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Décisions

CA Versailles, 12e ch., 27 janvier 2022, n° 20/02763

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Auto1 European Cars B.V (Sté)

Défendeur :

Acticar (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Thomas

Conseillers :

Mme Muller, M. Nut

T.com Chartres, du 27 mai 2020, n° 2019J…

27 mai 2020

EXPOSE DU LITIGE

La société Auto1 European Cars B.V (ci-après société Auto 1) a créé une plateforme de rachat de véhicules d'occasion, via internet, s'adressant aux professionnels de l'automobile. Ce système permet aux professionnels de vendre leurs véhicules au groupe Auto1, après un processus d'examen du véhicule.

Le 8 novembre 2018, la société Acticar, utilisatrice de ce service, a demandé à la société Auto 1 l'évaluation d'un véhicule Porsche 911 Carrera Coupé, immatriculé BF 874 BC, en mentionnant un kilométrage non garanti de 75 217 kms.

Le 12 novembre 2018, la société Acticar a vendu ce véhicule à la société Auto1 pour un montant de 36 451€. Le jour même, la société Auto1 a cédé ce véhicule à la société Easy Cars Reims pour la somme de 37 154,80€.

La société Auto 1 soutient que la société Easy Cars Reims l'a informée, fin novembre 2018, du fait que le véhicule souffrait d'une manipulation sur le kilométrage.

Le 11 février 2019, la société Auto1 en a informé la société Acticar, tentant de trouver une solution amiable, ce que la société Acticar a refusé.

Par acte du 19 avril 2019, la société Auto1 a assigné la société Acticar devant le tribunal de commerce de Chartres en garantie des vices cachés.

Par jugement du 27 mai 2020, le tribunal de commerce de Chartres a :

- Dit la société Auto1 recevable en son action mais mal fondée ;

- Débouté la société Auto1 de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

- Débouté la société Acticar de ses autres demandes, fins et conclusions ;

- Condamné la société Auto1 à verser à la société Acticar la somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné la société Auto1 aux entiers dépens ;

- Ordonné l'exécution provisoire du jugement nonobstant appel et sans caution.

Par déclaration du 24 juin 2020, la société Auto1 a interjeté appel du jugement.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 24 septembre 2020, la société Auto1 demande à la cour de :

- Constater que la société Acticar est débitrice de la garantie des vices cachés à l'égard de la société Auto1 ; constater en l'état l'existence d'un tel vice caché au titre de la manipulation de kilométrage dont le véhicule a été l'objet préalablement à la vente ;

A titre subsidiaire,

- Constater que la société Acticar a manqué à son obligation de délivrance conforme à l'égard de la société Auto1;

A titre infiniment subsidiaire,

- Constater que le contrat de vente entre la société Acticar et la société Auto1 est entaché d'erreur portant sur une qualité essentielle de la prestation ;

En conséquence,

- Ordonner la résolution de la vente du véhicule litigieux ;

- Condamner la société Acticar à restituer le prix d'achat du véhicule litigieux, soit la somme de 36 451 € ;

- Condamner la société Acticar à verser la somme de 2 000 € à titre de dommages et intérêts à la société Auto1 en réparation du préjudice subi par cette dernière ;

- Donner acte à la société Auto1 de ce qu'elle tient le véhicule litigieux à la disposition de la société Acticar, charge à elle de supporter les frais d'enlèvement et de gardiennage jusqu'à cet enlèvement ;

- Condamner la société Acticar à verser à la société Auto1 la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société Acticar aux entiers dépens.

Par dernières conclusions notifiées le 18 décembre 2020, la société Acticar demande à la cour de :

- Confirmer le jugement du 27 mai 2020 en toutes ses dispositions ;

- Débouter la société Auto1 de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- Condamner la société Auto1 à payer à la société Acticar la somme de 7.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile dans le cadre de la procédure d'appel ;

- Condamner la société Auto1 aux entiers dépens dont distraction au profit de la société Lexavoue Paris-Versailles, Avocat au Barreau de Versailles, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 23 septembre 2021.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La société Auto 1 sollicite la résolution de la vente du véhicule Porsche conclue avec la société Acticar, à titre principal sur le fondement de la garantie des vices cachés, à titre subsidiaire sur le fondement d'un défaut de délivrance conforme, et enfin sur le fondement d'une erreur sur les qualités substantielles du véhicule.

1 - Sur la demande de résolution de la vente fondée sur la garantie des vices cachés.

La société Auto 1 affirme que la société Easy Car s'est retournée contre elle pour l'informer d'une manipulation du kilométrage en produisant un rapport d'expertise faisant apparaître un écart anormal dans les boitiers calculateurs, le boîtier ABS mentionnant 2843 heures de fonctionnement, alors que le boîtier moteur mentionne 1553 heures de fonctionnement. Elle affirme que cela démontre une intervention sur le moteur qui n'était pas apparente lors de la vente, rendant impossible de déterminer le kilométrage réel du véhicule, invoquant une manipulation sur le véhicule. Elle affirme que les conditions d'application de la garantie des vices cachés sont réunies, notamment en ce que le véhicule a un usage diminué.

La société Acticar s'oppose aux demandes formées à son encontre, et soutient que la société Auto 1 n'apporte pas la preuve du vice qu'elle invoque. Elle fait notamment valoir que le rapport d'expertise amiable non contradictoire ne peut servir de fondement à une décision dès lors qu'il n'est corroboré par aucun autre élément, ajoutant qu'il est très sommaire et ne permet pas d'apporter la preuve d'un désordre affectant le kilométrage. Elle ajoute que les conditions de mise en oeuvre de la garantie des vices cachés ne sont pas réunies, s'agissant notamment de l'antériorité du vice et de l'impropriété d'usage qui n'est pas démontrée, la discordance entre les deux boitiers n'empêchant pas d'utiliser normalement le véhicule. Elle rappelle enfin que le bon de commande mentionne que le kilométrage n'est pas garanti, invoquant cette clause de non-garantie conforme aux dispositions de l'article 1643 du code civil.

****

Il résulte de l'article 1641 du code civil que le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.

Il résulte de l'article 1643 du même code que le vendeur est tenu des vices cachés, quand même il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n'ait stipulé qu'il ne sera obligé à aucune garantie.

Pour justifier de l'existence du vice caché qu'elle invoque, la société Auto 1 produit aux débats un rapport d'expertise amiable non contradictoire réalisé à la demande de la société Easy Cars, acquéreur final, le 11 décembre 2018, soit un mois après l'acquisition du véhicule.

Ce rapport fait apparaître un écart anormal dans les boitiers calculateurs, le boîtier ABS mentionnant 2843 heures de fonctionnement, alors que le boitier moteur mentionne 1553 heures de fonctionnement.

L'expert relève : l'analyse des boitiers démontre une incohérence. En effet, il existe un écart de 1290 heures de fonctionnement entre les 2 boitiers [boitier moteur et boitier ABS], ce qui est anormal. Le boitier Airbag mesure le temps, contact mis, alors que le boitier moteur mesure le temps, moteur en marche. Aussi, s'il est normal de mesurer un écart, celui-ci ne peut excéder 30%. Or, dans le cas présent, l'écart est de près de 100%... Cette mesure nous indique qu'une modification est intervenue sur le boitier moteur, sans toutefois pouvoir déterminer à quel moment de la vie du véhicule, ni quel type d'intervention (changement boitier, fraude au kilomètre ''), intervention modifiant le kilométrage inscrit à ce jour au compteur. A ce stade, il nous est impossible de déterminer le kilométrage réel du véhicule.

La société Auto 1 produit également un relevé de valeurs Piwis établi par le Centre Porsche de Reims qui fait apparaître le même écart sur les boitiers, mais n'apporte aucun élément complémentaire.

Le rapport d'expertise amiable étant corroboré par un relevé de valeurs établi par la société Porsche, il dispose d'une certaine valeur probante. Il n'en reste pas moins que l'expert s'est contenté de constater l'anomalie résultant de l'écart entre les boitiers, et d'évoquer diverses causes possibles de cet écart, sans prendre position sur celles-ci.

Or, si l'expert évoque une possibilité de fraude au kilomètre, il évoque également la possibilité d'un changement de boitier moteur, à une date et pour une raison indéterminée, sans jamais évoquer une volonté de manipulation ou falsification.

Si l'expert affirme que l'intervention sur le boitier moteur (ou son changement) a modifié le kilométrage inscrit au compteur, il n'explique nullement le lien pouvant exister entre, d'une part le boitier qui enregistre les heures de fonctionnement du moteur, d'autre part le compteur kilométrique, de sorte que cette affirmation reste totalement inexpliquée. Cette simple affirmation de l'expert, qui n'est nullement explicitée ou argumentée, est dès lors insuffisante à justifier d'une prétendue modification du compteur kilométrique, étant observé que l'expert n'est pas même en mesure d'établir s'il y a eu une simple intervention ou un changement du boitier.

Il apparaît ainsi que, si l'écart entre les deux boitiers [boitier moteur et boitier ABS] est établi - ce qui constitue une anomalie restant inexpliquée - il n'est en tout état de cause pas démontré, d'une part que le kilométrage ait été modifié, d'autre part que cet écart ait pu avoir une incidence quelconque sur l'usage de la chose, la rendant impropre à sa destination. Il n'est pas non plus démontré que l'anomalie constatée diminue tellement cet usage que la société Auto 1 ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, si elle l'avait connue.

La société Auto 1 ne rapporte donc pas la preuve de l'existence d'un vice caché, de sorte que sa demande à ce titre sera rejetée.

2 - sur la demande subsidiaire fondée sur le défaut de délivrance conforme.

La société Auto 1 invoque à titre subsidiaire un manquement de la société Acticar à son obligation de délivrance conforme en ce que la société Acticar s'était engagée à livrer un véhicule exempt de toute manipulation ou falsification, ce qui n'est pas le cas du véhicule qu'elle a livré.

La société Acticar rappelle qu'elle a vendu le véhicule 'en l'état' avec un kilométrage non garanti, comme mentionné sur le bon de commande.

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Le bon de commande passé entre les sociétés Auto 1 et Acticar mentionne, à propos du kilométrage : 75.217 km non garantis'. Il est en outre mentionné en caractères majuscules : VENTE A MARCHAND - VENDUE DANS L'ETAT.

Outre ces mentions tout à fait claires quant à l'absence de garantie du vendeur Acticar sur le kilométrage - étant rappelé que vendeur et acheteur sont des professionnels exerçant dans la même spécialité de vente automobile, de sorte que ces clauses ne peuvent être remises en cause - il a déjà été démontré que la preuve d'une éventuelle manipulation ou falsification n'était pas rapportée par la société Auto 1, de sorte que sa demande fondée sur le défaut de délivrance conforme doit être rejetée.

3 - sur la demande subsidiaire fondée sur l'erreur de fait sur l'état du véhicule.

La société Auto 1 invoque enfin une erreur émanant de la société Acticar quant au kilométrage, que celle-ci aurait garanti et qui aurait été manipulé.

****

Il résulte de l'article 1132 du code civil que l'erreur de droit ou de fait, à moins qu'elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu'elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant.

Si l'on admet, comme le soutient la société Auto 1, que la qualité essentielle de la prestation était l'existence d'un kilométrage précis, tel que mentionné dans la commande, force est ici de constater que ce kilométrage n'était pas garanti de sorte qu'il ne peut exister aucune erreur sur cette qualité essentielle.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les différents fondements invoqués par la société Auto 1 pour solliciter la résolution de la vente sont inopérants, de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande, ainsi que la demande en restitution du prix de vente.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

La société Auto 1 qui succombe sera condamnée aux dépens exposés en appel.

Il est équitable d'allouer à la société Acticar une indemnité complémentaire de procédure de 2.500 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement du tribunal de commerce de Chartres en toutes ses dispositions,

Y Ajoutant,

Condamne la société Auto 1 European Cars BV à payer à la société Acticar la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Auto 1 European Cars BV aux dépens de la procédure d'appel qui pourront être recouvrés directement par les avocats qui en ont fait la demande, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

signé par Monsieur François THOMAS, Président et par Monsieur GAVACHE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.