CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 25 juin 2021, n° 19/18623
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
AOC Films (SAS)
Défendeur :
Les Films des Tournelles (SAS)
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Les sociétés AOC FILMS et LES FILMS DES TOURNELLES sont deux sociétés de production de films.
Le 3 août 2015, ces sociétés signaient un contrat de coproduction d'un long métrage intitulé « Tour de France ».
Ce contrat stipule en préambule au rang des conditions essentielles et déterminantes sans lesquelles AOC FILMS n'aurait pas contracté : que LES FILMS DES TOURNELLES a entrepris la production d'un film de long métrage intitulé provisoirement ou définitivement TOUR DE FRANCE, immatriculé au RCA sous le numéro 138 981, déclare à ce jour être cessionnaire exclusif des droits d'auteur scénariste et réalisateur par un contrat signé en date du 23 août 2012 ; qu'il inclut les droits d'exploitation dans le monde entier sur tous les médias existants ou à venir, incluant les droits de remake, séquelle, prequel et d'adaptation télévisuelle que AOC FIMS, après avoir pris connaissance et approuvé is scénario du film qui lui a été soumis puis donné son accord sur le devis et le plan devancement du film, a accepté de coproduire le film dans les conditions déclinés ci-après et que la copie du film sera disponible au deuxième semestre 2016, sauf en cas de force majeure, le tournage se déroulant en France (6 semaines) ; que la date prévisionnelle d'établissement de la version française de Ia copie standard du film est le deuxième trimestre 2016.
Selon les articles :
ARTICLE 1 – OBJET LES FILMS DES TOURNELLES et AOC FILMS décident de coproduire ensemble le film « TOUR DE FRANCE » (...)
ARTICLE 2- DUREE
Le présent contrat entrera en vigueur à Ia date des présentes et durera pour la durée légale de protection des droits d'auteur et aussi longtemps qu'une exploitation du film pourra être exercée, y compris toute prorogation, renouvellement et la durée nécessaire à la liquidation de tous comptes et règlements se rapportant à l'exploitation du lm.
ARTICLE 4-COUT DE PRODUCTION ET FINANCEMENT, il est prévu que le coût total de l'oeuvre est arrêté à Ia somme de 3 273 000 H.T. (trois millions deux cent soixante-treize mille euros hors taxes) conformément au devis présenté en Annexe A. AOC FILMS apporte en numéraire, ou en mobilisant du soutien financier, à la coproduction, à titre forfaitaire et définitif, et quel que soit le budget final du film, Ia somme de 300 000 H.T (trois cent mille euros hors taxes), payable contre réception des appels de fonds selon l'échéancier suivant :
- 100 000 (CENT MILLE EUROS) à la signature des présentes (août 2015),
- 100 000 (CENT MILLE EUROS) à la vision du premier montage (décembre 2015),
- 100 000 (CENT MILLE EUROS) à Ia copie standard (mars 2016).
Cette somme de 300 000 H.T. (trois cent mille euros hors taxes) est forfaitaire et définitive.
ARTICLE 13 - RESILIATION
Dans l'hypothèse où l'une quelconque des parties viendrait à manquer à I'une quelconque de ses obligations, I'autre partie, après mise en demeure adressée à la partie défaillante par lettre recommandée restée sans effet dans Ies 15 (quinze) jours de sa première présentation, aurait Ia faculté de considérer Ie présent accord comme résilié sans formalités aux torts et griefs de la partie défaillante, sous réserve de tous dommages et intérêts éventuels.
La société AOC FILMS versait, en août et décembre 2015, les deux premières échéances prévues.
Le 10 mars 2016, la société LES FILMS DES TOURNELLES sollicitait de la société AOC FILMS le règlement de la dernière échéance relative à la copie standard.
Par courriels des 14, 22 et 26 avril 2016, la société LES FILMS DES TOURNELLES relançait la société AOC FILMS s'agissant du règlement de la dernière échéance.
Par jugement du 28 avril 2016, la société AOC FILMS était placée en redressement judiciaire.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 6 mai 2016, la société LES FILMS DES TOURNELLES invitait la société AOC FILMS à prendre position sur la poursuite du contrat de coproduction.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 19 mai 2016, la société AOC FILMS informait la société LES FILMS DES TOURNELLES qu'elle souhaitait poursuivre le contrat conformément aux dispositions de l'article L. 622-13 du Code de commerce et invitait sa cocontractante à produire pour son « Appel de fonds n° 3 » en date du 10 mars 2016.
La société LES FILMS DES TOURNELLES répondait par lettre recommandée du 25 mai 2016 qu'il appartenait à la société AOC FILMS d'exécuter pleinement le contrat, en procédant au paiement de la somme restant due de 100 000, afin que sa décision de poursuite de ce contrat soit recevable et ce, dans le délai d'un mois expirant le 9 juin 2016. Elle précisait que la dernière tranche de la contribution d'AOC FILMS, selon Ies modalités de l'article 4 du contrat, doit être débloquée à la remise de la Copie Standard, la projection du 'lm à Cannes, le I5 mai 2016, attestant de Ia diffusion, et donc de la remise au sens du contrat de coproduction, de ladite Copie Standard et que dès lors, à défaut de réception des fonds prévus au contrat, soit Ia somme de I00 000 euros, au plus tard le 9 juin 2016, le contrat sera résilié de plein droit, le mandataire judiciaire étant avisé des présentes.
Par courrier du 6 juin 2016, le conseil de la société AOC FILMS rappelait que la dernière échéance du contrat était échue en mars 2016, que l'expression « remise de la copie standard » n'est pas dans le contrat de coproduction, qu'elle s'emploie pour un distributeur qui paiera à réception de Ia copie mais n'est pas appropriée à l'égard d'un coproducteur car dans les relations de coproduction, la copie standard marque la dernière étape de la post-production dans laquelle sont associés LES FILMS DES TOURNELLES et AOC FILMS. Elle précisait que la copie standard du film « Tour de France » ayant été diffusée bien avant le 15 mai 2016, par référence au mail du 14 avril 2016 par lequel Madame J...) l'avait invitée à une projection le mardi 19 avril 2016, le distributeur Mars Films n'ayant pas encore décidé à cette époque, d'une date de sortie du film, et la société ayant été placée en redressement judiciaire par jugement du 28 avril 2016, AOC FILMS ne saurait, sans enfreindre la Loi, procéder au paiement de l'appel de fonds exigible depuis mars 2016.
Le 10 juin 2016, la société LES FILMS DES TOURNELLES informait la société AOC FILMS de la rupture du contrat de coproduction devenu caduc rappelant que cette dernière par lettre en date du 19 mai 2016, reçue Ie 24 mai 2016, avait décidé de poursuivre le contrat qu'il lui appartenait de l'exécuter dans toutes ses dispositions avant le 9 juin 2016, a'n que la décision de poursuite de ce contrat soit recevable, ce qui n'avait pas été fait, qu'en tout état de cause, « la coproduction d'une
oeuvre est la convention par laquelle plusieurs producteurs s'associent pour produire une oeuvre en
commun en l'occurrence le film « Tour de France »,que l'essence même du contrat de coproduction
du 3 août 2015 étant Ia production d'une œuvre commune, la décision d'AOC FILMS de ne pas
honorer ses engagements, et ce, quelle que soit Ia date d'exigibilité de ces engagements, prive le
contrat de son objet et fait obstacle à la poursuite du contrat. »
Par lettre en date du 16 novembre 2016, le mandataire judiciaire de la société AOC FILMS informait la société LES FILMS DES TOURNELLES que sa créance de 100 000 , déclarée par la société AOC FILMS, à l'occasion des opérations de vérification du passif, gurant sur la liste transmise par le débiteur pour la somme de 100 000.00 avait été contestée à hauteur de 100 000.00 pour le motif suivant : créance contestée par le conseil de Ia société en raison de la déclaration de caducité de l'accord de co-production faite par lettre recommandée avec accusé de réception du Conseil de Ia Société LES PRODUCTIONS DE LA TOURNELLE du 10/06/2016 et qu'il serait proposé au Juge-Commissaire, le rejet de l'intégralité de la créance sous réserve du droit conféré par les dispositions de l'article L 622-27 du code de commerce de présenter des observations dans un délai de 30 jours à compter de la réception des présentes, conformément aux dispositions de l'ArticIe L. 622-27 du Code du Commerce et aux conditions prévues par l'article L. 624-3 du code de commerce.
Par lettre du 23 novembre 2016, la société LES FILMS DES TOURNELLES indiquait au mandataire judiciaire que contrairement aux affirmations de la société AOC Films, « la société LES
FILMS DES TOURNELLES n'a ni fait valoir, ni déclaré une créance au passif d'AOC Films mais
que la société AOC FILMS, sollicitée le 9 mai 2016, au visa des articles L. 622-13 et L. 631-14-I du
code de commerce, de prendre parti sur Ia poursuite du contrat de coproduction du 3 août 2015,
a décidé de poursuivre ce contrat mais a refusé de l'exécuter, ce refus, malgré le délai dont elle
disposait, ayant démontré que les deux parties ne concouraient plus ensemble à la production d'une oeuvre commune, privant dès lors le contrat d'objet lequel s'est donc trouvé de ce fait frappé de caducité. »
Par jugement du 28 novembre 2017, il était mis fin à la période d'observation et le plan de redressement de la société AOC FILMS était arrêté.
Par acte du 12 avril 2018, la société AOC FILMS saisissait le Tribunal de commerce de Paris.
Par un jugement du 11 septembre 2019, le Tribunal de commerce de Paris a :
- Dit le contrat entre les parties résilié à bon droit par la société LES FILMS DES TOURNELLES, le contrat subsistant cependant pour la période antérieure au 10 juin 2016 ;
- Débouté la société AOC FILMS de sa demande de paiement de la somme de 200 000 ;
- Débouté la société AOC FILMS de sa demande de paiement de la somme de 50 000 à titre de dommages et intérêts ;
- Débouté la société LES FILMS DES TOURNELLES de sa demande de paiement de la somme de 100 000 ;
- Condamné la société AOC FILMS à verser la somme de 2000 à la société LES FILMS DES TOURNELLES au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;
- Ordonné l'exécution provisoire du jugement, nonobstant appel et sans caution ;
- Condamné la société AOC FILMS aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 dont 12,20 de TVA.
Pour se déterminer ainsi, le tribunal a retenu que :
- la créance des FILMS DES TOURNELLES correspondant à la troisième échéance de 100 000 euros est antérieure au jugement d'ouverture du redressement judiciaire, qu'elle ne pouvait être payée par AOC FILMS en application des règles relatives aux procédures collectives et en particulier de l'article L. 622-7 du code de commerce, que AOC FILMS.
- AOC FILMS ayant notifié son intention de poursuivre le contrat et FILMS DES TOURNELLES n'ayant pas déclaré sa créance, au regard du fait que l'état d'avancement du film « interdisait tout délai ou tout étalement pour la remise des fonds contractuels » FILMS DES TOURNELLE, à bon droit, a résilié le contrat pour inexécution en date du 10 juin 2016.
- la résiliation n'a d'effet que pour le futur dès lors que les prestations échangées trouvaient leur utilité au fur et à mesure de l'exécution réciproque des contrats.
La société AOC FILMS a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe de la cour le 4 octobre 2019.
Par dernières conclusions déposées et notifiées le 1er juin 2020, la société AOC FILMS
demande à la Cour de :
Vu l'article 1104, 1203 et 2131-1 du Code civil
Vu les articles 1186 et 1187 du Code civil
Vu les articles 1352 à 1352-9 du Code civil
Vu le contrat de coproduction du 3 août 2015
Vu le parfait paiement de la somme de 200 000 EUR.
Vu le courrier adressé par la société LES FILMS DES TOURNELLES à Madame la Directrice du CNC pour l'octroi d'une avance en date du 3 mars 2016
Vu la facture émise le 10 mars 2016 par ses soins
Vu le courriel du 14 avril 2016 de société LES FILMS DES TOURNELLES à la société AOC FILMS portant relance de paiement de la facture du 10 mars 2016
Vu le courriel du 22 avril 2016 de la société LES FILMS DES TOURNELLES à la société AOC FILMS portant relance de paiement de la facture du 10 mars 2016
Vu le courrier de Maître I... E... à AOC FILMS du 10 juin 2016 portant prononcé de la caducité du contrat.
Vu le jugement d'ouverture de la procédure collective de la société AOC FILMS en date du 28 avril 2016
Vu l'article L. 622-7 du Code de commerce qui dispose « le jugement ouvrant la procédure emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception du paiement par compensation de créances connexes. Il emporte également, de plein droit, interdiction de payer toute créance née après le jugement d'ouverture, non mentionnée au I de l'article L. 622-17. Ces interdictions ne sont pas applicables au paiement des créances alimentaires. »
Vu l'article L. 622-13 du Code de commerce.
Confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a analysé les faits de la manière suivante :
« ATTENDU que les parties ont signé le 3 août 2015 un contrat pour la coproduction du film TOUR DE FRANCE » ; que ce contrat mettait à la charge de AOC FILMS le versement d'une somme de 300 000 EUR en trois échéances de 100 000 EUR ;
QUE les deux premières échéances ont été normalement versées ;
QUE la troisième échéance de 100 000 EUR dût, selon le contrat, être versée « à la copie standard (mars 2016) » et qu'il n'est pas contesté qu'elle n'a pas été versée ;
QUE AOC FILMS a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire simplifié par jugement du Tribunal de commerce de NICE en date du 28 avril 2016 ;
ATTENDU que la créance des FILMS DES TOURNELLES correspondant à la troisième échéance de 100 000 EUR a été appelée par facture émise par LES FILMS DES TOURNELLES le 10 mars 2016, cette facture visant expressément « contrat de coproduction du 3 août 2015, échéance à la copie standard » et que l'émission de cette facture implique la disponibilité de la copie standard, sauf à ce que la facture ne soit pas causée ; que d'autre part la dirigeante de LES FILMS DES TOURNELLES écrit elle-même dans un courriel du 26 avril 2016 adressé à AOC FILMS « la copie standard est prête » ;
QUE la présentation du film le 15 mai 2016 au festival de CANNES prouve seulement que la copie standard était disponible au plus tard à cette date, et non qu'elle aurait été remise précisément à cette date ;
QU'il résulte que la créance de LES FILMS DES TOURNELLES correspondait à la troisième échéance de 100 000 EUR est antérieure au jugement d'ouverture du redressement judiciaire de AOC.
FILMS et ne pouvait être payée par AOC FILMS, en application des règles relatives aux procédures collectives et en particulier de l'article L.622-7 du Code de commerce.
ATTENDU qu'AOC FILMS a notifié aux FILMS DES TOURNELLES son intention de poursuivre le contrat et que FILM DES TOURNELLES n'a pas déclaré sa créance auprès du mandataire d'AOC FILMS, insistant sur le fait que l'état d'avancement du film interdisait « tout délai ou tout étalement pour la remise des fonds contractuels ».
Infirmer le jugement du 11 septembre 2019 pour le surplus et :
- Juger que la société LES FILMS DES TOURNELLES a abusivement considéré le contrat caduc sans provoquer la moindre restitution pour désormais considérer le contrat résilié aux torts de la société AOC FILMS pour non-paiement de la facture du 10 mars 2016.
En conséquence,
- Débouter la société LES FILMS DES TOURNELLES de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
- Condamner la société LES FILMS DES TOURNELLES à payer à la société AOC FILMS suite au prononcé unilatéral d'une caducité non suivie de la moindre restitution et pour inexécution du contrat au paiement d'une somme de 200 000 EUR avec intérêts au taux légal à compter du 10 juin 2016 date de la rupture abusive par LES FILMS DES TOURNELLES.
- Condamner la société LES FILMS DES TOURNELLES à payer à la société AOC FILMS la somme de 50 000 EUR à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait du prononcé abusif de la caducité et pour résistance abusive aux présentes demandes avec intérêts au taux légal à compter de l'acte introductif d'instance.
- Condamner la société LES FILMS DES TOURNELLES à payer à la société AOC FILMS la somme de 10 000 EUR au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par dernières conclusions déposées et notifiées le 30 mars 2020, la société LES FILMS DES
TOURNELLES demande à la Cour de :
Vu les articles L. 622-13, L. 631-14-I et L. 624-2 du Code de commerce,
Vu l'article 1104 du Code civil,
Vu les articles 1186 et 1187 du Code civil,
Vu les pièces communiquées,
A titre principal :
Confirmer la décision rendue par le Tribunal de commerce en ce qu'il a :
- Dit le contrat entre les parties résilié à bon droit par la société LES FILMS DES TOURNELLES, le contrat subsistant cependant pour la période antérieure au 10 juin 2016 ;
- Débouté la société AOC FILMS de sa demande de paiement de la somme de 200 000 ;
- Débouté la société AOC FILMS de sa demande de paiement de la somme de 50 000 à titre de dommages et intérêts ;
A titre subsidiaire :
- Constater la caducité du contrat de coproduction ;
- Débouter la société AOC FILMS de sa demande de remboursement de 200.000 ;
- Dire que le contrat subsiste pour la période antérieure au 10 juin 2016 ;
A titre plus subsidiaire :
- Dire que le contrat n'est pas résilié et subsiste à ce jour, et par conséquent,
- Dire qu'AOC FILMS doit régler à la société LES FILMS DES TOURNELLES le dernier tiers de 100 000,
- Avant que la société LES FILMS DES TOURNELLES ne calcule la quote-part des droits à verser à AOC FILMS en application du contrat,
En tout état de cause,
- Débouter la société AOC FILMS de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- Condamner la société AOC FILMS à verser à la société LES FILMS DES TOURNELLES la somme de 5 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
SUR QUOI,
LA COUR
SUR LA RESILIATION DU CONTRAT DE COPRODUCTION
L'appelante soutient que la société LES FILMS DES TOURNELLES a prétexté du non-paiement de la facture du 10 mars 2016 pour rompre abusivement le contrat pour caducité, alors que la facture de la société LES FILMS DES TOURNELLES ayant été émise le 10 mars 2016, et la société AOC FILMS ayant été placée en redressement judiciaire par jugement du 28 avril 2016, la créance de la société LES FILMS DES TOURNELLES est antérieure à l'ouverture de la procédure collective ce dont il résulte que la société AOC FILMS ne pouvait honorer cette facture, les dispositions légales lui imposant de ne régler que les créances postérieures au 28 avril 2016 date du jugement d'ouverture du redressement judiciaire.
L'intimée fait valoir que la société AOC FILMS ayant décidé de poursuivre le contrat mais n'ayant finalement pas réglé la dernière échéance, et la société LES FILMS DES TOURNELLES ayant bien indiqué que l'état d'avancement du film lui interdisait tout délai ou étalement pour la remise des fonds contractuels, elle était parfaitement fondée à résilier le contrat pour inexécution, faute pour AOC FILMS d'avoir procédé au paiement des sommes dues ; que subsidiairement, la cour constaterait la caducité du contrat au regard du fait que l'apport financier d'AOC FILMS représentait l'élément essentiel du contrat de coproduction dont l'exécution a été rendue impossible par le fait de sa disparition et qu'ainsi ne pouvant plus être exécuté, le contrat est devenu caduc.
Selon les dispositions de l'article L. 622-13 Modifié par Ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 -
art. 23
I. - Nonobstant toute disposition légale ou toute clause contractuelle, aucune indivisibilité, résiliation ou résolution d'un contrat en cours ne peut résulter du seul fait de l'ouverture d'une procédure de sauvegarde.
Le cocontractant doit remplir ses obligations malgré le défaut d'exécution par le débiteur d'engagements antérieurs au jugement d'ouverture. Le défaut d'exécution de ces engagements n'ouvre droit au profit des créanciers qu'à déclaration au passif.
II. - L'administrateur a seul la faculté d'exiger l'exécution des contrats en cours en fournissant
la prestation promise au cocontractant du débiteur.
Au vu des documents prévisionnels dont il dispose, l'administrateur s'assure, au moment où il
demande l'exécution du contrat, qu'il disposera des fonds nécessaires pour assurer le paiement
en résultant. S'il s'agit d'un contrat à exécution ou paiement échelonnés dans le temps,
l'administrateur y met fin s'il lui apparaît qu'il ne disposera pas des fonds nécessaires pour
remplir les obligations du terme suivant.
III. - Le contrat en cours est résilié de plein droit :
1° Après une mise en demeure de prendre parti sur la poursuite du contrat adressée par le
cocontractant à l'administrateur et restée plus d'un mois sans réponse. Avant l'expiration de ce délai, le juge-commissaire peut impartir à l'administrateur un délai plus court ou lui accorder une prolongation, qui ne peut excéder deux mois, pour se prononcer ;
2° A défaut de paiement dans les conditions définies au II et d'accord du cocontractant pour
poursuivre les relations contractuelles. En ce cas, le ministère public, l'administrateur, le mandataire judiciaire ou un contrôleur peut saisir le tribunal aux fins de mettre fin à la période d'observation.
IV. - A la demande de l'administrateur, la résiliation est prononcée par le juge-commissaire si elle est nécessaire à la sauvegarde du débiteur et ne porte pas une atteinte excessive aux intérêts du cocontractant.
V. - Si l'administrateur n'use pas de la faculté de poursuivre le contrat ou y met fin dans les conditions du II ou encore si la résiliation est prononcée en application du IV, l'inexécution peut donner lieu à des dommages et intérêts au profit du cocontractant, dont le montant doit être déclaré au passif. Le cocontractant peut néanmoins différer la restitution des sommes versées en excédent par le débiteur en exécution du contrat jusqu'à ce qu'il ait été statué sur les dommages et intérêts.
Ces dispositions sont applicables au redressement judiciaire par l'effet des dispositions de l'article L 631-14 du même code et, en l'absence de désignation d'un administrateur, les dispositions de l'article Article L. 627-2 Modifiées par Ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 - art. 7 donnent au débiteur, après avis conforme du mandataire judiciaire, la faculté ouverte à l'administrateur de poursuivre des contrats en cours et prévoient qu'en cas de désaccord, le juge-commissaire est saisi par tout intéressé.
Par ailleurs, lorsqu'est exercée la faculté prévue par le II de l'article L. 622-13 et que la prestation porte sur le paiement d'une somme d'argent, les dispositions de l'article L. 631-14 prévoient que le paiement doit se faire au comptant, sauf pour l’administrateur (ou le débiteur) à obtenir l'acceptation de délais de paiement par le cocontractant du débiteur. Au vu des documents prévisionnels dont il dispose, l'administrateur (ou le débiteur) s'assurant, au moment où il demande l'exécution, qu'il disposera des fonds nécessaires à cet effet.
Il se déduit de ces dispositions que lorsque la prestation du débiteur porte sur le paiement d'une somme d'argent, et que celui-ci opte pour la poursuite du contrat en cours, le débiteur, avec avis conforme du mandataire judiciaire (article L. 627-2 du code de commerce) et le cas échéant en cas de désaccord, sur décision du juge commissaire, soit estime que le contrat n'est pas nécessaire, et il pourra "y mettre fin" , soit estime que ce contrat est utile pour préserver l'entreprise, et pourra
exiger qu'il soit poursuivi aux mêmes conditions.
Ainsi dès lors que la société AOC FILMS, par courrier recommandé avec accusé de réception du 19 mai 2016, répondant à la mise en demeure de prendre parti sur la poursuite du contrat de coproduction conclu le 3 août 2015 indiquait :
« Après concertation avec Maitre Stéphanie C..., Mandataire judiciaire, nous entendons poursuivre ce contrat, conformément aux dispositions de l'article L. 622-13 du Code de commerce. Nous vous invitons à produire pour votre « Appel de fonds n° 3 » en date du 10 mars 2016. Nous adressons copie de la présente à Maître C.... »
il lui appartenait, ayant exercé l'option de poursuivre le contrat dont le terme était échu depuis le 10 mars 2016, date d'émission de la facture après délivrance de la copie standard dont aucune des parties ne vient contredire le fait que la première projection du film à laquelle l'appelante était conviée par l'intimée a eu lieu le 19 mars 2016, et alors qu'aucun délai de paiement ne lui avait été consenti par son cocontractant, de fournir la prestation promise et de s'acquitter de sa dette.
Cependant la société AOC FILMS ne s'est pas acquittée du paiement de la dernière tranche de 100 000 euros à laquelle elle s'était engagée et, au vu de la mise en demeure qui lui a été adressée le 10 juin 2016 par la société LES FILMS LES TOURNELLES, le contrat non continué s'est donc trouvé résilié de plein droit par l'effet des dispositions de l'article L. 622-13 III 1° précité.
Il s'en suit que la société LES FILMS LES TOURNELLES est fondée à opposer à la société AOC FILMS la résiliation de plein droit du contrat de coproduction conclu le 3 août 2015.
Le jugement doit être confirmé en toutes ses dispositions et la société AOC FILMS déboutée de son appel.
SUR LES FRAIS IRREPETIBLES
En équité la société AOC FILMS sera condamnée à verser à la société LES FILMS DES TOURNELLES la somme de 2 500 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;
Déboute la société AOC FILMS de son appel ;
Condamne la société AOC FILMS à régler à la société LES FILMS DES TOURNELLES une somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel ;
Condamne la société AOC FILMS aux dépens.