazprom serait également en mesure de nuire à l’efficacité d’arbitrages, en refusant d’exécuter des sentences arbitrales ou en prolongeant leur durée. Ces pratiques seraient illustrées par les situations dans lesquelles se trouvaient, respectivement, Naftogaz, établie en Ukraine, et la requérante. En réalité, durant la période examinée par la Commission, seuls des clients d’Europe occidentale auraient véritablement bénéficié de prix révisés, alors que les prétendues révisions de prix avec les clients dans les cinq PECO concernés par les pratiques tarifaires n’auraient été réalisées que dans certains « scénarios » qui seraient demeurés essentiellement sous le contrôle de Gazprom.
168 Sur ce point, la Commission ne saurait prétendre que l’acceptation par les clients de Gazprom de prix révisés, dans les circonstances caractérisant ces scénarios, et notamment dans le cadre d’un « compromis forcé », aurait résulté de choix indépendants de leur part. Au contraire, ces choix auraient été opérés dans un contexte de pressions exercées par cette entreprise et ne constitueraient que des composantes ou des effets de l’exploitation abusive par Gazprom de cette position.
169 La Commission ne saurait non plus prétendre que les pratiques passées de Gazprom face à des demandes de révision de prix, en particulier celles dont elle aurait connaissance, ne seraient pas pertinentes dans le cadre de l’appréciation de l’adéquation du nouveau processus de révision des prix, pour la seule raison que ce nouveau processus serait consacré dans des engagements obligatoires. Une telle approche permettrait de passer sous silence des circonstances factuelles pertinentes et, partant, serait contraire à la nature du rôle de la Commission découlant de l’article 102 TFUE ainsi qu’aux exigences de l’administration des preuves, telles que confirmées par la Cour dans les arrêts du 15 février 2005, Commission/Tetra Laval (C‑12/03 P, EU:C:2005:87), et du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala (C‑413/06 P, EU:C:2008:392). En réalité, les éléments attestant des difficultés rencontrées par les clients de Gazprom par le passé et, de ce fait, de l’inefficacité des engagements relatifs aux pratiques tarifaires devraient être considérés comme manifestes à un point tel qu’ils seraient incontestables, de sorte que les conclusions préliminaires de la Commission ne sauraient être modifiées sur ce point.
170 Dans le même sens, la Commission n’aurait pas expliqué, concrètement, comment les comportements obstructifs de Gazprom seraient évités à l’avenir grâce aux engagements relatifs aux pratiques tarifaires ou comment ils pourraient constituer une violation de ces engagements. En réalité, ainsi qu’il aurait été constaté dans la CG, des négociations tarifaires, voire des arbitrages, ne garantiraient pas de mettre fin aux prix excessifs, étant donné que les pratiques de Gazprom continueraient tant qu’existeraient des formules tarifaires structurellement inéquitables.
171 À cet égard, l’efficacité de la convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, signée à New York le 10 juin 1958, serait toute relative face aux pratiques déployées par Gazprom, puisque cette dernière refuserait d’exécuter des sentences arbitrales, ferait obstruction aux procédures d’exécution et dissimulerait ses actifs en les transférant hors de portée des juridictions devant lesquelles les bénéficiaires de ces sentences pourraient se tourner.
172 Enfin, dans la lignée des arguments avancés par la requérante, la République de Pologne et la République de Lituanie soulignent que Gazprom demeure un fournisseur indispensable dans la région et que, nonobstant la réalisation des investissements infrastructurels programmés et, en particulier, la construction d’une interconnexion entre la Pologne et la Lituanie, sa puissance de négociation n’est pas amenée à faiblir. Dans ces conditions, la Commission aurait dû exiger de Gazprom des engagements plus ambitieux de nature à garantir des révisions effectives de prix, puisque, en l’état actuel de ces engagements, Gazprom ne violerait pas formellement, par les comportements obstructifs évoqués, les engagements relatifs aux pratiques tarifaires.
173 La Commission, soutenue par Gazprom, conteste l’argumentation de la requérante quant au caractère ineffectif du nouveau processus de révision des prix, de sorte que le présent grief devrait être écarté.
174 À cet égard, le Tribunal observe que, par son argumentation, la requérante reproche à la Commission une erreur manifeste d’appréciation ayant deux composantes, qui expliqueraient le caractère inefficace du nouveau processus de révision des prix. D’une part, cette institution aurait erronément identifié, comme cause des révisions ineffectives des prix dans le passé, l’impossibilité d’invoquer des prix de référence concurrentiels et, d’autre part, elle aurait manqué d’identifier et de pallier la cause véritable de ces révisions ineffectives, à savoir les comportements obstructifs de Gazprom.
175 S’agissant de la première composante de l’argumentation de la requérante, relative à l’absence de prix de référence concurrentiels dans les clauses existantes de révision de prix, il ressort, contrairement à ce que fait valoir la requérante, des exemples de contrats exposés dans la CG (en particulier à ses points 226 à 232, comme le relève la Commission) que, du moins pour un certain nombre de contrats concernés, il ne saurait être considéré qu’ils incluaient des renvois, dans les clauses de détermination ou de révision des prix, à des prix de référence concurrentiels et clairement définis, tels qu’entendus par la Commission dans la décision attaquée. Ces exemples font état de clauses dont le libellé diffère significativement de celui des orientations tarifaires figurant au point 19, sous iii), des engagements finaux, en particulier en ce que ces orientations renvoient « au niveau des prix sur les marchés gaziers concurrentiels d’Europe continentale occidentale » et visent les prix pondérés moyens à l’importation en Allemagne, en France et en Italie ainsi que le niveau des prix sur les plateformes de négoce de gaz liquides d’Europe continentale généralement acceptées.
176 En ce qui concerne plus particulièrement la clause incluse dans le contrat conclu entre Gazprom et la requérante, dont une copie a été produite par cette dernière avec les réponses du 8 décembre 2020, le Tribunal constate que [confidentiel].
177 Partant, dans l’appréciation du caractère adéquat des engagements relatifs aux pratiques tarifaires et, en particulier, de l’opportunité de procéder par la voie d’un nouveau processus de révision des prix, la Commission pouvait, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, s’appuyer sur le constat préliminaire, figurant notamment au considérant 63 de la décision attaquée (et, dans des termes similaires, aux considérants 78, 79 et 177 de cette décision), selon lequel l’absence, dans les clauses de révision de prix, d’un prix de référence clairement défini, concurrentiel et publiquement disponible (tel que les prix sur les plateformes de négoce du gaz concurrentielles), était l’un des principaux facteurs qui auraient pu donner lieu à des prix non équitables dans les cinq PECO concernés par les pratiques tarifaires.
178 S’agissant de la seconde composante de l’argumentation de la requérante, relative aux comportements obstructifs de Gazprom, il convient, tout d’abord, de souligner que les engagements relatifs aux pratiques tarifaires visent à établir un nouveau processus de révision des prix renforçant la position des clients de Gazprom dans les PECO concernés, par rapport à leur situation existante telle qu’elle ressort de la CG (en particulier de ses points 226 à 232). Ainsi qu’il ressort du point 151 ci-dessus, le point 19 des engagements finaux prévoit cinq éléments que doit comporter ledit processus.
179 En particulier, outre l’imposition d’orientations tarifaires [voir point 19, sous iii), des engagements finaux, section intitulée « Adjustment part of the price review clause » (partie de la clause de révision des prix consacrée à l’ajustement)] incluant des renvois à des prix de référence concurrentiels (voir point 175 ci-dessus), ce nouveau processus prévoit, notamment, ce qui suit :
– des critères précis permettant à ces clients de demander une révision des prix, dont un critère fondé sur une divergence entre le niveau des prix contractuels et l’évolution de ceux des marchés européens du gaz telle que cette évolution se reflète dans celle des prix pondérés moyens à l’importation en Allemagne, en France et en Italie ou celle des prix sur les plateformes de négoce de gaz liquides d’Europe continentale généralement acceptées [voir point 19, sous i), des engagements finaux, section intitulée « The trigger part of the price review clause » (la partie de la clause de révision des prix consacrée au déclenchement)] ;
– la possibilité de demander une révision des prix tous les deux ans et, en sus de cette possibilité, le droit de demander une révision une fois par période de cinq ans (ce qui correspond au « joker » évoqué aux considérants 125 et 156 de la décision attaquée) [voir point 19, sous ii), des engagements finaux, section intitulée « The frequency and timing of the price review » (la fréquence et à l’échéancier de la révision des prix)] ;
– la possibilité de soumettre leur différend tarifaire à l’arbitrage à défaut d’accord entre les parties dans les 120 jours suivant l’introduction de la demande de révision de prix [voir point 19, sous iv), des engagements finaux, section intitulée « Arbitration part of the price review clause » (partie de la clause de révision des prix consacrée à l’arbitrage)].
180 Surtout, au-delà de ces éléments structurant le nouveau processus de révision des prix, la requérante ne saurait négliger une différence importante par rapport à des demandes de révision des prix faites par un des clients concernés de Gazprom dans le passé. Si un client devait introduire une telle demande en application dudit processus, celle-ci s’inscrirait dans le cadre de la mise en œuvre d’engagements rendus obligatoires en application de la procédure établie par l’article 9 du règlement no 1/2003.
181 Ainsi, la conduite de Gazprom dans la mise en œuvre des engagements finaux sera surveillée, au premier chef, par le mandataire chargé du suivi de ces engagements, conformément à la section 5.2 desdits engagements. Il sera ainsi loisible aux clients concernés de Gazprom, dont la requérante, d’informer ce mandataire et la Commission de comportements qui, selon ces clients, ne seraient pas conformes aux engagements finaux. Or, si la Commission, à l’aune d’informations transmises par ledit mandataire ou lesdits clients, devait constater un comportement contraire au libellé et à l’objectif de ces engagements, elle pourrait infliger une amende à Gazprom en application de l’article 23, paragraphe 2, sous c), du règlement no 1/2003.
182 Un tel comportement contraire permettrait également à la Commission de rouvrir la procédure administrative, en vertu de l’article 9, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1/2003. Dans le même ordre d’idées, il doit être relevé que, en fonction des informations transmises par le mandataire chargé du suivi de ces engagements ou par les clients concernés, la Commission pourrait, conformément à l’article 9, paragraphe 2, sous a) et c), dudit règlement, rouvrir cette procédure si elle devait constater que l’un des faits sur lesquels la décision repose subit un changement important ou que la décision repose sur des informations incomplètes, inexactes ou dénaturées fournies par les parties. Or, compte tenu de l’enquête approfondie déjà réalisée et de la notification de la CG, une telle réouverture de la procédure, son déroulement et sa chronologie ne seraient pas comparables à l’ouverture d’une nouvelle enquête ab initio contre ladite entreprise.
183 Dans ces conditions, sans préjudice des constats et des conclusions éventuels qui pourraient être établis par le mandataire chargé du suivi des engagements finaux ou par la Commission, et à supposer même que le comportement adopté par Gazprom dans des circonstances données puisse être difficile à apprécier et à qualifier, il serait hasardeux pour cette entreprise de se rendre, le cas échéant, coupable de comportements obstructifs dans le cadre de procédures futures de révision des prix. En particulier, ainsi que le fait notamment valoir la Commission, des comportements par lesquels Gazprom soit chercherait à lier le résultat de négociations tarifaires à l’obtention d’avantages en sa faveur manifestement sans rapport avec les prix, soit entraverait significativement le déroulement d’un arbitrage, seraient susceptibles d’entraîner les conséquences évoquées aux deux points qui précèdent.
184 Par ailleurs, compte tenu des considérations qui précèdent, les constatations préliminaires figurant aux points 976 à 979 de la CG, qui concernent les insuffisances des clauses existantes de révision des prix et la situation prévalant antérieurement à l’adoption de la décision attaquée, ne justifient pas de remettre en cause le caractère adéquat des engagements relatifs aux pratiques tarifaires. De même, la seule circonstance, postérieure à cette adoption et dont la véracité est contestée par la Commission, qu’aucune demande de révision de prix n’aurait été signalée depuis l’entrée en vigueur de ces engagements ne saurait suffire à remettre en cause leur caractère adéquat.
185 Pour le surplus, il convient d’écarter les arguments avancés par la République de Lituanie et tirés, d’une part, de ce que la Commission n’aurait pas tenu compte des observations déposées par son ministère de l’Énergie et, d’autre part, du fait que le mandataire chargé du suivi des engagements finaux est rémunéré par Gazprom. En effet, le premier argument est non étayé. S’agissant du second argument, compte tenu des mesures prévues aux points 23 à 44 des engagements finaux, le fait que ce mandataire soit rémunéré par Gazprom ne suffit pas à remettre en cause son indépendance. En particulier, la sélection du mandataire est soumise à une procédure rigoureuse et, le cas échéant, la Commission pourrait elle-même procéder à cette sélection. De plus, ces points précisent clairement la mission du mandataire et indiquent que la Commission peut donner des instructions à ce dernier.
186 Partant, il y a lieu d’écarter le premier grief de la deuxième branche du deuxième moyen.
b) Sur l’incapacité des engagements à remédier en temps utile aux préoccupations concurrentielles (deuxième grief)
187 La requérante fait valoir qu’une décision d’engagements doit remédier rapidement aux préoccupations concurrentielles identifiées par la Commission. Or, la durée attendue des procédures entamées en application du nouveau processus de révision des prix le rendrait ineffectif. Alors que la Commission aurait elle-même mis en évidence, dans la CG, ce problème afférent aux clauses de révision de prix, elle n’expliquerait aucunement en quoi le nouveau processus de révision des prix corrigerait des prix excessifs en temps utile.
188 Plus particulièrement, la fréquence accrue des possibilités de demander une révision des prix n’éliminerait pas le risque de prix excessifs, ni leurs effets pendant les nombreuses années du processus de révision. La réduction de 60 jours de la période de négociations avant d’entamer un arbitrage, passant de 180 à 120 jours, serait sans effet sur la longueur des procédures arbitrales elles-mêmes, étant entendu que la marge de manœuvre de Gazprom pour ralentir une révision se matérialiserait au stade de l’arbitrage, dont elle pourrait allonger la durée de la procédure. À cet égard, la requérante relève que les arbitrages entre Gazprom et ses clients dureraient environ 25 mois. À ce délai s’ajouterait la durée des procédures judiciaires nécessaires à l’exécution des sentences arbitrales, en particulier eu égard à la pratique de Gazprom consistant à refuser d’exécuter celles-ci. Rien dans les engagements relatifs aux pratiques tarifaires n’imposerait à Gazprom de rechercher la résolution rapide d’un différend tarifaire, que ce soit en s’impliquant dans des négociations tarifaires ou en exécutant promptement une sentence arbitrale.
189 Par ailleurs, la requérante conteste qu’une application rétroactive des prix révisés, telle que prévue au point 19, sous v), des engagements finaux, compenserait les risques liés à la durée du processus de révision, alors que, en réalité, cette application ne remédierait pas aux difficultés rencontrées par les clients de Gazprom, à savoir une exploitation déficitaire prolongée, des pertes de liquidité, l’incapacité de financer les développements futurs ou encore la faillite.
190 La Commission, soutenue par Gazprom, considère que le présent grief doit être écarté.
191 Il convient de rappeler que la mise en œuvre par la Commission du principe de proportionnalité dans le contexte de l’article 9 du règlement no 1/2003 se limite à la vérification que les engagements en question répondent aux préoccupations dont elle a informé les entreprises concernées et que ces dernières n’ont pas offert d’engagements moins contraignants répondant d’une façon aussi adéquate à ces préoccupations (arrêt Alrosa, point 41). Si ces exigences peuvent nécessiter que de tels engagements remédient « rapidement », comme le soutient la requérante, à des préoccupations concurrentielles, l’appréciation de cette nécessité dépend du cas donné.
192 À cet égard, il importe de rappeler que, au stade de la procédure administrative auquel étaient examinés les engagements proposés par Gazprom, à la suite de la baisse des prix de produits pétroliers, les prix contractuels avaient baissé et ainsi convergeaient avec ceux applicables sur les plateformes de négoce d’Europe occidentale. Ainsi, audit stade, il n’était pas question de prix potentiellement excessifs requérant une solution immédiate.
193 Il convient également de rappeler que, en vertu du point 18 des engagements finaux, dans un délai, relativement succinct, de dix semaines après leur entrée en vigueur, Gazprom devait proposer de modifier les contrats concernés, afin d’inclure une nouvelle clause de révision des prix ou des modifications aux clauses existantes permettant de parvenir au nouveau processus de révision. De plus, le point 19, sous i), dernier alinéa, des engagements finaux prévoit que la première demande de révision de prix peut être faite à tout moment dès l’établissement de ce nouveau processus (voir point 156 ci-dessus).
194 Par ailleurs, dans le cadre du nouveau processus de révision des prix, il est certes vrai que les clients concernés de Gazprom demeureront soumis aux formules tarifaires existantes dans l’attente des prix révisés résultant des procédures d’arbitrage, lesquelles pourraient prendre plusieurs mois, voire des années. La requérante et Gazprom évoquent des exemples de durées moyennes de telles procédures de, respectivement, 25 mois et 17,6 mois.
195 Toutefois, ainsi que cela a déjà été exposé aux points 178 à 182 ci-dessus, d’une part, les engagements relatifs aux pratiques tarifaires visent à établir un nouveau processus de révision des prix renforçant la position des clients de Gazprom dans les PECO concernés, par rapport à leur situation existante. D’autre part, en adoptant des comportements contraires au libellé et à l’objectif des engagements finaux, Gazprom courrait le risque d’une application éventuelle de l’article 9, paragraphe 2, et de l’article 23, paragraphe 2, sous c), du règlement no 1/2003.
196 Dans ces conditions, c’est à tort que la requérante soutient que rien dans les engagements relatifs aux pratiques tarifaires n’impose à Gazprom de modifier son comportement, en particulier dans le cadre d’arbitrages ou de l’exécution de sentences arbitrales, par rapport aux révisions de prix passées. Dans le même sens, sans préjudice du traitement des griefs et des branches qui suivent, il convient de considérer que la situation résultant du nouveau processus de révision de prix doit être distinguée des circonstances exposées, à titre illustratif, aux points 977 et 978 de la CG, qui sont invoqués par la requérante, dans lesquelles des procédures d’arbitrages auraient été particulièrement longues ou n’auraient pas nécessairement abouti à des prix concurrentiels.
197 En outre, s’agissant des prétendues difficultés financières auxquelles feraient face les clients concernés de Gazprom dans l’attente de prix révisés, nonobstant l’application rétroactive de ces prix, il convient de relever que la requérante n’a communiqué aucun exemple passé concret, étayé par des données, illustrant ces prétendues difficultés, y compris en ce qui la concerne.
198 Tout au plus, l’étude économique déposée par la requérante dans l’annexe U.6 de ses observations sur le mémoire en intervention de Gazprom précise qu’un acheteur de gaz, tel que la requérante, fait face à divers inconvénients financiers, notamment une perte du fait du surcoût lié au prix du gaz et une possible perte de clients migrant vers des concurrents meilleur marché (points 19 à 21 de cette étude). Or, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la recevabilité de cette partie de ladite étude, il convient de noter que ces inconvénients ne sont pas, non plus, étayés par des données chiffrées ou des exemples passés concrets et que, en tout état de cause, ils n’impliquent pas des préjudices financiers suffisamment graves, tels qu’une faillite ou une sortie du marché concerné, pour être de nature à remettre en cause le caractère adéquat du nouveau processus de révision des prix, en particulier en ce qu’il suppose un recours éventuel à l’arbitrage.
199 La probabilité du risque de tels préjudices est encore atténuée compte tenu du fait qu’il ressort, en substance, du considérant 32 de la décision attaquée que, de manière générale, de nombreux clients concernés constituent le principal grossiste dans chacun des PECO concernés et, historiquement, n’étaient pas exposés à un afflux de gros volumes de gaz provenant d’autres PECO concernés.
200 Au regard de ce qui précède, et contrairement à ce que soutient la requérante, la Commission pouvait affirmer, au considérant 133 de la décision attaquée, que les engagements finaux pouvaient remédier immédiatement aux préoccupations concurrentielles et offraient un cadre prospectif (forward-looking framework) assurant que Gazprom ne réitère pas le même comportement abusif sur le marché à l’avenir.
201 Pour le reste, dans la mesure où la requérante soutiendrait, dans le cadre du présent grief, que la Commission aurait dû intervenir en imposant une modification directe des formules tarifaires incluses dans les contrats concernés, il suffit de rappeler qu’un tel grief a été écarté dans le cadre de la première branche du présent moyen.
202 Dans ces conditions, le Tribunal conclut que la Commission n’a pas commis l’erreur manifeste d’appréciation alléguée par la requérante en ce que les engagements relatifs aux pratiques tarifaires ne répondraient pas en temps utile aux griefs concernant ces pratiques.
203 Partant, il y a lieu d’écarter le deuxième grief de la deuxième branche du deuxième moyen.
c) Sur l’absence de prise en compte des coûts des procédures arbitrales (troisième grief)
204 Selon la requérante, la Commission n’aurait pas tenu compte des coûts importants des procédures arbitrales, alors même que cette difficulté avait été constatée dans la CG. Les clients de Gazprom pourraient certes demander des révisions de prix, mais feraient face à une double charge financière durant le processus de révision, en étant obligés d’assumer les effets des prix excessifs en tant que tels et les montants importants nécessaires pour couvrir les coûts des procédures arbitrales.
205 Par ailleurs, pour autant que les clients de Gazprom souhaiteraient contester la conformité avec l’article 102 TFUE d’une sentence arbitrale, cela impliquerait des coûts additionnels pour ceux-ci du fait de la production de preuves économiques ou de la désignation d’experts.
206 La Commission considère que le présent grief doit être écarté.
207 À cet égard, il est vrai que, dans la CG, la Commission avait relevé le caractère coûteux des procédures arbitrales lancées dans le cadre de révisions de prix et avait noté que, compte tenu également des résultats incertains de ces procédures et de leur caractère chronophage, [confidentiel] (voir, en particulier, points 236 et 977 de la CG).
208 Toutefois, il reste qu’il ne ressort pas de ces constatations préliminaires que la Commission considérait que les clients de Gazprom n’étaient pas en mesure de faire face aux coûts liés à une procédure arbitrale. Surtout, ainsi qu’il est exposé en substance aux points 178 à 182 ci-dessus, les clients concernés de Gazprom se trouvent, à la suite de l’adoption des engagements finaux, dans une position renforcée par rapport à celle antérieure à cette adoption, compte tenu des éléments prescrits au point 19 de ces engagements et des risques, pour Gazprom, liés à une application éventuelle de l’article 9, paragraphe 2, et de l’article 23, paragraphe 2, sous c), du règlement no 1/2003.
209 Dans ces conditions, la Commission pouvait valablement considérer que, dans le cadre du nouveau processus de révision des prix, ces clients seraient susceptibles de parvenir à des conclusions différentes, eu égard aux constatations préliminaires rappelées au point 207 ci-dessus, dans leur analyse de l’opportunité d’entamer un arbitrage et, plus particulièrement, qu’ils seraient bien plus enclins à s’exposer aux coûts liés à un tel arbitrage.
210 Eu égard à ce qui précède, il convient de considérer que la Commission n’a pas commis une erreur manifeste d’appréciation qui résulterait du fait qu’elle aurait insuffisamment pris en compte le coût des procédures arbitrales lancées dans le cadre du nouveau processus de révision des prix.
211 Partant, il y a lieu d’écarter le troisième grief de la deuxième branche du deuxième moyen.
d) Sur le caractère inapproprié de la limitation de la durée des contrats (quatrième grief)
212 Selon la République de Lituanie, en limitant l’inclusion de la nouvelle clause de révision des prix aux seuls contrats ayant une durée d’au moins trois ans, ce qui ne serait jamais le cas des contrats conclus en Lituanie, la Commission permettrait à Gazprom de contourner les engagements relatifs aux pratiques tarifaires, puisque cette entreprise pourrait, en concluant des contrats à plus court terme, continuer d’inclure des formules tarifaires donnant lieu à des prix inéquitables.
213 Le risque lié à cette possibilité laissée à Gazprom serait corroboré par le fait que la Commission aurait elle-même, dans sa décision C(2016) 4764 final, du 26 juillet 2016, relative à une procédure d’application de l’article 102 TFUE et de l’article 54 de l’accord EEE (Affaire AT.39317 – E.ON Gas), constaté que les grossistes gaziers, clients de Gazprom, préféraient, de manière croissante, des contrats de courte durée.
214 Par ailleurs, la Commission aurait constaté, dans la décision attaquée, que le caractère à long terme des contrats concernés contribuait à maintenir la position dominante de Gazprom sur les marchés des cinq PECO concernés par les pratiques tarifaires. Dès lors, il serait incompréhensible que, en réservant le nouveau processus de révision des prix aux contrats à long terme, elle incite désormais les clients concernés à conclure de tels contrats.
215 La Commission considère que le présent grief doit être écarté.
216 À cet égard, force est de constater qu’il ressort manifestement tant de la CG (voir, en particulier, points 206, 217, 396, 458, 498 et, plus généralement, section 15.8.2) que de la décision attaquée (voir, en particulier, considérants 70, 72, 75, 162 et 176) que les préoccupations concurrentielles exprimées par la Commission au sujet des pratiques tarifaires concernaient uniquement les contrats à long terme, à savoir les contrats d’une durée de trois années au moins.
217 Cette situation s’explique, selon la Commission, notamment par le fait que les contrats ayant une durée inférieure à trois ans impliquent une renégociation plus fréquente des prix, ce qui écarterait le risque que ces prix dévient durablement des prix de référence concurrentiels, contrairement à ce qui avait été constaté à titre préliminaire dans la CG pour les contrats à long terme conclus par Gazprom avec ses clients dans les cinq PECO concernés par les pratiques tarifaires.
218 Dans ces conditions, et compte tenu particulièrement du fait que les griefs concernant les pratiques tarifaires visaient les contrats à long terme, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir accepté, en vue de répondre à ces griefs, des engagements relatifs aux pratiques tarifaires applicables aux contrats d’une durée d’au moins trois ans.
219 Par ailleurs, s’agissant de l’allégation selon laquelle la limitation desdits engagements aux contrats à long terme permettrait à Gazprom de contourner ces engagements en concluant des contrats d’une durée inférieure à trois ans, il convient de noter que, interrogées sur la question des intérêts respectifs, d’une part, des clients de Gazprom et, d’autre part, de cette dernière à conclure des contrats à court ou à long terme, la requérante et la Commission ont, dans les réponses du 8 décembre 2020, toutes deux indiqué, en substance, que les considérations pertinentes étaient diverses et que tant lesdits clients que Gazprom pouvaient avoir un intérêt à conclure l’un ou l’autre type de contrats, de sorte que ce choix nécessiterait un examen cas par cas.
220 De plus, toujours dans les réponses du 8 décembre 2020, la requérante a relevé que, s’agissant des pays baltes, dès lors que ces marchés n’offraient pas à Gazprom la garantie de volumes significatifs, il serait nettement moins important pour elle de conclure des contrats à long terme avec des clients actifs sur ces marchés, de sorte que Gazprom pourrait aisément décider d’abandonner des contrats à long terme en faveur de contrats à court terme (généralement d’une durée d’un an). Or, cet élément tend à démontrer que le choix de Gazprom de conclure un contrat à court terme ne serait pas nécessairement guidé par le souhait de contourner les engagements relatifs aux pratiques tarifaires.
221 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu d’écarter le quatrième grief de la deuxième branche du deuxième moyen et, par voie de conséquence, d’écarter cette branche comme étant non fondée dans son intégralité.
3. Sur la troisième branche du deuxième moyen, relative aux erreurs dans la formulation des orientations tarifaires
222 Dans le prolongement de la deuxième branche du présent moyen, laquelle vise à contester le caractère effectif du nouveau processus de révision des prix, la requérante soutient que la Commission a commis des erreurs manifestes d’appréciation relatives à la teneur des orientations tarifaires prévues au point 19, sous iii), des engagements finaux, sous la section intitulée « Partie de la clause de révision des prix consacrée à l’ajustement ». Cette branche se décompose, en substance, en cinq griefs.
223 La Commission conteste ces prétendues erreurs.
a) Sur l’absence de hiérarchisation entre les critères retenus dans les orientations tarifaires et le caractère vague de ces orientations (premier grief)
224 Selon la requérante, les orientations tarifaires établissent trois critères pour la révision des formules tarifaires, en l’occurrence, premièrement, la moyenne pondérée des prix à l’importation en Allemagne, en France et en Italie, deuxièmement, les prix sur les plateformes de négoce de gaz liquides généralement acceptées en Europe continentale et, troisièmement, les caractéristiques du gaz fourni dans le cadre d’un contrat donné. Or, ces trois critères différeraient des points de comparaison utilisés par la Commission dans la CG pour évaluer le caractère éventuellement excessif des prix contractuels.
225 La requérante fait valoir qu’il aurait été nécessaire de prévoir une hiérarchie entre les trois critères prévus dans les orientations tarifaires et que le critère des prix sur les plateformes de négoce généralement acceptées aurait dû constituer le critère principal. Cette absence de hiérarchisation ne saurait être justifiée par le fait qu’elle permettrait d’atténuer les risques liés à des évolutions significatives de prix résultant de l’un des critères, étant donné qu’une hiérarchisation serait alors faite librement par les tribunaux arbitraux, selon des modalités potentiellement favorables à Gazprom.
226 Par ailleurs, la requérante et la République de Pologne soutiennent que les orientations tarifaires seraient formulées dans des termes trop généraux, de sorte que les prix révisés pourront varier en fonction des arbitres, de l’interprétation des clauses contractuelles par ces arbitres, des experts sollicités ou encore de l’appréciation des circonstances spécifiques de chaque différend tarifaire. In fine, cela permettrait à Gazprom de se prémunir, en pratique, contre des baisses de prix et ne contribuerait pas à restaurer une concurrence libre et non faussée sur les marchés européens du gaz.
227 La Commission, soutenue par Gazprom, estime que les orientations tarifaires sont adéquates, de sorte que le présent grief devrait être écarté.
228 Il convient de rappeler que, en vertu du point 19, sous iii), des engagements finaux, la clause pertinente des contrats concernés doit inclure les orientations tarifaires suivantes :
« lorsqu’elles révisent les stipulations relatives au Prix Contractuel, les Parties prennent en compte le niveau des prix sur les marchés gaziers concurrentiels d’Europe occidentale continentale, entre autres, les prix moyens pondérés à l’importation à la frontière en Allemagne, en France et en Italie et le niveau des prix sur les plateformes liquides généralement acceptées en Europe continentale (y compris, notamment, le TTF, le NCG, etc.) en tenant dûment compte de toutes les caractéristiques du gaz naturel fourni dans le cadre du Contrat (telles que, mais de manière non exhaustive, la quantité, la qualité, la continuité et la flexibilité). »
229 Or, il ressort d’une lecture combinée des orientations tarifaires et du corps de la décision attaquée (en particulier de ses considérants 103 et 155) que ces orientations tarifaires prévoient deux critères, plutôt que les trois critères identifiés par la requérante. Ainsi, et comme l’a fait valoir la Commission notamment lors de l’audience, dans la détermination de nouvelles formules tarifaires, il convient, en premier lieu, de prendre en compte le niveau des prix sur les marchés gaziers concurrentiels d’Europe occidentale continentale, et ce, en deuxième lieu, tout en tenant dûment compte des caractéristiques spécifiques au contrat concerné par la révision de prix.
230 S’agissant de ce premier critère, il ressort encore des orientations tarifaires que le niveau des prix sur les marchés gaziers concurrentiels d’Europe occidentale continentale doit se comprendre par référence, notamment, à deux types de données, à savoir, premièrement, les prix moyens pondérés à l’importation en Allemagne, en France et en Italie (ci-après les « prix moyens à l’importation ») et, deuxièmement, le niveau des prix sur les plateformes de négoce du gaz liquides généralement acceptées en Europe continentale (ci-après les « prix plateformes »).
231 C’est à l’aune de ces considérations qu’il convient de traiter les arguments avancés par la requérante.
232 S’agissant de l’absence de hiérarchisation invoquée par la requérante, il importe de souligner que, quelles que soient les données utilisées, le critère central auquel doivent se référer les parties à un contrat concerné et les tribunaux arbitraux éventuellement saisis est celui du « niveau des prix sur les marchés gaziers concurrentiels d’Europe occidentale continentale ».
233 Or, dès lors qu’une partie du gaz acheté en Europe occidentale continentale est achetée par le biais de contrats de fourniture de gaz, le cas échéant à long terme, conclus dans le cadre d’opérations distinctes de celles ayant lieu sur des plateformes de négoce du gaz, les prix du gaz résultant de ces contrats participent à la formation du niveau des prix sur « les marchés gaziers concurrentiels d’Europe occidentale continentale », ce que ne conteste pas la requérante. D’ailleurs, il convient de noter que la Commission a utilisé les prix applicables aux contrats à long terme de Gazprom avec des clients allemands dans le cadre de son évaluation préliminaire, dans la CG, du caractère potentiellement excessif des prix applicables aux contrats avec ses clients dans les PECO concernés (voir section 10.2.1 de la CG). La requérante n’a pas critiqué cette approche suivie par la Commission dans la CG.
234 Ainsi, dans les orientations tarifaires, les données relatives aux prix moyens à l’importation servent à capter les prix applicables aux contrats de fourniture de gaz distincts des prix sur les plateformes de négoce. À ce titre, ces données peuvent raisonnablement refléter le niveau des prix sur « les marchés gaziers concurrentiels d’Europe occidentale continentale ».
235 En outre, il importe de relever que les engagements relatifs aux pratiques tarifaires ne visent pas à garantir aux clients concernés des prix comparables aux prix les plus bas disponibles sur les marchés concurrentiels d’Europe occidentale continentale, mais bien des prix comparables au niveau général des prix sur ces marchés, lequel niveau résulte tant des prix plateformes que des prix moyens à l’importation. Dans ces conditions, la requérante ne saurait valablement faire valoir que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation à défaut de prévoir une hiérarchisation entre ces deux types de données prévues dans les orientations tarifaires.
236 S’agissant de l’argumentation selon laquelle le libellé des orientations tarifaires est vague et trop général, tout d’abord, il convient de noter que le fait que l’application des orientations tarifaires puisse donner lieu à des prix révisés variant d’un contrat concerné à l’autre, en fonction des arbitres notamment, ne saurait justifier de considérer que les orientations tarifaires sont inadéquates, dès lors que, les caractéristiques des contrats concernés pouvant varier, les différences dans les prix applicables d’un contrat concerné à l’autre ne sont pas susceptibles, en tant que telles, de justifier de considérer que ces orientations sont manifestement inadéquates. En effet, les engagements relatifs aux pratiques tarifaires ne visent pas à obtenir des prix révisés très proches ou identiques d’un contrat concerné à l’autre.
237 Ensuite, il convient de rappeler que, en ce que le premier critère vise expressément « le niveau des prix sur les marchés gaziers concurrentiels d’Europe occidentale continentale », il renvoie à des prix de références (benchmark) bien plus clairement concurrentiels que les prix de référence identifiés dans les clauses de détermination ou de révision des prix existant dans les contrats concernés, dont la clause figurant dans le contrat de la requérante, qui renvoie au « [confidentiel] ». De ce point de vue, loin d’être vagues, les orientations tarifaires constituent une amélioration par rapport aux clauses existantes.
238 En outre, le Tribunal souligne que, en proposant à la Commission de clore la procédure administrative par la voie de l’article 9 du règlement no 1/2003, à savoir par l’adoption d’une décision rendant des engagements obligatoires, et à défaut d’avoir interrompu les négociations avec cette institution, Gazprom a accepté que les engagements finaux soient rendus obligatoires par l’article 1er de la décision attaquée. Le choix de cette voie a permis à Gazprom d’éviter une éventuelle constatation de violation du droit de la concurrence et une éventuelle infliction d’amende sanctionnant cette violation par la Commission (voir, en ce sens, arrêt Alrosa, points 35 et 48), ce que confirme la conclusion, figurant à l’article 2 de ladite décision, selon laquelle il n’y a plus lieu que la Commission agisse. Cela implique toutefois que Gazprom est tenue de respecter ces engagements, sauf à risquer les conséquences d’un constat de non-respect de cette décision évoquées aux points 181 et 182 ci-dessus, dont l’infliction d’une amende. Cette entreprise est également sujette à une surveillance continue afin de vérifier si ces engagements sont respectés pour leur durée de validité, ainsi que l’illustre la section 5 desdits engagements, prévoyant notamment la désignation d’un mandataire chargé du suivi de leur mise en œuvre.
239 Dans ce contexte, Gazprom est liée non seulement par le contenu de ces engagements finaux, mais également par la décision attaquée elle-même, étant en outre rappelé que le dispositif d’un acte doit être lu à la lumière de ses motifs (voir, en ce sens, ordonnance du 10 juillet 2001, Irish Sugar/Commission, C‑497/99 P, EU:C:2001:393, point 15, et arrêts du 22 octobre 2013, Commission/Allemagne, C‑95/12, EU:C:2013:676, point 40, et du 13 décembre 2013, Hongrie/Commission, T‑240/10, EU:T:2013:645, point 90). Dès lors, dans le cadre de l’exécution des engagements finaux, dont la mise en œuvre et l’interprétation des orientations tarifaires, Gazprom doit appliquer et interpréter ces engagements conformément aux motifs de la décision attaquée, y compris en ce qui concerne les positions qu’elle adopte dans le cadre de négociations tarifaires et d’arbitrages lancés en application de la clause compromissoire prévue à l’article 19, sous iv), desdits engagements.
240 Or, il ressort des motifs de la décision attaquée que le niveau des prix sur les plateformes de négoce est particulièrement pertinent, selon la Commission, pour définir des prix révisés (voir, en particulier, considérants 103, 164 et 178). Partant, dans le cadre d’une procédure arbitrale donnée, Gazprom doit adopter une position conforme à ces motifs et ne saurait, en principe, soutenir que les arbitres devraient faire abstraction du niveau des prix sur ces plateformes.
241 Enfin, la requérante et la République de Pologne n’ont pas présenté des formulations alternatives de ces orientations qui, selon elles, auraient assuré le caractère adéquat des engagements tarifaires. Elles n’ont pas non plus avancé, dans leurs mémoires respectifs, des arguments précis étayant leur critique quant au caractère vague et trop général des orientations tarifaires. Les seuls éléments plus précis à l’appui de cette argumentation se retrouvent dans l’étude économique déposée par la requérante en annexe à ses observations sur le mémoire en intervention de Gazprom.
242 Or, ces éléments, figurant dans l’étude économique de la requérante, sont, dans une large mesure, irrecevables.
243 En effet, sauf dans la mesure où lesdits éléments visent à répondre aux preuves avancées par Gazprom dans l’étude économique qu’elle a déposée en annexe de son mémoire en intervention, les preuves incluses dans l’étude économique de la requérante sont tardives en vertu de l’article 85, paragraphes 2 et 3, du règlement de procédure [voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2018, Monolith Frost/EUIPO – Dovgan (PLOMBIR), T‑830/16, EU:T:2018:941, point 21 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens et par analogie, arrêt du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C‑185/95 P, EU:C:1998:608, point 72]. En particulier, les éléments figurant aux sections 3.2 et 3.5 ne sont pas fournis en réponse à une preuve contraire présentée par la Commission ou Gazprom, et rien n’indique que ces sections de l’étude économique de la requérante n’auraient pas pu être antérieurement commandées au consultant concerné afin d’être proposées, à tout le moins, comme offre de preuve dans la requête.
244 Dans le même sens, les éléments exposés dans l’étude économique de la requérante constituent des arguments qui auraient dû être formulés dans la requête ou dans les observations de la requérante sur le mémoire en intervention de Gazprom. En effet, il n’appartient pas au Tribunal de rechercher et d’identifier, dans les annexes, les moyens et les arguments qu’il pourrait considérer comme constituant le fondement du recours, les annexes ayant une fonction purement probatoire et instrumentale. Des exigences analogues sont requises lorsqu’un grief est invoqué au soutien d’un moyen. Ainsi, ne satisfait pas auxdites exigences le grief dont les éléments essentiels sont repris uniquement dans les annexes de la requête (voir arrêt du 13 juillet 2011, Polimeri Europa/Commission, T‑59/07, EU:T:2011:361, points 161 et 162 et jurisprudence citée).
245 Néanmoins, le Tribunal examine les éléments pertinents exposés aux points 25, 27, 32 et 33 de l’étude économique de la requérante.
246 Premièrement, s’agissant de l’argument selon lequel une révision des prix pourrait tenir compte uniquement des prix moyens à l’importation, à l’exclusion des prix plateformes (point 25 de l’étude économique), il convient de considérer que l’inclusion expresse, dans les orientations tarifaires, des deux catégories de données évoquées ci-dessus, précédées par les termes « inter alia », souligne l’importance de ces deux types de données, ce dont des tribunaux arbitraux chargés d’appliquer ces orientations doivent tenir compte, même s’ils ne sont pas eux-mêmes liés par la décision attaquée.
247 De plus, Gazprom est liée tant par les engagements finaux que par la décision attaquée qui les rend obligatoires. Or, il ressort des motifs de cette décision que les données relatives aux prix plateformes sont particulièrement pertinentes pour définir des prix révisés (voir, en particulier, considérants 103, 164 et 178). Partant, dans le cadre d’une procédure arbitrale donnée, Gazprom doit adopter une position conforme à ces motifs et ne saurait, en principe, soutenir que les arbitres devraient faire abstraction de ces prix plateformes.
248 Deuxièmement, selon l’étude économique de la requérante (point 27), le critère lié aux caractéristiques d’un contrat concerné donné (telles que la quantité, la qualité, la continuité et la flexibilité) permettrait à Gazprom de n’avoir aucunement à tenir compte du niveau des prix plateformes. Dès lors qu’une telle lecture est contraire aux termes des orientations tarifaires et n’est pas étayée, elle doit être écartée.
249 Troisièmement, selon l’étude de la requérante, les orientations tarifaires seraient inappropriées, car elles ne prévoiraient rien en ce qui concerne l’indexation continue des prix contractuels sur les prix de produits pétroliers (points 32 et 33 de cette étude). Il suffit de relever à cet égard que ces orientations n’avaient pas à expressément évoquer cette indexation, dès lors que, en assurant des prix se rapprochant des prix concurrentiels d’Europe occidentale, elles doivent ainsi permettre de corriger les éventuels effets inflationnistes de ladite indexation.
250 En outre, dans la mesure où la requérante estime que les orientations tarifaires ne sont pas efficaces en ce qu’elles visent, de manière vague, « le niveau des prix » sur les marchés gaziers concurrentiels d’Europe occidentale continentale, plutôt qu’elles ne prévoient une indexation sur ces prix, il suffit de noter qu’elle n’explique aucunement comment une telle indexation se ferait en pratique et qu’il n’est pas exclu qu’une révision par voie de négociation ou d’arbitrage parvienne à une telle solution. De plus, comme il est exposé au point 239 ci-dessus, les orientations tarifaires doivent être appliquées à l’aune des motifs de la décision attaquée, lesquels prévoient en particulier que les engagements finaux « visent à assurer que les prix du gaz applicables aux contrats indexés au pétrole dans les [PECO concernés] demeurent alignés avec les prix de référence concurrentiels » (considérant 164) et que ces engagements « visent donc à assurer que les prix applicables dans les cinq [PECO concernés par les pratiques tarifaires], après avoir été révisés, seront fixés dans la lignée des prix de références concurrentiels d’Europe occidentale » (considérant 179).
251 Eu égard aux considérations qui précèdent, il n’est pas établi que la Commission ait commis les erreurs manifestes d’appréciation alléguées par la requérante. Pour le surplus, à supposer que la requérante soutienne que les orientations tarifaires devaient permettre aux clients concernés d’obtenir les prix les plus bas possible, tels que les prix plateformes, il suffit de noter que la circonstance que d’autres engagements auraient pu également être acceptés, voire qu’ils auraient été plus favorables pour la concurrence, ne saurait, en tant que telle, conduire à l’annulation de la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt Morningstar, point 59).
252 Partant, sans préjudice du traitement des autres griefs, il y a lieu d’écarter le premier grief de la troisième branche du deuxième moyen.
b) Sur le caractère inapproprié du critère relatif au niveau des prix sur les plateformes de négoce de gaz (deuxième grief)
253 La requérante souligne que la plateforme de négoce britannique « National Balancing Point » (NBP) n’a pas été incluse comme plateforme de référence expressément identifiée dans les orientations tarifaires [contrairement aux plateformes « Title Transfer Facility » (TTF) et « NetConnect Germany » (NCG)], alors que la maturité du NBP et le fait que le Royaume-Uni soit approvisionné en gaz provenant d’Europe continentale auraient justifié de l’inclure. Contrairement à ce qu’avait initialement allégué la Commission, il ne serait pas possible de néanmoins se référer à cette plateforme, dès lors que le libellé des orientations tarifaires vise les plateformes d’Europe « continentale ». Cette erreur confirmerait les difficultés d’interprétation autrement alléguées.
254 La Commission considère que le présent grief doit être écarté.
255 À cet égard, force est de constater que les deux occurrences du mot « continental » dans les orientations tarifaires excluent le recours aux données tarifaires provenant de la plateforme NBP.
256 Toutefois, cette exclusion ne saurait en elle-même suffire à constater une erreur manifeste d’appréciation commise par la Commission liée à la formulation des orientations tarifaires, dès lors que ces orientations permettent le recours à d’autres plateformes « généralement acceptées » et visent expressément les plateformes TTF et NCG, dont le caractère approprié et liquide n’est pas contesté par la requérante. D’ailleurs, l’étude économique de cette dernière précise expressément que la plateforme TTF est mature et constitue l’une des plateformes de négoce les plus liquides d’Europe.
257 Partant, il y a lieu d’écarter le deuxième grief de la troisième branche du deuxième moyen.
c) Sur le caractère inapproprié des prix moyens à l’importation en Allemagne, en France et en Italie (troisième grief)
258 Selon la requérante, les données relatives aux prix moyens à l’importation en Allemagne, en France et en Italie seraient inappropriées et n’auraient d’ailleurs pas été utilisées dans la CG. En premier lieu, les orientations tarifaires n’indiqueraient pas la source à utiliser pour identifier les prix pertinents et les données publiques disponibles ne refléteraient pas les prix réels à une période donnée à défaut de correction rétroactive et rigoureuse de ces données en cas de révision postérieure des prix dans le cadre d’une négociation ou d’un arbitrage.
259 En deuxième lieu, les prix moyens à l’importation seraient inappropriés en ce que les marchés gaziers en France et en Italie, lesquels ne seraient pas les plus liquides ni les plus libéralisés, se révéleraient, en règle générale, plus élevés que ceux de l’Allemagne. D’ailleurs, les prix applicables dans ces deux pays seraient peu utilisés comme prix de références par les clients de Gazprom dans les cinq PECO concernés par les pratiques tarifaires.
260 En troisième lieu, durant les huit années d’application des engagements finaux, les marchés gaziers seraient susceptibles d’évoluer, de sorte que les prix moyens à l’importation de l’un de ces trois pays pourraient perdre leur « statut » de prix de référence sans que les orientations tarifaires envisagent cette possibilité. De plus, la Commission n’aurait pas tenu compte de la proposition formulée par la requérante, lors de la consultation du marché, de déterminer les prix de référence selon une méthode objective.
261 En quatrième lieu, de manière générale, les prix moyens à l’importation seraient plus élevés que les prix plateformes, de sorte qu’ils exerceraient une pression à la hausse sur les prix résultant des orientations tarifaires.
262 La Commission estime que le recours aux prix moyens à l’importation est adéquat, de sorte que le présent grief devrait être écarté.
263 À cet égard, il convient, tout d’abord, de relever, dans la lignée de ce qui a déjà été exposé aux points 233 à 235 ci-dessus, qu’il n’apparaît pas y avoir de raison de principe justifiant d’exclure les données liées aux prix à l’importation. Les arguments ponctuels avancés par la requérante n’infirment pas cette considération.
264 En premier lieu, s’agissant des obstacles pratiques et techniques identifiés par la requérante, il y a lieu de relever que ces obstacles ne sont pas tels que les personnes impliquées dans la résolution des différends tarifaires, dont le personnel des clients concernés, les arbitres ou les experts utilisés par les tribunaux arbitraux, ne seraient pas en mesure de réagir ou d’en tenir compte dans l’élaboration de formules tarifaires. Ainsi, ces personnes pourraient utiliser les informations tarifaires rendues disponibles par les autorités publiques [autorités nationales ou Eurostat (office statistique de l’Union européenne)], ainsi que celles produites par des entreprises privées, et définir de telles formules de manière à couvrir les éventuelles insuffisances de ces informations, notamment le fait qu’elles ne reflètent pas des révisions de prix intervenant postérieurement à la collecte, par lesdites autorités ou des entreprises privées, des données pertinentes. De même, il peut raisonnablement être attendu desdites personnes qu’elles soient en mesure de tenir compte des différences généralement constatées entre les prix moyens à l’importation et les prix plateformes, notamment quant à l’incorporation des « coûts d’entrée » (entry costs).
265 En deuxième lieu, à supposer même que les marchés gaziers de France et d’Italie soient moins liquides et moins libéralisés que celui de l’Allemagne, cela ne saurait suffire pour considérer que la Commission aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en incluant ces deux premiers pays. Il reste que les marchés gaziers de chacun de ces trois pays sont concurrentiels, nonobstant, par ailleurs, les parts de marché importantes de Gazprom. S’agissant encore de l’argument selon lequel d’autres marchés seraient plus liquides, tels que ceux de Belgique ou des Pays-Bas, il suffit de constater que les orientations tarifaires n’empêchent pas les parties et les arbitres de tenir compte de ces autres marchés.
266 En troisième lieu, ainsi que le relève la Commission, la requérante n’avance aucune raison justifiant de craindre un changement de circonstances tel que les marchés gaziers d’Allemagne, de France ou d’Italie ne seraient plus concurrentiels et que les prix moyens à l’importation relatifs à l’un ou à l’autre de ces pays ne pourraient plus servir comme prix de référence. En tout état de cause, en cas de changement important des faits sur lesquels repose la décision attaquée, la Commission peut, en vertu de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, rouvrir la procédure.
267 En quatrième lieu, ainsi qu’il ressort des considérations exposées aux points 233 à 235 et 263 ci-dessus, à supposer même que les prix moyens à l’importation soient plus élevés que les prix plateformes et exercent ainsi une « pression à la hausse » sur le niveau des prix qui résulterait des orientations tarifaires, la requérante n’a pas établi que ces prix moyens seraient inadéquats par principe.
268 Partant, il y a lieu d’écarter le troisième grief de la troisième branche du deuxième moyen.
d) Sur les caractéristiques du gaz fourni dans le cadre d’un contrat donné (quatrième grief)
269 La requérante fait valoir que, en permettant le second critère des orientations tarifaires, qui impose de « ten[ir] dûment compte de toutes les caractéristiques du gaz fourni dans le cadre [d’un contrat donné] », la Commission n’a pas tenu compte de l’utilisation défavorable faite par Gazprom, dans le passé, de telles caractéristiques. En effet, cette dernière présenterait ses contrats à long terme comme constituant un produit « premium » par rapport au gaz acheté sur des plateformes de négoce, justifiant des prix plus élevés. De plus, chacune des caractéristiques expressément identifiées dans les orientations tarifaires (à savoir la quantité, la qualité, la continuité et la flexibilité) permettrait de justifier des hausses de prix, alors qu’aucune caractéristique justifiant des baisses de prix n’aurait été incluse.
270 La Commission considère que le présent grief doit être écarté.
271 À cet égard, comme cela a déjà été exposé au point 229 ci-dessus, les orientations tarifaires prévoient que deux critères s’appliquent, de sorte qu’il convient, lors d’une révision des prix, en premier lieu, de prendre en compte le niveau des prix sur les marchés gaziers concurrentiels d’Europe occidentale continentale, et ce, en deuxième lieu, tout en tenant dûment compte des caractéristiques spécifiques au contrat concerné.
272 Ainsi, il ressort des orientations tarifaires qu’elles imposent, par le premier critère, de tenir compte d’éléments externes au contrat concerné donné, à savoir des données reflétant le niveau des prix sur les marchés gaziers concurrentiels d’Europe occidentale continentale. Or, de telles données peuvent résulter de divers contrats potentiellement différents de ce contrat concerné, par exemple s’ils sont liés à des opérations sur des plateformes de négoce. Dans ces conditions, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir accepté que les orientations tarifaires intègrent également le second critère, qui permet de tenir compte des caractéristiques internes audit contrat.
273 En outre, il convient de considérer que, contrairement à ce que laisse entendre la requérante, l’inclusion du second critère et des caractéristiques expressément identifiées dans les orientations tarifaires ne donnera pas nécessairement lieu à une pression à la hausse sur les prix révisés. En effet, à supposer que, dans un cas donné, le tribunal arbitral éventuellement saisi choisisse d’appliquer le premier critère en utilisant principalement des données liées à la fourniture de gaz en Europe occidentale continentale par le biais de contrats à long terme, à savoir des contrats aux caractéristiques potentiellement similaires aux contrats concernés, rien n’empêcherait ce même tribunal de tenir compte de ce choix en modérant la mise en œuvre du second critère.
274 Partant, il y a lieu d’écarter le quatrième grief de la troisième branche du deuxième moyen.
e) Sur les éléments non évoqués dans les orientations tarifaires (cinquième grief)
275 La requérante et la République de Lituanie font valoir, en substance, que les orientations tarifaires auraient dû inclure des éléments additionnels. En premier lieu, ces orientations auraient dû inclure un élément relatif aux coûts de livraison, lesquels varieraient sensiblement en fonction du point de livraison et, à titre d’exemple, seraient nettement moins élevés pour Gazprom s’agissant des fournitures en gaz en Lituanie, en raison de la proximité géographique avec la Russie, par rapport aux fournitures en Europe occidentale.
276 En second lieu, la requérante relève que, ainsi que cela ressort de son étude économique, les orientations tarifaires n’accordent aucune importance aux obligations fermes d’achat (mécanisme « take or pay ») incluses dans certains des contrats en cause, alors que ces obligations auraient une valeur importante pour Gazprom. Seuls des facteurs permettant des hausses de prix auraient été inclus dans ces orientations.
277 La Commission considère que le présent grief doit être écarté.
278 À cet égard, il ressort manifestement du libellé des orientations tarifaires prévues au point 19, sous iii), des engagements finaux que, s’agissant de la prise en compte des caractéristiques d’un contrat concerné donné, les exemples de caractéristiques expressément identifiés dans ces orientations ne sont pas exhaustifs.
279 Partant, la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en acceptant les orientations tarifaires qui ne mentionnent pas expressément des caractéristiques relatives aux coûts de livraison et aux obligations fermes d’achat (mécanisme « take or pay »).
280 Pour le surplus, dans la mesure où la requérante fait valoir, plus généralement, que la Commission aurait insuffisamment tenu compte, dans son appréciation du caractère adéquat des engagements finaux, de l’imposition par Gazprom de clauses d’obligations fermes d’achat dans les contrats concernés, il suffit de relever que, bien que la Commission ait, dans la CG, examiné la présence de ces clauses dans lesdits contrats, elle n’a pas exposé de préoccupations concurrentielles relatives spécifiquement auxdites clauses et n’a d’ailleurs pas envisagé de mesure corrective à cet égard. Il s’ensuit que la Commission n’avait pas à assurer que les engagements finaux répondent à ces préoccupations.
281 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu d’écarter le cinquième grief de la troisième branche du deuxième moyen et, par voie de conséquence, d’écarter cette branche comme étant non fondée dans son intégralité.
4. Sur la quatrième branche du deuxième moyen, relative à des erreurs de droit et à des erreurs manifestes d’appréciation quant à l’articulation entre le droit de l’Union et les arbitrages
282 La requérante fait valoir qu’il ressortirait des motifs figurant au considérant 178 de la décision attaquée que la Commission a commis des erreurs de droit ainsi que, en substance, des erreurs manifestes d’appréciation relatives, d’une part, à l’application du droit matériel de l’Union dans les arbitrages prévus par le point 19, sous iv), des engagements finaux et, d’autre part, à la possibilité pour cette institution d’intervenir comme amicus curiae dans de telles procédures.
283 La Commission estime ne pas avoir commis d’erreur à cet égard.
a) Sur l’application du droit matériel de l’Union dans les arbitrages (premier grief)
284 Selon la requérante, en premier lieu, en se fondant sur une interprétation erronée de l’arrêt du 1er juin 1999, Eco Swiss (C‑126/97, ci-après l’« arrêt Eco Swiss », EU:C:1999:269, point 36), la Commission aurait, à tort, considéré que les tribunaux arbitraux devaient nécessairement, du fait qu’ils étaient établis dans l’Union, résoudre des différends tarifaires entre Gazprom et ses clients concernés à l’aune du droit matériel de l’Union.
285 En effet, par son arrêt Eco Swiss, la Cour se serait adressée uniquement au Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) et, indirectement, aux autres juridictions des États membres, mais pas aux tribunaux arbitraux, qui ne constituent pas des juridictions au sens de l’article 267 TFUE. Cet arrêt imposerait uniquement à ces juridictions d’appliquer le droit de l’Union dans le cadre limité du contrôle, a posteriori, du respect de l’« ordre public » par ces tribunaux, sans requérir de ces derniers qu’ils appliquent le droit matériel de l’Union.
286 En réalité, les tribunaux arbitraux concernés seraient tenus d’appliquer uniquement le point 19 des engagements finaux, mais pas l’article 102 TFUE ni la décision attaquée en tant que telle. Ainsi, rien n’indiquerait qu’un client de Gazprom puisse aisément invoquer le contenu de cette décision dans le cadre d’un arbitrage, étant entendu que cette possibilité ne pourrait être confirmée que dans le cadre, inefficace d’un point de vue temporel, d’une question préjudicielle posée par la juridiction nationale contrôlant l’exécution d’une sentence arbitrale.
287 En second lieu, l’efficacité des arbitrages serait significativement réduite par l’absence de référence à la décision attaquée ou à l’article 102 TFUE dans les engagements finaux. Les tribunaux arbitraux n’examineraient pas nécessairement la conformité des prix révisés avec les objectifs de cette décision ou de cette disposition du traité FUE et risqueraient même d’excéder leur office et de voir leurs sentences annulées en procédant à un tel examen.
288 La Commission considère que le présent grief doit être écarté.
289 Il convient de rappeler que le considérant 178 de la décision attaquée indique, en renvoyant à l’arrêt Eco Swiss (points 35 et 36), que les engagements finaux « exigent que les procédures arbitrales aient lieu au sein de l’Union » et que « [c]ela oblige les tribunaux arbitraux à respecter et à appliquer le droit de la concurrence de l’Union en tant que matière d’ordre public, quels que soient les intérêts privés des parties à l’arbitrage ».
290 À cet égard, il ressort de l’article 3, paragraphe 3, TUE et du protocole no 27 sur le marché intérieur et la concurrence, annexé au traité de Lisbonne (JO 2010, C 83, p. 309), que les articles 101 et 102 TFUE sont des dispositions fondamentales indispensables pour l’accomplissement des missions confiées à l’Union et, en particulier, pour le fonctionnement du marché intérieur dès lors qu’ils ont pour objectif d’éviter que la concurrence ne soit faussée au détriment de l’intérêt général, des entreprises individuelles et des consommateurs (voir, en ce sens, arrêt Eco Swiss, point 36, et arrêt du 17 février 2011, TeliaSonera Sverige, C‑52/09, EU:C:2011:83, points 20 à 22). Partant, les articles 101 et 102 TFUE constituent des dispositions d’ordre public, y compris au sens de la convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, signée à New York le 10 juin 1958, qui doivent être appliquées d’office par les juridictions nationales, lesquelles doivent faire droit à une demande d’annulation d’une sentence arbitrale si elles estiment que cette sentence est contraire auxdits articles (voir, en ce sens, arrêt Eco Swiss, points 36 à 41, et arrêt du 13 juillet 2006, Manfredi e.a., C‑295/04 à C‑298/04, EU:C:2006:461, point 31 et jurisprudence citée).
291 Il en résulte que les tribunaux arbitraux concernés, même s’ils sont établis sur le territoire de l’Union, ne sont pas nécessairement liés par le droit de la concurrence de l’Union dans son ensemble, ni d’ailleurs par le reste du droit matériel de l’Union. Il est également vrai, comme le soutient la requérante, que le contrôle des sentences arbitrales exercé par les juridictions des États membres revêt un caractère limité (voir arrêt du 6 mars 2018, Achmea, C‑284/16, EU:C:2018:158, point 54 et jurisprudence citée). Il n’en demeure pas moins que, si l’un de ces tribunaux devait adopter une sentence arbitrale contraire à l’article 102 TFUE, les juridictions nationales des États membres devraient, en cas de demande, annuler cette sentence. Cela est susceptible de conduire lesdits tribunaux à s’assurer que la sentence arbitrale adoptée respecte cette disposition du traité FUE.
292 En outre, il convient de considérer, même si la présente affaire ne concerne pas directement l’article 102 TFUE, mais le respect d’une décision d’engagements adoptée au titre de l’article 9 du règlement no 1/2003, que, à l’aune des considérations exposées au point 290 ci-dessus, et dès lors que ce règlement a été adopté en application de l’article 103 TFUE et est relatif à la mise en œuvre des articles 101 et 102 TFUE, des juridictions nationales peuvent faire droit à une demande d’annulation d’une sentence arbitrale si elles estiment que cette sentence est contraire à une telle décision.
293 Cette lecture des implications, mentionnées au considérant 178 de la décision attaquée, de l’exigence d’établissement des tribunaux arbitraux dans l’Union ne saurait être remise en cause par l’argument de la requérante tiré de prétendues difficultés pratiques auxquelles pourraient faire face des juridictions nationales dans la vérification de la conformité de sentences arbitrales avec l’article 102 TFUE ou avec une décision adoptée au titre de l’article 9 du règlement no 1/2003, dans la mesure où le traitement de tels litiges relève de la compétence matérielle de ces juridictions.
294 Par ailleurs, comme il a déjà été souligné ci-dessus, Gazprom doit appliquer les engagements finaux conformément aux motifs de la décision attaquée, sauf à risquer un constat de non-respect de cette décision. Partant, Gazprom est tenue, en sa qualité de partie aux procédures arbitrales, d’assurer, lorsqu’elle détermine l’office des arbitres et élabore ses mémoires, qu’ils révisent les formules tarifaires d’une manière conforme à ladite décision.
295 Eu égard aux considérations qui précèdent, le Tribunal juge que, malgré la formulation quelque peu maladroite des termes litigieux du considérant 178 de la décision attaquée, la Commission n’a commis ni une erreur de droit en incluant ces termes, ni une erreur manifeste d’appréciation en considérant que l’obligation d’organiser les arbitrages sur le territoire de l’Union était de nature à renforcer l’efficacité des engagements relatifs aux pratiques tarifaires. Partant, il convient d’écarter le premier grief de la quatrième branche du deuxième moyen.
b) Sur la possibilité pour la Commission d’intervenir comme amicus curiae (second grief)
296 Selon la requérante, la Commission a commis une erreur de droit en affirmant, au considérant 178 de la décision attaquée, qu’elle pourrait intervenir comme amicus curiae dans des arbitrages. Or, en l’état actuel du droit de l’Union, il n’existerait aucune base juridique instaurant une coopération de ce type entre la Commission et des tribunaux arbitraux. Ainsi, une telle intervention devrait être autorisée par les parties aux arbitrages, ce que rien ne garantirait en l’espèce, étant donné que Gazprom ne se serait aucunement engagée en ce sens et que de nombreux clients pourraient être réticents à impliquer la Commission compte tenu des informations sensibles ou confidentielles échangées et de la posture considérée comme « favorable » à Gazprom adoptée par cette dernière dans l’affaire AT.39816.
297 La requérante ajoute que la Commission aurait reconnu que sa participation comme amicus curiae ne serait pas invariablement garantie et insisterait plutôt sur la possibilité d’intervenir, au titre de l’article 15, paragraphe 3, du règlement no 1/2003, dans les procédures judiciaires de contrôle des sentences arbitrales.
298 La Commission considère que le présent grief doit être écarté.
299 À cet égard, force est de constater, comme le fait valoir la requérante, que les engagements finaux ne prévoient aucunement le droit pour la Commission d’intervenir comme amicus curiae dans un arbitrage engagé sur le fondement de la clause compromissoire prévue au point 19, sous iv), de ces engagements et qu’un tel droit n’est pas autrement garanti par le droit de l’Union.
300 Toutefois, dès lors précisément que la clause compromissoire prévue au point 19, sous iv), des engagements finaux ne couvre pas la question de l’intervention de la Commission comme amicus curiae, le fait que cette dernière a évoqué, dans la décision attaquée, une telle possibilité sans que cette possibilité soit garantie par ces engagements n’est pas susceptible de mettre en cause la légalité de ladite décision. Partant, le grief de la requérante tiré d’une erreur de droit est inopérant.
301 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu d’écarter le second grief de la quatrième branche et, donc, d’écarter le deuxième moyen comme étant non fondé dans son intégralité.
D. Sur le troisième moyen, tiré d’une violation de l’article 9 du règlement no 1/2003, lu conjointement avec l’article 102 TFUE, et du principe de proportionnalité, en ce que la Commission a accepté les engagements finaux alors qu’ils ne répondraient pas adéquatement aux griefs concernant les restrictions territoriales
302 La requérante, soutenue par la République de Pologne, la République de Lituanie et Overgas, fait valoir que la Commission a commis diverses erreurs manifestes d’appréciation, en violation de l’article 9 du règlement no 1/2003, lu conjointement avec l’article 102 TFUE, et du principe de proportionnalité, en ce qu’elle a conclu que les engagements relatifs aux restrictions territoriales (points 5 à 17 des engagements finaux) étaient adéquats. Ce moyen se décompose, en substance, en trois branches.
303 La Commission, soutenue par Gazprom, considère que le troisième moyen doit être écarté comme étant non fondé. S’agissant du mémoire en intervention d’Overgas, elle fait valoir que la plupart des arguments y figurant sont irrecevables dans la mesure où ils sont sans lien avec l’objet du litige tel que défini par les parties principales.
1. Sur la première branche du troisième moyen, relative au caractère inadéquat des engagements relatifs aux restrictions territoriales pris dans leur globalité
304 La requérante considère que les engagements relatifs aux restrictions territoriales, pris dans leur globalité, sont inadéquats. Alors que son analyse prospective devrait être particulièrement plausible, la Commission aurait omis de tenir compte de divers éléments qui auraient dû avoir une incidence décisive sur le contenu de ces engagements.
305 En effet, tout en ayant expressément considéré, dans la CG, que Gazprom avait adopté une « stratégie » de segmentation des marchés, la Commission a néanmoins accepté des engagements sélectifs n’apportant pas une réponse globale à cette stratégie. En particulier, les engagements relatifs aux restrictions territoriales consisteraient, essentiellement, à mettre fin à certains mécanismes contractuels, alors que Gazprom aurait également utilisé divers procédés extracontractuels pour empêcher les réexportations de gaz. Cette focalisation sur des mécanismes contractuels serait d’autant plus ineffective que la plupart de ceux-ci auraient été supprimés de longue date. Gazprom recourrait largement aux procédés extracontractuels, ce dont aurait eu connaissance la Commission.
306 Ce constat serait illustré par le fait que, en 2003 et en 2005, la Commission avait mis fin à des enquêtes en matière de concurrence par des transactions informelles impliquant l’élimination de clauses territoriales expresses dans les contrats conclus par Gazprom avec E.ON Ruhrgas AG et ENI SpA, ce qui n’aurait pas empêché Gazprom de continuer à entraver le réexport de gaz par des procédés différents. De même, outre le cas de la crise de 2009/2010, dans le cadre de laquelle la requérante avait été exposée à un grave manque en gaz en raison de perturbations des fournitures de gaz passant par l’Ukraine, la Commission aurait été informée de pratiques par lesquelles Gazprom, durant la saison d’hiver 2014/2015, aurait réduit les fournitures en gaz afin de faire cesser les réexportations de gaz vers l’Ukraine, ce qui aurait eu des conséquences dans certains PECO concernés. Ces exemples ne sauraient être considérés comme de simples violations contractuelles et l’approche adoptée par la Commission, excessivement théorique, ignorerait le fait que ces perturbations et réductions constitueraient l’une des facettes de la stratégie de Gazprom.
307 Au-delà de ces procédés extracontractuels, la requérante souligne le fait que les échanges de gaz entre PECO concernés avaient été difficiles en raison de défaillances en ce qui concerne les infrastructures de transport gazier qui auraient résulté, dans une large mesure, des restrictions territoriales imposées par Gazprom, qui, en particulier, auraient étouffé la demande transfrontière en gaz. Les améliorations infrastructurelles réalisées depuis lors ne sauraient justifier l’insuffisance desdits engagements, qui auraient dû inclure des mesures actives de la part de Gazprom.
308 La Commission conteste l’argumentation avancée par la requérante et la République de Pologne, qui reposerait sur des prémisses erronées, de sorte que la présente branche devrait être écartée.
309 À cet égard, il ressort certes de l’évaluation préliminaire de la Commission (voir, en particulier, intitulé de la section 8 et point 246 de la CG) que Gazprom poursuivait une « stratégie » générale de segmentation des marchés gaziers. Toutefois, il ressort également de cette évaluation que cette stratégie était composée de diverses pratiques anticoncurrentielles particulières (voir, en particulier, point 248 de la CG et considérants 54 à 60 de la décision attaquée). Il était donc loisible à la Commission de chercher à remédier à cette stratégie en procédant de manière graduelle, par le biais de mesures remédiant spécifiquement à chacune de ces pratiques, ce qui désamorcerait ladite stratégie.
310 Dans ce contexte, afin d’examiner si les engagements relatifs aux restrictions territoriales remédient globalement aux diverses pratiques visées par les griefs concernant ces restrictions, il importe de relever qu’il ressort tant de la CG que de la décision attaquée que ces griefs visaient deux catégories de pratiques :
– d’une part, des restrictions territoriales expresses prévues dans des clauses contractuelles, telles que des clauses de destination, des interdictions de revente ou d’export (voir, en particulier, points 247 et 897 et sections 8.2 et 15.7.2.2 de la CG ainsi que considérant 42 de la décision attaquée) ;
– d’autre part, des procédés contractuels et extracontractuels ayant un effet équivalent à des restrictions territoriales expresses (voir, en particulier, points 248, 322 et 898 et sections 8.3 et 15.7.2.3 de la CG ainsi que considérant 43 de la décision attaquée), lesquels procédés auraient pris principalement quatre formes, à savoir, premièrement, la combinaison d’une clause dite d’« expansion » avec une obligation d’information envers Gazprom, deuxièmement, des refus de modifier un point de livraison du gaz prévu dans un contrat, troisièmement, des refus de modifier la station de comptage (metering station) prévue dans un contrat et, quatrièmement, s’agissant de la Bulgarie, des stipulations contractuelles spécifiques, notamment liées aux stations de comptage, qui auraient accordé de facto à Gazprom un contrôle sur les exportations de gaz depuis ce pays.
311 Or, les engagements relatifs aux restrictions territoriales (points 5 à 17 des engagements finaux), qui visent à répondre à ces griefs, englobent ce qui suit :
– des mesures interdisant les clauses contractuelles par lesquelles Gazprom empêcherait ou limiterait, directement ou indirectement, la revente ou le réexport de gaz par ses clients concernés (ci-après les « engagements relatifs aux restrictions de revente et de réexport ») ; ainsi qu’il ressort, d’une part, des considérants 54 à 57 et des sections 5.1.1, 7.1.1 et 8.2.1.1 de la décision attaquée et, d’autre part, des points 5 et 6 des engagements finaux, ces mesures visent à remédier aux restrictions territoriales expresses visées au premier tiret du point précédent ainsi qu’au premier type de procédés exposés au second tiret de ce point, à savoir la combinaison d’une clause dite d’« expansion » avec une obligation d’information envers Gazprom ;
– des mesures permettant des changements des points de livraison du gaz (ci-après les « engagements relatifs aux points de livraison ») ; ainsi qu’il ressort, en particulier, des points 373 à 375 de la CG, des considérants 59 et 60 et des sections 5.1.3, 7.1.3 et 8.2.1.3 de la décision attaquée et des points 5 à 17 des engagements finaux [dans la section 1.2, intitulée « Changes of Delivery Points » (Modifications des points de livraison)], ces mesures visent à remédier aux deuxième et troisième types de procédés exposés au second tiret du point précédent, à savoir les refus de Gazprom de modifier les points de livraison ou les stations de comptage ;
– des mesures liées à la gestion du réseau gazier bulgare (ci-après les « engagements relatifs au réseau gazier bulgare ») ; ainsi qu’il ressort, d’une part, du considérant 58 et des sections 5.1.2, 7.1.2 et 8.2.1.2 de la décision attaquée et, d’autre part, des points 7 et 8 des engagements finaux [dans la section 1.1, intitulée « 1.1 Changes to the Bulgarian Gas System » (Modifications au système gazier bulgare)], ces mesures visent à remédier au quatrième type de procédés exposés au second tiret du point précédent, à savoir les procédés qui auraient accordé de facto à Gazprom un contrôle sur les exportations de gaz depuis la Bulgarie.
312 Ainsi, il découle des constats effectués au point 311 ci-dessus que les points 5 à 17 des engagements finaux couvrent l’ensemble des pratiques visées par les deux catégories comprises dans les griefs concernant les restrictions territoriales et rappelées au point 310 ci-dessus. Dès lors, en comparant ces griefs et ces engagements, le Tribunal ne constate aucune lacune dans la portée desdits engagements.
313 La conclusion faite au point précédent n’est pas remise en cause par les autres arguments avancés par la requérante.
314 En effet, tout d’abord, en ce que la requérante insiste sur l’insuffisante prise en compte de procédés extracontractuels utilisés par Gazprom pour segmenter les marchés des PECO concernés, il ressort des considérations qui précèdent que, s’agissant des quatre formes de procédés contractuels et extracontractuels effectivement identifiées dans les griefs concernant les restrictions territoriales, la Commission a obtenu des engagements visant à y répondre.
315 En particulier, s’agissant des procédés contractuels et extracontractuels illustrés par la pratique de Gazprom consistant à utiliser une combinaison d’une clause dite d’« expansion » avec une obligation d’information envers Gazprom [mentionnée dans le premier type de procédés exposés au second tiret du point 310 ci-dessus et exposée au considérant 57 de la décision attaquée], il y a lieu de constater que la Commission visait l’utilisation faite par cette entreprise de diverses stipulations contractuelles qui, sans imposer des restrictions territoriales expresses, permettaient de réduire l’incitation économique de ses clients à revendre ou à réexporter le gaz fourni par elle et, donc, d’empêcher les ventes transfrontières.
316 Or, force est de constater que les points 5 et 6 des engagements finaux visent à neutraliser les clauses qualifiées de « Clauses Restricting Resale » (clauses restreignant la revente) et de « Territorial Restriction Clause » (clauses imposant des restrictions territoriales) et que, au vu des définitions de ces termes reprises au point 4 de ces engagements, ces types de clauses couvrent un champ très large de stipulations. Cela est confirmé par la teneur de la « liste indicative » se trouvant à l’annexe 1 desdits engagements, en vertu de laquelle sont interdits, notamment, les clauses d’expansion, les mécanismes de surveillance et les obligations d’informations prévus dans les contrats concernés.
317 Ensuite, premièrement, en ce que la requérante laisse entendre que les engagements relatifs au réseau gazier bulgare auraient dû être étendus à l’ensemble des PECO concernés, elle n’explique pas en quoi ils seraient pertinents à la situation dans les autres PECO concernés. Deuxièmement, l’argument relatif aux transactions informelles conclues en 2003 et en 2005 doit être écarté, dès lors que ces transactions visaient des pratiques sans rapport avec les PECO concernés et, surtout, que les engagements relatifs aux restrictions territoriales couvrent précisément des pratiques allant au-delà de restrictions territoriales expresses. Troisièmement, les comportements reprochés à Gazprom et liés à la crise de 2009/2010, à savoir des refus de modifier un point de livraison ou une station de comptage, sont couverts par les engagements relatifs aux points de livraison (qui sont examinés dans le cadre de la deuxième branche ci-après). Quatrièmement, les pratiques liées à la saison d’hiver 2014/2015 ne sont pas couvertes par les griefs concernant les restrictions territoriales, de sorte que la Commission n’avait pas à y répondre. De plus, la requérante elle-même admet que ces pratiques concernaient principalement l’Ukraine, sans expliquer en quoi leurs prétendues conséquences sur les PECO concernés risqueraient de se répéter malgré l’adoption des engagements finaux. Cinquièmement, en ce que la requérante cherche à se prévaloir des faits exposés dans la sous-section 8.2.2.2 de la CG, il suffit de constater, comme il ressort manifestement des éléments de cette sous-section et, plus généralement, de la section 8.2, que ladite sous-section porte sur la surveillance par Gazprom du respect des anciennes clauses de restrictions territoriales expresses, et non sur des procédés extracontractuels prétendument non couverts par les engagements.
318 Enfin, il convient d’écarter les arguments de la requérante relatifs aux défaillances en termes d’infrastructures de transport gazier, dès lors que les difficultés qu’elle mentionne ne se retrouvent pas dans les préoccupations concurrentielles retenues par la Commission, y compris s’agissant de l’impact futur de la finalisation du gazoduc Nord Stream 2. Par ailleurs, il ne ressort pas des griefs exposés dans la CG que les engagements finaux auraient dû inclure des obligations positives, en termes d’infrastructures, pour répondre adéquatement à ces griefs, d’autant plus que la requérante n’identifie pas concrètement quelles pratiques anticoncurrentielles justifieraient de telles obligations.
319 Au regard des considérations qui précèdent, il convient de conclure que la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation quant au caractère adéquat des engagements relatifs aux restrictions territoriales pris dans leur globalité. Partant, il y a lieu d’écarter la première branche du troisième moyen comme étant non fondée.
2. Sur la deuxième branche du troisième moyen, relative au caractère inadéquat des engagements relatifs aux points de livraison
320 La requérante, la République de Pologne, la République de Lituanie et Overgas avancent, en substance, six griefs tirés du caractère inadéquat des engagements relatifs aux points de livraison (points 9 à 17 des engagements finaux).
321 La Commission, soutenue par Gazprom, conteste ces griefs et conclut à l’irrecevabilité partielle du mémoire en intervention d’Overgas.
a) Sur l’insuffisance de points de livraison concernés (premier grief)
322 La requérante et la République de Lituanie considèrent que les engagements relatifs aux points de livraison auraient dû concerner davantage de points que ceux prévus au point 15 des engagements finaux, étant donné que les améliorations infrastructurelles invoquées par la Commission pour justifier le caractère suffisant des points retenus n’assureraient pas la libre circulation du gaz dans les PECO concernés.
323 S’agissant en particulier de la circulation du gaz entre la Pologne et ses voisins, la requérante souligne, d’abord, que, compte tenu de son contrôle sur les tronçons allemand et polonais du gazoduc Yamal, Gazprom est en mesure d’influer sur les flux inversés de l’Allemagne vers la Pologne. De plus, en l’état actuel des infrastructures transfrontières en République Tchèque, en Hongrie, en Pologne et en Slovaquie, il n’y aurait pas véritablement eu d’amélioration des échanges entre la Pologne et la Hongrie. En outre, la construction du gazoduc Nord Stream 2 devrait renforcer la capacité de comportements anticoncurrentiels de Gazprom sur le marché polonais. Or, ces constats exposeraient le caractère insuffisant, en ce qui concerne la Pologne, de points de livraison limités aux pays baltes, ce qui ne concorderait pas avec l’attention particulière portée à la Pologne dans la CG.
324 Par ailleurs, la République de Lituanie estime que, en raison du nombre insuffisant de points de livraison concernés, les engagements relatifs aux points de livraison ne permettent pas d’empêcher une segmentation des marchés gaziers lituanien, letton et estonien.
325 La Commission conteste l’argumentation avancée par la requérante et la République de Lituanie, de sorte que le présent grief devrait être écarté.
326 Le Tribunal observe que les engagements relatifs aux points de livraison ont un objet différent de ceux relatifs aux restrictions de revente et de réexport et que leur pertinence respective dépend de l’existence ou de la suffisance d’infrastructures transfrontières de transport gazier, à savoir un gazoduc reliant deux PECO concernés ou, le cas échéant, un équipement permettant le traitement de gaz naturel liquéfié.
327 D’un côté, lorsqu’il existe de telles infrastructures entre des PECO concernés, le transport direct du gaz entre deux de ces pays est techniquement possible, mais la revente ou le réexport de gaz russe de l’un de ces pays à l’autre par un client concerné de Gazprom pourrait être autrement entravé par des mesures contractuelles ou extracontractuelles empêchant ou limitant cette revente ou ce réexport. Gazprom aurait, selon l’évaluation préliminaire de la Commission, mis en place de telles mesures dans le passé et les engagements relatifs aux restrictions de revente et de réexport visent à y remédier.
328 D’un autre côté, lorsque de telles infrastructures n’existent pas entre des PECO concernés ou sont insuffisantes, les engagements relatifs aux restrictions de revente et de réexport sont inefficaces, ainsi qu’il ressort en substance du considérant 171 in fine de la décision attaquée, puisque le transport direct du gaz entre deux de ces pays est techniquement impossible ou insuffisant. Dans cette situation, qui fait l’objet de la présente deuxième branche, la revente ou le réexport de gaz russe peut alors se faire par une modification du point de livraison ou de la station de comptage, afin de rediriger le gaz acheté par le client concerné de Gazprom de son point de livraison initial vers le nouveau point de livraison auquel ce client souhaite revendre du gaz.
329 Toutefois, une telle modification imposerait d’obtenir l’accord ou la coopération de Gazprom, à savoir une intervention active de cette dernière (ainsi qu’il ressort, en particulier, des points 362, 363 et 373 à 375 de la CG ainsi que des considérants 59, 60 et 171 de cette décision). Selon l’évaluation préliminaire de la Commission, Gazprom aurait refusé une telle intervention dans le passé, en refusant des modifications du point de livraison ou de la station de comptage du gaz.
330 Or, les engagements relatifs aux points de livraison visent précisément à garantir, dans certaines circonstances, une intervention active par Gazprom en obligeant cette entreprise à accepter une modification du point de livraison demandée par un client souhaitant revendre le gaz, destiné à son pays, vers un autre PECO concerné, étant entendu que cette modification du point de livraison inclut, le cas échéant, la modification de la station de comptage. En particulier, ces engagements prévoient quatre combinaisons de modifications de points de livraison, devant permettre la revente de gaz, de manière bidirectionnelle, à savoir, premièrement, entre la Pologne et les pays baltes, deuxièmement, entre la Slovaquie et les pays baltes, troisièmement, entre la Hongrie et la Bulgarie et, quatrièmement, entre la Slovaquie et la Bulgarie [voir considérants 170 à 172 de la décision attaquée et point 15, sous i) à iv), des engagements finaux].
331 Dans ce contexte, la requérante estime que la possibilité de revendre ou de se voir revendre du gaz uniquement depuis les pays baltes, à l’exclusion d’autres pays, est insuffisante. Il convient de relever à cet égard que, effectivement, les refus de modification du point de livraison ou de la station de comptage, exposés par la Commission dans la CG, concernaient tout particulièrement la Pologne en ce que les demandes de modification en cause visaient à pallier le besoin aigu en gaz de ce pays lié à la crise qu’il a connu en 2009/2010 (ainsi qu’il ressort, en particulier, des points 342 à 386, 648 et 878 à 893 de la CG ainsi que des considérants 59 et 60 de la décision attaquée).
332 Toutefois, force est de constater que la Pologne a bénéficié de l’amélioration des infrastructures transfrontières de transport gazier constatée au considérant 170 de la décision attaquée, étant donné que ce pays peut importer des volumes substantiels de gaz depuis l’Allemagne, bien supérieurs au manque de 2,5 milliards de mètres cubes de gaz auquel avait dû faire face la Pologne lors de la crise de 2009/2010.
333 En effet, ainsi qu’il ressort des points 734 et 1033 de la CG, les opérations nécessaires avaient été effectuées pour permettre, à partir de l’année 2014, des flux physiques inversés depuis l’Allemagne sur le gazoduc Yamal. De même, il ressort d’un communiqué de presse du 8 janvier 2015 publié par Gaz-System que, compte tenu des diverses améliorations techniques, il était possible, à compter du début de l’année 2015, d’importer d’Allemagne près de 5,5 milliards de mètres cubes de gaz par an, en capacités fermes, par des flux inversés virtuels sur ce gazoduc (voir note en bas de page no 76 de la CG). Le même communiqué indique également qu’il était désormais possible, à cette date, de transporter, depuis l’ouest et le sud de la Pologne, plus de 90 % des besoins d’importations de gaz de ce pays, en tenant compte d’autres moyens techniques, dont la possibilité d’importer, via ledit gazoduc, 2,7 milliards de mètres cubes de gaz par an, dans le cadre de capacités interruptibles.
334 En outre, le Tribunal souligne que les engagements relatifs aux points de livraison visent à pallier des défaillances en termes d’infrastructures qui, en tant que telles, ne sont pas de la responsabilité de Gazprom, nonobstant l’éventuelle responsabilité particulière de cette dernière en tant qu’entreprise dominante. De plus, des modifications du point de livraison ne sont pas nécessairement possibles ou aisées, car elles impliquent, pour Gazprom, des contraintes techniques, qui sont évoquées aux considérants 59 et 173 de la décision attaquée.
335 Par ailleurs, il n’est certes pas exclu que la Commission ait pu, le cas échéant, constater, dans le cadre d’une décision adoptée au titre de l’article 7 du règlement no 1/2003, que les refus de modification du point de livraison ou de la station de comptage opposés par Gazprom et exposés dans la CG constituaient une violation de l’article 102 TFUE. Toutefois, cette éventuelle constatation n’implique pas que Gazprom aurait nécessairement dû garantir de plus nombreuses modifications du point de livraison, et ce même à supposer qu’une telle mesure eût pu être plus favorable pour la concurrence (voir, en ce sens, arrêt Morningstar, point 59).
336 Il en découle que, nonobstant le fait que les engagements relatifs aux points de livraison ont été inspirés par les pratiques de Gazprom consistant à refuser des modifications du point de livraison ou d’une station de comptage et qu’ils auraient éventuellement pu permettre d’éviter la situation dans laquelle s’était retrouvée la Pologne dans le cadre de la crise de 2009/2010, cela n’implique pas que lesdits engagements devaient permettre aux clients concernés de ce pays de revendre ou de se voir revendre du gaz depuis de nombreux pays. Compte tenu de l’isolement des pays baltes et de la Bulgarie mentionné au considérant 171 de la décision attaquée, la Commission pouvait se concentrer sur les possibilités pour ces PECO concernés.
337 Dans ces conditions, la Commission pouvait, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, accepter que, s’agissant de ce pays, les engagements relatifs aux points de livraison soient limités à la combinaison de modifications prévue au point 15, sous i), des engagements finaux, à savoir la possibilité de revendre ou de se voir revendre du gaz uniquement avec les pays baltes.
338 Cette conclusion n’est pas remise en cause par les allégations soulevées par la requérante relativement à la question du contrôle de Gazprom sur le tronçon polonais du gazoduc Yamal. En effet, dans la mesure où ces allégations correspondent à celles avancées dans le cadre de la première branche du premier moyen, il suffit de rappeler que cette branche a été écartée comme étant non fondée. De plus, la Commission avait, dans son avis du 9 septembre 2014, constaté que Gaz-System contrôlait les flux de gaz sur ce tronçon, ce qu’a d’ailleurs confirmé la requérante dans les réponses du 8 décembre 2020.
339 Enfin, s’agissant de l’argument avancé par la République de Lituanie et tiré de ce que l’insuffisance des points de livraison concernés ne permettrait pas d’empêcher une segmentation des marchés gaziers baltes, il suffit de relever qu’elle n’a pas étayé son argument et, notamment, n’a pas indiqué quels points de livraison additionnels auraient permis de remédier à cette prétendue segmentation.
340 Partant, il y a lieu d’écarter le premier grief de la deuxième branche du troisième moyen.
b) Sur le caractère inadéquat des frais de service (deuxième grief)
341 La requérante, soutenue par la République de Pologne, la République de Lituanie et Overgas, estime que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en acceptant les frais prévus au point 15 des engagements finaux (ci-après les « frais de service »), en ce qu’ils seraient excessifs et, partant, rendraient impossible, dans des conditions normales de marché, toute modification rentable du point de livraison.
342 En premier lieu, ce caractère excessif résulterait du fait que les frais de service sont établis à un niveau fixe, détaché des coûts réellement supportés par Gazprom. Or, ces coûts seraient influencés par divers éléments, variant, en particulier, selon que les capacités de transport sont déjà réservées ou selon que le gaz est transporté sur des réseaux gaziers appartenant au groupe Gazprom. La Commission aurait plutôt dû prévoir une méthode transparente de calcul desdits frais, comme des parties intéressées l’auraient relevé lors de la consultation du marché. En réalité, rien n’indiquerait que la Commission ait procédé à une analyse économique ou ait recueilli les données nécessaires. Sur ce point, la République de Lituanie et Overgas relèvent que les coûts de transport supportés par Gazprom seraient minimes et en tout cas inférieurs au niveau desdits frais.
343 En deuxième lieu, contrairement à ce que soutiendrait la Commission, la requérante estime avoir étayé suffisamment le caractère excessif du niveau des frais de service, puisqu’elle aurait exposé des éléments économiques à ce sujet dans le cadre de la consultation du marché. Par ailleurs, selon Overgas, l’évolution du montant de ces frais, qui auraient été réduits significativement, de l’ordre de 30 %, entre les engagements initiaux et ceux finaux, confirmerait également leur niveau excessif et le besoin de transparence.
344 En troisième lieu, Overgas soutient que le paiement de tout frais réduit l’efficacité des engagements, de sorte que ces engagements auraient essentiellement consisté à remplacer un obstacle, à savoir les refus catégoriques de Gazprom de modifier les points de livraison, par un autre obstacle, à savoir le paiement de ces frais. En effet, le fait qu’une modification d’un point de livraison soit ordinairement payante ne saurait justifier le paiement de frais de service en l’espèce et Gazprom aurait dû offrir des modifications à titre gratuit, compte tenu de sa responsabilité particulière en tant qu’entreprise dominante.
345 En quatrième lieu, les objectifs contradictoires assignés aux engagements relatifs aux points de livraison confirmeraient le niveau excessif des frais de service. D’un côté, le considérant 172 de la décision attaquée indique que l’objectif de ces engagements serait de « davantage intégrer les marchés gaziers d’Europe centrale et orientale et de surmonter l’isolation infrastructurelle des marchés gaziers dans les pays baltes et en Bulgarie ». Cet objectif laisserait entendre que lesdits frais devraient être fixés à un niveau permettant un commerce régulier entre grossistes, afin de diversifier durablement l’approvisionnement en gros des marchés gaziers bulgares et baltiques. D’un autre côté, il ressortirait du considérant 174 de cette décision que les modifications des points de livraison seraient intéressantes uniquement si les prix devaient « significativement diverger » entre les PECO concernés.
346 Pour leur part, la Commission et Gazprom estiment que les frais de service sont adéquats, de sorte que le présent grief devrait être écarté. Gazprom renvoie, à l’appui de son argumentation, à divers éléments figurant dans son étude économique, lesquels ont été contestés dans l’étude économique de la requérante.
347 À cet égard, il ressort du dossier que, pour déterminer les frais de service, la Commission et Gazprom ont initialement envisagé une approche fondée sur une estimation des coûts d’un transport du gaz entre des paires de points de livraison, illustrée dans [confidentiel], laquelle approche s’est avérée complexe et donnait lieu à des frais de service très élevés.
348 C’est en raison de ces frais de service très élevés que la Commission et Gazprom ont par la suite opté pour une autre approche en remplacement, à savoir une fixation de ces frais d’une manière telle qu’ils permettent des arbitrages de prix (price arbitrage) et qu’ils constituent uniquement une partie mineure du prix du gaz livré à un nouveau point. Il en est résulté les frais de service prévus au point 15 des engagements finaux, fixés à 0,76 et à 1,52 euros/MWh (mégawatt-heure) selon la combinaison de points de livraison concernée, lesquels frais avaient été réduits par rapport à ceux prévus dans les engagements initiaux (voir considérant 151 de la décision attaquée).
349 Or, il convient de noter que, s’agissant en particulier des frais de service de 0,76 euro/MWh pour une modification du point de livraison entre la Pologne et l’un des pays baltes, à savoir les seuls frais de service pouvant concerner la requérante, ces frais correspondent, selon la Commission, et sans que cela soit contesté par la requérante, à environ [confidentiel] du prix du gaz payé par cette dernière en 2017 et en 2018, à savoir une période durant laquelle ce prix avait convergé avec ceux applicables en Europe occidentale. Ce constat ressort également des évolutions de prix figurant dans le graphique no 1 figurant dans le mémoire en défense (reproduit ci-après), puisque ce graphique reflète [confidentiel].
350 À ce niveau de frais de service, en supposant des prix alignés entre la Pologne et les pays baltes et correspondant au prix du gaz payé par la requérante en 2017 et en 2018, une modification du point de livraison serait rentable dès que les prix en Pologne et dans les pays baltes divergeraient de plus de [confidentiel] par rapport audit prix de 2017 et de 2018, sans préjudice d’éventuels coûts additionnels et d’une marge pour le client concerné revendeur.
[confidentiel]
351 En outre, il ressort également de ce graphique no 1 que, entre 2009 et 2017, les prix du gaz dans les PECO concernés ont [confidentiel]. Un constat similaire ressort de l’« évaluation contrefactuelle » figurant dans l’étude économique de Gazprom.
352 Partant, des modifications du point de livraison pourraient être rentables dans certaines circonstances similaires à celles exposées dans ledit graphique, sans préjudice d’éventuels coûts additionnels et d’une marge pour le client concerné revendeur. À cet égard, la requérante n’a qu’évoqué de potentiels coûts d’entrée, mais sans chiffrer ces derniers ni d’autres coûts éventuels.
353 Par ailleurs, il y a lieu de souligner, ainsi qu’il a déjà été fait au point 334 ci-dessus, que les engagements relatifs aux points de livraison visent à pallier des défaillances en termes d’infrastructures qui ne sont pas, en tant que telles, de la responsabilité de Gazprom. Ce constat implique que, à l’aune des préoccupations qu’elle avait exposées en ce qui concerne les refus passés de Gazprom de modifier un point de livraison, si la Commission pouvait exiger un mécanisme tel que celui prévu par les engagements relatifs aux points de livraison, elle n’avait pas à garantir que ces engagements permettent des opérations d’arbitrage de prix comparables à celles pouvant se présenter lorsque des infrastructures transfrontières existent.
354 Eu égard à ce qui précède, le Tribunal considère que la Commission pouvait, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, accepter les frais de service prévus au point 15 des engagements finaux au regard de l’objectif des engagements relatifs aux points de livraison, figurant au considérant 174 de la décision attaquée, selon lequel ceux-ci doivent pouvoir répondre à des situations dans lesquelles les prix devaient « significativement diverger » entre les marchés gaziers des PECO concernés.
355 Cette conclusion n’est pas remise en cause par les autres arguments avancés par la requérante et par la République de Lituanie, la République de Pologne et Overgas, intervenant à son soutien.
356 Premièrement, en ce que la requérante fait valoir qu’une comparaison avec une période antérieure à l’adoption de la décision attaquée, et, en particulier, avec la période allant de 2009 à 2014, n’est pas appropriée dès lors que les prix du gaz auraient été excessifs, d’une part, il convient de noter que le caractère adéquat des frais de service doit s’apprécier en fonction de l’écart des prix entre les PECO concernés plutôt que du niveau de ces prix. D’autre part, il ressort du graphique no 1 mentionné ci-dessus que, y compris durant une période de convergence avec les prix d’Europe occidentale (tels que représentés par la courbe « TTF – month ahead »), à savoir en particulier [confidentiel], permettant des arbitrages de prix. En tout état de cause, il ne saurait être attendu des engagements relatifs aux points de livraison qu’ils permettent des arbitrages de prix dans des circonstances dans lesquelles les prix des PECO sont concurrentiels et ne divergent pas.
357 En ce qu’Overgas a soutenu, lors de l’audience, que les frais de service deviendraient inadéquats en cas de chute des prix du gaz, telle que la chute de 40 % qui aurait été observée en Bulgarie au cours de la procédure contentieuse, il convient de souligner que les engagements relatifs aux points de livraison permettent de tirer profit d’une situation telle qu’une chute de prix dans un des PECO concernés, qui ne serait pas reproduite dans un autre PECO concerné, cette divergence pouvant précisément permettre un arbitrage de prix.
358 Deuxièmement, s’agissant de l’argument selon lequel il serait convenu de favoriser des frais de service fondés sur les coûts réels effectivement supportés par Gazprom pour procéder à des modifications de points de livraison, le Tribunal note que la Commission ne semble pas avoir envisagé une telle méthode, en apparence raisonnable, ni avoir cherché à déterminer, à tout le moins de manière approximative, le niveau de ces coûts réels, compte tenu de facteurs tels que les coûts de transmission ou d’équilibrage.
359 Toutefois, compte tenu de sa large marge d’appréciation dans le cadre d’une procédure d’engagements, il était loisible à la Commission d’accepter des frais de service fixes, au regard des avantages en termes de transparence et de prévisibilité, permettant des arbitrages de prix. De plus, à supposer même que les coûts réels liés à une modification du point de livraison soient inférieurs auxdits frais, cette circonstance n’est pas de nature à remettre en cause leur caractère adéquat, pour autant que des modifications du point de livraison soient possibles et rentables en cas de divergences significatives des prix entre PECO concernés.
360 Troisièmement, dans la mesure où la requérante et Overgas soulignent les risques liés à l’hypothèse où les coûts réels seraient supérieurs à ces frais, de sorte que Gazprom facturerait ces coûts plutôt que les frais de service fixes, il convient de souligner que Gazprom est tenue de présenter les preuves documentaires desdits coûts et qu’un éventuel désaccord entre Gazprom et le client concerné pourra être porté devant le mandataire chargé du suivi des engagements finaux [voir points 15, 16 et 32, sous vi), des engagements finaux].
361 Quatrièmement, s’agissant de l’argument selon lequel une modification du point de livraison devrait être offerte gratuitement par Gazprom, il suffit de souligner que la Commission n’a jamais remis en cause, y compris au stade de la formulation de ses préoccupations dans la CG, le droit pour Gazprom de facturer à ses clients le coût d’une telle modification (voir, en particulier, point 883 de la CG).
362 Cinquièmement, s’agissant de la prétendue contradiction de motifs entre les considérants 172 et 173 de la décision attaquée, il n’est pas exclu que l’affirmation figurant au considérant 172 de cette décision, selon laquelle les engagements relatifs aux points de livraison « constitueront un moyen efficace de davantage intégrer les marchés gaziers d’Europe centrale et orientale », soit emphatique. Toutefois, cette affirmation n’est pas de nature à remettre en cause la légalité de la décision attaquée, puisqu’elle ne constitue pas le support nécessaire au dispositif de cette décision (voir, en ce sens, ordonnance du 28 janvier 2004, Pays-Bas/Commission, C‑164/02, EU:C:2004:54, point 21).
363 Partant, il y a lieu d’écarter le deuxième grief de la deuxième branche du troisième moyen.
c) Sur la limitation inappropriée quant à la durée des contrats (troisièmegrief)
364 Selon la requérante et la République de Lituanie, la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en acceptant que les engagements relatifs aux points de livraison s’appliquent uniquement aux contrats d’une durée d’au moins 18 mois, puisque cela rendrait ces engagements ineffectifs pour des clients lituaniens de Gazprom, qui ne concluraient pas, ordinairement, de contrats d’une durée supérieure à une année. De plus, les contraintes liées à ces engagements n’inciteraient pas Gazprom à revoir ladite durée à la hausse.
365 La Commission considère que le présent grief doit être écarté.
366 Le Tribunal observe que les engagements relatifs aux points de livraison imposent une période de livraison à un nouveau point d’au moins 12 mois et prévoient un délai de mise en œuvre (lead-time) d’au moins 4 mois pour l’exécution d’une demande de modification du point de livraison (voir point 10, deuxième alinéa, et point 11 des engagements finaux). Il ressort du considérant 173 de la décision attaquée que la Commission a considéré que ces exigences étaient proportionnées à l’aune des contraintes techniques liées à une modification d’un point de livraison.
367 Or, la requérante et la République de Lituanie n’ont pas remis en cause le fait que ces durées de 12 et de 4 mois, à savoir 16 mois au total, soient proportionnées compte tenu desdites contraintes techniques. Au regard de cette période de 16 mois, la Commission pouvait, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, réserver les modifications de points de livraison aux contrats d’une durée d’au moins 18 mois.
368 Par ailleurs, il convient de relever que, si des grossistes qui étaient clients de Gazprom au 23 avril 2015 devaient à l’avenir conclure des contrats d’une durée d’au moins 18 mois, ils pourraient se prévaloir des engagements relatifs aux points de livraison, nonobstant le fait que leurs contrats actuels ne dureraient ordinairement qu’une année [voir point 4, sous le titre « Eligible Customer » (client éligible), et point 9 des engagements finaux]. En ce que la République de Lituanie soutient que ces engagements n’incitent pas Gazprom à conclure des contrats d’une durée d’au moins 18 mois, il suffit de constater que, en l’absence de préoccupations concurrentielles relatives aux contrats à court terme, la Commission n’avait pas à imposer à Gazprom de proposer des contrats d’une durée d’au moins 18 mois.
369 Pour le surplus, il convient d’écarter l’argument de la requérante selon lequel le délai de mise en œuvre de 4 mois permettrait à Gazprom d’offrir de meilleures conditions au grossiste achetant du gaz provenant d’un autre PECO concerné, puisqu’une telle situation résulterait de l’arbitrage de prix et du jeu de la concurrence précisément habilité par la possibilité de modifier un point de livraison.
370 Partant, il y a lieu d’écarter le troisième grief de la deuxième branche du troisième moyen.
d) Sur la condition inappropriée quant au volume minimal de gaz (quatrième grief)
371 La requérante et la République de Lituanie font valoir que le volume minimal de gaz requis pour demander une modification du point de livraison, fixé à 50 millions de mètres cubes, est trop élevé eu égard aux volumes qui pourraient faire l’objet d’une modification du point de livraison. En effet, une telle modification ne serait accessible qu’aux grossistes importants et nécessiterait que ces derniers puissent espérer pouvoir acquérir des parts de marché substantielles dans le marché desservi par le nouveau point de livraison, ce qui rendrait ces engagements totalement illusoires. Ainsi, ce volume minimal représenterait au moins 10 % des besoins annuels des grossistes baltes les plus importants et, selon l’étude économique de la requérante, correspondrait, en termes de consommation de gaz, à 17 % du marché estonien, à 12 % du marché letton et à 3 % du marché lituanien.
372 Par ailleurs, les clients concernés souhaitant revendre leur gaz ne disposeraient pas, en pratique, de volumes excédentaires importants, de sorte qu’une modification du point de livraison impliquerait en réalité une commande additionnelle à Gazprom pour parvenir au seuil de 50 millions de mètres cubes de gaz, alors même que la revente liée à cette modification serait incertaine, puisque, par exemple, Gazprom pourrait refuser ladite modification en cas de manque de capacités de transport.
373 La Commission considère que le présent grief doit être écarté.
374 À cet égard, il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort du considérant 173 de la décision attaquée, la Commission a considéré que ces exigences étaient proportionnées à l’aune des contraintes techniques liées à une modification d’un point de livraison et compte tenu de la taille des marchés gaziers en cause. Or, si la requérante et la République de Lituanie contestent, en substance, le caractère proportionné du volume minimal de 50 millions de mètres cubes prévu au point 20 des engagements finaux à l’aune de la taille des marchés gaziers des pays baltes, elles n’ont pas remis en cause les considérations relatives auxdites contraintes.
375 Ensuite, il importe de souligner que, comme les trois pays baltes disposent de capacités d’interconnexion importantes, ainsi que l’a fait valoir la Commission sans être contestée sur ce point, et ainsi qu’il ressort du point 138 de la CG, il y a lieu de tenir compte de leur consommation totale en gaz. Or, le volume minimal de 50 millions de mètres cubes ne représentait en 2018 que 1,25 % de cette consommation totale, de sorte que la Commission pouvait considérer, comme elle l’a fait au considérant 173 de la décision attaquée, que ce volume était proportionné compte tenu de la taille de ces marchés pris ensemble.
376 Pour le surplus, l’argument de la requérante quant aux volumes excédentaires insuffisants pour tirer profit d’une modification du point de livraison ne saurait justifier de conclure au caractère inadéquat du volume minimal, puisque les choix faits par ces clients relatifs à l’utilisation de volumes initialement achetés à Gazprom ou à l’achat de volumes additionnels relèvent de leur responsabilité. En tout état de cause, il convient de noter que les clients établis dans les pays baltes pourraient potentiellement se fournir en gaz auprès d’autres grossistes dans ces pays, compte tenu des interconnexions entre lesdits pays relevées au point précédent et de l’existence d’un terminal de gaz naturel liquide en Lituanie (ainsi qu’évoqué au point 135 de la CG).
377 Eu égard à ce qui précède, et compte tenu également des considérations exposées aux points 334 et 335 ci-dessus, il convient de conclure que les engagements relatifs aux points de livraison ne sont pas entachés d’une erreur manifeste d’appréciation en ce qui concerne l’exigence relative au volume minimal de gaz requis pour demander une modification du point de livraison. Partant, il y a lieu d’écarter le quatrième grief de la deuxième branche du troisième moyen.
e) Sur la prise en compte insuffisante des conditions de marché en Bulgarie (cinquième grief)
378 Overgas considère que les engagements relatifs aux points de livraison sont inadéquats à l’aune des préoccupations concurrentielles concernant l’isolement du marché bulgare et de l’objectif de la Commission de modifier durablement la structure de ce marché. Ces engagements n’amélioreraient ni la sécurité ni la diversification de l’approvisionnement en gaz en Bulgarie étant donné que, en réalité, ils permettraient uniquement une substitution de la fourniture de gaz russe par des importateurs bulgares par la fourniture de gaz russe par des exportateurs slovaques ou hongrois.
379 Selon Overgas, Gazprom aurait dû s’engager, premièrement, à permettre non seulement des modifications du point de livraison du gaz russe, mais également des échanges entre du gaz russe et du gaz naturel liquide, deuxièmement, à établir des plateformes de négoce du gaz aux frontières entre la Russie, l’Ukraine et la Biélorussie et, troisièmement, à s’abstenir d’entraver la mise en œuvre de mesures de diversification de l’approvisionnement en gaz. La Commission aurait, à tort, refusé d’envisager des mesures de ce type en considérant qu’elles se situaient hors du champ de son enquête dans l’affaire AT.39816.
380 En tout état de cause, les engagements relatifs aux points de livraison ne permettraient pas de répondre aux préoccupations se situant dans le champ de l’enquête tel que défini par la Commission, dès lors que les clients concernés souhaitant fournir du gaz en Bulgarie ne seraient ni capables ni incités à transporter le gaz vendu au-delà des points de livraison à Negru Vodă (Roumanie). En effet, le contrat de transport conclu entre Bulgartransgaz et Gazprom réserverait 99,5 % des capacités de transport en Bulgarie en faveur de cette dernière, ce qui empêcherait les grossistes d’autres PECO concernés de transporter leur gaz entre un point donné de Negru Vodă et les clients éventuels en Bulgarie. De plus, le contrat de fourniture de gaz conclu entre Gazprom et Bulgargaz prévoirait une obligation ferme d’achat (obligation « take or pay ») pour des volumes considérables de gaz, qui représenteraient une part importante des besoins en Bulgarie et, partant, un obstacle de taille à l’entrée pour ces grossistes. Enfin, les clients bulgares seraient généralement liés par des contrats de fourniture à long terme avec leur fournisseur actuel, en l’occurrence Bulgargaz, de sorte qu’ils ne constitueraient pas une clientèle disponible pour lesdits grossistes.
381 La Commission considère, à titre principal, que le présent grief est irrecevable, comme cela est déjà évoqué aux points 303 et 321 ci-dessus, et, à titre subsidiaire, qu’il est non fondé.
382 Dans ses réponses du 26 novembre 2020, Overgas a contesté cette irrecevabilité et a fait valoir, en substance, que la jurisprudence permettait aux parties intervenantes d’avancer un large éventail d’arguments et que l’ensemble de ses arguments étaient directement liés à l’objet du litige. L’interprétation de cet objet retenue par la Commission priverait de toute utilité les mémoires en intervention, puisque les parties intervenantes devraient se borner à répéter les arguments des parties principales.
383 À cet égard, il convient de relever que, nonobstant le fait que la requérante s’est focalisée sur l’impact pour la Pologne des engagements relatifs aux points de livraison, Overgas met en cause le caractère adéquat de ces mêmes engagements dans le présent grief, de sorte qu’il n’excède pas l’objet du litige et doit être considéré comme recevable.
384 S’agissant du bien-fondé de ce grief, le Tribunal observe que, en ce qu’Overgas aurait souhaité des engagements assurant une diversification des sources d’approvisionnement en gaz, afin de remédier à la dépendance de la Bulgarie au gaz russe, de tels engagements excèdent, ainsi que l’a relevé la Commission, la portée des engagements relatifs aux points de livraison telle que définie par les préoccupations concurrentielles exposées dans la CG. Ces préoccupations ne concernaient pas une diversification des sources de gaz, mais portaient, en particulier, sur la stratégie de Gazprom visant à éviter que son gaz russe fourni par l’un de ses clients se retrouve en concurrence avec son gaz russe fourni par d’autres de ses clients [voir, notamment, point 250 de la CG et considérant 160 de la décision attaquée, qui évoque une « Russian-on-Russian gas competition » (concurrence entre gaz russes)].
385 De plus, s’agissant de la réservation par Gazprom de 99,5 % des capacités du réseau de Bulgartransgaz, il convient de relever que la Commission a indiqué, sans être contestée sur ce point par Overgas, que cette réservation concernait les points d’entrée de Negru Vodă et était couverte par l’obligation, prescrite à l’avant-dernier alinéa du point 15 des engagements finaux, pour Gazprom d’utiliser ses réservations de capacité existantes.
386 En outre, s’agissant des obligations fermes d’achat prétendument imposées à Bulgargaz, il suffit de noter que, bien qu’elle ait examiné l’existence d’obligations de ce type dans la CG, la Commission n’a pas retenu de préoccupations concurrentielles à cet égard, ainsi qu’il ressort du considérant 134 de la décision attaquée. De plus, ces obligations fermes d’achat n’empêchent pas les clients concernés de Gazprom situés en Slovaquie ou en Hongrie de revendre des volumes de gaz à d’autres grossistes que Bulgargaz.
387 Enfin, l’argument relatif aux contrats à long terme liant les clients bulgares en aval doit être écarté, dès lors que ces contrats ne relèvent pas des préoccupations concurrentielles exposées dans la CG. De plus, Overgas n’explique pas en quoi d’éventuelles déficiences sur ces marchés seraient imputables à Gazprom, ni quels engagements cette entreprise aurait pu prendre pour remédier aux effets de contrats auxquels elle n’est pas partie.
388 Eu égard à ce qui précède, il convient de considérer que la Commission n’a pas commis l’erreur manifeste d’appréciation alléguée par Overgas, tirée de ce qu’elle aurait insuffisamment tenu compte des conditions de marché en Bulgarie. Partant, il y a lieu d’écarter le cinquième grief de la deuxième branche du troisième moyen.
f) Sur l’absence de prise en compte de l’évolution probable et prévisible de la politique de transit de Gazprom (sixième grief)
389 Selon Overgas, les engagements relatifs aux points de livraison ne tiennent pas dûment compte de l’évolution probable et prévisible de la politique de transit de Gazprom, compte tenu particulièrement de la construction des gazoducs Nord Stream 2 et TurkStream, alors que cette évolution aurait des implications directes sur l’efficacité de ces engagements. De plus, les incertitudes quant à la mise en service de ces gazoducs ne sauraient justifier cette déficience, eu égard aux intentions notoires de Gazprom et à l’instabilité caractérisant le secteur du gaz.
390 En ce qui concerne plus particulièrement la Bulgarie, la Commission aurait dû envisager, lors de l’élaboration des engagements, l’hypothèse selon laquelle Gazprom déciderait, à terme, de ne pas prolonger son contrat de transit avec l’entreprise ukrainienne Naftogaz et, à la place, d’acheminer son gaz jusqu’à un nouveau point de livraison à la frontière turco-bulgare. Or, la République de Turquie n’est pas un membre de la communauté de l’énergie, de sorte que les points de livraison situés sur le territoire de cet État échapperaient au droit de l’Union.
391 La Commission considère, à titre principal, que le présent grief est irrecevable et, à titre subsidiaire, dénué de fondement.
392 À cet égard, pour les motifs exposés au point 383 ci-dessus, et dès lors que le présent grief d’Overgas concerne les engagements relatifs aux points de livraison, il convient de considérer qu’il est recevable.
393 S’agissant du bien-fondé de ce grief, dans la mesure où la requérante soutient qu’une prétendue évolution de la « politique de transit » de Gazprom risque de rendre caduques les combinaisons prévues au point 15 des engagements finaux, il convient de relever, comme le fait à juste titre la Commission, que les engagements relatifs aux points de livraison prévoient la possibilité de remplacer l’un des points de livraison concernés par un autre si Gazprom cesse d’utiliser le point de livraison initial (point 10, quatrième alinéa, des engagements finaux).
394 De plus, la circonstance qu’un nouveau point de livraison se situe hors du territoire de l’Union ou de celui des membres de la communauté de l’énergie ne remet pas en cause l’efficacité des engagements, puisque cette efficacité ne dépend pas du respect du droit de l’Union par le gestionnaire de réseau du pays tiers en cause, mais résulte de leur caractère obligatoire pour Gazprom.
395 Par ailleurs, à supposer qu’Overgas cherche, par le présent grief, à faire valoir que la Commission aurait dû prévoir des engagements concernant spécifiquement la construction et la mise en œuvre des gazoducs Nord Stream 2 et TurkStream, il suffit de rappeler que la CG n’inclut pas de préoccupations concurrentielles relatives à ces gazoducs.
396 Enfin, dans la mesure où la mise en œuvre desdits gazoducs impliquerait une évolution significative du comportement de Gazprom sur les marchés gaziers des PECO concernés, il convient de noter que cette circonstance pourrait constituer un changement important dans l’un des faits sur lesquels repose la décision attaquée et donc permettre à la Commission, conformément à l’article 9, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1/2003, de rouvrir la procédure administrative. Pour autant, ladite circonstance ne constitue pas un élément permettant de considérer que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en ce qui concerne les engagements relatifs aux points de livraison.
397 Partant, il y a lieu d’écarter le sixième grief de la deuxième branche du troisième moyen.
398 En ce que, lors de l’audience, Overgas a souligné que les engagements relatifs aux points de livraison étaient inadéquats à l’aune d’une appréciation globale des défauts et des omissions avancés dans les six griefs examinés ci-dessus, il convient de constater que chacun de ces griefs a été écarté et que, même pris ensemble, ils ne permettent pas de conclure que l’acceptation de ces engagements est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation, nonobstant le fait que les clients concernés de Gazprom ne puissent recourir à des modifications du point de livraison que dans certaines circonstances particulières.
399 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu d’écarter la deuxième branche du troisième moyen comme étant non fondée dans son intégralité.
3. Sur la troisième branche du troisième moyen, relative au caractère inadéquat des engagements relatifs au réseau gazier bulgare
400 Selon Overgas, les engagements relatifs au réseau gazier bulgare, tels que prévus aux points 7 et 8 des engagements finaux, constituent une réponse inadéquate aux préoccupations concurrentielles à cet égard. En premier lieu, la Commission aurait structuré ces préoccupations en deux catégories de restrictions reprochées à Gazprom, à savoir les restrictions entravant les exportations de gaz depuis la Bulgarie et celles entravant les importations de gaz vers ce pays. Or, ainsi qu’il ressortirait des considérants 167 à 169 de la décision attaquée, les engagements relatifs au réseau gazier bulgare remédieraient uniquement aux restrictions entravant les importations de gaz vers la Bulgarie.
401 En deuxième lieu, les engagements relatifs au réseau gazier bulgare seraient inadéquats en ce qu’ils porteraient atteinte aux principes fondamentaux de la réglementation de l’Union relative au secteur gazier. En effet, le contrat de fourniture de gaz conclu entre Gazprom et Bulgargaz contiendrait des clauses contraires au principe, prévu par la directive sur le gaz, de séparation des activités de gestionnaire de réseau de transport de celles de production ou d’approvisionnement en gaz. Or, lesdits engagements n’imposeraient pas la suppression de ces clauses.
402 En troisième lieu, Overgas estime que les engagements relatifs au réseau gazier bulgare ne respectent pas les exigences prévues au paragraphe 128 des bonnes pratiques ni celles prévues par la jurisprudence, selon lesquelles des engagements doivent être directement applicables et, lorsqu’ils ne peuvent pas être mis en œuvre sans l’accord d’un tiers, l’entreprise concernée doit fournir une preuve de l’accord de ce tiers. En particulier, contrairement à ces exigences, ces engagements prévoiraient expressément l’obtention de l’accord de tiers, en l’occurrence Bulgargaz et Bulgartransgaz [voir point 7, sous a) et b), des engagements finaux], et seraient tributaires du respect de diverses conditions par Bulgartransgaz [voir point 7, sous i) à iii), des engagements finaux]. De plus, la Commission n’aurait pas demandé à Gazprom de produire des preuves de la volonté de ces deux entreprises de coopérer dans la mise en œuvre de ces engagements.
403 En quatrième lieu, les engagements relatifs au réseau gazier bulgare seraient encore inadéquats en ce qu’ils seraient ambigus. En effet, le libellé des points pertinents de ces engagements n’établirait pas clairement les obligations de Gazprom et laisserait trop de place à l’interprétation, ce qui, par ailleurs, rendrait difficile le suivi de la mise en œuvre des engagements finaux par le mandataire désigné à cet effet.
404 Quant à la Commission, elle considère, à titre principal, que cette branche est irrecevable, comme cela a déjà été évoqué aux points 303 et 321 ci-dessus. À titre subsidiaire, elle conteste le bien-fondé de l’argumentation d’Overgas.
405 Selon la jurisprudence déjà rappelée au point 114 ci-dessus, l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice, applicable au Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, dudit statut, et l’article 142, paragraphe 1, du règlement de procédure de ce dernier doivent être interprétés en ce sens qu’une partie admise à intervenir à un litige soumis au juge de l’Union ne peut pas modifier l’objet du litige tel que circonscrit par les conclusions et les moyens des parties principales. Il s’ensuit que, si une telle partie peut faire état d’arguments différents de ceux de la partie principale qu’elle soutient, seuls ses arguments qui s’inscrivent dans le cadre défini par ces conclusions et ces moyens sont recevables.
406 En l’espèce, en premier lieu, force est de constater que le recours formé par la requérante se focalise sur la situation concurrentielle en Pologne et l’impact, sur les marchés gaziers de ce pays, des engagements ayant une portée transversale. En effet, les arguments avancés par la requérante dans ses écritures, et, en particulier, dans le cadre du troisième moyen, tendent à contester le caractère adéquat des engagements relatifs aux restrictions territoriales en ce qu’ils concernent la Pologne. De plus, la requérante n’a pas invoqué d’arguments concernant spécifiquement le caractère inadéquat des engagements relatifs au réseau gazier bulgare.
407 En second lieu, contrairement aux autres engagements relatifs aux restrictions territoriales, qui sont contestés par la requérante, à savoir les engagements relatifs aux restrictions de revente et de réexport (points 5 et 6 des engagements finaux) et ceux relatifs aux points de livraison (section 1.2 et points 9 à 17 des engagements finaux), les engagements relatifs au réseau gazier bulgare concernent essentiellement les marchés gaziers de la Bulgarie et ne sont pas de nature à s’appliquer dans plusieurs PECO concernés. À cet égard, les engagements relatifs au réseau gazier bulgare, inscrits sous l’intitulé « Changes to the Bulgarian Gas System » (Modifications au système gazier bulgare), sont présentés de manière distincte et comme étant indépendants des autres engagements relatifs aux restrictions territoriales. De manière analogue, dans la décision attaquée, lesdits engagements relatifs au réseau gazier bulgare, examinés dans la section 7.1.2 de cette décision, sous le titre « The Commitment dealing with the Bulgarian gas system » (L’engagement traitant le système gazier bulgare), sont traités séparément des deux autres catégories d’engagements relatifs aux restrictions territoriales, lesquelles sont examinées dans les sections 7.1.1 et 7.1.3 de ladite décision, sous les titres « The Commitment to remove territorial restrictions and measures of an effect equivalent to such restrictions » (L’engagement à retirer les restrictions territoriales et les mesures d’effet équivalent à ces restrictions) et « The Commitment dealing with the changes of gas delivery points » (L’engagement traitant les modifications de points de livraison du gaz).
408 À cet égard, Overgas n’a pas exposé en quoi, le cas échéant, les engagements relatifs au réseau gazier bulgare seraient liés aux autres engagements finaux ayant une portée géographique couvrant plusieurs PECO concernés. Il ne ressort pas de l’argumentation présentée par Overgas, en particulier dans ses réponses du 26 novembre 2020, que l’éventuel caractère inadéquat des engagements relatifs au réseau gazier bulgare aurait nécessairement des conséquences sur le caractère adéquat des autres engagements finaux, en particulier de ceux relatifs aux restrictions territoriales.
409 Ce constat n’est pas remis en cause par l’affirmation de la requérante selon laquelle les arguments avancés par Overgas portent sur des erreurs de la Commission qui concernent également des marchés gaziers dans des PECO autres qu’en Bulgarie. En effet, la requérante se limite essentiellement à réitérer certains des arguments d’Overgas, en soulignant qu’ils s’apparentent à ceux qu’elle a elle-même avancés concernant les engagements relatifs aux pratiques tarifaires, sans toutefois exposer comment lesdits arguments permettraient de démontrer le caractère inadéquat des engagements finaux, au-delà des engagements relatifs au réseau gazier bulgare.
410 Ainsi, contrairement à ce que soutient Overgas, il y a lieu de considérer que, compte tenu de la teneur des arguments avancés par la requérante et de la portée géographique des engagements relatifs au réseau gazier bulgare, l’objet du litige n’est pas déterminé, en l’espèce, par la portée de la décision attaquée dans son ensemble et par l’intégralité des préoccupations concurrentielles auxquelles devaient répondre les engagements finaux.
411 Il découle de ce qui précède que l’argumentation d’Overgas contestant le caractère adéquat des engagements relatifs au réseau gazier bulgare excède l’objet du litige et, partant, que la troisième branche du troisième moyen doit être écartée comme étant irrecevable.
412 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu d’écarter le troisième moyen dans son intégralité comme étant en partie non fondé et en partie irrecevable.
E. Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation de l’article 194, paragraphe 1, TFUE, lu conjointement avec l’article 7 TFUE, en ce que la décision attaquée serait contraire aux objectifs de la politique énergétique de l’Union compte tenu de l’incidence négative de cette décision sur le marché européen de la fourniture de gaz
413 La requérante, soutenue par la République de Pologne, la République de Lituanie et Overgas, souligne que les objectifs de la politique énergétique de l’Union, qui sont énoncés à l’article 194, paragraphe 1, TFUE et dans divers documents publiés par les institutions de l’Union, incluent en particulier, s’agissant du secteur du gaz, la diversification des sources d’approvisionnement et des voies de transport du gaz ainsi que la garantie de la liberté des flux gaziers entre États membres à un prix équitable et concurrentiel. De plus, l’article 194, paragraphe 1, TFUE établirait un principe de solidarité énergétique.
414 Ainsi, la Commission aurait été tenue de tenir compte des objectifs de la politique énergétique de l’Union en adoptant la décision attaquée, puisqu’elle aurait pris des mesures déterminant la structure et les conditions prévalant sur les marchés gaziers de l’Union pour une période de huit années au moins, lesquelles mesures auraient dû, en vertu de l’article 7 TFUE, faire l’objet d’une « évaluation complète » vérifiant leur cohérence avec ces objectifs. De même, la décision attaquée devrait être soumise à un contrôle juridictionnel impliquant, au-delà des exigences déjà énoncées par le juge de l’Union concernant des décisions adoptées au titre de l’article 9 du règlement no 1/2003, l’examen de sa conformité avec l’article 194 TFUE.
415 Par ailleurs, les considérations retenues par le Tribunal dans l’arrêt du 10 septembre 2019, Pologne/Commission (T‑883/16, EU:T:2019:567, points 70 à 73), confirmeraient la position soutenue par la requérante. En particulier, il en ressortirait que le principe de solidarité, plutôt que d’être limité à des situations extraordinaires, comporterait également une obligation générale, pesant sur l’Union et sur ses États membres, dans le cadre de l’exercice de leurs compétences respectives, de tenir compte des intérêts des autres acteurs. De plus, ce principe serait distinct des éventuelles exigences particulières s’imposant à la Commission dans l’adoption de décisions fondées sur des dispositions de droit dérivé. Ainsi, en vue de l’adoption de la décision attaquée, la Commission aurait dû non seulement vérifier le caractère adéquat des engagements, mais également mettre en balance l’intérêt de l’Union avec ceux des États membres affectés par les pratiques de Gazprom.
416 Or, la décision attaquée serait contraire aux objectifs de la politique énergétique et au principe de solidarité énergétique ainsi que dénuée de motivation sur ces points, ce qui serait d’autant plus consternant que la Commission aurait entériné l’application des engagements finaux pour une période de huit années sans prévoir le moindre mécanisme permettant leur adaptation rapide en fonction de l’évolution des marchés gaziers. De plus, l’approche prônée par la Commission reviendrait à permettre que son activité quasi réglementaire en l’espèce ne soit pas évaluée à l’aune d’autres objectifs pourtant définis dans le traité FUE et lui permettrait de neutraliser la réalisation des objectifs établis dans l’article 194 TFUE. En particulier, la requérante souligne ce qui suit :
– premièrement, la Commission n’aurait pas assez tenu compte de la dépendance des PECO concernés aux importations de gaz et de l’influence problématique de Gazprom sur les infrastructures gazières approvisionnant et contournant cette région, alors que cette situation serait incompatible avec le « troisième paquet énergie », qui exigerait une séparation entre les activités de gestion de réseau et celles de production ou de fourniture de gaz ;
– deuxièmement, la Commission aurait fait abstraction de diverses pratiques de Gazprom dont elle aurait eu connaissance et, de ce fait, aurait refusé de tenir compte des intérêts de certains États membres, de sorte que rien n’aurait été fait concernant les réductions de fourniture de gaz empêchant les réexportations vers l’Ukraine durant l’hiver 2014/2015 ainsi que les actions visant à bloquer la mise en place de flux inversés aux frontières entre la Pologne et l’Ukraine et entre la Slovaquie et l’Ukraine ;
– troisièmement, la Commission aurait accepté des frais de service totalement déconnectés des coûts réels supportés par Gazprom pour une modification d’un point de livraison ;
– quatrièmement, la décision attaquée ne serait pas conforme aux objectifs de la politique énergétique de l’Union en ce que les engagements finaux renforceraient la différence de traitement entre les marchés des PECO concernés et ceux d’Europe occidentale.
417 Pour sa part, la Commission considère que le quatrième moyen doit être écarté comme étant non fondé.
418 Aux termes de l’article 7 TFUE, l’Union veille à la cohérence entre ses différentes politiques et actions, en tenant compte de l’ensemble de ses objectifs et en se conformant au principe d’attribution des compétences. Ces objectifs incluent ceux énoncés à l’article 194, paragraphe 1, TFUE, à savoir notamment les objectifs d’assurer la sécurité d’approvisionnement énergétique dans l’Union et de promouvoir l’interconnexion des réseaux énergétiques.
419 Dans le domaine de la concurrence, le juge de l’Union a déjà considéré que des objectifs poursuivis par d’autres dispositions du traité pouvaient être pris en compte dans la détermination de l’existence d’une restriction de concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 4 octobre 2011, Football Association Premier League e.a., C‑403/08 et C‑429/08, EU:C:2011:631, point 139 et jurisprudence citée) ou dans l’appréciation des conditions d’exemption de l’article 101, paragraphe 3, TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 25 octobre 1977, Metro SB-Großmärkte/Commission, 26/76, EU:C:1977:167, point 43, du 15 juillet 1994, Matra Hachette/Commission, T‑17/93, EU:T:1994:89, point 139, et du 11 juillet 1996, Métropole télévision e.a./Commission, T‑528/93, T‑542/93, T‑543/93 et T‑546/93, EU:T:1996:99, point 118).
420 Il s’ensuit que, s’agissant d’une procédure en application de l’article 9 du règlement no 1/2003, la Commission pourrait, dans le cadre de son évaluation préliminaire, tenir compte d’objectifs poursuivis par d’autres dispositions du traité en particulier pour conclure, à titre provisoire, à l’absence d’infraction aux règles de concurrence (voir, en ce sens, arrêt du 9 décembre 2020, Groupe Canal +/Commission, C‑132/19 P, EU:C:2020:1007, points 46 à 54). Toutefois, en ce qui concerne l’examen d’engagements, la Commission se limite à vérifier, d’une part, si ces engagements répondent aux préoccupations dont elle a informé l’entreprise concernée et, d’autre part, si cette dernière n’a pas offert d’engagements moins contraignants répondant d’une façon aussi adéquate à ces préoccupations (voir, en ce sens, arrêt Alrosa, points 40 et 41, et arrêt Morningstar, point 45), même si la procédure ne saurait aboutir à un résultat qui serait contraire aux dispositions spécifiques des traités (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 19 septembre 2000, Allemagne/Commission, C‑156/98, EU:C:2000:467, point 78 et jurisprudence citée, et du 15 avril 2008, Nuova Agricast, C‑390/06, EU:C:2008:224, point 50 et jurisprudence citée).
421 En l’espèce, il ressort des éléments exposés au point 416 ci-dessus que, en réalité, la requérante reproche essentiellement à la Commission d’avoir refusé d’enquêter sur certains comportements préoccupants de Gazprom dans le secteur du gaz ainsi que d’avoir accepté des engagements insuffisants ou inadéquats au regard des pratiques de cette entreprise exposées dans la CG.
422 Or, en ce que la requérante conteste les engagements finaux parce qu’ils remédieraient de manière insuffisante auxdites pratiques, cette critique a déjà été écartée, en substance, dans le cadre du traitement des premier à troisième moyens du présent recours. Pour le reste, dans le cadre de son enquête ouverte d’office dans l’affaire AT.39816, la Commission n’était pas tenue, aux fins de prendre en compte des objectifs de la politique énergétique de l’Union, d’enquêter sur davantage de pratiques de Gazprom, ni d’exiger des engagements plus contraignants de la part de cette dernière. L’éventuelle prise en compte de ces objectifs dans l’application des règles de concurrence de l’Union ne saurait justifier d’imposer à la Commission de telles obligations positives.
423 Par ailleurs, en ce que la requérante soutient que les engagements finaux seraient, en tant que tels, contraires aux objectifs de la politique énergétique ou au principe de solidarité énergétique, elle ne le démontre pas. En effet, contrairement à ce qu’elle laisse entendre, la décision attaquée et ces engagements ne figent pas la situation sur les marchés en cause et n’empêchent aucunement les institutions de l’Union ou les États membres d’agir par d’autres voies pour répondre aux problèmes identifiés par elle. En particulier, les institutions de l’Union ou les autorités nationales de régulation dans le secteur du gaz peuvent intervenir afin de modifier la réglementation dans ce secteur ou, le cas échéant, afin d’assurer le respect de cette réglementation, éventuellement dans le sens souhaité par la requérante.
424 À cet égard, il peut être relevé que le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont, le 17 avril 2019, adopté la directive (UE) 2019/692, modifiant la directive 2009/73 (JO 2019, L 117, p. 1), laquelle vise notamment, en vertu de son considérant 3, à traiter des obstacles à l’achèvement du marché intérieur du gaz naturel qui découlent de la non-application, avant son adoption, des règles du marché de l’Union aux conduites de transport de gaz à destination et en provenance de pays tiers.
425 En outre, les autorités nationales de la concurrence peuvent enquêter sur des pratiques prétendument anticoncurrentielles de Gazprom, dont, comme il est rappelé au point 133 ci-dessus, les pratiques visées par les préoccupations concurrentielles de la Commission en l’espèce.
426 Enfin, contrairement à ce que fait valoir la requérante, la Commission pourrait, le cas échéant, faire usage de la possibilité, prévue à l’article 9, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1/2003, de rouvrir la procédure si l’un des faits sur lesquels la décision repose subissait un changement important, notamment en cas d’évolution des marchés gaziers.
427 Pour le surplus, dans la mesure où la requérante soutient que la Commission devait motiver la décision attaquée sur la question de sa conformité avec l’article 194, paragraphe 1, TFUE, ce grief doit être écarté. En effet, eu égard à la jurisprudence en matière de motivation des actes, rappelée au point 121 ci-dessus, il ne saurait être attendu de la Commission qu’elle expose systématiquement les raisons pour lesquelles la décision attaquée est conforme à l’ensemble des dispositions spécifiques des traités qui, sans constituer la base juridique de l’acte juridique en cause, auraient potentiellement un lien avec le contexte factuel et juridique encadrant cet acte, en particulier lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, la partie requérante n’a pas, au cours de la procédure administrative ayant abouti à la décision attaquée, avancé d’observations relatives à la contrariété des engagements initiaux à cette disposition.
428 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu d’écarter le quatrième moyen comme étant non fondé.
F. Sur le cinquième moyen, tiré d’une violation de l’article 18, paragraphe 1, TFUE et du principe d’égalité de traitement, en ce que la Commission aurait opéré une discrimination entre les clients de Gazprom actifs dans les États membres d’Europe occidentale et ceux actifs dans les PECO concernés
429 La requérante, soutenue par la République de Pologne, soutient que la décision attaquée entraîne une violation du principe d’égalité de traitement. Cette décision, qui aurait un impact indirect sur le degré de mise en œuvre de la libre prestation de services ainsi que de la libre circulation des marchandises et des capitaux, entraînerait une discrimination entre les clients ayant conclu un contrat de fourniture de gaz à long terme avec Gazprom en fonction de leur nationalité, en ce que les clients établis dans les PECO concernés seraient traités différemment de ceux établis en Europe occidentale.
430 En effet, les clients de Gazprom dans les PECO concernés seraient dans une situation comparable à celle des clients de Gazprom situés en Europe occidentale, étant donné que, outre le fait que ces deux groupes de clients s’approvisionneraient auprès de Gazprom, ils seraient tous établis dans des États membres et la réglementation de l’Union ne prévoirait aucune distinction entre ces deux régions. Par ailleurs, ce constat serait encore corroboré par le libellé des orientations tarifaires, lequel fait référence au niveau des prix en Europe occidentale continentale. Enfin, la Commission aurait elle-même confirmé, dans la CG, que tous ces clients seraient dans des situations similaires.
431 Or, alors qu’il n’existerait aucune raison objective de traiter différemment tous ces clients, les engagements finaux renforceraient la différenciation entre lesdits clients en maintenant des conditions de marché moins concurrentielles sur les marchés des PECO concernés par rapport à ceux d’Europe occidentale. En particulier, les clients de Gazprom dans les PECO concernés ne seraient pas protégés contre le retour de prix excessifs, contrairement aux clients d’Europe occidentale qui, bien qu’également soumis à des formules tarifaires indexées aux prix de produits pétroliers, échapperaient à ce risque en raison de la concurrence entre fournisseurs de gaz sur ces marchés d’Europe occidentale.
432 Pour sa part, la Commission considère que le cinquième moyen doit être écarté comme étant non fondé.
433 Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le principe d’égalité de traitement ou de non-discrimination requiert que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêts du 26 juillet 2017, AGC Glass Europe e.a./Commission, C‑517/15 P, non publié, EU:C:2017:598, point 84 et jurisprudence citée, et du 12 juillet 2018, Prysmian et Prysmian Cavi e Sistemi/Commission, T‑475/14, EU:T:2018:448, point 144 et jurisprudence citée).
434 En l’espèce, nonobstant les considérations avancées par la requérante et la République de Pologne et à supposer même qu’il soit possible de classer en deux groupes les clients de Gazprom établis dans divers États membres, il y a lieu de constater que les situations dans lesquelles se trouvaient les clients établis dans les PECO concernés et ceux établis en Europe occidentale n’étaient pas comparables.
435 En effet, il ressort de l’enquête menée par la Commission dans le cadre de l’affaire AT.39816, et, plus particulièrement, des constatations préliminaires figurant dans la CG et non contestées par la requérante et la République de Pologne, que la situation sur les marchés gaziers européens différait significativement entre l’Europe occidentale et les PECO concernés. En particulier, alors que les entreprises établies dans les pays d’Europe occidentale pouvaient s’approvisionner en gaz auprès d’entreprises autres que Gazprom et que les réseaux gaziers de ces pays étaient interconnectés, les PECO concernés étaient, dans une large mesure, dépendants du gaz fourni par Gazprom et les gazoducs d’approvisionnement avaient été conçus pour aller de l’est vers l’ouest (voir, en particulier, points 121, 136, et 489 à 491 de la CG).
436 Cette conclusion n’est pas remise en cause par le constat, figurant au point 488 de la CG, selon lequel « les marchés gaziers de l’UE [à l’exception de Chypre et Malte] et des PECO peuvent être considérés comme étant suffisamment comparables », en raison de la proximité géographique et des similitudes dans l’environnement réglementaire. Certes, la Commission avait relevé un certain degré de comparabilité entre les PECO et le reste de l’Union, mais, d’une part, cela s’inscrivait dans un contexte de comparaison des prix du gaz en Europe par rapport à ceux pratiqués aux États-Unis et, d’autre part, la Commission avait également constaté que la situation concurrentielle des marchés nationaux dans l’Union présentait des différences importantes.
437 Par ailleurs, s’agissant des orientations tarifaires prévues au point 19, sous iii), des engagements finaux (examinées en particulier dans le cadre de la troisième branche du troisième moyen ci-dessus), leur renvoi aux prix concurrentiels appliqués en Europe occidentale infirme, plutôt qu’il ne confirme, le constat que les clients de Gazprom dans cette région étaient dans une situation comparable à celle des clients dans les PECO concernés. En effet, si tous ces clients actifs dans l’Union avaient été dans une situation comparable, il n’aurait pas été nécessaire de prévoir un tel engagement, visant spécifiquement à maintenir ou à garantir un rapprochement entre les prix applicables aux clients dans les PECO concernés et ceux applicables aux clients actifs en Europe occidentale.
438 Pour le surplus, dans la mesure où la requérante fait valoir que les engagements finaux renforceraient une différenciation entre les clients actifs dans les PECO concernés et ceux actifs en Europe occidentale, il convient de noter que, en adoptant les engagements finaux, la Commission ne devait pas avoir pour objectif d’offrir aux premiers des conditions de marché égales à celles dans lesquelles opèrent les seconds, mais de s’assurer que ces engagements répondent aux préoccupations concurrentielles identifiées.
439 Il en découle que, les clients de Gazprom actifs en Europe occidentale et ceux actifs dans les PECO concernés s’étant trouvés dans des situations différentes pendant la période couverte par la procédure dans l’affaire AT.39816, la Commission n’a pas, contrairement à ce que soutient la requérante, irrégulièrement traité de manière différente ces deux groupes de clients en adoptant la décision attaquée.
440 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu d’écarter le cinquième moyen comme étant non fondé.
G. Sur le sixième moyen, tiré d’un détournement de pouvoir et d’une violation des formes substantielles, en ce que, par la décision attaquée, la Commission aurait méconnu l’objectif de l’article 9 du règlement no 1/2003 ainsi que les limites de ses pouvoirs dans la gestion de la procédure administrative
441 La requérante, soutenue par la République de Pologne, fait valoir que la décision attaquée procéderait d’un détournement de pouvoir et serait entachée de violations de divers droits procéduraux, voire de formes substantielles, dans le cadre du traitement de la plainte. Le détournement de pouvoir serait démontré par une série de faits ayant caractérisé le déroulement de la procédure dans l’affaire AT.39816, par des irrégularités dans le traitement des griefs Yamal et par lesdites violations.
442 La Commission considère que le sixième moyen doit être écarté comme étant non fondé.
443 Il convient d’examiner, successivement, les faits invoqués, les prétendues irrégularités et les prétendues violations de droits procéduraux, avant d’apprécier l’existence d’un éventuel détournement de pouvoir.
1. Sur les faits caractérisant le déroulement de la procédure dans l’affaire AT.39816
444 La requérante, soutenue par la République de Pologne, fait valoir que trois faits seraient révélateurs de l’existence d’un détournement de pouvoir. Premièrement, il s’agirait des changements de position de la Commission, entre 2013 et 2017, quant à la possibilité de recourir à des engagements, lesquels, dans le contexte de l’espèce, susciteraient des doutes quant à l’appréciation de la « véritable volonté », au sens du paragraphe 121 des bonnes pratiques, de Gazprom d’offrir des engagements.
445 Deuxièmement, la requérante souligne l’encadrement inhabituel de la décision attaquée par des communiqués et des déclarations publiques exagérant les effets bénéfiques de cette décision, qui viseraient dès lors à détourner l’attention des irrégularités qui auraient été commises.
446 Troisièmement, l’accomplissement de certaines étapes de la procédure comme de « simples formalités » attesterait encore du détournement de pouvoir allégué. D’une part, les observations reçues à l’issue de la consultation du marché auraient été écartées dans la mesure où elles excédaient la portée des engagements initiaux de Gazprom et seules des modifications mineures auraient été apportées dans les engagements finaux. D’autre part, l’envoi (tardif) de la lettre d’intention de rejet et l’accord sur les engagements de Gazprom qui serait intervenu seulement neuf jours ouvrables après la réception des observations de la requérante en réponse à cette lettre démontreraient que la Commission avait préalablement arrêté sa position et ne poursuivait plus des objectifs de politique de la concurrence.
447 Pour sa part, la Commission conteste la matérialité de ces allégations.
448 À cet égard, le Tribunal constate que les deux premiers faits évoqués par la requérante ne sont pas, en soi, inhabituels ou particuliers. En effet, premièrement, la Commission est en droit de modifier sa position en cours de procédure quant à la possibilité de recourir à des engagements, ce que la requérante admet elle-même, de sorte que, en tant que telle, cette circonstance n’est pas de nature à susciter des doutes quant à la validité de l’appréciation de la véritable volonté de Gazprom d’offrir des engagements.
449 Deuxièmement, la publication de communiqués de presse dans le cadre de procédures de concurrence est expressément prévue, ainsi qu’il résulte des paragraphes 20, 76, 91, 129 et 147 des bonnes pratiques, et des déclarations du membre de la Commission chargé de la concurrence à l’issue d’une procédure de concurrence ne sauraient être considérées comme déplacées, en particulier dans une affaire aux conséquences importantes, puisqu’elle concernait huit États membres et un secteur énergétique majeur. En outre, il n’est pas allégué que le contenu des communiqués et des déclarations relatifs à la décision attaquée ne soit pas conforme à celle-ci.
450 Par ailleurs, s’agissant de l’accomplissement de certaines étapes de la procédure dans l’affaire AT.39816 prétendument comme de « simples formalités », d’une part, il y a lieu de relever qu’il ressort de la décision attaquée que les observations reçues dans le cadre de la consultation du marché ont été prises en considération. Cela n’est pas remis en cause, au contraire, par le fait que la Commission précise expressément, dans cette décision, avoir écarté certaines observations au motif qu’elles excédaient la portée des engagements initiaux.
451 D’autre part, quant à l’affirmation selon laquelle les engagements finaux auraient été acceptés sans prise en considération de la réponse de la requérante à la lettre d’intention de rejet, au regard du délai de seulement neuf jours ouvrables qui se serait écoulé entre la réception de cette réponse par la Commission et son acceptation de ces engagements, il suffit de constater que cette affirmation repose sur une assimilation incorrecte de la réception des engagements finaux, ayant eu lieu le 15 mars 2018, à l’acceptation ultérieure de ceux-ci. Il ne saurait en être déduit que la Commission aurait immédiatement accepté ces engagements et, en tout état de cause, à ce stade avancé de la procédure, il ne peut être exclu que celle-ci ait pu être en mesure d’examiner ladite réponse et de prendre position sur celle-ci ainsi que sur lesdits engagements dans un tel délai.
2. Sur les irrégularités commises relativement au traitement des griefs Yamal
452 Le détournement de pouvoir allégué par la requérante et la République de Pologne serait également démontré par les diverses irrégularités qui caractériseraient le traitement des griefs Yamal et, en particulier, l’appréciation de l’adéquation des engagements de Gazprom. Par ailleurs, à plusieurs égards, la Commission tenterait de justifier a posteriori ces irrégularités.
453 Premièrement, il s’agirait de l’acceptation des engagements finaux alors même que, en violation de l’article 9 du règlement no 1/2003, ils ne couvraient pas l’ensemble des préoccupations exposées dans la CG, de sorte que la Commission aurait essentiellement autorisé Gazprom à ne pas présenter d’engagements quant aux griefs Yamal. À cet égard, la Commission aurait apprécié l’adéquation des engagements de manière manifestement incorrecte, car elle aurait omis des circonstances pertinentes, ainsi que l’illustrerait l’appréciation faite de la décision de certification, qui serait contraire à la teneur de cette décision et en contradiction avec la position exprimée par le président de l’Office polonais durant la consultation du marché.
454 Deuxièmement, la requérante invoque l’atteinte portée aux droits des tiers par la modification arbitraire de fait des préoccupations concurrentielles, sans adaptation de la CG, conjuguée à la longueur excessive de la procédure, alors que les possibilités d’agir devant les autorités de la concurrence et les juridictions nationales auraient été paralysées du fait que la Commission aurait examiné, en apparence, les griefs Yamal.
455 Troisièmement, dès lors que le rejet de la plainte aurait reposé sur une conception de l’exception de l’action étatique qui, en tant qu’elle admettrait l’application de cette exception en cas de contrainte exercée par un État tiers, aurait des implications sur l’effectivité du droit de l’Union, la Commission aurait dû fonder sur l’article 10 du règlement no 1/2003 tant la décision attaquée en l’espèce que la décision de rejet de la plainte dans l’affaire AT.40497.
456 Quatrièmement, la République de Pologne souligne l’insuffisance, voire le caractère trompeur, des raisons justifiant l’abandon des préoccupations concurrentielles relatives au gazoduc Yamal, en ce que cet abandon aurait été justifié par l’applicabilité de l’exception de l’action étatique, alors qu’il ne serait fait qu’une allusion laconique et insuffisante à cette exception dans la décision attaquée. En réalité, cette décision motiverait ledit abandon essentiellement par certaines constatations figurant dans la décision de certification.
457 Cinquièmement, la République de Pologne soutient que la Commission a induit en erreur les États membres en omettant de soumettre la question de l’exception de l’action étatique au comité consultatif, en violation du principe de coopération loyale ainsi que, selon la requérante, de l’article 14 du règlement no 1/2003. En ce sens, la requérante allègue une violation de l’article 27, paragraphe 4, de ce règlement, en ce que les parties intéressées auraient également été induites en erreur concernant les véritables motifs ayant conduit la Commission à abandonner les griefs Yamal.
458 Pour sa part, la Commission conteste ces irrégularités. S’agissant de l’argumentation fondant la cinquième irrégularité, elle serait irrecevable étant donné que, en tant qu’elle est avancée par la République de Pologne, elle serait étrangère au sixième moyen et altérerait l’objet du litige et, en tant qu’elle est reprise et développée par la requérante, elle constituerait un moyen nouveau.
459 À cet égard, le Tribunal considère que, par la première irrégularité invoquée, la requérante réitère, en substance, des griefs traités dans le cadre de la première branche du premier moyen. Cette branche ayant été écartée (voir points 86 à 110 ci-dessus), il convient de considérer que cette irrégularité n’est pas établie.
460 En ce qui concerne la deuxième irrégularité invoquée, relative à l’atteinte portée aux droits des tiers par la modification de fait des préoccupations concurrentielles, conjuguée à la longueur excessive de la procédure, cette irrégularité correspond, en substance, au grief tiré d’une violation du principe de coopération loyale, qui a été écarté dans le cadre de la seconde branche du premier moyen, et, partant, ladite irrégularité doit être écartée comme étant non fondée. En outre, dans la mesure où la deuxième irrégularité serait tirée d’une prétendue durée excessive de la procédure dans l’affaire AT.39816, il suffit de constater que la requérante, d’une part, n’a pas démontré que cette procédure aurait dépassé un délai raisonnable et, d’autre part, n’a pas fait état d’indices selon lesquels cette prétendue durée excessive aurait eu une incidence sur la solution adoptée dans la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2014, Bolloré/Commission, C‑414/12 P, non publié, EU:C:2014:301, point 84 et jurisprudence citée).
461 S’agissant de la troisième irrégularité invoquée, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 10 du règlement no 1/2003, lorsque l’intérêt public de l’Union concernant l’application des articles 101 et 102 TFUE le requiert, la Commission, agissant d’office, peut constater par voie de décision que l’article 101 TFUE est inapplicable à un accord, une décision d’association d’entreprises ou une pratique concertée soit parce que les conditions prévues à l’article 101, paragraphe 1, TFUE ne sont pas remplies, soit parce que les conditions prévues à l’article 101, paragraphe 3, TFUE sont remplies. La Commission peut également faire une telle constatation en ce qui concerne l’article 102 TFUE. De plus, il ressort du considérant 14 de ce règlement que l’article 10 du règlement no 1/2003 a vocation à s’appliquer dans des cas exceptionnels, afin de clarifier le droit et d’en assurer une application cohérente dans l’Union.
462 Il en résulte que la Commission n’était aucunement tenue d’adopter une décision au titre de l’article 10 du règlement no 1/2003, même à supposer que l’application qu’elle avait fait de l’exception de l’action étatique, à savoir dans une situation impliquant un État tiers, ait été novatrice ou particulière et ait entraîné l’inapplication de l’article 102 TFUE. Partant, il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir adopté la décision attaquée également sur le fondement de cet article.
463 En ce qui concerne la quatrième irrégularité invoquée, relative à une insuffisance de motivation de la décision attaquée, il convient de rappeler que, dans le cadre du traitement de la seconde branche du premier moyen, le Tribunal a considéré que la motivation, figurant au considérant 138 de la décision attaquée, relative au motif lié à la décision de certification était suffisante et que, compte tenu du caractère autonome de chacun des deux motifs figurant à ce considérant, les arguments relatifs à l’insuffisance de motivation du second motif, lié aux accords Pologne-Russie et tiré d’une application de l’exception de l’action étatique, étaient inopérants (voir points 123 et 124 ci-dessus). Il résulte encore de ce caractère autonome des deux motifs que l’argument de la requérante selon lequel, contrairement à ce qui ressortirait dudit considérant, le motif principal de l’abandon des griefs Yamal serait celui lié auxdits accords et à ladite exception, et non celui lié à la décision de certification, doit également être écarté.
464 Enfin, s’agissant de la cinquième irrégularité, elle comporte, en substance, deux arguments distincts, tirés de ce que, à défaut d’avoir expressément exposé qu’elle se prévalait de l’application de l’exception de l’action étatique, la Commission aurait induit en erreur, d’une part, les États membres, en violation du principe de coopération loyale et de l’article 14 du règlement no 1/2003, et, d’autre part, les parties intéressées, en violation de l’article 27, paragraphe 4, de ce règlement.
465 Sans qu’il soit nécessaire de traiter de la recevabilité de ces deux arguments, il convient, en tout état de cause, de constater qu’ils doivent être écartés comme étant non fondés. En effet, s’agissant de l’argument tiré de ce que la Commission aurait induit en erreur les États membres, il convient d’examiner conjointement les prétendues violations du principe de coopération loyale et de l’article 14 du règlement no 1/2003, dès lors que, en ce qui concerne les relations qui s’établissent dans le cadre des procédures menées par la Commission en application des articles 101 et 102 TFUE, les modalités de mise en œuvre de l’obligation de coopération loyale ont notamment été précisées aux articles 11 à 16 de ce règlement, dans son chapitre IV, intitulé « Coopération » (voir, en ce sens, arrêt du 29 mars 2012, Espagne/Commission, T‑398/07, EU:T:2012:173, point 47).
466 À cet égard, si la consultation du comité consultatif prévue à l’article 14 du règlement no 1/2003 constitue une formalité substantielle, il ne saurait être question en l’espèce d’un comportement ayant empêché ce comité de rendre son avis en pleine connaissance de cause, ni, donc, d’une violation affectant la légalité de la décision attaquée. En effet, s’il est vrai que la notion d’exception de l’action étatique n’y apparaît pas expressément, il reste que le libellé de la dernière phrase du considérant 138 de l’avant-projet de décision envoyé au comité consultatif, lequel avant-projet était identique à la décision attaquée, permettait de comprendre l’essentiel du motif lié aux accords Pologne-Russie, à savoir que la Commission doutait de l’imputabilité à Gazprom des griefs Yamal. En outre, le cas échéant, les représentants des États membres auraient pu, à l’occasion de la consultation dudit comité, émettre des réserves sur les motifs d’abandon de ces griefs et interroger la Commission, en particulier, sur la manière de comprendre ou sur le manque de substance du motif avancé dans cette dernière phrase. Partant, le comité consultatif n’a pas été induit en erreur sur un point essentiel par des inexactitudes ou des omissions (voir, en ce sens, arrêts du 10 juillet 1991, RTE/Commission, T‑69/89, EU:T:1991:39, points 21 à 23 ; du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T‑25/95, T‑26/95, T‑30/95 à T‑32/95, T‑34/95 à T‑39/95, T‑42/95 à T‑46/95, T‑48/95, T‑50/95 à T‑65/95, T‑68/95 à T‑71/95, T‑87/95, T‑88/95, T‑103/95 et T‑104/95, EU:T:2000:77, point 742, et du 12 décembre 2018, Servier e.a./Commission, T‑691/14, sous pourvoi, EU:T:2018:922, points 148 et 149 et jurisprudence citée).
467 En tout état de cause, dès lors que, ainsi qu’il ressort de l’examen du premier moyen, l’abandon des griefs Yamal repose également sur le motif lié à la décision de certification, lequel est susceptible de justifier à lui seul cet abandon et est suffisamment motivé, la violation invoquée ne saurait prospérer, puisque l’insuffisance alléguée de motivation relative au motif lié aux accords Pologne-Russie n’aurait pas eu d’incidence sur l’issue de la consultation.
468 S’agissant de l’argument tiré de ce que la Commission aurait induit en erreur les parties intéressées dans le cadre de la consultation du marché, cette prétendue irrégularité ne relève pas, en l’espèce, de la violation des formes substantielles, étant donné que, en particulier, cette consultation n’est pas expressément prévue par les traités et vise des tierces parties intéressées, et non l’entreprise concernée par la procédure de concurrence.
469 Pour le reste, il convient de rappeler que, selon l’article 27, paragraphe 4, du règlement no 1/2003, la Commission n’est tenue que de publier un résumé succinct de l’affaire et le principal contenu des engagements ou de l’orientation proposée. En l’espèce, la Commission a respecté cette obligation en publiant au Journal officiel la communication, évoquée au point 10 ci-dessus, déclenchant la consultation du marché. De plus, il ressort de la documentation publiée sur le site Internet de la Commission relativement à cette consultation, et, spécifiquement, de la fiche d’information évoquée par la requérante et concernant la Pologne, que la Commission avait fait part de l’abandon des griefs Yamal, lequel pouvait déjà se déduire du silence à ce sujet de la communication publiée au Journal officiel. La Commission y avait également précisé que cet abandon s’expliquait par le fait que la procédure de concurrence n’était pas susceptible de faire évoluer la situation en raison de l’impact des accords Pologne-Russie.
470 Il découle de ce qui précède qu’aucune des irrégularités invoquées par la requérante et la République de Pologne n’est fondée.
3. Sur la violation de divers droits procéduraux, voire de formes substantielles, dans le cadre du traitement de la plainte
471 La requérante, soutenue par la République de Pologne, soutient que, dans le cadre du traitement de la plainte, la Commission a violé certains des droits procéduraux qu’elle tirait de sa qualité de plaignante. Or, le respect de certains de ces droits constituerait une forme substantielle à laquelle était tenue la Commission. À cet égard, la requérante et la République de Pologne font valoir, en substance, quatre violations.
472 La Commission conteste avoir commis ces violations. En outre, elle soutient que la requérante peut faire valoir tout grief concernant le respect de ses droits procéduraux dans le cadre du recours contre la décision de rejet de la plainte dans l’affaire T‑399/19.
a) Sur l’ouverture prétendument irrégulière d’une procédure distincte pour l’examen de la plainte (première violation)
473 La requérante dénonce l’ouverture irrégulière d’une procédure distincte (affaire AT.40497) pour examiner la plainte, dans le but de l’empêcher de participer à l’affaire AT.39816 en tant que plaignante, en « transférant » de la sorte ses droits dans une procédure parallèle. Cette façon de procéder serait en contradiction avec le contenu de la plainte, en tant qu’il renvoyait à l’affaire AT.39816, avec la substance des agissements concernés, eu égard en particulier à l’important chevauchement entre la plupart des allégations de la plainte et les préoccupations de la Commission, ainsi qu’avec la pratique administrative de cette dernière.
474 Or, initialement, les lettres de la Commission des 29 et 31 mars 2017 auraient fait naître une confiance légitime quant à la participation de la requérante à l’affaire AT.39816, en raison de l’indication selon laquelle la Commission retenait la plainte pour examen et de l’invitation à participer à la consultation du marché, ainsi que le prévoit le point 129 des bonnes pratiques à l’égard d’un plaignant. En outre, nonobstant la mention, figurant au paragraphe 183 de la décision attaquée, selon laquelle « [l]a Commission a également analysé avec soin tous les arguments […] présentés dans [la] plainte […] ainsi que dans les observations […] en réponse à la lettre [d’intention de rejet] », la Commission n’entendait pas effectivement examiner la plainte et prendre celle-ci en considération dans l’affaire AT.39816.
475 La Commission considère que la violation alléguée n’est pas fondée.
476 À cet égard, le Tribunal rappelle que, selon une jurisprudence constante, la Commission, investie par l’article 105, paragraphe 1, TFUE, de la mission de veiller à l’application des articles 101 et 102 TFUE, est appelée à définir et à mettre en œuvre la politique de la concurrence de l’Union et dispose à cet effet d’un pouvoir discrétionnaire dans le traitement des plaintes. Afin de s’acquitter efficacement de cette tâche, elle est ainsi en droit d’accorder des degrés de priorité différents aux plaintes dont elle est saisie (voir arrêt du 16 mai 2017, Agria Polska e.a./Commission, T‑480/15, EU:T:2017:339, point 34 et jurisprudence citée). Dans le même sens, il convient de reconnaître à la Commission un pouvoir d’appréciation quant à la manière dont elle entend organiser le traitement d’une plainte, pour autant qu’elle respecte les dispositions pertinentes du règlement no 773/2004 et, en particulier, les droits qui sont reconnus aux plaignants en cette qualité.
477 En l’espèce, il est constant entre les parties que la plainte comporte des allégations qui correspondent dans une large mesure aux préoccupations concurrentielles qui faisaient l’objet de l’enquête de la Commission en cours dans l’affaire AT.39816 et avaient été exposées dans la CG. Dans ces conditions, il n’est pas exclu qu’il ait été souhaitable de traiter lesdites allégations dans le cadre de la même procédure, sans préjudice de la faculté de dissocier les autres allégations ne correspondant pas auxdites préoccupations.
478 Cela étant, cette circonstance ne suffit pas à remettre en cause les motifs légitimes avancés par la Commission, tirés d’une économie de procédure et de sa volonté de ne pas retarder l’instruction d’une affaire qui se trouvait à un stade avancé en élargissant son objet, de sorte qu’il convient de considérer que l’ouverture, en l’espèce, d’une procédure distincte pour le traitement de la plainte n’était pas irrégulière en soi.
479 Partant, il y a lieu d’écarter l’argument relatif à cette ouverture prétendument irrégulière.
b) Sur la violation de l’article 5, paragraphe 1, et de l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 773/2004 (deuxième et troisième violations)
480 En premier lieu, la requérante reproche à la Commission de ne s’être jamais prononcée sur son intérêt légitime à participer à l’affaire AT.39816. Concrètement, cette institution n’aurait, dans la décision attaquée, pas pris position, en violation de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, lu conjointement avec l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 773/2004, sur l’existence d’un intérêt légitime de la requérante à intervenir en tant que plaignante dans ladite procédure, alors que la lettre d’intention de rejet, envoyée quelques mois auparavant, précisait que la Commission n’avait pas encore statué sur cette question. Or, cet intérêt ne ferait aucun doute, notamment puisque la requérante avait été victime des pratiques de Gazprom et que ses locaux avaient été inspectés par les services de la Commission.
481 En second lieu, la requérante allègue une violation de l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 773/2004, qui lui conférait, en sa qualité de plaignante, le droit de recevoir et de faire des observations sur la CG, ce qu’elle avait demandé à plusieurs reprises au cours de la procédure administrative. En effet, la Commission a refusé que ce droit soit exercé, au motif pris du dépôt tardif de la plainte, alors que, conformément à la jurisprudence, un plaignant disposerait dudit droit jusqu’à la consultation du comité consultatif. Or, cette question de la violation de ses droits au titre de l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 773/2004 concernerait bien la décision attaquée à l’issue de l’affaire AT.39816, car elle aurait ainsi été privée de la possibilité de faire valoir des observations sur les propositions d’engagements de Gazprom en ayant préalablement pris connaissance des éléments recueillis dans le cadre de l’enquête, ce qui aurait indûment restreint sa capacité à contester l’adéquation de ces engagements.
482 Partant, ce serait à tort que la Commission prétend avoir respecté l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 773/2004 en se prévalant de la transmission de la CG en annexe à la lettre d’intention de rejet, car cette transmission ne constituerait pas une exécution régulière de cette disposition pour différentes raisons. En effet, premièrement, la version non confidentielle transmise à cette occasion aurait été insuffisamment complète, deuxièmement, la transmission de la CG et l’examen des observations en réponse auraient dû précéder l’envoi de la lettre d’intention de rejet, troisièmement, cette transmission, ayant eu lieu après onze mois et dans le cadre de l’affaire AT.40497, à l’occasion de l’envoi de la lettre d’intention de rejet, impliquerait le refus d’examen de la plainte dans le cadre de l’affaire AT.39816 et aurait empêché la requérante de présenter des observations complémentaires dans le cadre de la consultation du marché, quatrièmement, les observations en réponse à la lettre d’intention de rejet avaient pour objet de commenter les motifs du rejet envisagé de la plainte, et non la CG, et, cinquièmement, la Commission aurait indiqué dans ses écritures déposées dans le cadre du recours dans l’affaire T‑399/19 que la CG n’avait pas servi de fondement à l’évaluation provisoire figurant dans la lettre d’intention de rejet, ce qui impliquerait que les observations de la requérante en réponse à cette lettre, en tant qu’elles concernaient la CG, auraient été considérées par la Commission comme dépourvues de pertinence, même dans le cadre de l’affaire AT.40497.
483 La Commission considère que les violations alléguées ne sont pas fondées.
484 Aux termes de l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 773/2004, les personnes physiques ou morales doivent faire valoir un intérêt légitime pour être habilitées à déposer une plainte aux fins de l’article 7 du règlement no 1/2003. Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, du même règlement, lorsque la Commission adresse une communication des griefs relative à une affaire au sujet de laquelle elle a été saisie d’une plainte, elle fournit au plaignant une copie de la version non confidentielle de la communication des griefs et lui impartit un délai pour faire connaître son point de vue par écrit.
485 En l’espèce, il y a lieu de constater que la requérante remplissait les conditions pour bénéficier des droits visés à l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 773/2004. En effet, d’une part, la Commission admet que la requérante, qui était concernée par les pratiques alléguées de Gazprom, avait un intérêt légitime à déposer la plainte et considère s’être implicitement prononcée sur cet intérêt dès lors que la décision dans l’affaire AT.40497 rejette la plainte pour des motifs de fond. D’autre part, il convient de considérer que la procédure dans l’affaire AT.39816 concerne « une affaire au sujet de laquelle » la Commission a été saisie de la plainte, étant entendu, ainsi que cela a été relevé au point 477 ci-dessus, qu’il est constant entre les parties que certaines des allégations présentées dans cette plainte correspondent dans une large mesure aux griefs exposés dans la CG.
486 En outre, s’il est vrai que la requérante a introduit la plainte à un stade avancé de la procédure dans l’affaire AT.39816, alors que, ayant été impliquée dans cette procédure à diverses occasions (voir point 4 ci-dessus), elle avait, à ce stade, connaissance de son existence depuis plusieurs années, cette circonstance ne remet pas en cause le bénéfice, pour cette partie, des droits visés à l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 773/2004. En effet, le droit de recevoir une version non confidentielle d’une communication des griefs peut être exercé tant que cette procédure est en cours, à savoir aussi longtemps que le comité consultatif en matière d’ententes et de positions dominantes n’a pas rendu son avis sur l’avant-projet de décision transmis par la Commission, dès lors que ladite disposition ne prévoit pas un délai spécifique pour qu’un plaignant justifiant d’un intérêt légitime exerce les droits consacrés à cette disposition (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 2006, Österreichische Postsparkasse und Bank für Arbeit und Wirtschaft/Commission, T‑213/01 et T‑214/01, EU:T:2006:151, points 148 et 149 et jurisprudence citée).
487 Ainsi, si la Commission pouvait, sans commettre d’erreur, ouvrir une procédure distincte pour traiter la plainte, ainsi qu’il a été exposé aux points 477 et 478 ci-dessus, il reste que cette manière de procéder ne saurait priver la requérante du bénéfice, dans le cadre de l’affaire AT.39816, des droits visés à l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 773/2004.
488 Or, force est de constater que, dans le cadre du déroulement en parallèle des procédures AT.39816 et AT.40497, la Commission a maintenu une ambiguïté quant à la participation de la requérante ainsi qu’à son droit à recevoir une copie de la CG et à déposer des observations relatives à ce document dans l’affaire AT.39816.
489 En effet, après le dépôt de la plainte, le 9 mars 2017, la Commission a informé la requérante de l’acceptation de cette plainte et l’a invitée, par lettre du 29 mars 2017, à participer à la consultation du marché, déclenchée le 16 mars de la même année dans le cadre de l’affaire AT.39816, pour, le 31 mars 2017, l’informer de l’enregistrement de la plainte dans une procédure distincte, à savoir dans l’affaire AT.40497. Par la suite, ayant été interpellée à diverses reprises par la requérante en vue d’obtenir une version non confidentielle de la CG, la Commission a réagi par lettres des 28 avril et 24 août 2017 et a soit indiqué que son appréciation à cet égard était en attente et qu’elle reprendrait contact avec la requérante le moment venu, soit simplement pris acte de la réitération de cette demande, mais toujours en relevant que la plainte avait été déposée à un « stade avancé » de l’affaire AT.39816.
490 Par la suite, par le biais de la lettre d’intention de rejet, du 23 janvier 2018, envoyée dans le cadre de l’affaire AT.40497, la Commission a communiqué une version non confidentielle de la CG, mais tout en soulignant qu’elle « laiss[ait] ouverte la question de savoir si la présentation tardive de la plainte […] avait une incidence sur la qualification des intérêts légitimes de la requérante ou sur ses droits à participer à la procédure dans l’affaire AT.39816 ». Enfin, ce n’est que postérieurement à l’adoption de la décision attaquée, le 24 mai 2018, que la Commission, par sa lettre du 25 septembre 2018, a répondu aux objections quant au caractère insuffisamment complet de la version non confidentielle de la CG que la requérante avait émises dans sa réponse à la lettre d’intention de rejet.
491 Dans ces circonstances, la requérante pouvait douter du fait que ses observations exposées dans la réponse à la lettre d’intention de rejet allaient être prises en compte au titre de l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 773/2004 dans le cadre de l’affaire AT.39816. Il convient de relever en particulier que la Commission a essentiellement refusé de se prononcer sur la qualité de plaignante de la requérante dans l’affaire AT.39816, que la transmission de la CG est expressément intervenue dans le cadre d’une lettre ayant pour objet l’affaire AT.40497, et non l’affaire AT.39816, et que la CG a été transmise en tant que l’un des documents sur lesquels la Commission fondait son appréciation provisoire selon laquelle la plainte devait être rejetée, sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, et de l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 773/2004, et non en vue de recueillir les observations écrites de la requérante au sujet de la CG, sur le fondement de l’article 6, paragraphe 1, de ce règlement.
492 Toutefois, ces circonstances n’ont pas été jusqu’à affecter l’exercice effectif des droits de la requérante au titre de l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 773/2004.
493 En effet, il convient de relever que, bien que la transmission de la CG ait été formellement faite sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, et de l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 773/2004, la requérante a effectivement pu disposer d’une version non confidentielle de cette CG et a pu, dans le cadre de sa réponse à la lettre d’intention de rejet, présenter des observations écrites portant, notamment, sur le contenu de cette version de la CG, et ce avant l’adoption de la décision attaquée en l’espèce. De plus, il convient de noter que, tout en contestant que les observations présentées dans cette réponse puissent être considérées comme constituant des observations écrites au sens de l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 773/2004, la requérante a néanmoins indiqué au point 3 de ladite réponse qu’elles incluaient une réévaluation approfondie des observations préalablement déposées dans le cadre de la consultation du marché et de la plainte, en vue de permettre à la Commission de clore l’enquête en matière de concurrence visant Gazprom par une décision qui améliorerait la situation concurrentielle dans les marchés des PECO concernés.
494 Par ailleurs, la Commission a pu prendre connaissance de ces observations dans le cadre de la procédure dans l’affaire AT.39816 et en a tenu compte dans le cadre de cette affaire, ainsi qu’il ressort des visas et des points 17 et 183 de la décision attaquée.
495 Ce dernier constat n’est pas remis en cause par les arguments de la requérante selon lesquels la Commission n’aurait pas véritablement tenu compte des observations incluses dans la réponse à la lettre d’intention de rejet étant donné qu’elle avait accepté les engagements de Gazprom seulement neuf jours ouvrables après la réception de cette réponse et que le rapport final du conseiller-auditeur dans l’affaire AT.39816 n’incluait aucune mention de la plainte. D’une part, ainsi qu’il a été constaté au point 451 ci-dessus, l’argument tiré du délai de neuf jours ouvrables repose sur une assimilation incorrecte de la date de réception des engagements finaux à celle, ultérieure, de l’acceptation de ceux-ci par la Commission. D’autre part, l’absence de mention de la plainte dans ledit rapport ne saurait suffire pour étayer la supposition selon laquelle la Commission n’avait pas examiné ladite réponse avec diligence, d’autant plus que ce rapport est validement focalisé sur le respect des droits procéduraux de Gazprom.
496 S’agissant encore du reproche de la requérante tiré du fait qu’elle aurait dû recevoir une version non confidentielle de la CG avant l’expiration du délai pour déposer ses observations, distinctes de sa réponse à la lettre d’intention de rejet, dans le cadre de la consultation du marché, il doit être écarté. En effet, il ne ressort ni de l’article 27, paragraphe 4, du règlement no 1/2003 ni de l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 773/2004 que la requérante aurait été en droit de recevoir une copie de la version non confidentielle de la CG en temps utile afin de lui permettre d’en tenir compte dans les observations qu’elle pouvait présenter dans le cadre de cette consultation. De plus, il convient de tenir compte du fait que la requérante a déposé la plainte quelques jours seulement avant le déclenchement de ladite consultation et du délai nécessaire à la préparation d’une version non confidentielle de la CG.
497 Enfin, en ce que la requérante a contesté le caractère suffisamment complet de la version non confidentielle de la CG, il y a lieu de rappeler, ainsi que cela a été relevé au point 50 ci‑dessus, que le Tribunal a porté la version confidentielle de celle-ci à la connaissance des représentants de la requérante après que ceux-ci avaient signé des engagements de confidentialité. Par la suite, ces représentants ont déposé leurs observations sur la version confidentielle de la CG, dans lesquelles ils ont identifié certains points pertinents de cette version et précisé comment, selon eux, ces points auraient pu être utilisés pour renforcer, développer ou confirmer les allégations formulées par la requérante au cours tant de la procédure administrative que de la présente procédure contentieuse devant le Tribunal.
498 Toutefois, il ressort des observations sur la version confidentielle de la CG que, si la requérante aurait pu être mieux informée sur les comportements précis reprochés à Gazprom, celle-ci disposait de l’essentiel des informations pertinentes et, en particulier, avait déjà connaissance de la teneur des pratiques anticoncurrentielles visées. Partant, à cet égard également, il convient de considérer que l’exercice effectif des droits de la requérante au titre de l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 773/2004 n’a pas été affecté.
499 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu d’écarter l’argument relatif à une violation de l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 773/2004.
c) Sur la violation des autres droits procéduraux attachés à la qualité de plaignant (quatrième violation)
500 La requérante allègue la violation de l’article 7, paragraphe 1, et de l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 773/2004, résultant de la communication, dans le cadre de la lettre d’intention de rejet, d’informations insuffisantes concernant l’application en l’espèce de l’exception de l’action étatique et concernant les documents sur lesquels la Commission se serait fondée pour rejeter la plainte. En outre, la requérante n’aurait jamais reçu une copie de la réponse de Gazprom à la CG, alors que, contrairement à ce qu’aurait laissé entendre la Commission durant la procédure, cette réponse aurait eu une incidence sur la décision de rejeter la plainte. Or, le non-respect desdites dispositions, qui concernerait les deux procédures (AT.39816 et AT.40497), constituerait une violation d’une forme substantielle, devant nécessairement entraîner l’annulation de la décision adoptée dans chacune de celles-ci, car la rectification de l’irrégularité dans une affaire serait sans influence sur l’irrégularité commise dans l’autre affaire.
501 La Commission considère que la violation alléguée n’est pas fondée.
502 À cet égard, les articles 7 et 8 règlement no 773/2004 portent sur les règles encadrant le rejet d’une plainte. Or, la plainte a été rejetée par la décision adoptée à l’issue de la procédure dans l’affaire AT.40497, et non de celle dans l’affaire AT.39816. Dès lors, la question du respect des droits consacrés dans lesdites dispositions est intrinsèquement liée à l’affaire AT.40497 et une éventuelle violation de ces derniers droits n’est pas de nature à remettre en cause la légalité de la décision attaquée.
503 Partant, les arguments relatifs à une violation des articles 7 et 8 du règlement no 773/2004 sont inopérants dans le cadre du présent recours et doivent être écartés.
4. Sur l’existence d’un détournement de pouvoir
504 Selon la requérante, les faits qu’elle a relevés, les irrégularités commises dans le traitement des griefs Yamal et la violation de ses droits procéduraux en sa qualité de plaignante démontrent l’existence d’un détournement de pouvoir, en ce que la Commission aurait adopté la décision attaquée sur le fondement de l’article 9 du règlement no 1/2003 dans un but autre que celui prévu par cet article.
505 La Commission soutient que les éléments mis en avant par la requérante et la République de Pologne n’établissent pas un détournement de pouvoir et, en réalité, sont, dans une large mesure, sans rapport avec l’objet d’un moyen tiré d’un tel détournement.
506 À cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, un acte n’est entaché de détournement de pouvoir que s’il apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été pris dans le but exclusif, ou à tout le moins déterminant, d’atteindre des fins autres que celles excipées ou d’éluder une procédure spécialement prévue par le traité pour parer aux circonstances de l’espèce (arrêts du 25 janvier 2007, Dalmine/Commission, C‑407/04 P, EU:C:2007:53, point 99, et du 9 décembre 2020, Groupe Canal +/Commission, C‑132/19 P, EU:C:2020:1007, point 31).
507 En l’espèce, en premier lieu, il y a lieu de constater que la requérante n’a pas clairement exposé l’objet du détournement qu’elle allègue. De même, en invoquant les faits, les irrégularités et les violations de droits procéduraux traités dans les considérations qui précèdent, ainsi qu’en affirmant que ces circonstances traduiraient une « absence de volonté de mettre en œuvre les intérêts de l’Union », la requérante et la République de Pologne ont rassemblé des éléments épars sans identifier quel but véritable, et prétendument dissimulé, aurait été recherché par la Commission ou quelle procédure aurait été éludée par celle-ci.
508 Or, dans la mesure où la requérante estime que, plutôt que de clore l’affaire AT.39816 en rendant obligatoires les engagements finaux, la Commission aurait dû poursuivre son enquête et adopter une décision au titre de l’article 7 du règlement no 1/2003, il convient de noter qu’elle n’a pas formulé d’argument en ce sens par ailleurs et que, en outre, la Commission dispose d’une large marge d’appréciation pour rendre obligatoire une proposition d’engagement ou pour la refuser (voir, en ce sens, arrêt Alrosa, point 94), étant entendu que le considérant 13 dudit règlement précise que des décisions d’engagements ne sont pas opportunes dans les cas où la Commission entend imposer une amende.
509 En second lieu, et en tout état de cause, il ressort des considérations relatives au sixième moyen qui précèdent, premièrement, qu’aucun des faits invoqués en relation avec le déroulement de la procédure dans l’affaire AT.39816 ne présente de caractère inhabituel ou particulier qui conduirait à le considérer comme un indice potentiel d’un détournement de pouvoir (voir points 444 à 451 ci-dessus), deuxièmement, que les prétendues irrégularités qui auraient entaché le traitement des griefs Yamal ne sont pas avérées (voir points 444 et 452 à 470 ci-dessus) et, troisièmement, que l’ouverture de la procédure dans l’affaire AT.40497 n’est pas irrégulière en soi, tandis que les prétendues violations de droits procéduraux qui auraient été commises dans le cadre de cette procédure soit s’avèrent être non fondées, soit ne concernent pas la décision attaquée (voir points 473 à 503 ci-dessus).
510 Ainsi, il résulte des constats opérés au point précédent que, à supposer que l’objet du détournement de pouvoir allégué puisse être déterminé, les éléments avancés par la requérante et la République de Pologne, même pris ensemble, ne sauraient suffire à établir l’existence d’un tel détournement de pouvoir. De plus, ainsi que cela a déjà été considéré en substance aux points 58 à 64 ci-dessus, ces éléments sont également insuffisants pour justifier d’examiner le prétendu « contexte » pertinent, constitué par l’intégralité des dossiers dans les affaires AT.39816 et AT.40497, et, partant, le Tribunal estime de même inutile d’adopter les mesures d’organisation de la procédure sollicitées par la requérante.
511 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu d’écarter le sixième moyen comme étant non fondé. Partant, le recours doit être rejeté au fond, sans qu’il soit nécessaire de statuer sur sa recevabilité, eu égard en particulier, comme il est évoqué au point 53 ci-dessus, à la fin de non-recevoir opposée par la Commission lors de l’audience (voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2002, Conseil/Boehringer, C‑23/00 P, EU:C:2002:118, points 51 et 52).
Sur les dépens
512 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission et Gazprom, conformément aux conclusions de ces dernières.
513 Par ailleurs, en application de l’article 138, paragraphes 1 et 3, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens de même que tout intervenant autre qu’un État membre ou une institution de l’Union si le Tribunal en décide ainsi. En l’espèce, la République de Lituanie, la République de Pologne de même qu’Overgas supporteront leurs propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (huitième chambre élargie)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) Polskie Górnictwo Naftowe i Gazownictwo S.A. supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne, Gazprom PJSC et Gazprom export LLC.
3) La République de Lituanie, la République de Pologne et Overgas Inc. supporteront leurs propres dépens.