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Décisions

CA Caen, 1re ch. civ., 1 février 2022, n° 19/03074

CAEN

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guiguesson

Conseillers :

Mme Velmans, M. Gance

TGI de Cean, du 4 avr. 2019, n° 19/00042

4 avril 2019

EXPOSE DU LITIGE

Par ordonnance en date du 4 avril 2019, le juge des référés du tribunal de grande instance de Caen, saisi par Monsieur Julien A.-D., Madame emeline A.-D., Madame Pascale LE L. T., Madame Viviane L., Madame Florence Q., Monsieur Yves Q., Monsieur yannick R., Madame Line L. épouse R. et Madame Françoise T., de contestations relatives à l'installation de compteurs Linky :

- s'est déclaré territorialement incompétent au profit du juge des référés du tribunal de grande instance de Nanterre à l'égard de Madame Pascale LE L. T., Madame Florence Q., Monsieur Yves Q., Monsieur Yannick R., Madame Line L. épouse R.,

- s'est déclaré matériellement compétent à l'égard de Monsieur Julien A.-D., Madame Emeline A.-D., Madame Viviane L. et Madame Françoise T.,

- a déclaré Monsieur Julien A.-D., Madame Emeline A.-D., Madame Viviane L. et Madame Françoise T. recevables à agir,

- a dit n'y avoir lieu à référé à leur égard et les a déboutés de l'ensemble de ses demandes,

- a dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- a condamné Monsieur Julien A.-D., Madame Emeline A.-D., Madame Viviane L. et Madame Françoise T. aux dépens,

- a rejeté toute demande autre, contraire ou plus ample.

Monsieur Julien A.-D., Madame Emeline A.-D., Madame Pascale LE L. T., Madame Viviane L., Madame Florence Q., Monsieur Yves Q., Monsieur Yannick R., Madame Line L. épouse R. et Madame Françoise T. ont interjeté appel de la décision le 30 octobre 2019.

Aux termes de leurs dernières écritures en date du 16 juin 2021, ils concluent à :

- la nullité de l'ordonnance pour violation du droit à un procès équitable et son annulation sur :

* l'incompétence territoriale prononcée à l'égard de Madame Pascale LE L. T., Madame Florence Q., Monsieur Yves Q., Monsieur Yannick R., Madame Line L. épouse R.,

* le rejet des demandes de Monsieur Julien A.-D., Madame Emeline A.-D., Madame Viviane L. et Madame Françoise T. et leur condamnation aux dépens,

Ils concluent à la réformation de l'ordonnance entreprise et demande à la cour :

- d'enjoindre à la SA ENEDIS de délivrer aux appelants une électricité exempte de tout courant porteur en ligne de type Linky notamment dans les fréquences comprises entre 35 000 Hertz et 95 000 Hertz sous astreinte de 500 € par jour de retard et par point de livraison, notamment par la pose d'un filtre efficace,

- d'enjoindre à la SA ENEDIS de conserver et au besoin de remettre en état les points de livraison où les appelants demeurent ou résident, sans aucun appareil dit Linky ou autre appareil assimilé ou assimilable à raison de ses caractéristiques sous astreinte de 500 € par jour de retard et par point de livraison,

- de dire que la cour se réservera la liquidation des astreintes et des frais engagés pour la constatation des éventuels manquements, notamment par voie d'expert comme d'huissier,

- de condamner la SA ENEDIS à verser aux appelants, 500,00 € au titre des frais irrépétibles d'appel,

- de rejeter toutes autres demandes,

- de constater que la décision est exécutoire à titre provisoire.

Aux termes de ses dernières écritures en date du 15 juin 2021, la SA ENEDIS conclut :

Inliminelitis à :

- l'irrecevabilité de l'appel pour les 5 appelants pour lesquels le juge des référés s'est déclaré incompétent,

.A titre principal :

- au rejet de la demande de nullité en raison d'un manquement au principe d'impartialité du président du tribunal de grande instance de Caen,

- à la confirmation partielle de l'ordonnance entreprise sur l'incompétence territoriale prononcée à l'égard de,

A titre subsidiaire, si la cour infirmait l'ordonnance du 4 avril 2019 en considérant que le tribunal de Caen était compétent s'agissant de ces 5 appelants :

- au rejet de l'intégralité de leurs demandes,

- à la confirmation partielle de l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a débouté Monsieur Julien A.-D., Madame Emeline A.-D., Madame Viviane L. et Madame Françoise T. de l'intégralité de leurs demandes,

Su son appel incident :

- à l'infirmation partielle de la décision en ce que seuls Monsieur Julien A.-D., Madame Emeline A.-D., Madame Viviane L. et Madame Françoise T. ont été condamnés aux dépens, et à la condamnation in solidum de Monsieur Julien A.-D., Madame Emeline A.-D., Madame Pascale LE L. T., Madame Viviane L., Madame Florence Q., Monsieur Yves Q., Monsieur Yannick R., Madame Line L. épouse R. et Madame Françoise T. aux dépens,

- à l'infirmation partielle de l'ordonnance en ce qu'elle a rejeté sa demande de condamnation aux frais énumérés par l'article 700 du code de procédure civile et à la condamnation in solidum de l'ensemble des appelants à lui verser la somme de 300,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 4 novembre 2020.

Postérieurement à celle-ci, le président de chambre a demandé aux parties le 21 avril 2021, de conclure sur la caducité de l'appel avant le 17 juin 2021, ce qui emporte implicitement révocation de la précédente ordonnance de clôture avec une nouvelle clôture au 17 juin 2021, les parties ayant déféré à cette demande par les conclusions sus-visées des 15 et 16 juin 2021.

Pour l'exposé complet des prétentions et de l'argumentaire des parties, il est expressément renvoyé à leurs dernières écritures susvisées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la caducité de l'appel

Il résulte des articles 83, 84 et 85 du code de procédure civile que nonobstant toute disposition contraire, l'appel dirigé contre la décision de toute juridiction du premier degré se prononçant sur la compétence sans statuer sur le fond du litige relève, lorsque les parties sont tenues de constituer avocat, de la procédure à jour fixe et qu'en ce cas l'appelant doit saisir dans le délai d'appel et à peine de caducité de la déclaration d'appel, le premier président de la cour d'appel en vue d'être autorisé à assigner à jour fixe.

Il est constant que les voies de recours s'apprécient séparément à l'égard de chaque partie.

En l'espèce, le juge des référés n'a pas statué sur le fond à l'égard de Madame Pascale LE L. T., Madame Florence Q., Monsieur Yves Q., Monsieur Yannick R., Madame Line L. épouse R. puisqu'il s'est déclaré territorialement incompétent en ce qui les concerne et a renvoyé la cause et les parties devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Nanterre.

Il s'agit donc bien d'une décision statuant exclusivement sur la compétence à leur égard, auquel sont applicables les articles 83 et suivants du code de procédure civile.

En l'espèce, ces appelants n'ont pas saisi le premier président d'une demande tendant à être autorisé à assigner à jour fixe comme le prévoit à peine de caducité l'article 84 du code de procédure civile.

Il convient donc de constater la caducité de leurs appels, sans qu'il y ait lieu d'examiner les moyens soulevés par les appelants sur la compétence territoriale, celle-ci n'étant pas contestée en ce qui concerne Monsieur Julien A.-D., Madame Emeline A.-D., Madame Viviane L. et Madame Françoise T..

Sur la nullité pour violation du droit à un procès équitable

Arguant de la partialité du juge des référés qui a rendu la décision critiquée au motif que son époux est directeur d'une société PROMOLOGIS, bailleur social de type commercial en partenariat notoire avec la société EDF sur la transition énergétique, société dont la société ENEDIS est filiale à 100 %, Monsieur Julien A.-D., Madame Emeline A.-D., Madame Viviane L. et Madame Françoise T. dont seuls l'appel n'est pas caduc, soutiennent au visa de l'article 6-1 de la convention européenne des droits de l'Homme que la décision entreprise est nulle en raison de ce conflit d'intérêts manifeste.

La SA ENEDIS rappelle d'une part qu'il appartenait aux appelants qui ne pouvaient ignorer la composition de la juridiction des référés, d'user des dispositions des articles 341 du code de procédure civile et L.111-6 du code l'organisation judiciaire pour solliciter la récusation du magistrat concerné s'il entrait dans l'une des catégories visées par ce dernier texte, ce, dans les délais prévus à l'article 430 du code de procédure civile à peine d'irrecevabilité, et d'autre part que la motivation particulièrement détaillée de la décision démontre au contraire toute absence de partialité.

Elle ajoute qu'eu égard au principe d'impartialité des juridictions judiciaires consacré par l'article 6 §.1 de la CEDH et l'article L.111-5 du code de l'organisation judiciaire, l'accusation d'impartialité ou de conflits d'intérêts doit reposer sur des faits précis et corroborés attestant du manquement du juge à son indépendance, sa probité et son impartialité.

Il est constant que les dispositions de l'article 6 §1 de la convention européenne des droits de l'Homme sur l'exigence d'impartialité des juges qu'elle présume, n'excluent pas l'application des dispositions de droit interne sur la récusation, selon lesquelles, en vertu de l'article 430 du code de procédure civile, la demande en récusation doit être formée dès que la partie a connaissance de la cause de récusation et avant la clôture des débats sous peine d'irrecevabilité.

En l'espèce, Monsieur Julien A.-D., Madame Emeline A.-D., Madame Viviane L. et Madame Françoise T. ne sont pas recevables à invoquer en appel la violation de l'article 6 § 1 de la convention européenne des droits de l'Homme, dès lors qu'ils n'ont pas fait usage de la possibilité d'en obtenir le respect par la voie de la récusation, sans qu'il y ait lieu d'examiner le moyen tiré de l'existence d'un conflit d'intérêts.

Il sera relevé en outre qu'ayant fait appel de la décision en son intégralité, ils bénéficient de la possibilité d'obtenir un nouvel examen de l'affaire, ce qui est conforme au principe du procès équitable posé par l'article 6 § 1 susvisé.

Leur demande d'annulation de l'ordonnance de référé du 4 avril 2019 sera donc rejetée.

Sur les demandes des appelants

En vertu de l'article 835 alinéa 1 (anciennement 809 alinéa 1) du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite dont la preuve doit être rapportée par celui qui l'invoque, ce, en application des dispositions de l'article 1353 du code civil.

Le dommage imminent est celui qui n'est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement.

Il doit donc s'agir d'un dommage certain et non d'un dommage potentiel.

Le trouble manifestement illicite quant à lui, désigne toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue la violation évidente de la règle de droit.

Il suppose donc l'existence d'une atteinte dommageable et actuelle constituant la violation d'une règle.

Il convient en outre de rappeler que le juge des référés est juge de l'évidence.

Le trouble qualifié d'illicite doit donc en outre résulter d'une situation apparente qu'il peut constater sans avoir à appréhender le fond du litige.

Pour apprécier l'existence d'un dommage imminent ou d'un trouble manifestement illicite, la cour doit se placer au jour où le premier juge a rendu sa décision.

Enfin, il convient de rappeler qu'aux termes de l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions qui sont en l'espèce :

- d'enjoindre à la SA ENEDIS de délivrer aux appelants une électricité exempte de tout courant porteur en ligne de type Linky notamment dans des fréquences comprises entre 35 000 hertz et 95 000 hertz, sous astreinte, notamment par la pose d'un filtre efficace,

- et de lui enjoindre de conserver et au besoin de remettre en état les points de livraison où les appelants demeurent et résident, sans aucun appareil dit Linky ou autre appareil assimilé ou assimilables à raison de ses caractéristiques sous astreinte.

Ces demandes sont sensiblement différentes de celles présentées en première instance par les appelants et résultant de leurs conclusions en réplique qu'ils communiquent (Cf Pièce N°6) puisque la seule demande reprise, a trait à la délivrance d'une électricité exempte de tout courant porteur en ligne de type Linky notamment dans des fréquences comprises entre 35.000 hertz et 95.000 hertz, la seconde demande formulée devant la cour étant formulée différemment puisque visant uniquement à n'installer aucun appareil dit Linky ou autre appareil assimilé ou assimilables à raison de ses caractéristiques.

La SA ENEDIS conclut au rejet des prétentions adverses consistant selon elle en des demandes d'injonction de faire relevant de l'alinéa 2 de l'article 835 du code de procédure civile et non de l'alinéa 1.

La cour estime toutefois que ces demandes nonobstant l'utilisation du terme 'enjoindre' correspondent à des mesures conservatoires et/ou de remise en état relevant des dispositions de l'alinéa 1 de l'article précité.

Ce moyen sera donc écarté.

Il convient donc d'examiner si les conditions posées par l'article 835 alinéa 1 du code de procédure civile sont réunies.

Sur le dommage imminent.

Comme rappelé ci-dessus, le dommage imminent suppose que soit rapportée la preuve d'un dommage certain.

Les appelants verse aux débats des certificats médicaux faisant état d'une hypersensibilité aux champs électromagnétiques et de la nécessité de les tenir éloignés de ce type de source.

Pour autant ces certificats médicaux qui ne sont étayés par aucun élément extérieur, ne prouve pas que le syndrome dont il est fait état, sera automatiquement aggravé ou amplifié par l'installation d'un compteur Linky.

Le dommage imminent ne saurait donc être retenu de ce chef.

Les appelants affirment également démontrer un préjudice psychologique reconnu par les autorités sanitaires au motif qu'imposer le Linky à une personne qui le refuse au point d'en avoir saisi la justice, lui cause un dommage psychologique.

Ils se prévalent d'un avis révisé du comité d'experts scientifiques (CES) de l'ANSES qui estime de manière générale, que l'obligation d'implanter chez soi un objet perçu comme menaçant ou dangereux est vécue comme intrusive et comme une violation des droits individuels, ainsi que d'un arrêt de la cour d'appel de Versailles du 4 février 2009 concernant l'installation d'antennes-relais, ayant statué en matière de troubles de voisinage et non en référé comme dans la présente procédure.

Force est toutefois de constater qu'aucun des appelants pris individuellement, ne justifie de l'existence d'un tel préjudice, qui comme rappelé ci-dessus doit avoir un caractère certain, étant en outre relevé que les différents avis ou rapports du CSTB, de l'ANSES et de l'ANFR concluent que le niveau maximum de champ magnétique mesuré du compteur Linky est très inférieur à la limite d'exposition autorisée et en outre comparable à l'exposition créée par un téléphone mobile, de telle sorte que l'existence d'un danger pour la santé n'est en l'état pas avéré.

L'ordonnance entreprise sera confirmée en ce qu'elle les a déboutés de leurs demandes sur ce fondement.

Sur le trouble manifestement illicite.

Il convient de rappeler que le déploiement des compteurs intelligents résulte d'un directive européenne 2009/72 du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité, transposée en droit français aux articles L. 341-4 et R. 341-4 du code de l'énergie.

En application de ces textes, la société ENEDIS est tenue dans le cadre de la mission de service public qui lui est confiée, de procéder au remplacement des anciens compteurs par des dispositifs communicants en vertu de l'obligation légale de modernisation du réseau public de distribution de l'électricité.

Le trouble manifestement illicite désigne toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue la violation évidente de la règle de droit.

Il suppose donc l'existence d'une atteinte dommageable et actuelle constituant la violation d'une règle.

Le trouble qualifié d'illicite doit donc en outre résulter d'une situation apparente que le juge des référés peut constater sans avoir à appréhender le fond du litige.

Sur l'évaluation économique inopposable.

Les appelants soutiennent tout d'abord qu'existerait un conflit d'intérêts puisque l'évaluation économique du compteur Linky aurait été réalisée par CAPGEMINI Consulting qui serait un prestataire avec lequel elle aurait conclu des contrats en 2011. Cette évaluation économique étant de ce fait frauduleuse, ne leur serait pas opposable.

Outre le fait que le juge des référés ne peut sans examiner le fond du litige, statuer sur l'existence d'un possible conflit d'intérêts, force est de constater que la société CAPGEMINI n'a pas été mandatée par la société ENEDIS pour réaliser l'évaluation économique de ce compteur, mais par la Commission de Régulation de l'Energie (Cf Pièce ENEDIS N°14), ce qui n'est pas contesté par les appelants.

En outre cette évaluation datant de 2007, il ne peut être argué d'aucune fraude quant au fait que la société ENEDIS aient confié quatre ans plus tard en 2011 à la société CAPGEMINI des mandats pour la réalisation de prestations liée au projet Linky.

En tout état de cause, il n'est pas démontré par les appelants en quoi cette évaluation serait constitutive d'un trouble manifestement illicite justifiant de faire droit à ces demandes telles que figurant dans le dispositif de leurs conclusions.

Ce moyen sera donc écarté.

Sur les violations du droit de la consommation.

Les appelants reprochent en outre à la SA ENEDIS de violer le droit de la consommation en :

- leur imposant une exécution forcée en l'absence de tout texte,

- diffusant des informations erronées sur la capacité de Linky à détecter les appareils électriques utilisés pour les consommateurs et sur les nouveaux CPL,

- en usant de pratiques commerciales trompeuses en affirmant que l'installation du Linky serait gratuite alors que ce n'est pas le cas,

- en usant de sa position au sein de la filière électrique pour pénétrer le marché concurrentiel de la domotique, et profitant de son monopole légal circonscrit au comptage, en incluant dans le Linky des fonctionnalités non prévues par les textes,

Comme il a été rappelé ci-dessus, le déploiement de compteurs intelligents résulte de la directive européenne 2009/72 du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité, transposée en droit français aux articles L. 341-4 et R. 341-4 du code de l'énergie.

L'article R. 341-8 du même code impose aux gestionnaires des réseaux publics d'électricité de mettre en place les nouveaux compteurs comportant un dispositif de comptage permettant aux utilisateurs d'accéder aux données relatives à leur production ou leur consommation et aux tiers autorisés par les utilisateurs à celles concernant leurs clients suivant un calendrier déterminé, dans la perspective notamment d'atteindre un objectif à 100 % d'ici 2024 pour les installations d'utilisateurs raccordées en basse tension pour des puissances inférieures ou égales à 36 kilovoltampères.

Il s'agit donc bien d'une obligation légale à laquelle les utilisateurs n'ont pas la possibilité de se soustraire, nonobstant l'absence de sanction pénale.

Les appelants ne démontrent pas par ailleurs en quoi cette obligation ne saurait prévaloir sur les droits subjectifs résultant du code de la consommation, de la Charte de l'environnement ou du RGPD, se contentant sur ce point d'une simple affirmation.

Ce moyen sera donc écarté.

Ils n'établissent pas davantage que la société ENEDIS aurait ajouté sans en informer les utilisateurs, ce qu'elle conteste, une fonction intrusive de détection des appareils électriques, une telle affirmation ne résultant que d'une thèse rédigée par Monsieur S. qui au demeurant, ne parle que de la possibilité d'identification de l'appareil mis sous tension sans affirmer que tel serait le cas.

S'agissant des nouveaux CPL, la fiche intitulée ''Le compteur Linky' tout simplement indique qu'il s'agit d'une technologie employée depuis 50 ans, qui n'est donc pas nouvelle, ce qui n'est pas contredit par la production de pièces en sens contraire par les appelants.

En réponse aux questions les plus couramment posées, cette fiche précise que ce compteur est un instrument basse puissance, comparable aux compteurs électroniques dont les consommateurs sont déjà équipés et qu'il n'induit pas à l'intérieur du logement davantage de champs électromagnétiques que le compteur actuel.

Il est indiqué d'autre part, que la technologie CPL utilisée par ce compteur n'utilise pas d'émetteur radio pour communiquer mais des câbles électriques déjà existants pour y superposer le signal à transmettre pendant seulement quelques secondes par jour.

La preuve n'est donc pas rapportée par les appelants d'une désinformation sur les nouveaux CPL tant au niveau technique que sanitaire alors qu'il résulte sur ce dernier point des conclusions du CSBT (Cf. Pièce appelants N°16), de l'avis révisé de l'ANSES du 7 juin 2017 (Cf. Pièce appelants N° 17) ainsi que de l'étude de l'exposition du public aux ondes radioélectriques de l'ANFR d'octobre 2019 (Cf. Pièce appelants N°19), que le niveau d'exposition aux champs magnétiques pour le compteur Linky est inférieur à la limite d'exposition autorisée et est comparable à celle créée par un téléphone mobile.

Ce moyen sera donc également écarté.

Les appelants soutiennent en outre que la SA ENEDIS se serait livrée à des pratiques commerciales trompeuses au sens de l'article L. 121-4 du code de la consommation, en affirmant que l'installation du compteur Linky serait gratuite, ce qui ne serait pas le cas ainsi que cela résulterait du rapport de la Cour des Comptes 2018 ainsi que de l'article R. 341-7 du code de l'énergie.

La SA ENEDIS réplique qu'elle assure la totalité du financement nécessaire au déploiement du compteur Linky, les gains générés par ce compteur permettant de compenser son coût de fabrication et de pose.

Le rapport de la Cour des Comptes formule seulement des recommandations notamment sur l'évolution nécessaire du dispositif de différé tarifaire pour en réduire le coût pour le consommateur.

Il n'est nullement question de pratiques commerciales trompeuses.

La cour constate à la lecture de la fiche intitulée Le compteur linky tout simplement que figure la mention suivante : intervention complétement gratuite assurée par un technicien d'une entreprise partenaire reconnaissable par le port de ce logo.

D'une part, les appelants ne rapportent pas la preuve de ce qu'ils auraient été contraints pour ceux chez lesquels le compteur Linky a été posé, de régler l'intervention réalisée par le poseur.

D'autre part, il ne peut être question de pratiques commerciales alors qu'il ne s'agit pas de la vente d'un produit mais de l'obligation légale d'installer un compteur de ce type.

Ce moyen ne peut donc être retenu.

Les appelants n'établissent pas davantage que le déploiement du compteur Linky par la SA ENEDIS, qui au demeurant se doit d'être indépendante, constituerait manifestement une vente liée sur le marché de la domotique, se contentant sur ce point de simples affirmations.

Il apparaît donc qu'aucun trouble manifestement illicite au sens de l'article 835 alinéa 1 du code de procédure civile, résultant d'une violation du droit de la consommation n'est établi.

Sur la violation du RGPD.

Les appelants soutiennent ensuite que la SA ENEDIS aurait violé les articles 4 et 5 du RGPD en ne recueillant pas le consentement des données recueillies auprès de la personne concernée qui ne saurait se confondre avec la personne de l'abonné, et en ne respectant pas le principe de transparence dans la mesure où le compteur Linky serait utilisé pour profiler avec précision les occupants du logement et que la SA ENEDIS aurait fait appel à des experts dits 'data scientits' pour investiguer les données du Linky. 

La cour relève en premier lieu que la définition de la personne concernée que donne l'article 4 1) du Règlement relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la circulation de ces données, ne correspond pas à celle dont font état les appelants puisqu'il s'agit d'une personne qui peut être identifiée directement ou indirectement, notamment par référence à un identifiant, ce qui suppose dans le cas présent, qu'il ne peut s'agir que d'un abonné et aucunement d'un occupant du lieu desservi.

Ce moyen est donc inopérant.

Il n'est pas davantage établi que les données collectées par la SA ENEDIS permettraient de profiler les occupants du logement alors que seule est enregistrée la courbe de charge sans qu'il ne soit démontré l'ajout de fonctionnalités autres permettant de déterminer les appareils utilisés lors de la mise en charge, ni que les données collectées seraient utilisées à des fins commerciales, en violation du principe de transparence.

L'existence d'un trouble illicite au sens de l'article 835 alinéa 1 du code de procédure civile n'est pas davantage établie à ce titre.

Sur la violation du principe de précaution.

Les appelants se prévalent également du principe de précaution en premier lieu en raison des incertitudes sanitaires relatives à l'exposition aux champs électromagnétiques en se basant sur l'avis révisé de l'ANSES de juin 2017 ainsi que sur leur caractère possiblement cancérogènes et/ou carcinogènes résultant de recommandations de l'OMS.

Sur ce point, force est de constater que l'ANSES a conclu qu'en l'état actuel des données concernant les effets sanitaires potentiels liés à l'exposition aux champs électromagnétiques dans des bandes relatives aux CPL, les très faibles niveaux d'exposition attendus ainsi que les conclusions des expertises AFSSET 2009 et ANSES 2013, vont dans le sens d'une très faible probabilité que l'exposition aux champs magnétiques émis, aussi bien pour les compteurs communicants radioélectriques que pour les autres CPL, puissent engendrer des effets sanitaires à court ou long terme.

Elle ne recommande pas la possibilité d'installation de filtre permettant d'éviter la propagation des signaux CPL à l'intérieur des logements, cette préconisation émanant du CES, mais de poursuivre l'étude des effets potentiels dans la gamme de fréquence autour du kilohertz.

Par ailleurs si l'OMS a classé les champs électromagnétiques de radiofréquences comme peut-être cancérogènes pour l'homme, le lien de causalité entre l'exposition au CPL et le cancer n'est pas à ce jour formellement établi.

En l'absence de certitude quant aux effets néfastes de l'exposition aux champs électromagnétiques du compteur Linky, le principe de précaution ne peut utilement être invoqué au stade du référé qui suppose un trouble manifestement illicite existant au jour où le juge statue.

Ce moyen est donc inopérant.

Sur la violation de la réglementation anti-incendies.

Les appelants se prévalent en outre d'une violation de la réglementation anti-incendies au motif d'une part que les compteurs Linky seraient installés par des poseurs non-électriciens et d'autre part que ne serait pas respectée la norme NF C14-100 imposée par les règlements sanitaires départementaux pour éviter que les départs de feu se transforment en incendies.

Il convient de relever tout d'abord qu'aucune pièce probante n'est produite par les appelants au soutien de l'affirmation selon laquelle les poseurs mandatés par ENEDIS pour installer les compteurs Linky n'auraient aucune connaissance en électricité et ne bénéficeraient que d'une remise à niveau technique électrique de huit jours, un simple reportage de la SA APAVE étant insuffisant, alors au surplus que la SA ENEDIS s'explique de façon détaillée sur les formations reçues par ses sous-traitants pour devenir électricien Linky.

Ainsi que cela résulte de l'étude du laboratoire Lavoué sur les compteurs Linky et les incendies, seuls de très rares départs de feu au niveau de ce compteur ont été formellement identifiés, ce qui est insuffisant pour émettre des doutes de manière générale sur la formation des poseurs.

S'agissant du non-respect de la norme NF C14-100, les parties s'opposent sur la norme applicable, la SA ENEDIS soutenant quant à elle que le remplacement d'un compteur existant ne constitue qu'une opération de maintenance à laquelle cette norme n'est pas applicable.

Il n'entre pas dans la compétence du juge des référés de trancher cette question.

Ce moyen sera donc également écarté.

En conclusion, en l'absence de preuve d'un trouble manifestement illicite au sens de l'article 835 alinéa 1 du code de procédure civile, l'ordonnance entreprise sera confirmée en ce qu'elle a déboutée les appelants de leurs demandes.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

L'équité commande de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de débouter les appelants et la SA ENEDIS de leurs demandes à ce titre en cause d'appel.

La décision entreprise sera également confirmé en ce qu'elle n'a condamné que les demandeurs pour lesquels la compétence territoriale a été retenue, aux dépens.

Succombant Monsieur Julien A.-D., Madame Emeline A.-D., Madame Pascale LE L. T., Madame Viviane L., Madame Florence Q., Monsieur Yves Q., Monsieur Yannick R., Madame Line L. épouse R. et Madame Françoise T. seront condamnés aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort, mis à disposition au greffe,

CONSTATE la caducité de la déclaration d'appel de Madame Pascale LE L. T., Madame Florence Q., Monsieur Yves Q., Monsieur Yannick R., Madame Line L. épouse R. ,

DÉBOUTE Monsieur Julien A.-D., Madame Emeline A.-D., Madame Viviane L. et Madame Françoise T. de leur demande d'annulation de l'ordonnance de référé du 4 avril 2019

CONFIRME l'ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Caen du 4 avril 2019 dans la limite des chefs dont elle est saisie,

Y ajoutant,

DÉBOUTE Madame Monsieur Julien A.-D., Madame Emeline A.-D., Madame Viviane L. et Madame Françoise T. de leur demande formée en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE la SA ENEDIS de sa demande formée en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE in solidum Monsieur Julien A.-D., Madame Emeline A.-D., Madame Pascale LE L. T., Madame Viviane L., Madame Florence Q., Monsieur Yves Q., Monsieur Yannick R., Madame Line L. épouse R. et Madame Françoise T. aux dépens d'appel.