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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. civ., 22 novembre 2021, n° 21/00361

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Tekwine (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pignon

Conseillers :

Mme Fabry, Mme Goumilloux

TJ Bordeaux, du 21 janv. 2021, n° 19/038…

21 janvier 2021

EXPOSE DU LITIGE :

La SARL Tekwine a été propriétaire de 41 635 bouteilles de vin en février 2018 et les a stockées dans les entrepôts de la SCEA M M. dans l'attente de leur enlèvement.

Suivant facture en date du 14 janvier 2019, la société Tekwine a cédé 7 000 bouteilles AOP Saint Estèphe Kosher 2014 et 8 000 bouteilles AOP Saint Estèphe Kosher 2015 à la SCEA M M., moyennant un prix de 153 750 euros HT, soit 184 500 euros TTC. L'acte de vente stipule une clause de réserve de propriété rédigée comme suit : «'La propriété des marchandises est au vendeur jusqu'au paiement complet du prix (loi du 12 mai 1980)'».

Par jugement du 24 mai 2019, le tribunal de grande instance de Bordeaux a ouvert la procédure de sauvegarde de la SCA M M. et a désigné la SCP S. B., en la personne de Me S., en qualité de mandataire judiciaire. Par jugement du 9 août 2019, la SELARL Vincent M. a été désignée en qualité d'administrateur judiciaire.

Le 19 juillet 2019, la société Tekwine a déclaré sa créance à hauteur de 221 243,04 euros TTC.

Suivant courrier en date du 25 octobre 2019, la société Tekwine a présenté auprès du juge commissaire une requête en revendication de 41.635 bouteilles de vin casher.

Par ordonnance du 19 juin 2020, le juge-commissaire a ordonné à la SCA M M. de restituer à la société Tekwine 7 000 bouteilles AOP Saint Estèphe Kosher 2014 et 8 000 bouteilles AOP Saint Estèphe Kosher 2015.

Par lettre recommandée du 3 juillet 2020, la SCA M M. a formé opposition à cette ordonnance.

Par jugement contradictoire du 8 janvier 2021, le tribunal de grande instance de Bordeaux a :

- déclaré recevable le recours de la SCA M. à l'encontre de l'ordonnance rendue 19 juin 2020 par le juge commissaire de la procédure de sauvegarde de cette société,

- débouté la SCA M M. et la société Vincent M., en qualité d'administrateur judiciaire, de leur demande,

- confirmé l'ordonnance du juge commissaire rendue le 19 juin 2020,

- ordonné la restitution par la SCA M M. à la société Tekwine des 15 000 bouteilles St Estèphe Kosher de 2014 et 2015, objet de la commande du 14 janvier 2019 de la société M. auprès de la société Tekwine,

- condamné la SCA M M., à défaut de restitution en nature des bouteilles, à restituer le prix des biens vendus à la société Tekwine,

- condamné la SCA M M. à payer à la société Tekwine une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SCA M M. à payer à la société S.- B. une somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire, `

- condamné la SCA M M. aux dépens de l'instance.

Par déclaration du 21 janvier 2021, la société M M. a interjeté appel de cette décision à l'encontre de l'ensemble des chefs de la décision qu'elle a expressément énumérés, intimant les sociétés Tekwine, S.-B. et Vincent M..

PRETENTIONS ET MOYENS :

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par RPVA le 20 avril 2021, auxquelles la cour se réfère expressément, la SCA M M. demande à la cour de :

- déclarer recevable et bien fondé son appel,

- en conséquence,

- réformer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

- constater l'antériorité à sa procédure de sauvegarde de la vente et de l'encaissement du prix de vente des 15 000 bouteilles revendiquées par la société Tekwine,

- constater que les 15 000 bouteilles revendiquées par la société Tekwine ne se trouvaient pas en nature dans ses stocks à l'ouverture de la procédure de sauvegarde et de la revendication,

- constater qu'elle était propriétaire des 15 000 bouteilles concernées pour les avoir rachetées à la société Tekwine antérieurement à leur vente à la Maison R.,

- constater qu'elle fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire par conversion du redressement judiciaire,

- en conséquence,

- dire et juger mal fondée la société Tekwine en sa revendication des marchandises,

- en conséquence, l'en débouter par réformation,

- à titre subsidiaire, ordonner le sursis à statuer dans l'attente des conclusions de la DIRRECTE,

- à titre encore plus subsidiaire, ordonner une expertise pour tracer les vins litigieux objets de la présente revendication depuis leur achat par la société Tekwine,

- en tout état de cause,

- débouter la société Tekwine de sa revendication du prix de vente,

- condamner la société Tekwine au dépens et à lui verser la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La société M M. fait notamment valoir :

- que la société Maison R. lui ayant proposé l'acquisition de vins à hauteur de 15.000 bouteilles millésime 2014 et 2015, elle a acheté à la société Tekwine 15 000 bouteilles de vins casher, a reconditionné les vins, la mention casher n'étant pas utile pour le marché qui venait d'être trouvé auprès de la société Maison R.,avant de les lui revendre,

- que les vins ont été rachetés dès le mois de juillet 2018 à la société Tekwine et ensuite revendus en décembre 2018 à la société Maison R.,

- que les vins ne se trouvaient plus en nature au jour de la revendication comme les inventaires l'ont constaté,

- qu'il résulte des éléments produits que seuls les stocks appartenant à la société Tekwine ont pu être utilisés pour la transaction conclue avec la maison R.,

- que c'est donc au motif d'une erreur matérielle, que le document émanant de la société M M., mentionne la vente de bouteilles du seul millésime 2015,

- que les bouteilles litigieuses ont été réglées par la société Maison R. le 28 décembre 2018 ce qui fait nécessairement échec à la demande de paiement de la société Tekwine.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par RPVA le 9 juillet 2021, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Tekwine demande à la cour de :

- confirmer les dispositions du jugement entrepris le 8 janvier 2021 par le tribunal judiciaire de Bordeaux à savoir :

- déclaré recevable le recours de la SCEA M M. à l'encontre de l'ordonnance rendue le 19 juin 2020 par le juge-commissaire de la procédure de sauvegarde de cette société ;

- débouté la SCEA M M. et la société Vincent M., en qualité d'administrateur, de leur demande ;

- confirmé l'ordonnance du juge-commissaire rendue le 19 juin 2020 et ordonne la restitution par la SCEA M M. à la société Tekwine des 15 000 bouteilles St Estèphe Kosher de 2014 et 2015, objet de la commande du 14 janvier 2019 de la société M. auprès de la société Tekwine ;

- condamné la SCEA M M., à défaut de restitution en nature des bouteilles, à restituer le prix des biens vendus à la société Tekwine ;

- condamné la SCEA M M. à payer à la société Tekwine une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la SCEA M M. à payer à la société S.-B. une somme de 500 euros à la SCP S.-B., sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire ;

- condamné la SCEA M M. aux dépens de l'instance ;

- débouter la SCEA M M. de ses l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- en tout état de cause ;

- condamner la SCEA M M. au paiement de la somme de 5 000 euros au titre des frais de justice privilégiés conformément à l'article L. 622-17 du code de commerce.

La société Tekwine fait notamment valoir que :

- la SCEA M M. ne justifie que d'un état des stocks bien antérieur (septembre 2018) et postérieur (31 juillet 2019) au jour de l'ouverture de la procédure de sauvegarde (24 mai 2019) ;

- les pièces produites par l'appelante ne démontrent pas, au jour, de l'ouverture de la procédure collective, l'absence dans ses stocks des 15 000 bouteilles revendiquées,

- aucun accord sur la chose et le prix n'est intervenue entre elle et la société M M., antérieurement à la vente de bouteilles de vins à la société Maison R. intervenue le 27 décembre 2018 ;

- ce n'est qu'au plus tôt le 13 janvier 2019, qu'un accord sur la chose et le prix est entériné ;

- les deux ventes ne portent ni sur la même date, ni sur le même objet, ni sur le même prix.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par RPVA le 20 juillet 2021, auxquelles la cour se réfère expressément, la société S.-B. demande à la cour de lui donner acte en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SCEA M M. qu'elle s'en remet à justice sur le bien fondé de l'appel, et de condamner la partie succombante à payer la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au bénéfice de la société T. & Associés sur ses affirmations de droit pour ceux-ci.

Par exploit d'huissier du 12 mars 2021, la société M M. a fait assigner la société Vincent M., ès-qualités d'administrateur judiciaire, avec dénonciation des conclusions. La société Vincent M. n'a pas constitué avocat et n'a pas déposé de conclusions.

Le dossier a été communiqué au Ministère Public, lequel, par mention au dossier du 7 septembre 2021, a requis la confirmation du jugement.

Cet avis a été communiqué aux parties par les soins du greffe.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 27 septembre 2021 et le dossier a été fixé à l'audience du 18 octobre 2021.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées.

MOTIFS DE LA DECISION :

Conformément à l'article L. 624-16 alinéa 2 du code de commerce, les biens vendus avec une clause de réserve de propriété peuvent être revendiqués, s'ils se retrouvent en nature au moment de l'ouverture de la procédure de sauvegarde, cette clause devant avoir été convenue entre les parties dans un écrit au plus tard au moment de la livraison, ou l'être dans un écrit régissant un ensemble d'opérations commerciales convenues entre les parties.

Par ailleurs, l'article L. 622-6 prévoit notamment que dès l'ouverture de la procédure, il est dressé un inventaire du patrimoine du débiteur ainsi que des garanties qui le grèvent, cet inventaire, remis à l'administrateur et au mandataire judiciaire, étant complété par le débiteur par la mention des biens qu'il détient susceptibles d'être revendiqués par un tiers.

L'article L. 622-6-1 précise "Sauf s'il a été procédé, dans le jugement d'ouverture de la procédure, à la désignation d'un officier public ou d'un courtier de marchandises assermenté chargé de dresser l'inventaire, celui-ci est établi par le débiteur et certifié par un commissaire aux comptes ou attesté par un expert-comptable. Les dispositions du quatrième alinéa de l'article L. 622-6 ne sont, en ce cas, pas applicables.

Si le débiteur n'engage pas les opérations d'inventaire dans un délai de huit jours à compter du jugement d'ouverture ou ne les achève pas dans un délai fixé par ce jugement, le juge-commissaire désigne pour y procéder ou les achever un commissaire-priseur judiciaire, un huissier de justice, un notaire ou un courtier en marchandises assermenté en considération de leurs attributions respectives telles qu'elles résultent des dispositions qui leur sont applicables. Il est saisi par l'administrateur, le mandataire judiciaire ou le ministère public. Il peut également se saisir d'office. Le délai fixé pour achever les opérations d'inventaire peut être prorogé par le juge-commissaire".

Il ressort de ces textes qu'en présence d'un inventaire incomplet, sommaire ou inexploitable, qui équivaut à l'absence d'inventaire obligatoire prévu par l'article L. 622-6 du code de commerce, la preuve que le bien revendiqué, précédemment détenu par le débiteur, n'existe plus en nature au jour du jugement d'ouverture, incombe au liquidateur et/ou au débiteur, étant précisé qu'à défaut de rapporter cette preuve, il doit être fait droit à la revendication.

En l'espèce, la procédure de sauvegarde a été ouverte par décision en date du 24 mai 2019, et l'expert-compable de la société a attesté avoir procédé à l'audit de l'inventaire physique des stocks les 17 et 18 juillet 2019, précisant que les stocks appartenant à la société Tekwine et mise (sic) au dépôt à la propriété n'ont pas fait l'objet dudit inventaire et que ces bouteilles ont toutefois été inventoriées physiquement à la date du 31/07/2019 par le maître de chais de la SCEA M. M. dont le détail nous a été communiqué et figure en annexe jointe.

Il en résulte qu'aucun inventaire n'a été effectué dans les huit jours du jugement ouvrant la procédure de sauvegarde, de sorte qu'il incombe à la société débitrice de rapporter la preuve qu'à cette même date, les bouteilles revendiquées n'étaient plus en sa possession.

Pour rapporter cette preuve, la SCEA M. produit aux débats en premier lieu une 'déclaration de stocks et de moûts' réalisée auprès de l'administration douanière le 10 septembre 2018 au vu de laquelle la société disposait à cette même date de 13 233 bouteilles de vin cru Serilhan Kasher de l'année 2014 et 10 566 bouteilles de l'année 2015.

Ce document, qui démontre seulement la présence des bouteilles litigieuses avant l'ouverture de la procédure de sauvegarde, n'est pas utilement complété par l'état d'enlèvement Sovex également produit, dès lors que le premier enlèvement, dont la mention de la date est quasiment illisible, semble daté du 18 août 2018, et que le second a été effectué le 6 juin 2019, pas plus que par les autres déclarations de stocks et inventaires versés aux débats, tous très postérieurs à l'ouverture de la procédure de sauvegarde.

En conséquence, ainsi que le fait justement observer la société Tekwine, même à considérer que seuls les lots vendus à Tekwine ont pu servir de base à la revente à la société Maison R., les bouteilles revendues à la Maison R. n'ont été enlevées que postérieurement à l'ouverture de la procédure de sauvegarde.

De surcroît, il résulte des autres pièces versées aux débats par la SCEA M. que les prestations de vidage des bouteilles, fourniture et pose de bouchons non casher, étiquettes, capsules et cartons, sont datées de l'avant-veille et de la veille du jugement de sauvegarde, ce dont il se déduit que les bouteilles se trouvaient encore dans les locaux de la société à la date du jugement d'ouverture.

Les courriels échangés entre la société M. M. et la DIRRECTE également produits ne sont pas de nature à combattre utilement les autres éléments du dossier.

Enfin et surtout, la vente des bouteilles par la société Tekwine à la société M. M., si elle a fait l'objet de pourparlers à compter du mois de février 2018, n'a été concrétisée que le 19 janvier 2019, ainsi que le montre la facture pro forma produite par Tekwine, le prix ayant été convenu dans le courriel du 14 janvier 2019 à 10,25 H.T par unité.

Il en résulte que, la commande à la société M. M. par la société Maison R. étant datée du 27 décembre 2018, elle ne peut porter sur le même lot de vin, puisqu'à cette date, la société M. M. n'était pas encore propriétaire des bouteilles litigieuses, étant en outre ajouté que la vente de 15 000 bouteilles à la société Maison R. par la société Scea M M. portait sur 15 000 bouteilles de millésime 2015 non kasher alors que le rachat des bouteilles de la société Tekwine portait sur 7.000 bouteilles de millésime 2014 et 8 000 bouteilles de millésime 2015 kasher, ce qui démontre une nouvelle fois que le lot vendu à la société Maison R. diffère de celui acquis par la société M. M. à la société Tekwine.

Dès lors que les vins vendus par la société M. M. à la société Maison R. ne sont pas ceux acquis auprès de la société Tekwine, celle-ci est bien fondée à solliciter le paiement de leur prix.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, et pour les motifs exposés ci-dessus ainsi que ceux non contraires des premiers juges, il y a lieu de confirmer la décision entreprise, laquelle a fait application à juste titre de l'article L. 624-18 du code de commerce.

Compte tenu de la décision intervenue, les dépens de première instance et d'appel seront laissés à la charge de la SCEA M. M.. Il est équitable d'allouer à la société Tekwine la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, que la SCEA M. M. sera condamnée à lui payer.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement du tribunal de grande instance de BORDEAUX en date du 8 janvier 2021 en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne la SCEA M. M. à payer à la SARL Tekwine la somme de 3 000 euros en application, en cause d'appel, des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit que la condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens seront pris en frais privilégiés de la procédure collective.