Cass. 1re civ., 15 juin 1994, n° 92-12.139
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Grégoire
Rapporteur :
M. Savatier
Avocat général :
M. Lesec
Avocats :
SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin, SCP Vier et Barthélemy
Attendu que par acte du 28 juillet 1981, Jean-Baptiste X et son épouse, ont donné à leur fils, M. Henri X, par préciput et hors-part, la nue-propriété d'un immeuble dépendant de leur communauté ; qu'il était stipulé une interdiction d'aliéner le bien donné, que celui-ci ferait retour aux donateurs au cas de prédécès du donataire sans postérité et que l'usufruit ne s'éteindrait qu'après le décès des deux donateurs ; que, le 19 février 1986, Jean-Baptiste X et M. Henri X ont été condamnés solidairement à payer à la Société Sofal une somme de 12 172 365,50 francs en exécution d'un engagement de caution qu'ils avaient souscrit par acte du 3 février 1981 ; que cette société a fait inscrire une hypothèque judiciaire sur l'immeuble, puis, le 5 mai 1988, a fait délivrer un commandement aux fins de saisie immobilière ; que Jean-Baptiste X est décédé le 23 juillet 1988 ; que Mme X et M. Henri X ont demandé la radiation du commandement en se fondant sur la clause d'inaliénabilité dont ils ont demandé qu'elle soit déclarée opposable à la société Sofal ; que, pour rejeter leurs demandes, l'arrêt attaqué a retenu que la clause d'inaliénabilité n'était pas valable, Mme X et M. Henri X ne rapportant pas, comme ils en avaient la charge, la preuve de l'intérêt légitime ;
Sur la première branche du moyen unique :
Attendu que Mme X et le liquidateur judiciaire de M. Henri X font grief à la cour d'appel d'avoir, en statuant ainsi, inversé la charge de la preuve ;
Mais attendu que la clause d'inaliénabilité déroge au principe de la libre disposition des biens ; que, dès lors, c'est à bon droit que l'arrêt attaqué énonce qu'il appartient à celui qui se prévaut d'une telle clause de justifier de l'intérêt sérieux et légitime qu'il allègue ;
Mais sur les deux autres branches du moyen :
Vu l'article 900-1 du Code civil ;
Attendu que pour statuer comme il a fait, l'arrêt attaqué se borne à énoncer que les consorts X n'expliquent pas pour quel motif il était nécessaire, ou utile, dans le contexte familial, de prévoir l'inaliénabilité du bien donné, le droit réel d'usufruit conservé par les donateurs étant déjà de nature à leur en garantir une jouissance paisible la vie durant ;
Attendu, cependant, qu'en ne recherchant pas si, comme les consorts X le faisaient valoir, la clause était justifiée par le souci des donateurs d'assurer la pleine efficacité du droit de retour conventionnel et alors que le fait que les donateurs s'étaient réservés l'usufruit du bien donné et que ce droit était opposable au tiers acquéreur, n'excluait pas le caractère sérieux et légitime de la clause d'inaliénabilité dont il était soutenu qu'elle avait était stipulée pour garantir aux usufruitiers que le nu-propriétaire serait leur fils plutôt qu'un tiers, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Et sur le moyen relevé d'office dans les formes de l'article 1015 du nouveau Code de procédure civile :
Vu l'article 900-1 du Code civil ;
Attendu qu'il résulte de ce texte que l'immeuble donné ou légué, affecté d'une clause d'inaliénabilité, ne peut faire l'objet d'une saisie tant que cette clause est en vigueur ;
Attendu que l'arrêt attaqué a rejeté la demande de radiation du commandement de saisie immobilière, après avoir constaté que dans l'acte de donation du 28 juillet 1981, l'immeuble saisi avait été déclaré inaliénable ;
Attendu cependant que, tant qu'elle était en vigueur, cette clause d'inaliénabilité de la donation qui, ayant été publiée, était opposable à la société Sofal, créancier de l'un des donateurs et du donataire, interdisait à cette société de procéder à la saisie du bien objet de la donation ; qu'en statuant comme elle a fait, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 décembre 1991, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes.