CA Poitiers, 2e ch. civ., 12 janvier 2021, n° 19/03250
POITIERS
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Banque CIC Ouest (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Franco
Conseillers :
Mme Brieu, M. Chiron
OBJET DU LITIGE
La SAS Leaf exerçait une activité de commerce de détail non alimentaire, achat de biens d'occasions et de métaux précieux, sous l'enseigne Cash Converters à Saintes.
Selon convention du 6 octobre 2016, cette société alors en formation a ouvert un compte courant professionnel n°[...] dans les livres de la société anonyme Banque CIC Ouest. L'article 3 des conditions générales de ce contrat prévoyait :
« Conformément aux articles 2355 et suivants du code civil, le client remet à titre de sûreté en nantissement à la banque, l'ensemble des comptes actuels et futurs relevant des présentes conditions générales, ainsi que tout compte d'épargne à vue ou à terme qu'il détient ou détiendra auprès de la banque.
Ce nantissement est consenti en garantie de toute créance de la banque sur le client au titre de toute avance, prêt ou crédit de toute nature, opération de bourse ou autre opération sur titres ou sur instruments financiers, et au titre de toute prestation de service. »
Ce même établissement lui a consenti selon contrat du 8 novembre 2016, un prêt professionnel de 125 400 euros remboursable en 84 mensualités de 1802,77 euros au taux de 1,53000 %, soit un taux annuel effectif global de 3,04 %. Ce crédit était garanti par le cautionnement solidaire de M. Franck D. et de Mme Alexandra D. dans la limite de 72 000 euros, ainsi que par un nantissement de fonds de commerce consenti le 2 décembre 2016.
Par jugement du 4 octobre 2018, le tribunal de commerce de Saintes a ouvert une procédure de redressement judiciaire, la selarl H., prise en la personne de Me Thomas H. étant désignée comme mandataire judiciaire.
Un compte n°[...] a été ouvert par la société en redressement la Banque CIC le 17 octobre 2018, selon contrat CIC de ce jour.
La procédure a été convertie en liquidation judiciaire par jugement de ce tribunal du 7 mars 2019, Me H. étant désigné comme mandataire liquidateur.
Par un courrier daté du 6 novembre 2018, la Banque CIC Ouest a déclaré une créance de 113 162,38 euros à titre privilégié, à savoir :
- 14 532,14 euros au titre du solde débiteur sur le compte courant n°[...] garantie par le nantissement de l'éventuel solde débiteur du compte courant RJ ;
- 98 630,24 euros au titre du prêt.
Par courrier du 5 avril 2019, Me Thomas H. a contesté le privilège déclaré au titre du nantissement de l'éventuel solde débiteur du compte courant 'redressement judiciaire' créé après l'ouverture de la procédure et pour les besoins de celle-ci sous le numéro 00020501606, dès lors que ce compte a été ouvert après le jugement d'ouverture et ne peut nantir une créance antérieure, et sollicité les observations du créancier sur le rejet du privilège en application des articles L.622-27 et R.624-1 du code de commerce.
Par courrier du 17 avril 2019, la banque a maintenu sa déclaration à titre privilégié au motif que le compte « bis » est une continuité du compte initial.
Par ordonnance du 26 septembre 2019, le juge-commissaire du tribunal de commerce de Saintes a statué comme suit :
Vu les dispositions des articles L. 624-2, R. 624-3 et R. 624-8 du code de commerce,
Vu les pièces versées aux débats,
- admettons la créance du CIC Ouest au passif de la SAS Leaf, pour la somme de 14 532,14 € à titre privilégié au titre du solde du compte n°[...] et pour la somme de 98 630,24 € à titre privilégié,
- ordonnons la notification de la présente ordonnance à :
la selarl H. représentée par Me Thomas H. CIC Ouest/Me Magalie R. sous simple lettre, et à la SAS Leaf /M. Franck D.
sous pli recommandé, à la diligence de monsieur le greffier du tribunal,
-disons que les dépens seront en frais privilégiés de procédure,
La selarl H. es qualités a relevé appel de cette décision selon déclaration du 4 octobre 2019, en ses dispositions ayant :
- admis la créance de la Banque CIC ouest au passif de la SAS Leaf pour la somme de 14.532,14 €à titre privilégié au titre du solde du compten°[...] et pour la somme de 98.630,24 €à titre privilégié,
- dit que les dépens seront en frais privilégiés de procédure.
La déclaration d'appel a été signifiée le 21 novembre 2019 selon les modalités de l'article 659 du code de procédure civile à la SAS Leaf, à défaut de constitution de celle-ci.
Dans ses dernières conclusions du 7 octobre 2020, reprenant les demandes contenues dans les premières conclusions d'appelant signifiées le 4 février 2020, la selarl H., prise en la personne de Maître Thomas H. et en sa qualité de liquidateur de la liquidation judiciaire de la SAS Leaf, demande à la cour de :
- recevoir la selarl H. ès qualités ès qualités en son appel et l'y dire bien fondée,
Réformer l'ordonnance entreprise et statuant à nouveau,
- dire et juger que les créances déclarées par la Banque CIC Ouest seront admises au passif de la SAS Leaf :
- au titre du solde débiteur du compte courantn°[...] : pour un montant de 14 532,14 € à titre chirographaire,
- au titre des sommes restant dues en capital et intérêts pour le prêt n° 14284 205016 02 : pour un montant de 98 630,24 € à titre privilégié (nantissement du fonds de commerce uniquement),
- débouter la Banque CIC Ouest de ses demandes contraires, et notamment de sa demande tendant à voir juger que ses créances sont garanties par un nantissement sur le compte RJ de la SAS Leaf,
- condamner la Banque CIC Ouest à payer à la selarl H. ès qualités la somme de 2 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la Banque CIC Ouest aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Elle soutient que la notification, à la diligence du greffe le 26 juin 2019 et par erreur en raison de l'absence de contestation du montant de la créance, d'une admission de créance en application de l'article R.624-3 du code de commerce (applicable aux seules créances non contestées), n'est pas de nature à faire obstacle à sa contestation (d'autant que ce document mentionne une admission à titre chirographaire et non privilégié).
Elle fait valoir que le nantissement allégué sur un compte ouvert le 17 octobre 2018 à la suite jugement d'ouverture du redressement judiciaire du 4 octobre 2018 est contraire à l'article L. 622-30, alinéa 1er du code de commerce, qui empêche toute inscription de nantissement postérieurement au jugement d'ouverture, et serait contraire au principe d'égalité entre les créanciers. Elle soutient également que le nantissement du compte RJ à son profit reviendrait à permettre à la banque de se faire payer d'une créance antérieure en contravention aux dispositions de l'article L. 622-7 du code de commerce. Elle soutient que ce compte ne peut être considéré comme la continuité du compte courant initial puisqu'il s'agit d'un nouveau contrat ayant donné lieu à la signature d'un « contrat CIC », de sorte qu'un nantissement de ce compte était soumis à autorisation du juge-commissaire en application des articles L. 622-7, II, alinéa 1er et L. 631-14 du code de commerce.
Elle expose enfin qu'en application de l'article 2360, alinéa 2 du code civil, les droits du créancier nanti ne portent que sur le solde du compte à la date d'ouverture du redressement (et non de la liquidation), à laquelle le compte courant était débiteur.
En réponse, et par conclusions du 25 février 2020, dénoncées à la SAS Leaf selon acte du 25 mars 2020, la société Banque CIC Ouest formule les prétentions suivantes.
Vu l'autorité de la chose jugée tenant à l'admission de la créance au titre du solde débiteur du compte n°[...], à titre nanti, suivant ordonnance en date du 26 juin 2019.
- confirmer l'ordonnance rendue le 26 septembre 2019 par le juge-commissaire près le tribunal de commerce de Saintes, en ce que les créances de la Banque CIC Ouest ont été admises au passif de la SAS Leaf pour la somme de 14 532,14 €, à titre privilégié, au titre du solde du compte n°[...] et pour la somme de 98 630,24 €, à titre privilégié.
- débouter Me H., es qualité de liquidateur de la SAS Leaf, de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions et notamment de sa contestation du caractère privilégié des deux créances déclarées au regard de l'existence du nantissement de compte.
Etant précisé en tout état de cause que la créance au titre du prêt bénéficie d'un nantissement de fonds de commerce.
- condamner Me H., es qualité de liquidateur de la SAS Leaf à payer à la banque CIC Ouest la somme de 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens d'instance et d'appel.
Elle soutient que la notification de l'admission le 26 juin 2019 de la créance dans son quantum et avec sa garantie empêche toute contestation.
Subsidiairement, elle indique que le compte bis, dont la création est imposée afin de figer la créance à la date du redressement judiciaire et d'éviter le paiement des créances antérieures tout en respectant les dispositions de l'article L. 622-13-1 du code de commerce empêchant la résiliation du contrat du seul fait du jugement d'ouverture, contient les mêmes droits, garanties et obligations pour chacune des parties, ce qui implique le maintien des garanties existantes pour la banque. Elle soutient dès lors qu'aucune nouvelle sûreté n'est souscrite en période suspecte.
Elle estime qu'il convient, s'agissant de l'exigibilité des sommes détenues sur le compte, de se placer à la date de liquidation judiciaire, et non de redressement judiciaire.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 13 octobre 2020.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la recevabilité de la contestation.
Selon l'article 1355 du code civil, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.
L'article 122 du code de procédure civile dispose que les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause, à moins qu'il en soit disposé autrement et sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages-intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt.
En l'espèce, le courrier de notification d'admission de créance du 26 juin 2019 dont se prévaut l'intimée ne constitue pas un titre au sens de l'article 1355 du code civil qui n'attache l'autorité de la chose jugée qu'à ce qui a fait l'objet du jugement ; en outre, elle mentionne de façon contradictoire une admission à titre chirographaire et l'existence d'un nantissement de l'éventuel solde débiteur du compte courant du redressement judiciaire. Dès lors, la banque intimée ne démontre pas l'existence d'une autorité de la chose jugée faisant obstacle à la contestation du caractère privilégié de sa créance. Sa fin de non-recevoir sera donc rejetée.
Sur le caractère privilégié de la créance au titre du compte courant.
L'article L. 622-25 du code de commerce dispose que la déclaration de créances porte le montant de la créance due au jour du jugement d'ouverture avec indication des sommes à échoir et de la date de leurs échéances. Elle précise la nature du privilège ou de la sûreté dont la créance est éventuellement assortie.
L'article R. 622-23 du code de commerce précise qu'outre ces indications, la déclaration de créance contient :
1° Les éléments de nature à prouver l'existence et le montant de la créance si elle ne résulte pas d'un titre ; à défaut, une évaluation de la créance si son montant n'a pas encore été fixé ;
2° Les modalités de calcul des intérêts dont le cours n'est pas arrêté, cette indication valant déclaration pour le montant ultérieurement arrêté ;
3° L'indication de la juridiction saisie si la créance fait l'objet d'un litige.
A cette déclaration sont joints sous bordereau les documents justificatifs ; ceux-ci peuvent être produits en copie. À tout moment, le mandataire judiciaire peut demander la production de documents qui n'auraient pas été joints.
Selon l'article 2387 du code civil, les dispositions du livre IV du code civil relatif aux sûretés ne font pas obstacle à l'application des règles prévues en cas d'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ou encore en cas d'ouverture d'une procédure de traitement des situations de surendettement des particuliers.
L'article 2360 du même code dispose que lorsque le nantissement porte sur un compte, la créance nantie s'entend du solde créditeur, provisoire ou définitif, au jour de la réalisation de la sûreté sous réserve de la régularisation des opérations en cours, selon les modalités prévues par les procédures civiles d'exécution.
Sous cette même réserve, au cas d'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire, de liquidation judiciaire ou d'une procédure de traitement des situations de surendettement des particuliers contre le constituant, les droits du créancier nanti portent sur le solde du compte à la date du jugement d'ouverture.
En l'espèce, si de façon générale, un compte spécifique ouvert à la diligence de la banque, en cas d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire, pour l'encaissement des opérations postérieures, en application de l'article L. 622-17 du code de commerce, est une simple opération comptable destinée à les isoler afin de conserver le solde provisoire antérieur faisant l'objet d'une déclaration de créance, sans incidence sur les droits, garanties et obligations pour chacune des parties, tel n'est pas, en l'espèce le cas du compte [...] qui constitue un compte distinct ouvert par convention de compte du 17 octobre 2018, et non la continuité du compte initial. La cour relève en tout état de cause que dans l'hypothèse dans laquelle le compte en question ne constituerait que la continuité du premier compte, il ne pourrait, dans ces conditions, n'étant pas une créance distincte, constituer un bien affecté en nantissement.
Dans ces conditions, ce contrat ne pouvait, dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire, donner lieu à la constitution d'un nantissement que sur autorisation du juge-commissaire en application des articles L. 622-7, II et L. 631-14 du code de commerce. Les stipulations des conditions générales de la convention du 6 octobre 2016 portant sur le compte courant professionnel n°00020501601, prévoyant la remise à titre de sûreté en nantissement à la banque de l'ensemble des comptes actuels et futurs relevant des présentes conditions générales, ainsi que tout compte d'épargne à vue ou à terme qu'il détient ou détiendra auprès de la banque, ne pouvaient, en conséquence, recevoir application.
En outre, à la date d'ouverture du jugement de redressement judiciaire, date à laquelle il convient en application de l'article 2360 du code civil de se placer pour apprécier les droits du créancier nanti, ledit compte était inexistant.
La banque ne prouve ainsi l'existence d'aucune garantie à la date du jugement d'ouverture ; l'ordonnance entreprise sera donc infirmée en ce qu'elle a admis la créance au titre du solde débiteur du compte courantn°[...] à titre privilégié et la cour statuant à nouveau prononce son admission à titre chirographaire.
Dès lors que le montant de cette créance n'est pas contesté et que le caractère privilégié de la créance de la banque au titre du prêt, dont le montant n'est pas plus contesté, est établi par le nantissement de fonds de commerce, le surplus de l'ordonnance sera confirmé, y compris en ce qu'il a dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de liquidation, au regard de l'intérêt commun de la procédure d'admission de créance.
La Banque CIC Ouest succombant sera condamnée aux entiers dépens de l'appel ainsi qu'à payer à l'appelant la somme de 1 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge. Sa demande sur ce fondement sera en conséquence rejetée.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Rejette la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée ;
Infirme l'ordonnance du 26 septembre 2019 du juge-commissaire du tribunal de commerce de Saintes en ce qu'elle a admis la créance au titre du solde du compte n°[...] du CIC Ouest au passif de la SAS Leaf, pour la somme de 14 532,14 € à titre privilégié ;
Confirme l'ordonnance entreprise pour le surplus ;
Statuant à nouveau du chef infirmé ;
- Admet la créance au titre du solde du compte n°[...] du CIC Ouest au passif de la SAS Leaf, pour la somme de 14 532,14 € à titre chirographaire ;
Y ajoutant ;
- Condamne la société anonyme Banque CIC Ouest à la selarl H., pris en sa qualité de liquidateur de la SAS Leaf, la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Rejette la demande de la société anonyme Banque CIC Ouest à ce titre ;
- Condamne la société anonyme Banque CIC Ouest aux dépens de l'appel.