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Décisions

CA Caen, premier président, 9 avril 2019, n° 17/02361

CAEN

Ordonnance

CA Caen n° 17/02361

8 avril 2019

La SARL X a confié à Me Y la défense de ses intérêts à la suite d'un contrôle fiscal ayant donné lieu à deux propositions de rectification, la première d'un montant de 559 965 €, la seconde à hauteur de 125 581 €.

Deux conventions d'honoraires ont été signées les 5 janvier et 31 mai 2012 stipulant notamment un honoraire de résultat de 15 % des économies réalisées. Elles ont été signées par la SARL X, représentée par son gérant, et par M. X à titre personnel.

Par jugement du 13 février 2013, le tribunal de commerce de Lisieux a ouvert une procédure de sauvegarde à l'égard de la SARL X et désigné la SELARL BEUZEBOC es qualité de mandataire judiciaire. Aucun administrateur judiciaire n'a été désigné.

La SARL X a bénéficié de deux dégrèvements fiscaux, respectivement de 273 286 le 30 mai 2013 et de 104 478 le 9 décembre 2013.

Le 27 septembre 2013, la SARL X a mis fin à la mission de Me Y.

L'avocat a établi sa note d'honoraires le 21 octobre 2013 et saisi d'une demande de taxation le bâtonnier de l'ordre des avocats de Rouen qui, par décision du 1er avril 2014, a :

- dit et jugé qu'en l'état la demande de versement d'honoraires par M. X personnellement ne peut prospérer par application des dispositions de l'article L. 622-28 du code de commerce ;

- fixé à la somme de 71 164,21 TTC le montant des honoraires dus par la SARL X à Me Y ;

- ordonné le paiement de cette somme à ce dernier outre celle de 40 au titre des frais de taxation.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 14 mai 2014, la SARL X a formé un recours contre cette décision.

Par ordonnance du 23 juin 2015 le premier président de la cour d'appel de Rouen a :

- déclaré recevable en la forme le recours formé par la SARL X ;

- déclaré irrecevable toute action formée à l'encontre de M. C... X, pris en sa personne physique ;

- confirmé la décision du bâtonnier fixant à la somme de 71 164,21 TTC les honoraires dus à Me Y par la SARL X ;

- condamné la SARL X aux dépens.

Statuant sur le pourvoi de la SARL X, la cour de cassation a, par arrêt du 20 avril 2017, cassé partiellement l'ordonnance précitée.

Par déclaration du 3 juillet 2017, la SARL X et M. X ont saisi le premier président de la cour d'appel de Caen, désignée comme juridiction de renvoi.

Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience par lettre recommandée avec accusé de réception.

Par ordonnance du 18 décembre 2018, la réouverture des débats a été ordonnée et les parties invitées à présenter leurs observations sur le moyen soulevé d'office tiré de l'irrecevabilité de la demande en paiement de Me Y au regard des dispositions des articles L.622-7, L.622-17 et L.627-2 du code de commerce. L'affaire a été renvoyée à l'audience du 12 février 2019.

La SARL X demande notamment de :

- à titre principal annuler la décision du bâtonnier pour saisine irrégulière ;

- subsidiairement la réformer et déclarer irrecevable et en toute hypothèse mal fondée toute demande de taxation à son encontre ;

- débouter Me Y de sa demande à son encontre ;

- condamner Me Y au paiement d'une indemnité de 10 000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Me Y demande notamment de :

- juger que ses créances sont nées régulièrement postérieurement au jugement d'ouverture et, par conséquent, sont éligibles au traitement préférentiel de l'article L. 622-17 du code de commerce ;

- déclarer irrecevable et en toutes hypothèses infondée la demande de nullité de la décision du 1er avril 2014 ;

- déclarer irrecevables et en toutes hypothèses infondées les demandes de la SARL X tendant à remettre en cause le principe et le montant des honoraires;

- déclarer irrecevable comme étant hors délai la déclaration de saisine de la cour d'appel de Caen et par conséquent rejeter l'ensemble des demandes de la SARL X ;

- condamner la SARL X à lui payer la somme de 71 402,22 au titre de ses honoraires de résultat et confirmer pour le surplus la décision entreprise ;

- condamner la SARL X à lui verser la somme de 5 000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il convient de se référer aux dernières conclusions des parties valablement soutenues à l'audience pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

M. X, qui a comparu à l'audience du 13 novembre 2018, n'est pas présent ni n'est représenté à l'audience du 12 février 2019.

MOTIFS

I. Sur la nullité de la décision du bâtonnier pour saisine irrégulière

L'article 175 du décret du 27 novembre 1991 prévoit que les réclamations sont soumises au bâtonnier par toutes parties par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou remise contre récépissé.

Cette formalité a un caractère impératif.

L'irrégularité affectant le mode de saisine du bâtonnier constitue une fin de non-recevoir qui peut être soulevée en tout état de la procédure, sans que celui qui l'invoque ait à justifier d'un grief.

Cette fin de non-recevoir, soulevée pour la première fois devant le premier président de la cour d'appel de Caen par la SARL X, est donc recevable.

Elle est en revanche infondée puisque Me Y justifie par la production des deux lettres de saisine datées du 9 novembre 2013 et des accusés de réception des recommandés en original qu'il a été satisfait aux exigences de l'article 175 précité.

En conséquence, il y a lieu de déclarer la saisine du bâtonnier régulière et de rejeter la demande d'annulation de sa décision.

II. Sur la recevabilité de la déclaration de saisine de la juridiction de renvoi

L'arrêt de la cour de cassation du 20 avril 2017 a été signifié à la SARL X par acte d'huissier du 19 juin 2017.

Celle-ci justifie avoir saisi la juridiction de renvoi par une déclaration adressée au greffe de la cour d'appel de Caen par lettre recommandée avec accusé de réception du 3 juillet 2017 réceptionnée le 7 juillet suivant.

Le certificat d'absence de déclaration de saisine émis par le greffe le 18 janvier 2018 est donc erroné.

Il s'ensuit que la déclaration, intervenue dans le délai de quatre mois prévus à l'article 1034 du code de procédure civile, est parfaitement recevable.

Le moyen soulevé par Me Y est rejeté.

III. Sur la recevabilité de la demande de la SARL X tendant à remettre en cause le bienfondé de la créance et la décision de taxation

Aux termes de l'article 624 du code de procédure civile, la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce. Elle s'étend également à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.

La SARL X demande de réformer la décision du bâtonnier et de débouter Me Y de toute demande de taxation d'honoraires. Elle remet en cause le principe et le quantum de la créance.

Cependant dans son arrêt du 20 avril 2017, la cour de cassation indique expressément qu'elle casse et annule l'ordonnance du 23 juin 2015 « mais seulement en ce que, confirmant la décision du
bâtonnier, elle ordonne à la société X de payer à Me Y la somme de 71 164,21 TTC au
titre de ses frais et honoraires », la cause et les parties étant en conséquence remises, sur ce point, dans l'état où elles se trouvaient avant ladite ordonnance.

Il en résulte que les autres dispositions de l'ordonnance attaquée, en particulier celle confirmant la décision ayant fixé les honoraires à la somme de 71 164,21 TTC, n'ont pas été annulées et sont aujourd'hui définitives, de sorte que le débat devant la présente juridiction est limité à la seule demande en paiement des honoraires litigieux.

En conséquence, les demandes de la SARL X doivent être déclarées irrecevables.

IV. Sur la demande en paiement des honoraires de résultat. Selon l'article L. 622-7 du code de commerce, le jugement ouvrant la procédure de sauvegarde emporte de plein droit interdiction de payer toute créance née antérieurement à ce jugement et toute celle née après non mentionnée au I de l'article L. 622-17.

Les créances visées à l'article L. 622-17 sont celles nées régulièrement après le jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation, ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant cette période. Elles sont payées à leur échéance.

En application de l'article L. 622-24, les créances antérieures et celles postérieures non éligibles au paiement doivent être déclarées.

Par ailleurs, aux termes de l'article L. 622-13 du Code de commerce, l'administrateur a seul la faculté d'exiger l'exécution des contrats en cours en fournissant la prestation promise au cocontractant du débiteur.

En l'absence d'administrateur, l'article L. 627-2 prévoit, dans cette hypothèse, que le débiteur exerce, après avis conforme du mandataire judiciaire, la faculté ouverte à l'administrateur de poursuivre des contrats en cours.

En l'espèce, il est constant que Me Y n'a pas déclaré sa créance d'honoraires au passif de la sauvegarde de la SARL X.

Il est également constant que l'exécution de son mandat s'est poursuivie tacitement après l'ouverture de la procédure collective du 13 février 2013, date à laquelle sa prestation n'était pas achevée.

Les diligences de l'avocat se sont échelonnées entre janvier 2012 et juillet 2013 (cf relevé des diligences annexées à la facture d'honoraires).

La créance d'honoraire de résultat naît à la date d'exécution de la prestation caractéristique qui a permis d'obtenir le résultat escompté.

Le travail accompli par Me Y avant le jugement d'ouverture a consisté dans la préparation et la rédaction des réclamations auprès de l'administration fiscale, ayant nécessité des entretiens avec notamment le client, le comptable et les experts.

Il résulte par ailleurs des pièces produites (courriel de l'administrateur des finances publiques, lettre de l'inspecteur principal du 21 janvier 2015 et décision de dégrèvement du 30 mai 2013) qu'après le 13 février 2013, Me Y a effectué des diligences qui ont été déterminantes dans l'obtention du résultat, soit :

- pour la première réclamation, un rendez-vous avec les services fiscaux le 27 mars 2013 suivi du dépôt de justificatifs complémentaires le 26 avril 2013, ayant abouti à une décision de dégrèvement du 30 mai 2013 ;

- concernant la seconde réclamation, une réunion avec le fisc le 19 juin 2013 suivie du dépôt de pièces justificatives le 4 juillet 2013, ayant débouché sur un dégrèvement prononcé le 9 décembre 2013, dont le principe était acquis en septembre, soit avant le dessaisissement de l'avocat.

Au cours de ces réunions, Me Y a pu développer ses arguments qui ont emporté la conviction de l'administration.

Il se déduit de ces éléments que la date d'exécution des prestations caractéristiques ayant donné naissance à la créance d'honoraires est postérieure au jugement de sauvegarde.

Néanmoins, pour être payable à son échéance et bénéficier du traitement préférentiel de l'article L. 622-17, encore faut-il que la créance soit née régulièrement.

Si la SARL X avait seule le pouvoir d'exiger la continuation du contrat en cours en l'absence d'administrateur, cette faculté ne pouvait s'exercer, même tacitement, sans l'avis conforme du mandataire judiciaire.

Or, il n'est justifié ni d'une demande d'avis préalable auprès de la SELARL BEUZEBOC ni de l'accord de cette dernière.

L'argument tiré de la défaillance de la société débitrice, qui en vertu de l'article L. 622-6 alinéa 2 était tenue de remettre au mandataire judiciaire la liste des créanciers et des principaux contrats en cours, est inopérant.

Il en résulte que la créance dont se prévaut Me Y n'est pas née régulièrement et se trouve ainsi soumise au principe de l'interdiction des paiements. Partant, la demande de condamnation de la SARL X au paiement de la somme de 71.402,22 TTC doit être déclarée irrecevable.

Sur ce point la décision du bâtonnier est infirmée.

V. Sur les demandes accessoires.

Chacune des parties succombant partiellement en ses demandes, il y a lieu de dire que les dépens seront partagés par moitié.

Pour ce même motif, les parties seront déboutées de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement et par décision contradictoire, dans les limites de notre saisine,

DECLARONS recevable mais mal fondée la fin de non-recevoir tirée de l'irrégularité de la saisine du bâtonnier ;

En conséquence, DEBOUTONS la SARL X de sa demande d'annulation de la décision du bâtonnier de l'ordre des avocats de Rouen du 1er avril 2014 ;

DECLARONS la saisine de la présente juridiction par la SARL X recevable ;

DECLARONS irrecevables les demandes de la SARL X tendant à la réformation de la décision entreprise et au débouté de Me Y relativement à la fixation de ses honoraires ;

INFIRMONS la décision entreprise en ce qu'elle ordonné que la SARL X sera tenue de verser à Me Y la somme de 71 164,21 TTC ;

Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant,

DECLARONS irrecevable la demande de Me Y visant à voir condamner la SARL X à lui verser la somme de 71 402,22 TTC au titre de ses honoraires de résultat ;

DEBOUTONS les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNONS la SARL X et Me Y aux dépens par moitié chacun.