CA Paris, 4e ch. A, 29 juin 2005, n° D20050073
PARIS
PARTIES
Demandeur :
MIL AN'S DESIGN (Sté)
Défendeur :
Milan SIMIC (Sté)
Vu l'appel interjeté par Milan SIMIC et la société MIL AN'S DESIGN du jugement rendu le 12 mai 2004 par le tribunal de grande instance de Paris qui les a déboutés de l'ensemble de leurs demandes et dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu les dernières écritures signifiées le 20 avril 2005 par lesquelles Milan SIMIC et la société MIL AN'S DESIGN, poursuivant l'infirmation du jugement entrepris, demandent à la Cour de :
- débouter la société GIRARD SUDRON de l'ensemble de ses demandes,
- dire que les lampes-ampoules intitulées " lampes virus " dont Milan SIMIC est l'auteur constituent des créations originales et ne sont pas le résultat d'une seule approche technique, mais d'une recherche esthétique qui se manifeste au travers du choix de pointes décoratives en forme de flammes,
- dire que la société GIRARD SUDRON a commis des actes de contrefaçon de cette oeuvre par la commercialisation sans droit de modèles très ressemblants,
- condamner la société GIRARD SUDRON à verser :
- à Milan SIMIC la somme de 15 000 euros en réparation de l'atteinte portée à son droit moral d'auteur et celle de 30 000 euros en réparation de son préjudice patrimonial,
- à la société MIL AN'S DESIGN la somme de 30 000 euros en réparation de son préjudice commercial,
- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir, dans trois journaux ou revues, de leur choix, et sur la page d'accueil du site Internet de la société GIRARD SUDRON, aux frais de celle-ci sans que le coût de chacune des publications ne puisse excéder la somme de 3 500 euros HT par insertion,
- condamner la société GIRARD SUDRON à verser à chacun d'eux la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 8 février 2005 aux termes desquelles la société GIRARD SUDRON prie la Cour de :
- à titre principal, confirmer le jugement déféré et de condamner solidairement Milan SIMIC et la société MIL AN'S DESIGN à lui payer chacun la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- subsidiairement,
- dire que les lampes hérisson ne sont pas la contrefaçon des ampoules virus,
- débouter Milan SIMIC et la société MIL AN'S DESIGN de l'ensemble de leurs demandes,
- condamner solidairement Milan SIMIC et la société MIL AN'S DESIGN à lui verser chacun la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- très subsidiairement,
- réduire à de plus justes proportions le quantum de la demandes formée par Milan SIMIC au titre de son préjudice moral,
- déclarer irrecevable Milan SIMIC en sa demande de réparation d'un préjudice patrimonial,
- dire que la société MIL AN'S DESIGN ne rapporte pas la preuve de son préjudice commercial et la débouter de sa demande de réparation,
- réduire à de plus justes proportions le quantum de sa demande à ce titre.
Considérant que Milan SIMIC revendique des droits d'auteur sur des lampes-ampoules dénommées " lampes virus ", créées courant novembre 1996 et décrites dans une lettre du 21 novembre 1996 ;
Que par contrat dit de designer du 18 novembre 1996, il a concédé à la société AXIS le droit exclusif d'édition et d'exploitation des modèles d'ampoules virus ; que ce contrat a été résilié en décembre 2000 ;
Que reprochant à la société GIRARD SUDRON d'avoir reproduit sous l'intitulé " lampes hérisson ", les caractéristiques essentielles des " lampes-virus ", après avoir fait pratiquer une saisie-contrefaçon le 4 juillet 2003 dans les locaux de cette société [...] 3(ème), Milan SIMIC et la société MIL AN'S DESIGN, qui commercialise les modèles, l'ont assignée en contrefaçon devant le tribunal de grande instance de Paris ;
I - Sur le caractère protégeable du modèle de lampe-ampoule.
Considérant que dans la lettre qu'il s'est adressée à lui-même, le 21 novembre 1996 pour donner date certaine au modèle revendiqué et qui a été ouverte devant le tribunal, par les soins du greffier, le 26 novembre 2003, Milan SIMIC décrit ainsi la série intitulée " LES VIRUS " :
" Ce modèle exploite les qualités de la silicone en tant que matériau : son élasticité, sa transparence, sa bonne résistance aux températures élevées. Ces qualités ont permis la réalisation d'un " abat-jour élastique ", qui est fait soit d'éléments moulés à l'avance et puis collés ou fixés autour de l'ampoule grâce à leur élasticité, soit il s'agit de la silicone directement enduite sur l'ampoule. Le nombre de modèles potentiellement créés à partir de ces principes est illimité.
Les éléments moulés d'avance ainsi que la silicone enduite directement sur l'ampoule, peuvent être teints, opaques, transparents ou translucides.
Cette même technique permet d'appliquer sur l'ampoule des éléments de matériaux divers tel que des perles de verre ou des éléments de métal servant de décoration...
A ma connaissance, cette technique d'application ou de collage d'éléments décoratifs directement sur l'ampoule n'a pas été utilisée ni brevetée jusqu'à présent " ;
Que, dans ses dernières écritures, il caractérise le modèle de lampe-ampoule par l'apposition de pointes décoratives en forme de petites flammes en silicone, appliquées directement sur l'ampoule et sans rapport aucun avec l'usage de l'objet ;
Considérant que la société GIRARD SUDRON soutient que Milan SIMIC revendique une technique, non protégeable au titre du droit d'auteur, et non une forme, et qu'en tout état de cause, il ne peut bénéficier d'un droit privatif sur un modèle susceptible de revêtir plusieurs formes, sauf à revendiquer la protection d'un genre ;
Considérant que si, dans la lettre du 21 novembre 1996 ci-dessus reproduite, Milan SIMIC décrit une technique d'application ou de collage d'éléments décoratifs en silicone ou tout autre matériau sur une ampoule, sa mise en oeuvre, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, ne relève pas de la simple idée dès lors qu'elle s'est réalisée sous une forme ornementale particulière ; qu'en effet, il ressort d'extraits du catalogue de la société AXIS et du magazine ELLE DECORATION daté du mois d'avril 1997 que les ampoules dénommées " virus ", divulguées sous le nom de Milan SIMIC, sont décorées de pointes, improprement qualifiées de flammes, en silicone colorée formant ventouse sur le globe de verre ;
Que la forme et la répartition de ces pointes en silicone sur le globe ne résulte pas d'une nécessité fonctionnelle dès lors qu'elles sont sans incidence sur le pouvoir éclairant de l'ampoule et ne contribuent donc pas au résultat utilitaire recherché ; qu'elles ne sont pas davantage la simple mise en oeuvre d'une technique de fabrication ;
Considérant que le brevet américain Librizzi, délivré le 9 octobre 1951, divulgue une ampoule recouverte d'un capuchon sur lequel sont apposés des pointes rigides ; que ce capuchon, dont le rôle est de masquer le globe de l'ampoule, fait office d'abat-jour de sorte que son apparence est totalement distincte de l'ampoule litigieuse ;
Que le brevet américain Nibar, délivré le 7 janvier 1958, concerne également un capuchon, tressé, orné de volutes, destiné à être positionné sur des ampoules ; qu'outre la forme particulière du modelage en volutes, sa configuration se différencie de l'ampoule virus en ce que ces ornements sont posés sur le capuchon, et non directement sur l'ampoule ;
Que l'appareil d'éclairage, déposé le 8 avril 1999, enregistré sous le N° DM/048451 est postérieur au modèle litigieux de sorte qu'il sera écarté des débats ;
Que si, comme le relève à juste titre l'intimée, Milan SIMIC ne peut revendiquer toute application d'éléments en silicone sur des ampoules, quelle qu'en soit la disposition, le choix de la forme en pointes et de leur agencement à intervalles réguliers sur le globe, tout en sauvegardant sa transparence, traduit un parti-pris esthétique qui porte l'empreinte de la personnalité de l'auteur ;
Que l'ampoule-virus, telle que divulguée en 1997, constitue donc une oeuvre de l'esprit, protégeable au titre du livre I du Code de la propriété intellectuelle ;
II - Sur la contrefaçon
Considérant qu'il ressort du procès-verbal de saisie-contrefaçon dressé le 4 juillet 2003 dans les locaux de la société GIRARD SUDRON et des pièces annexées que l'ampoule dénommée " Hérisson " commercialisée par cette société ne reproduit pas les caractéristiques de la lampe virus ; qu'en effet, les seules ressemblances entre les deux modèles tiennent au collage d'éléments en silicone sur les globes alors que, d'une part, la forme des éléments décoratifs, en pointes dans la lampe virus, en forme de flammes effilées dans la lampe hérisson, d'autre part, leur disposition sur le globe, réparties à intervalles réguliers dans le premier cas, placées au sommet dans le second cas à la manière d'un bûcher, leur confèrent une physionomie d'ensemble parfaitement distincte ;
Que le grief de contrefaçon doit en conséquence être rejeté ;
Considérant que l'équité ne commande pas qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
Réforme le jugement entrepris en ce qu'il n'a pas accordé la protection du droit d'auteur au modèle de lampe-ampoule créé par Milan SIMIC,
Statuant à nouveau,
Dit que la lampe-ampoule dénommée virus divulguée en 1997 sous le nom de Milan SIMIC constitue une oeuvre de l'esprit, protégeable au titre du livre I du Code de la propriété intellectuelle,
Déboute Milan SIMIC et la société MIL AN'S DESIGN de leurs demandes au titre de la contrefaçon,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Condamne in solidum Milan SIMIC et la société MIL AN'S DESIGN aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.