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Décisions

CA Rouen, 1re ch. civ., 26 janvier 2022, n° 20/02410

ROUEN

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Wittrant

Conseillers :

M. Mellet, Mme Deguette

TJ de Dieppe, du 2 juin 2020, n° 18/0072…

2 juin 2020

CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 26 janvier 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

signé par Mme WITTRANT, présidente et par Mme CHEVALIER, greffier.

Par acte du 8 février 2016, M. Ludovic D. et Mme Myriam M., son épouse ont conclu une promesse de vente au bénéfice de M. Julien B. et Mme Claire P., son épouse sur un terrain a bâtir situé [...] au prix de 70 000 euros.

Cette promesse était souscrite sous condition suspensive d'obtention, par les acquéreurs, d'un permis de construire et de la suppression d'une servitude de passage grevant le fonds.

Compte tenu de l'impossibilité de supprimer la servitude, un avenant a été régularisé le 4 mars 2016 portant le prix dudit terrain à 65 000 euros. A cette occasion, les acquéreurs ont renoncé à la condition d'obtention du permis de construire. Un certificat d'urbanisme daté du 27 novembre 2015, faisant état des paramètres de constructibilité du terrain, a été annexé à l'acte.

La vente a été régularisée le 22 juin 2016.

Le 17 janvier 2018, les services de la municipalité d'Eu ont émis un certificat d'urbanisme négatif au motif que le terrain se situait en zone inondable du Plan de prévention des risques naturels.

Par jugement contradictoire en date du 2 juin 2020, le tribunal judiciaire de Dieppe, saisi par les acquéreurs, a :

- déclaré recevable l'action en nullité de la vente fondée sur l'erreur formée par Monsieur Julien B. et Madame Claire P., son épouse,

- prononcé la nullité de la vente immobilière conclue le 22 juin 2016 entre les époux D. et les époux B.,

- condamné solidairement M. Ludovic D. et Mme Myriam M., son épouse à payer à M. Julien B. et Mme Claire P., son épouse la somme de 65 000 euros majorée des intérêts calculés au taux légal à compter du jugement,

- condamné solidairement M. Ludovic D. et Mme Myriam M., son épouse à payer à M. Julien B. et Mme Claire P., son épouse les frais accessoires à la vente (frais de notaire et frais d'enregistrement),

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

- condamné M. Ludovic D. et Mme Myriam M., son épouse au paiement des dépens.

Par déclaration reçue au greffe le 28 juillet 2020, les époux D. ont interjeté appel.

Par dernières conclusions notifiées le 11 octobre 2021, ils demandent à la cour de :

- infirmer le jugement,

statuant à nouveau,

- dire et juger les textes du code civil, tels qu'issus de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, inapplicables en l'espèce,

- dire et juger les consorts B. irrecevables et mal fondés en l'ensemble de leurs demandes,

- dire et juger les consorts B. irrecevables en leur action fondée sur l'erreur,

subsidiairement,

- les déclarer mal fondés en cette action,

sur la demande subsidiaire des consorts B., sur le fondement des vices cachés,

- déclarer les consorts B. irrecevables et mal fondés,

en conséquence,

- débouter les consorts B. de l'ensemble de leurs demandes,

- condamner les consorts B. au paiement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- les condamner aux entiers dépens.

Ils soutiennent en substance que l'action en garantie des vices cachés est exclusive de celle fondée sur l'erreur, que les acquéreurs ont renoncé à la condition suspensive d'obtention de permis de construire, si bien qu'ils ne peuvent aujourd'hui prétendre que le caractère constructible du terrain serait un élément déterminant de leur consentement, et que la clause élusive de garantie des vices cachés est applicable.

Par dernières conclusions notifiées le 1er juin 2021, les consorts B. demandent à la cour d'appel, au visa des articles 5.5 du Règlement interne national de la profession d'avocat, 1153 du code civil (ancien), 1331-6 et 1344-1 du code civil (nouveaux), 1136 et 1137 du code civil (ancien), 1197 du code civil (nouveau), 1641 à 1648 du code civil, 1602 à 1603 du code civil R. 111-2 du code de l'urbanisme, 1231-6 du code civil, 502 à 520 du code de procédure civile, 699 et 700 du code de procédure civile de :

à titre principal,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé la nullité de la vente régularisée suivant acte authentique du 22 juin 2016,

- préciser que la nullité affecte l'acte dressé par 'maître Marie-Florence Z.-B. notaire associée de la Société civile professionnelle de notaires [...] des biens et droits immobiliers sis à [...], cadastrés section AK n° 299 pour une contenance de 00 hectare 11 are 38 centiares, publié et enregistré le 18 juillet 2016 au SPF de Dieppe 2016 D n° 3764, volume 2016 P n° 2435 entre :

d'une part,

1. Madame Claire Jeannie Thérèse P. épouse B., née à [...], le 14 novembre 1984, de nationalité française, infirmière, demeurant [...].

2. Monsieur Julien, Aurélien, Georges, Camille B., né à [...], le 19 janvier 1985, de nationalité française, ambulancier, demeurant [...].

et d'autre part,

1. Monsieur Ludovic, Henri, André D., né à [...] le 13 février 1975, de nationalité française, régleur, demeurant [...]

2. Madame Myriam, Rolande, Christiane M. épouse D., née, le 15 juin 1974 à [...], de nationalité française, demeurant [...],'

- confirmer la condamnation solidaire et indéfinie de M. Ludovic D. et Mme Myriam M. - D. à payer 65 000 euros,

- dire que la condamnation de 65 000 euros sera assortie des intérêts de droit au taux légal à compter du 22 mars 2018 date de la première mise en demeure,

- confirmer la condamnation solidaire et indéfinie de M. Ludovic D. et Mme Myriam M. -D. à payer l'ensemble des frais accessoires (notaire, enregistrements et autres) à la vente du 22 juin 2016 à Mme Claire P. épouse B. et M. Julien B. en précisant que cette condamnation sera assortie des intérêts de droit au taux légal à compter du 22 mars 2018 date de la première mise en demeure,

à titre subsidiaire, sur les vices cachés,

- prononcer la résolution de la vente régularisée suivant ' acte authentique du 22 juin 2016 par maître Marie-Florence Z.-B., notaire associée de la Société Civile Professionnelle de notaires M.-P.-L.-P. et S. des biens et droits immobiliers sis à [...], cadastrés section AK n° 299 pour une contenance de 00 hectare 11 are 38 centiares publié et enregistré le 18/07/2016 au SPF de Dieppe 2016 D n° 3764, volume 2016 P n° 2435 entre :

d'une part,

1. Madame Claire Jeannie Thérèse P. épouse B., née à [...], le 14 novembre 1984, de nationalité française, infirmière, demeurant [...].

2. Monsieur Julien, Aurélien, Georges, Camille B., né à [...], le 19 janvier 1985, de nationalité française, ambulancier, demeurant [...].

et d'autre part,

1. Monsieur Ludovic, Henri, André D., né à [...] le 13 février 1975, de nationalité française, régleur, demeurant [...]

2. Madame Myriam, Rolande, Christiane M. épouse D., née, le 15 juin 1974 à [...], de nationalité française, demeurant [...],

- confirmer la condamnation solidaire et indéfinie de M. Ludovic D. et Mme Myriam M. - D. à payer 65 000 euros,

- dire que la condamnation de 65 000 euros sera assortie des intérêts de droit au taux légal à compter du 22 mars 2018 date de la première mise en demeure,

- confirmer la condamnation solidaire et indéfinie de M. Ludovic D. et Mme Myriam M. - D. à payer l'ensemble des frais accessoires (notaire, enregistrements et autres) à la vente du 22 juin 2016 à Mme Claire P. épouse B. et M. Julien B. en précisant que cette condamnation sera assortie des intérêts de droit au taux légal à compter du 22 mars 2018 date de la première mise en demeure.

en tout état de cause,

- débouter M. Ludovic D. et Mme Myriam M. D. de l'ensemble de leurs demandes,

- réformer la décision entreprise sur les frais irrépétibles et condamner solidairement et indéfiniment M. Ludovic D. et Mme Myriam M. - D. à payer 4 000 euros à Mme Claire P. épouse B. et M. Julien B. sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner solidairement et indéfiniment M. Ludovic D. et Mme Myriam M. - D. à payer 4 000 euros à Mme Claire P. épouse B. et M. Julien B. sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel,

- condamner solidairement et indéfiniment M. Ludovic D. et Mme Myriam M. - D. aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la Sas Fortium conseil pour ceux dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Ils soutiennent en substance que l'inconstructibilité peut valablement relever du régime juridique des vices du consentement sans exclure le régime des vices cachés, qu'en l'espèce, la constructibilité était une condition essentielle et déterminante de leur consentement ainsi que cela résulte des différentes énonciations des actes successivement régularisés, et que les clauses restrictives de garantie doivent s'interpréter restrictivement.

Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures visées ci-dessus conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 27 octobre 2021, et l'affaire, plaidée à l'audience du 22 novembre 2021, a été mise en délibéré au 26 janvier 2021.

MOTIFS

A titre liminaire, il y a lieu de relever qu'en application de l'article 12 du code de procédure civile, la juridiction a la charge de trancher les demandes formées et de déterminer, pour ce faire, le contenu de la règle de droit. Dès lors, le fait avancé que les intimés ne versent pas copie d'un article de doctrine qu'ils citent ne justifie pas que le juge s'abstienne d'étudier le moyen qu'il est censé établir.

Par ailleurs, les demandes sont fondées sur l'ancien article 1110 du code civil et l'article 1641 du même code. La parution de l'ordonnance du 10 février 2016 n'est pas de nature à priver les moyens soulevés de base légale. Il n'y a pas lieu de dire ces textes inapplicables, mais d'appliquer les textes sous la numérotation antérieure à l'ordonnance à raison de la date de conclusion de la vente.

Sur l'erreur sur les qualités substantielles.

L'erreur de l'acquéreur d'un terrain à bâtir est susceptible d'entraîner l'annulation du contrat sur le fondement de l'article 1103 du code civil dès lors que le risque d'inconstructibilité existait mais était imprévisible au moment de la vente.

Dans cette hypothèse, l'action fondée sur l'erreur dans les qualités substantielles est recevable, car il n'y a pas cumul prohibé avec l'action en garantie des vices cachés qui concerne, non la validité du consentement, mais l'obligation de délivrance.

En l'espèce, l'inconstructibilité du terrain, révélée aux acquéreurs le 17 janvier 2018 par la production d'un certificat d'urbanisme négatif, est liée à la submersibilité de l'assiette, laquelle était déjà établie avant la vente, puisque la nouvelle cartographie des aléas du plan de prévention des risques avait été présentée à la maire d'Eu le 26 janvier 2015.

Le risque, majeur, d'inconstructibilité, préexistait donc à l'échange des consentements. Il est constant que les acquéreurs n'en avaient pas connaissance. Il caractérise une erreur sur le substance.

Par ailleurs, le tribunal a retenu à juste titre que les époux B. avaient bien érigé la constructibilité du terrain en condition essentielle de leur consentement. Outre que la promesse de vente porte sur un terrain à bâtir, que les acquéreurs y déclarent de façon redondante qu'ils entendent l'utiliser à usage de terrain à bâtir, ils répètent encore dans l'avenant qu'ils ont 'l'intention d'édifier sur le terrain.

Dans ce contexte, l'abandon de la condition suspensive de permis de construire traduit, non comme le prétendent les appelants, un renoncement des intimés à acquérir une parcelle constructible, mais uniquement leur croyance erronée que cette condition était surabondante au regard des mentions favorables du certificat d'urbanisme annexé à l'acte, et qui était d'ailleurs en cours de validité. Le tribunal a du reste relevé, également à juste titre, que les démarches entreprises avant et après la vente afin d'obtenir un certificat d'urbanisme confirmaient bien la pérennité de cette intention et le caractère déterminant de la constructibilité pour le consentement des acquéreurs.

C'est donc par des motifs propres que le tribunal a considéré que l'erreur portait sur une qualité substantielle, déterminante du consentement des acquéreurs, mais absente au moment de l'échange des consentements, et qu'il a prononcé la nullité de la vente.

Il n'y a donc pas lieu à infirmation, mais l'arrêt précisera les références de l'acte annulé et de la parcelle concernée, conformément à la demande des intimés, dans un souci de sécurité juridique.

Les consorts D. doivent donc être condamnés solidairement à la restitution de la somme de 65 000 euros. Il n'y a pas lieu à condamnation 'indéfinie', cette notion n'ayant pas de consistance juridique précise. La décision de première instance n'appelle donc pas de critique.

Celui qui est condamné à restituer une somme d'argent doit les intérêts à compter du jour de la demande s'il était de bonne foi. En l'espèce, il n'est invoqué aucun élément qui établirait une mauvaise foi des vendeurs.

Les intérêts au taux légal courront donc au jour de l'acte introductif de première instance, soit le 22 juin 2018, ce qui implique d'infirmer la décision à cet égard.

Les appelants sollicitent que les époux B. soient déboutés de leurs demandes : ils ne développent aucun moyen s'agissant de la condamnation à supporter les frais accessoires à la vente (frais de notaire et frais d'enregistrement). Dès lors, au visa de l'article 954 du code de procédure civile, la décision sera confirmée.

Sur les dépens et frais irrépétibles.

Les dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles n'appellent pas d'infirmation.

Les appelants qui succombent seront condamnés solidairement aux dépens d'appel, dont distraction au bénéficie de la Sas Fortium conseil.

Il sera fait application de l'article 700 du code de procédure civile, les appelants étant condamnés au titre des frais irrépétibles des intimés la somme de 3 000 euros.

PAR CES MOTIFS

statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe et en dernier ressort,

Infirme le jugement entrepris en ce que le tribunal a condamné solidairement M. Ludovic D. et Mme Myriam M., son épouse à payer à M. Julien B. et Mme Claire P., son épouse la somme de 65 000 euros majorée des intéréts calculés au taux légal à compter du jugement,

La confirme pour le surplus,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Précise que la nullité affecte l'acte authentique dressé le 22 juin 2016 par maître Marie-Florence Z.-B., notaire associée de la Société civile professionnelle de notaires M.-P.-L.-P. et S. des biens et droits immobiliers sis à [...], cadastrés section AK n° 299 pour une contenance de 00 hectare 11 are 38 centiares, publié et enregistré le 18 juillet 2016 au SPF de Dieppe 2016 D n° 3764, volume 2016 P n° 2435 entre :

d'une part,

1. Madame Claire Jeannie Thérèse P. épouse B., née à [...], le 14 novembre 1984, de nationalité française, infirmière, demeurant [...].

2. Monsieur Julien, Aurélien, Georges, Camille B., né à [...], le 19 janvier 1985, de nationalité française, ambulancier, demeurant [...].

et d'autre part,

1. Monsieur Ludovic, Henri, André D., né à [...] le 13 février 1975, de nationalité française, régleur, demeurant [...]

2. Madame Myriam, Rolande, Christiane M. épouse D., née, le 15 juin 1974 à [...], de nationalité française, demeurant [...],

Condamne solidairement M. Ludovic D. et Mme Myriam M., son épouse à payer à M. Julien B. et Mme Claire P., son épouse la somme de 65 000 euros majorée des intérêts au taux légal à compter du 22 juin 2018,

Condamne solidairement M. Ludovic D. et Mme Myriam M., son épouse à payer à M. Julien B. et Mme Claire P., son épouse la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles,

Condamne solidairement M. Ludovic D. et Mme Myriam M., son épouse aux dépens d'appel, dont distraction au bénéficie de la Sas Fortium conseil.