Cass. com., 26 juin 1990, n° 88-14.444
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Defontaine
Rapporteur :
M. Hatoux
Avocat général :
M. Jéol
Avocats :
SCP Lyon-Caen, Fabiani et Liard, Me Choucroy
Attendu, selon l'arrêt déféré et les pièces produites, que, le 3 mai 1983, M. Y a cédé à la société de droit japonais Unitec International (société Unitec) la moitié des actions représentant le capital de la société Diffusion commerciale européenne (société Dicorop) devenue ultérieurement la société JVC audio France ; que, par une autre convention du même jour M. Y s'est engagé à garantir dans la limite de 50 % le passif de la société Dicorop, dont la cause et l'origine seraient antérieures au 31 décembre 1982 et qui ne figurerait pas au bilan établi à cette date ou qui y figurerait pour un montant inférieur, ainsi que les comptes d'actif au cas où ceux-ci seraient inférieurs aux chiffres du bilan ; que M. Y a déclaré dans l'acte de garantie que, depuis le 1er janvier 1983, il n'a été réalisé pour le compte de la société Dicorop que des opérations normales et que l'actif net n'a subi depuis cette date aucune diminution, précisant en outre que la garantie concernera une " affaire Dicora " dans la mesure où la perte subie par la société Dicorop sur le montant de sa créance sur la société Dicora excédera un certain montant ; que, le 29 juin 1984, la société Unitec a assigné M. Y en paiement d'une somme, en invoquant la garantie, et en validité d'une saisie-arrêt pratiquée par elle ; que, parallèlement, sur la demande de la société Unitec le juge des référés commerciaux a ordonné une expertise comptable ; que, dans l'instance en paiement, M. Y a demandé reconventionnellement la condamnation de la société Unitec à lui payer le montant des échéances du prix de cession des actions et des dommages-intérêts ; que la société Unitec a abandonné les demandes formées dans son assignation et a demandé au Tribunal de débouter M. Y de son action et de le condamner à fournir certaines pièces et à lui payer des dommages-intérêts ; que le Tribunal a accueilli partiellement la demande de M. Y ; que la société Unitec et M. Y ont demandé à la cour d'appel de statuer au fond sur l'ensemble du litige ; qu'en cause d'appel, M. Y a assigné en intervention forcée et garantie des condamnations qui pourraient être prononcées contre lui M. X, président du conseil d'administration de la société Dicorop ;.
Sur le moyen unique du pourvoi incident, qui est préalable :
Attendu que M. Y fait grief à l'arrêt d'avoir dit que la convention de garantie était valable, au motif que l'article 1326 du Code civil n'était pas applicable, alors, selon le pourvoi, que l'acte par lequel une personne s'engage à prendre en charge le passif ne figurant pas au bilan d'une société constitue un engagement unilatéral au paiement d'une somme d'argent, l'éventuelle compensation de cette somme avec des suppléments d'actif " retenus dans le cadre de la compensation " ne constituant pas un engagement réciproque du cessionnaire ; qu'ainsi l'arrêt a violé les articles 1102, 1103 et 1326 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt constate que la convention de garantie forme un tout avec l'acte synallagmatique portant cession des actions auquel elle s'intègre ; que, de ce seul motif, la cour d'appel a déduit à bon droit que l'article 1326 du Code civil n'était pas applicable ; que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le moyen unique du pourvoi dit provoqué, qui constitue en réalité un pourvoi incident :
Attendu que M. Y fait aussi grief à l'arrêt d'avoir déclaré irrecevable son assignation en intervention forcée en cause d'appel de M. X, aux motifs que le dépôt du rapport de l'expertise qui était en cours, au moment où le Tribunal a statué, ne saurait constituer un fait nouveau caractérisant une évolution du litige, alors que, sur la base de l'arrêt de cassation du 12 novembre 1987, cette expertise n'est pas opposable à M. X, alors, selon le pourvoi, que l'évolution du litige peut être caractérisée par la révélation d'un fait nouveau survenu postérieurement au jugement ; que les éléments résultant d'une expertise, même inopposable à la partie appelée en intervention forcée, qui peut être utilisée à titre de renseignements, constitue un fait nouveau ; qu'ainsi l'arrêt attaqué a violé l'article 555 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'outre les motifs critiqués, l'arrêt relève que, par la demande reconventionnelle de M. Y en première instance, par l'assignation de la société Unitec et par les conclusions que cette société a déposées devant le Tribunal, selon lesquelles il s'était révélé une perte d'actif net très importante que M. Y devait prendre en charge en vertu de la convention, celui-ci savait parfaitement que sa garantie était mise en jeu et disposait dès ce moment-là des données suffisantes impliquant la mise en cause de M. X devant le Tribunal ; qu'en l'état de ces énonciations et constatations, la cour d'appel a décidé à bon droit que le dépôt du rapport de l'expertise en cours au jour où le Tribunal a statué, inopposable à M. X, ne pouvait constituer un fait nouveau caractérisant une évolution du litige justifiant l'appel en cause devant les juges du second degré de M. X qui n'était ni partie ni représenté en première instance ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais, sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses quatre branches :
Vu les articles 1134 et 1592 du Code civil ;
Attendu que, pour débouter la société Unitec de ses demandes à l'encontre de M. Y, l'arrêt retient que l'article 1592 du Code civil ne s'applique pas à la convention litigieuse, dès lors que la désignation par une juridiction d'un expert chargé d'évaluer le montant du " rajustement " du prix de cession des actions ne peut être assimilée à celle de l'arbitre prévu par le texte précité appelé à statuer par une sentence définitive, et que c'était à juste raison que l'expert avait limité son rôle à l'examen des comptes et avait considéré qu'il n'avait pas qualité, comme aurait pu l'avoir un tiers arbitre, pour examiner un point de droit touchant à l'interprétation de la convention ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'article 6 de la convention de garantie du 3 mai 1983 stipulait " qu'à défaut d'accord entre les parties, le montant de ces sommes (ajustement du prix de cession des actions) sera fixé dans les termes de l'article 1592 du Code civil par un expert désigné, soit d'un commun accord entre les parties, soit, à défaut d'accord, par ordonnance du président du tribunal de commerce d'Antibes statuant en la forme de référé et sans recours possible ", la cour d'appel a méconnu la loi du contrat ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres moyens :
CONSTATE le désistement du pourvoi de la société Unitec en ce qu'il est dirigé contre M. X et la société JVC audio France ;
REJETTE les pourvois incidents de M. Y et sur le pourvoi principal de la société Unitec :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que l'arrêt a dit l'article 1592 du Code civil inapplicable en la cause, et en ses dispositions qui sont la suite et la conséquence de cette décision d'inapplicabilité, l'arrêt rendu le 3 mars 1988, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes.