Cass. 1re civ., 2 février 2022, n° 18-22.011
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chauvin
Avocat :
Me Balat
Avocats :
SCP Alain Bénabent, SCP Gadiou et Chevallier
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 29 juin 2018), la société Françoise Saget, spécialisée dans la création, la fabrication et la vente d'articles textiles, est titulaire de la marque française nominative « Françoise Saget » n° 1273029 et de la marque française semi-figurative « Françoise Saget » n° 3378640.
3. Elle a confié à la société Future Home la fabrication en sous-traitance de produits sous ses marques, leur relation étant définie par deux contrats cadres successifs conclus, le premier, en 2008, le second, le 23 décembre 2011.
4. En 2013, la société Françoise Saget a fait procéder à des constats d'huissier de justice, ainsi qu'à une saisie-contrefaçon, dans un magasin de la société Choisy-C et dans l'entrepôt de la société Aglaé. Les opérations ont révélé que ces deux sociétés vendaient des produits revêtus de ses marques, fournis par la société Universal Jobber, grossiste revendeur, laquelle indiquait s'être approvisionnée auprès de la société Future Home.
5. La société Françoise Saget a alors assigné les sociétés Future Home, Universal Jobber, Choisy-C et Aglaé en contrefaçon de ses marques et des droits d'auteur qu'elle revendique sur les créations et les noms de collection de tissus, ainsi qu'en concurrence déloyale et parasitisme.
6. En appel, la société Universal Jobber a notamment opposé l'absence d'originalité des noms de collection de tissus.
7. La société Universal Jobber a été placée en liquidation judiciaire par jugement du 4 décembre 2019, la Selarl Bally M.J étant désignée liquidateur judiciaire.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi n° N 18-23.451, en tant que celle-ci fait grief à l'arrêt de dire que la société Future Home, en commercialisant des produits sans l'accord de la société Françoise Saget, a commis une faute contractuelle et de la condamner, in solidum avec les sociétés Universal Jobber, Aglaé et Choisy-C, à payer à titre de dommages-intérêts à la société Françoise Saget les sommes de 50 000 euros pour atteinte à ses droits moraux et de 200 000 euros pour atteinte à ses droits patrimoniaux et sur le même moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, sur les deuxième et troisième moyens du même pourvoi, ainsi que sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi n° X 18-22.011, ci-après annexés
La chambre commerciale, économique et financière de la Cour de cassation a délibéré sur ces moyens, sur l'avis de M. Douvreleur, avocat général, après débats à l'audience publique du 26 janvier 2021, où étaient présents Mme Mouillard, président, M. Mollard, conseiller rapporteur, Mme Darbois, conseiller, et Mme Labat, greffier de chambre.
8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le deuxième moyen, pris en sa troisième branche, du pourvoi n° N 18-23.451, en tant que celle-ci fait grief à l'arrêt de relever l'existence d'actes de contrefaçon des noms de collection, sans relever l'usage de ces noms de collection par aucune des parties
9. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi n° X 18-22.011 et le deuxième moyen, pris en sa troisième branche, du pourvoi n° N 18-23.451, en tant que celle-ci fait grief à l'arrêt de relever l'existence d'actes de contrefaçon des noms de collection, sans expliciter en quoi ces noms portaient l'empreinte de la personnalité de leur auteur, réunis
Enoncé des moyens
10. Par son premier moyen, pris en sa première branche, la société Universal Jobber fait grief à l'arrêt de dire qu'elle a commis des actes de contrefaçon de marque et de droit d'auteur et, en conséquence, de la condamner, in solidum avec les sociétés Future Home, Aglaé, prise en la personne de son liquidateur, et Choisy-C, à payer à titre de dommages-intérêts à la société Françoise Saget la somme de 50 000 euros pour atteinte à ses droits moraux et celle de 200 000 euros pour atteinte à ses droits patrimoniaux, et d'ordonner la fixation de ces sommes au passif de la liquidation de la société [Aglaé], alors « que, dans ses conclusions d'appel, la société Universal Jobber faisait valoir que les noms de collection litigieux n'étaient pas protégés au titre du droit d'auteur faute de porter l'empreinte de la personnalité de leur auteur ; qu'en se bornant à affirmer que les noms des collections étaient arbitraires, singuliers, originaux, sans expliciter, ainsi qu'elle y était invitée, en quoi ces noms porteraient l'empreinte de la personnalité de leur auteur, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
11. Par son deuxième moyen, pris en sa troisième branche, la société Future Home fait grief à l'arrêt de la condamner, in solidum avec les sociétés Universal Jobber, Aglaé, prise en la personne de son liquidateur, et Choisy-C, à payer à titre de dommages-intérêts à la société Françoise Saget les sommes de 50 000 euros pour atteinte à ses droits moraux et de 200 000 euros pour atteinte à ses droits patrimoniaux, alors « qu'en toute hypothèse, en relevant l'existence d'actes de contrefaçon de noms de collection, sans relever l'usage de ces noms de collection par aucune des parties en cause, et sans expliciter en quoi ces noms portaient l'empreinte de la personnalité de leur auteur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 111-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle et 455 du code de procédure civile :
12. Il incombe aux juges du fond, pour caractériser l'originalité de noms de collection, de préciser en quoi ceux-ci portent l'empreinte de la personnalité de leur auteur.
13. Pour dire que la société Universal Jobber a commis, avec les sociétés Aglaé et Choisy-C, des actes de contrefaçon des noms de collection et condamner in solidum les sociétés Universal Jobber, Future Home, Aglaé, prise en la personne de son liquidateur, et Choisy-C, à payer à titre de dommages-intérêts à la société Françoise Saget les sommes de 50 000 euros pour atteinte à ses droits moraux et 200 000 euros pour atteinte à ses droits patrimoniaux, l'arrêt retient que le nom « Florenza » est symbolique et purement arbitraire, et donc original, que le nom « Vera Cruz », qui correspond à une ville du Mexique, est, pour du linge de lit, arbitraire et donc original, que le nom « Cassonnade », évoquant la cuisine et caractérisant la collection en ce qu'elle est réalisée dans des tons chauds s'inspirant de la cassonade, est singulier s'agissant de linge de lit et donc original, que le nom « Soprano » évoque le chant et traduit pour du linge de lit un choix arbitraire, donc original, que le nom « Adèle » est évocateur d'une époque et d'une ambiance qui marque la Chambre d'Adèle et présente un caractère original pour du linge de lit, que le nom « Contrée lointaine », évocateur mais arbitraire pour du linge de lit, est dès lors original, que le nom « Blue romance » évoque la vie en bleu associée à une romance, ce qui est parfaitement arbitraire pour du linge de lit, et est dès lors original, que le nom « Douceur d'Afrique » associe de manière arbitraire le mot douceur à celui de l'Afrique, caractérisant, dans ce contraste et dans le choix arbitraire de ces termes pour du linge de lit, leur originalité, que le nom « Earl Grey », s'il correspond à un thé particulier, n'en demeure pas moins arbitraire, associé à du linge de lit et est dès lors original, que le nom « Portimao » évoque le bord de mer, avec un choix de nom arbitraire pour du linge de lit, ce qui lui confère son originalité, que le nom « Foulard provençal », composé de deux termes arbitrairement choisis pour du linge de lit, est dès lors original, que le nom « Fantaisie végétale », qui associe de façon inhabituelle les termes fantaisie et végétale, choisis de façon arbitraire pour un linge de lit, lui confère une originalité certaine.
14. En statuant ainsi, sans expliciter, comme il le lui était demandé, en quoi ces noms porteraient l'empreinte de la personnalité de leur auteur, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi n° N 18-23.451, en tant que celle-ci fait grief à l'arrêt de dire que la société Future Home, en commercialisant des produits sans l'accord de la société Françoise Saget, a commis une faute contractuelle, de dire que la société Future Home a commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme à l'encontre de la société Françoise Saget et de la condamner à ce titre, in solidum avec les sociétés Universal Jobber, Aglaé et Choisy C, à payer la somme de 100 000 euros à la société Françoise Saget.
La chambre commerciale, économique et financière de la Cour de cassation a délibéré sur ce moyen, sur l'avis de M. Douvreleur, avocat général, après débats à l'audience publique du 26 janvier 2021, où étaient présents Mme Mouillard, président, M. Mollard, conseiller rapporteur, Mme Darbois, conseiller, et Mme Labat, greffier de chambre.
Enoncé du moyen
15. La société Future Home fait grief à l'arrêt de dire qu'en commercialisant des produits sans l'accord de la société Françoise Saget, elle a commis une faute contractuelle, de dire qu'elle a commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme à l'encontre de la société Françoise Saget et de la condamner à ce titre, in solidum avec les sociétés Universal Jobber, Aglaé et Choisy-C, à payer la somme de 100 000 euros à la société Françoise Saget, alors « que le principe du non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle interdit au créancier d'une obligation contractuelle de se prévaloir, contre le débiteur de cette obligation, des règles de la responsabilité délictuelle ; qu'en énonçant que c'était "à bon droit que les premiers juges ont retenu que la société Future Home a manqué à ses obligations et engagé sa responsabilité contractuelle" et que la responsabilité de la société Future Home à l'égard de la société Françoise Saget "doit s'analyser au regard des conditions convenues entre les parties et donc comme l'a retenu le tribunal sur le fondement de la responsabilité contractuelle", puis en énonçant, "sur la demande indemnitaire au titre de la responsabilité contractuelle de la société Future Home", que "cette demande étant faite à titre subsidiaire par la société Saget et son préjudice ayant été indemnisé par les indemnités qui lui ont été allouées sur le fondement de la responsabilité délictuelle, il n'y a pas lieu d'y ajouter du chef contractuel", la cour d'appel, qui a indemnisé la société Françoise Saget sur le terrain délictuel alors qu'elle avait constaté que la société Future Home avait engagé sa responsabilité sur le terrain contractuel, a violé les articles 1147, devenu 1231-1, et 1382, devenu 1240, du code civil, applicables en l'espèce, ensemble le principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, l'article 1382, devenu 1240, du même code et le principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle :
16. Il résulte de ces textes et principe qu'il est interdit au créancier d'une obligation contractuelle de se prévaloir, contre le débiteur de cette obligation, des règles de la responsabilité délictuelle.
17. En retenant, dans le dispositif de l'arrêt, que la société Future Home avait commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme et en la condamnant, par conséquent, à des dommages-intérêts sur le fondement de sa responsabilité délictuelle, alors qu'elle avait constaté que cette société avait permis, par la violation de ses obligations contractuelles, les actes de concurrence déloyale commis par les sociétés Universal Jobber, Choisy-C et Aglaé au préjudice de la société Saget, la cour d'appel a violé les textes et principe susvisés.
Et sur le second moyen du pourvoi n° X 18-22.011, pris en ses première et deuxième branches
La chambre commerciale, économique et financière de la Cour de cassation a délibéré sur ce moyen, sur l'avis de M. Douvreleur, avocat général, après débats à l'audience publique du 26 janvier 2021, où étaient présents Mme Mouillard, président, M. Mollard, conseiller rapporteur, Mme Darbois, conseiller, et Mme Labat, greffier de chambre.
Enoncé du moyen
18. La société Universal Jobber fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande de condamnation de la société Future Home à la garantir intégralement de toute condamnation prononcée à son encontre, y compris sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens, alors :
« 1°/ que la commission par un coobligé in solidum d'actes de contrefaçon ne prive pas celui-ci de son recours en garantie contre son vendeur, coobligé in solidum auquel il est reproché un manquement contractuel ; qu'en décidant du contraire, la cour d'appel a violé l'article 1213 du code civil, devenu 1237 [lire 1317] du même code ;
2°/ que, saisi d'un appel en garantie de l'un des coobligés in solidum, le juge doit se prononcer sur la contribution à la dette de chacun des coobligés in solidum ; qu'en se bornant à affirmer que la société Universal Jobber ne saurait bénéficier de la garantie de la société Future Home, son coobligé in solidum, sans apprécier la gravité de leurs fautes respectives en vue de fixer la charge finale de la réparation entre coobligés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1213 du code civil, devenu 1237 [lire 1317] du même code. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1213 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :
19. Aux termes de ce texte, l'obligation contractée solidairement envers le créancier se divise de plein droit entre les débiteurs, qui n'en sont tenus entre eux que chacun pour sa part et portion.
20. Pour rejeter l'appel en garantie formé par la société Universal Jobber, l'arrêt retient, par motifs propres, que les actes de contrefaçon portent sur l'ensemble des pièces revendues par la société Future Home et offertes ensuite à la vente à des détaillants par la société Universal Jobber, et qu'en conséquence, étant auteur d'actes de contrefaçon, la société Universal Jobber ne saurait bénéficier de la garantie de son vendeur auquel il est reproché un manquement contractuel et, par motifs adoptés, qu'ayant, au mépris des engagements pris auprès la société Future Home de revendre les produits litigieux hors de France, livré aux sociétés Aglaé et Choisy-C des pièces destinées à être vendues en France, la société Universal Jobber ne peut solliciter la garantie de son vendeur.
21. En statuant ainsi, alors que, saisie de recours en garantie réciproques formés par des coobligés condamnés in solidum, elle était tenue de statuer sur la répartition finale de la réparation du dommage, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que les sociétés Universal Jobber, Aglaé prise en la personne de son liquidateur, et Choisy-C ont commis des contrefaçons de droit d'auteur sur les noms de collection, en ce qu'il condamne in solidum les sociétés Future Home, Universal Jobber, Aglaé prise en la personne de son liquidateur et Choisy-C à payer à la société Françoise Saget la somme de 50 000 euros pour atteinte à ses droits moraux et 200 000 euros pour atteinte à ses droits patrimoniaux, en ce qu'il dit que la société Future Home a commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme à l'encontre de la société Françoise Saget, condamne la société Future Home, in solidum avec les sociétés Universal Jobber et Choisy-C, à payer la somme de 100 000 euros à la société Françoise Saget en réparation des actes de concurrence déloyale et de parasitisme, et confirme le jugement en tant qu'il a débouté la société Universal Jobber de sa demande tendant à être garantie de ses condamnations par la société Future Home, l'arrêt rendu le 29 juin 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris.