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Décisions

Cass. com., 26 février 2022, n° 20-10.897

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Pixtel (SAS)

Défendeur :

TF1 Publicité (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocats :

Me Carbonnier, SCP Piwnica et Molinié

Président :

Mme Darbois

Rapporteur :

Mme Bellino

T. com. Paris, du 13 avr. 2016

13 avril 2016

 Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 janvier 2018), à compter de 2011, la société Pixtel a acquis des espaces publicitaires sur le portail d'accès Bouygues Télécom, pour promouvoir ses sites internet de jeux, sonneries et fonds d'écran. Les prestations lui étaient facturées par la société TF1 Publicité en sa qualité de régisseur exclusif de la publicité sur le portail de l'opérateur de téléphonie.

2. Courant 2013, la société Pixtel a contesté les factures émises par la société TF1 Publicité et a cessé de les payer.

3. La société TF1 Publicité l'a assignée devant un tribunal de commerce en paiement du montant des factures et de dommages-intérêts pour résistance abusive. La société Pixtel a reconventionnellement demandé réparation des préjudices résultant du déséquilibre significatif qu'elle estimait lui avoir été imposé par la régie dans les droits et obligations respectifs des parties, notamment la perte de marge brute sur les espaces publicitaires non attribués par la société TF1 Publicité.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident, pris en sa première branche, et le deuxième moyen du pourvoi principal, ci-après annexés

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen du pourvoi incident, pris en ses deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

5. La société TF1 Publicité fait grief à l'arrêt de dire qu'elle a soumis la société Pixtel à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties et de la condamner au paiement de la somme de 157 125 euros, alors :

« 2°/ qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice qui en résulte, le fait de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; que la cour d'appel a considéré que la proposition d'ordre d'achat publicitaire émise par la société TF1 Publicité était à prendre ou à laisser ; qu'elle n'a ce faisant pas tenu compte du processus de mise en concurrence, suivi d'une phase de négociation permettant de fixer le prix de la prestation en fonction de son attractivité et de répartir les espaces publicitaires entre tous les annonceurs intéressés, dont cette proposition était le fruit ; que la cour d'appel a ainsi violé l'article L 442-6, I, 2° du code de commerce ;

3°/ qu'en retenant que la société Pixtel s'était vu imposer un déséquilibre significatif, sans même analyser l'offre qu'elle avait adressée à la société TF1 Publicité et son attractivité au regard des offres reçues des concurrents, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L 442-6, I, 2° du code de commerce. »

Réponse de la Cour

6. L'arrêt retient que la société TF1 Publicité n'a pas formellement contesté avoir exigé, en plus de la liste des espaces publicitaires souhaités pour le semestre à venir, que l'annonceur précise le prix qu'il était disposé à acquitter pour les obtenir et que la réponse de la régie était élaborée en fonction de ce prix d'achat annoncé. Il relève que ce mode opératoire n'est pas expressément prévu dans les conditions générales de vente. Il retient qu'en adressant à la société Pixtel une proposition très inférieure au nombre d'espaces demandés, sans autre justification que l'importance des demandes formulées par d'autres annonceurs pour les mêmes espaces publicitaires, en y associant une part non négligeable d'espaces non demandés et en étant la seule à connaître l'ensemble des prix proposés par les autres annonceurs pour un espace publicitaire donné, sans les communiquer aux annonceurs intéressés, la régie a mis la société Pixtel dans une situation de « tout ou rien ». Il relève également que la société Pixtel était dans l'obligation soit de renoncer à acquérir tout espace publicitaire sur le portail Bouygues Télécom pour le semestre considéré, et en conséquence ne pas être visible par les utilisateurs de ce portail d'accès, soit d'accepter sans discuter la proposition de la société TF1 Publicité, comprenant une part significative d'espaces non désirés, en étant dans l'impossibilité, en vue d'obtenir un plus grand nombre d'espaces souhaités, d'améliorer le prix d'achat initialement offert, en raison de la méconnaissance du prix proposé par les autres annonceurs en concurrence pour l'acquisition du même espace publicitaire. Il relève encore qu'en plaçant la société Pixtel dans une telle situation, cependant qu'elle disposait de toutes les informations sur les prix d'achat proposés par les autres annonceurs, la société TF1 Publicité pouvait ajuster sa proposition de vente d'espaces publicitaires, tandis que, du fait de l'opacité ainsi entretenue par la régie, la société Pixtel ne disposait pas, de son côté, des informations équivalentes lui permettant d'ajuster ses propres propositions de prix d'achat. L'arrêt ajoute que la société TF1 Publicité a reconnu ne pas se référer uniquement, pour les règles d'attribution, aux prix d'achat proposés par les différents annonceurs, mais privilégier aussi les annonceurs qui respectaient « la déontologie du portail », sans préciser le contenu exact de celle-ci, et ceux qui équilibraient leurs offres d'achat entre les différentes rubriques proposées, les modalités de cette appréciation n'étant pas davantage précisées dans les conditions générales de vente.

7. En l'état de ces constatations et appréciations, dont il résulte que le mode d'attribution opaque imposé par le régisseur ne permettait pas à l'annonceur de négocier effectivement les prix d'achat des espaces publicitaires, cependant que le régisseur pouvait de son côté ajuster, grâce aux informations obtenues, ses propres propositions de vente d'espaces, la cour d'appel, qui n'avait pas à effectuer la recherche invoquée par la troisième branche, que ses constatations sur le mode opératoire des attributions d'espaces par la régie rendaient inopérante, a pu retenir que la société TF1 Publicité avait soumis son partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

9. La société Pixtel fait grief à l'arrêt de limiter la condamnation de la société TF1 Publicité à la somme de 150 000 euros au titre du premier préjudice subi pris de la perte de marge brute sur les espaces publicitaires non attribués, alors « qu'il appartient au régisseur d'apporter la preuve qu'il ne pouvait pas attribuer à l'annonceur l'ensemble des espaces publicitaires demandés par celui-ci ; qu'en l'espèce, pour condamner la société TF1 Publicité à payer à la société Pixtel la somme de 150 000 euros, la cour d'appel a considéré que la société Pixtel n'apportait pas la preuve que, si la société TF1 Publicité ne lui avait pas imposé un déséquilibre significatif dans leurs droits et obligations respectifs, elle aurait obtenu la totalité de sa demande d'espaces publicitaires souhaités, quand il appartenait à la société TF1 Publicité d'apporter la preuve qu'elle ne pouvait pas attribuer à la société Pixtel l'ensemble des espaces publicitaires que celle-ci lui demandait ; qu'en inversant de la sorte la charge de la preuve, la cour d'appel a violé l'article 1315 du code civil, pris dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble l'article L. 442-6 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1315 du code civil, dans sa réaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

10. Aux termes de ce texte, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ; réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

11. Pour condamner la société TF1 Publicité à payer la somme de 150 000 euros à la société Pixtel au titre du premier préjudice allégué résultant de la différence entre les espaces demandés et ceux effectivement attribués, l'arrêt retient que, comme l'a relevé le tribunal, en raison de l'existence non véritablement contestée d'un plus grand nombre de demandes d'espaces par les différents annonceurs, que d'espaces publicitaires effectivement disponibles, la société Pixtel ne rapporte pas la preuve qu'en l'absence de la pratique dénoncée, elle aurait obtenu la totalité de sa demande d'espaces, mais que, en l'ayant soumise à un déséquilibre significatif dans les obligations respectives des parties, la société TF1 Publicité a privé la société Pixtel d'une chance d'obtenir un nombre plus grand d'espaces publicitaires souhaités et, corrélativement, de réaliser le chiffre d'affaires supplémentaire qui en aurait résulté.

12. En statuant ainsi, alors qu'il incombait au régisseur de prouver qu'il ne pouvait pas attribuer à l'annonceur l'ensemble des espaces publicitaires demandés, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société TF1 Publicité à payer à la société Pixtel la somme de 150 000 euros en réparation du « premier préjudice », l'arrêt rendu le 19 janvier 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris.