CJUE, 6e ch., 2 septembre 2021, n° C-371/20
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Peek & Cloppenburg KG
Défendeur :
Peek & Cloppenburg KG
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
L. Bay Larsen
Juges :
C. Toader, M. Safjan
Avocat général :
M. Szpunar
Avocats :
Me A. Auler, Me A. Renck, Me M. Petersenn
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation du point 11, première phrase, de l’annexe I de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive 84/450/CEE du Conseil et les directives 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE) no 2006/2004 du Parlement européen et du Conseil (JO 2005, L 149, p. 22).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Peek & Cloppenburg KG, légalement représentée par Peek & Cloppenburg Düsseldorf Komplementär BV (ci-après « P&C Düsseldorf »), à Peek & Cloppenburg KG, légalement représentée par Van Graaf Management GmbH (ci-après « P&C Hambourg »), sociétés indépendantes juridiquement et économiquement, au sujet du caractère déloyal d’une opération promotionnelle.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Aux termes des considérants 6 et 17 de la directive 2005/29 :
« (6) La présente directive a [...] pour objet de rapprocher les législations des États membres relatives aux pratiques commerciales déloyales, y compris la publicité déloyale, portant atteinte directement aux intérêts économiques des consommateurs et, par conséquent, indirectement aux intérêts économiques des concurrents légitimes. Conformément au principe de proportionnalité, la présente directive protège les consommateurs des conséquences de ces pratiques commerciales déloyales dès lors qu’elles sont substantielles, tout en reconnaissant que, dans certains cas, ces conséquences sont négligeables. Elle ne couvre ni n’affecte les législations nationales relatives aux pratiques commerciales déloyales qui portent atteinte uniquement aux intérêts économiques de concurrents ou qui concernent une transaction entre professionnels ; pour tenir pleinement compte du principe de subsidiarité, les États membres conserveront, s’ils le souhaitent, la faculté de réglementer les pratiques visées, conformément à la législation [de l’Union] [...]
[...]
(17) Afin d’apporter une plus grande sécurité juridique, il est souhaitable d’identifier les pratiques commerciales qui sont, en toutes circonstances, déloyales. L’annexe I contient donc la liste complète de toutes ces pratiques. Il s’agit des seules pratiques commerciales qui peuvent être considérées comme déloyales sans une évaluation au cas par cas au titre des dispositions des articles 5 à 9. Cette liste ne peut être modifiée que par une révision de la directive. »
4 L’article 1er de cette directive prévoit :
« L’objectif de la présente directive est de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur et d’assurer un niveau élevé de protection des consommateurs en rapprochant les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux pratiques commerciales déloyales qui portent atteinte aux intérêts économiques des consommateurs. »
5 Aux termes de l’article 2, sous b), de ladite directive, le terme « professionnel » s’entend de « toute personne physique ou morale qui, pour les pratiques commerciales relevant de la présente directive, agit à des fins qui entrent dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale, et toute personne agissant au nom ou pour le compte d’un professionnel ». L’article 2, sous d), de la même directive définit les « pratiques commerciales des entreprises vis-à-vis des consommateurs » comme « toute action, omission, conduite, démarche ou communication commerciale, y compris la publicité et le marketing, de la part d’un professionnel, en relation directe avec la promotion, la vente ou la fourniture d’un produit aux consommateurs ».
6 L’article 5, paragraphe 5, de la directive 2005/29 dispose :
« L’annexe I contient la liste des pratiques commerciales réputées déloyales en toutes circonstances. Cette liste unique s’applique dans tous les États membres et ne peut être modifiée qu’au travers d’une révision de la présente directive. »
7 L’annexe I de cette directive, intitulée « Pratiques commerciales réputées déloyales en toutes circonstances », mentionne, en tant que « [p]ratiques commerciales trompeuses », à son point 11, première phrase, le fait d’« [u]tiliser un contenu rédactionnel dans les médias pour faire la promotion d’un produit, alors que le professionnel a financé celle-ci lui-même, sans l’indiquer clairement dans le contenu ou à l’aide d’images ou de sons clairement identifiables par le consommateur (publi-reportage) ».
Le droit allemand
8 Le Gesetz gegen den unlauteren Wettbewerb (loi interdisant la concurrence déloyale), du 3 juillet 2004 (BGBl. 2004 I, p. 1414), dans sa version applicable au litige au principal (BGBl. 2010 I, p. 254) (ci-après l’« UWG »), vise, notamment, à transposer dans le droit allemand la directive 2005/29. L’article 3 de l’UWG et l’annexe de cette loi contiennent une liste des pratiques commerciales réputées déloyales.
9 L’article 3 de l’UWG, intitulé « Interdiction de pratiques commerciales déloyales », prévoit :
« 1. Les pratiques commerciales déloyales sont illicites.
[...]
3. Les actions commerciales s’adressant aux consommateurs visées dans l’annexe jointe à la présente loi sont toujours illicites. [...]
[...] »
10 Le point 11 de l’annexe de l’UWG mentionne « l’utilisation, financée par une entreprise, d’un contenu rédactionnel pour faire la promotion d’un produit, sans que le lien avec cette entreprise ressorte clairement de ce contenu ou de la présentation visuelle ou sonore concernée (publi-reportage) ».
Le litige au principal et les questions préjudicielles
11 P&C Düsseldorf et P&C Hambourg sont deux sociétés juridiquement et économiquement indépendantes l’une de l’autre qui exercent toutes les deux l’activité de vente au détail de vêtements sous la dénomination sociale Peek & Cloppenburg, par l’intermédiaire de différentes filiales. Un accord conclu entre ces deux sociétés prévoit que celles-ci se répartissent le marché allemand en deux zones économiques et que chacune d’elles exploite des magasins de vêtements dans l’une de ces deux zones. Lesdites sociétés assurent la promotion de leur commerce d’habillement de façon séparée et indépendante.
12 Au mois de mars 2011, P&C Düsseldorf a lancé une opération promotionnelle de portée nationale dans le magazine de mode Grazia, par la publication d’un article figurant sur deux pages, lequel invitait les lecteurs, sous le titre « Opération lecteurs », à une soirée de ventes privées, dénommée « Grazia StyleNight by Peek&Cloppenburg ».
13 Sur fond d’images où la mention « Peek & Cloppenburg » figurait en lettres lumineuses au fronton des devantures des magasins qui y étaient représentés, il était indiqué ce qui suit : « Soirée pour toutes les Grazia-Girls : Naviguez avec nous dans le temple de la mode après le travail ! Avec crémant et un styliste personnel. Comment devenir un V.I. S. (Very Important Shopper) ? En vous inscrivant très rapidement ! ». Il était précisé qu’il existe deux sociétés indépendantes dénommées Peek & Cloppenburg et qu’il s’agissait, en l’occurrence, d’une annonce émanant de P&C Düsseldorf. Ces images présentaient des produits commercialisés par cette dernière dans le cadre de cet évènement.
14 P&C Hambourg a saisi le Landgericht Hamburg (tribunal régional de Hambourg, Allemagne) d’un recours visant à interdire à P&C Düsseldorf de faire paraître, en tant que concurrent, des annonces publicitaires qui ne sont pas clairement identifiables en tant que telles, ainsi qu’à condamner cette dernière à communiquer certaines informations et à réparer le préjudice qu’elle aurait subi en raison de ladite opération promotionnelle. À l’appui de ce recours, P&C Hambourg soutenait qu’une annonce telle que celle publiée dans le magazine Grazia était contraire à l’interdiction des contenus rédactionnels prévue à l’article 3, paragraphe 3, de l’UWG, lu en combinaison avec le point 11 de l’annexe de celle-ci.
15 Le Landgericht Hamburg (tribunal régional de Hambourg) a fait droit audit recours. L’appel interjeté par P&C Düsseldorf contre la décision du Landgericht Hamburg (tribunal régional de Hambourg) a été rejeté par l’Oberlandesgericht Hamburg (tribunal régional supérieur de Hambourg, Allemagne).
16 Le litige au principal a été dès lors porté par P&C Düsseldorf devant le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne), saisi sur pourvoi, la juridiction de renvoi. Cette juridiction relève que la solution de ce litige dépend de l’interprétation du point 11, première phrase, de l’annexe I de la directive 2005/29, transposé dans le droit allemand à l’article 3, paragraphe 3, de l’UWG, lu en combinaison avec le point 11 de l’annexe de cette loi.
17 Selon ladite juridiction, se pose la question de savoir si la publication du contenu rédactionnel annonçant l’opération promotionnelle concernée peut être considérée comme un « publi-reportage », au sens de l’article 3, paragraphe 3, de l’UWG, dans la mesure où P&C Düsseldorf et la société éditrice du magazine Grazia ont partagé les coûts inhérents à cette opération et où P&C Düsseldorf a mis gratuitement à la disposition de cette société les images utilisées dans l’article paru dans le numéro concerné de ce magazine.
18 À cet égard, la juridiction de renvoi considère que plusieurs conditions d’application du point 11, première phrase, de l’annexe I de cette directive sont satisfaites. En effet, selon cette juridiction, l’article annonçant la soirée de ventes privées, dénommée «Grazia StyleNight by Peek&Cloppenburg », constitue bien une « pratique commerciale » de P&C Düsseldorf. Cet article aurait un contenu rédactionnel. La publication de ce contenu rédactionnel aurait été utilisé pour la promotion des ventes de produits de P&C Düsseldorf. Enfin, le lien entre cette promotion et le financement de celle-ci avec ce professionnel ne ressortirait pas avec suffisamment de clarté de la lecture dudit article.
19 Toutefois, la juridiction de renvoi émet des doutes quant à la question de savoir s’il peut être considéré, en l’occurrence, que P&C Düsseldorf a « financé » la promotion des ventes de ses produits par l’utilisation dudit contenu rédactionnel, au sens du point 11, première phrase, de l’annexe I de la directive 2005/29.
20 À cet égard, cette juridiction relève que P&C Düsseldorf a reconnu avoir organisé les soirées de ventes privées conjointement avec la société éditrice du magazine Grazia et que les coûts ont été supportés par les deux. P&C Düsseldorf a en outre mis ses magasins et son personnel à disposition pour l’organisation de l’opération promotionnelle concernée, et aurait cédé gratuitement à la société éditrice du magazine Grazia les droits d’utilisation des images publiées dans l’article paru dans le numéro concerné de ce dernier.
21 Dans ces conditions, ladite juridiction se demande, d’une part, si P&C Düsseldorf peut être regardée comme ayant « financé », au sens de l’annexe I, point 11, première phrase, de la directive 2005/29, cette opération promotionnelle ou bien si une telle notion implique que le professionnel concerné verse une somme d’argent en contrepartie de l’utilisation d’un contenu rédactionnel dans les médias pour la promotion des ventes de ses produits. Si, selon la même juridiction, plusieurs éléments existent en faveur d’une interprétation stricte du terme « financé », au sens de ce point 11, première phrase, selon laquelle ce terme ne recouvrirait que des prestations de nature financière , cette interprétation ne s’imposerait pas de manière univoque.
22 Une comparaison des différentes versions linguistiques dudit point 11, première phrase, ne permettrait pas d’exclure que ledit terme recouvre également des prestations autres que des prestations de nature financière. L’objectif de cette disposition serait de permettre au consommateur d’identifier la nature promotionnelle d’un tel contenu, de saisir dès lors la nature commerciale du message concerné afin d’être en mesure d’y réagir de façon appropriée, et cela indépendamment du fait que la promotion ait été financée par le professionnel en payant une somme d’argent ou d’une autre manière. Cette interprétation serait également corroborée par l’objectif plus général de la directive 2005/29, tel que celui-ci est énoncé à l’article 1er de celle-ci, qui est d’assurer un « niveau élevé de protection des consommateurs ».
23 La juridiction de renvoi s’interroge également sur le point de savoir si le point 11, première phrase, de l’annexe I de la directive 2005/29 exige que le professionnel concerné ait fourni à la société éditrice de médias un avantage ayant une valeur patrimoniale en contrepartie de l’utilisation du contenu rédactionnel et, dans l’affirmative, si une telle condition est satisfaite dans le cas où, comme en l’occurrence, la publication concernée porte sur une opération promotionnelle organisée en commun par ce professionnel et cette société éditrice de médias, afin d’assurer la promotion des ventes des produits de ces derniers.
24 D’une part, il pourrait être considéré que d’éventuelles prestations fournies par le professionnel concerné visaient uniquement l’organisation de l’opération promotionnelle en elle-même, et non pas l’annonce publiée dans le magazine dont celle-ci fait l’objet. D’autre part, l’existence d’un tel lien entre ces prestations et cette annonce pourrait être reconnu en considérant que cette opération promotionnelle et ladite annonce forment un ensemble indissociable.
25 En tout état de cause, selon la juridiction de renvoi, la mise à la disposition gratuite de la société éditrice de médias par P&C Düsseldorf des droits d’utilisation des images reproduites dans le contenu rédactionnel concerné pourrait constituer une prestation ayant une valeur patrimoniale fournie en contrepartie de la même annonce.
26 Dans ces conditions, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Une action de promotion des ventes est-elle “financée”, au sens du point 11, première phrase, de l’annexe I de la directive [2005/29], seulement dans le cas où, pour l’utilisation de contenus rédactionnels dans des médias aux fins de la promotion des ventes, une contrepartie en argent est fournie, ou bien la notion de “financement” recouvre-t-elle tout type de contrepartie, peu importe qu’elle consiste dans le paiement d’une somme d’argent, la livraison de biens ou la fourniture de services ou d’autres éléments ayant une valeur patrimoniale ?
2) Le point 11, première phrase, de l’annexe I de la directive [2005/29] suppose-t-il que le professionnel concerné fournisse à la société éditrice de médias un avantage ayant une valeur patrimoniale en contrepartie de l’utilisation de contenus rédactionnels et, dans l’affirmative, est-on également en présence d’une telle contrepartie dans le cas où la société éditrice de médias publie une annonce portant sur une opération promotionnelle organisée en commun avec ce professionnel, où ce dernier a mis gratuitement des droits d’utilisation des images reproduites dans ces contenus rédactionnels à la disposition de cette société éditrice de médias pour une telle publication, où les deux entreprises ont pris part aux coûts de cette opération promotionnelle et où cette dernière vise à promouvoir la vente des produits des deux entreprises ? »
Sur les questions préjudicielles
27 Par ses deux questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le point 11, première phrase, de l’annexe I de la directive 2005/29 doit être interprété en ce sens que la condition de financement prévue à cette disposition recouvre toute forme de prestation du professionnel concerné et tout avantage économique fourni par ce dernier en vue de la publication d’un article et si, dans l’affirmative, une telle prestation doit être fournie en contrepartie directe de cette publication.
28 En premier lieu, il convient de préciser que le fait que les deux parties au litige au principal, P&C Düsseldorf et P&C Hambourg, deux sociétés de vente d’habillement, soient des professionnels, n’empêche pas l’application, en l’occurrence, de la directive 2005/29. En effet, ne sont exclues du champ d’application de cette directive, ainsi que cela ressort du considérant 6 de celle-ci, que les législations nationales relatives aux pratiques commerciales déloyales qui portent atteinte uniquement aux intérêts économiques de concurrents ou qui concernent une transaction entre professionnels (arrêt du 17 janvier 2013, Köck, C‑206/11, EU:C:2013:14, point 30 et jurisprudence citée).
29 Or, en l’occurrence, l’interdiction des « publi-reportages », prévue dans la directive 2005/29 et transposée dans le droit allemand, vise à préserver la confiance du consommateur dans la neutralité des contenus rédactionnels et à éviter la publicité cachée, tant dans l’intérêt du consommateur que dans celui des éventuels concurrents de l’annonceur.
30 Par conséquent, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 32 et 33 de ses conclusions, lorsque les conditions d’une pratique commerciale déloyale sont satisfaites, cette directive n’exclut pas la possibilité pour un professionnel concurrent de l’annonceur de contester une telle pratique devant le juge national.
31 En second lieu, pour relever du champ d’application de la directive 2005/29, les comportements concernés doivent constituer des pratiques commerciales, au sens de l’article 2, sous d), de cette directive. Tel est le cas lorsque ces comportements émanent d’un professionnel, s’inscrivent dans le cadre de la stratégie commerciale de celui-ci et visent directement à la promotion, à la vente ou à la fourniture de ses produits ou services aux consommateurs (arrêt du 17 octobre 2013, RLvS, C‑391/12, EU:C:2013:669, points 35 et 36).
32 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que la publication de l’article concerné portait sur une annonce relative à une opération promotionnelle qui s’inscrivait dans le cadre de la stratégie de vente de vêtements et de fidélisation des clients de P&C Düsseldorf. Dans ces conditions, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 23 et 24 de ses conclusions, le fait que cette publication concernait une opération promotionnelle organisée en coopération avec la société éditrice de médias concernée, qui visait également à promouvoir les ventes de cette dernière, ne saurait remettre en cause le caractère de « pratique commerciale » de cette opération, au sens de l’article 2, sous d), de ladite directive, attribuable à P&C Düsseldorf.
33 Toutefois, la juridiction de renvoi éprouve des doutes quant à la qualification de « publi-reportage », au sens du point 11, première phrase, de l’annexe I de la directive 2005/29, d’une publication portant sur une telle opération promotionnelle dans le magazine de mode de la société éditrice de médias partenaire, étant donné qu’il est constant que P&C Düsseldorf n’a pas versé de somme d’argent à cette société éditrice de médias en contrepartie de cette publication. Plus particulièrement, cette juridiction s’interroge sur le point de savoir si la notion de « financement », au sens de cette disposition, doit être comprise comme ne recouvrant que des versements de sommes d’argent, ou bien si cette notion recouvre tout avantage ayant une valeur patrimoniale accordé par le professionnel annonceur à la société éditrice de médias concernée.
34 À cet égard, il convient de rappeler que la directive 2005/29 procède à une harmonisation complète au niveau de l’Union des règles relatives aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs et établit, à son annexe I, une liste exhaustive de 31 pratiques commerciales qui, conformément à l’article 5, paragraphe 5, de cette directive, sont réputées déloyales « en toutes circonstances ». Par conséquent, ainsi que le considérant 17 de ladite directive le précise expressément, il s’agit des seules pratiques commerciales qui peuvent être considérées comme déloyales en tant que telles, sans une évaluation au cas par cas au titre des dispositions des articles 5 à 9 de la même directive (voir, en ce sens, arrêt du 10 juillet 2014, Commission/Belgique, C‑421/12, EU:C:2014:2064, points 55 et 56 ainsi que jurisprudence citée).
35 Ainsi, en application du point 11, première phrase, de l’annexe I de la directive 2005/29, est qualifié de pratique commerciale déloyale en toutes circonstances le fait pour un professionnel de faire la promotion d’un produit en utilisant un contenu rédactionnel dans les médias, sans indiquer clairement dans ce contenu ou à l’aide d’images ou de sons clairement identifiables par le consommateur qu’il a financé ledit contenu, pratique communément appelée « publi-reportage ».
36 Or, il convient de relever, en ce qui concerne le libellé de cette disposition, que si, dans certaines versions linguistiques de cette directive, telles que les versions en langue espagnole (« pagando »), en langue allemande (« bezahlt »), en langue anglaise (« paid for »), , en langue néerlandaise (« betaald ») ou encore en langue polonaise (« zapłacił » ), sont employés des termes qui suggèrent des « paiements », dans le sens du versement d’une somme d’argent, dans d’autres, telles que les versions en langue française (« financer ») ou en langue italienne (« i costi di tale promozione siano stati sostenuti »), sont utilisés des termes plus génériques, permettant d’inclure dans la notion de « financement », au sens de ladite disposition, toute forme de contrepartie ayant une valeur patrimoniale.
37 Néanmoins, il est de jurisprudence constante que la nécessité d’une application et d’une interprétation uniformes d’un acte du droit de l’Union exclut que celui–ci soit considéré isolément dans l’une de ses versions linguistiques (voir, en ce sens, arrêt du 3 avril 2014, 4finance, C‑515/12, EU:C:2014:211, point 19). En effet, il y a lieu d’interpréter une disposition en fonction non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte ainsi que des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (arrêt du 10 juin 2021, KRONE – Verlag, C‑65/20, EU:C:2021:471, point 25 et jurisprudence citée).
38 S’agissant de la directive 2005/29, la Cour a jugé que celle-ci se caractérise par un champ d’application matériel particulièrement large, s’étendant à toute pratique commerciale qui présente un lien direct avec la promotion, la vente ou la fourniture d’un produit aux consommateurs et s’inscrit dans le cadre de la stratégie commerciale d’un opérateur (arrêt du 14 janvier 2010, Plus Warenhandelsgesellschaft, C‑304/08, EU:C:2010:12, point 39).
39 Ainsi, l’objectif poursuivi par cette directive est notamment d’assurer un niveau élevé de protection des consommateurs contre des pratiques commerciales déloyales et repose sur la circonstance que, par rapport à un professionnel, le consommateur se trouve dans une position d’infériorité, notamment en ce qui concerne le niveau d’information, étant précisé qu’il ne saurait être nié qu’il existe une asymétrie importante de l’information et des compétences entre ces parties (voir, en ce sens, arrêts du 18 octobre 2012, Purely Creative e.a., C‑428/11, EU:C:2012:651, point 48, ainsi que du 12 juin 2019, Orange Polska, C‑628/17, EU:C:2019:480, point 36 et jurisprudence citée).
40 Or, dans le cadre du point 11, première phrase, de l’annexe I de ladite directive, cette protection se concrétise dans le domaine de la presse écrite et d’autres médias d’information, en ce que ce point impose aux entreprises annonceuses une obligation d’indiquer clairement qu’elles ont financé un contenu rédactionnel dans les médias lorsque ce contenu a vocation à faire la promotion d’un produit ou d’un service de ces professionnels (voir, en ce sens, arrêt du 17 octobre 2013, RLvS, C‑391/12, EU:C:2013:669, point 48).
41 Il en résulte que le point 11, première phrase, de l’annexe I de la directive 2005/29 a été conçu notamment pour garantir que toute publication sur laquelle le professionnel concerné a exercé une influence dans son intérêt commercial soit clairement signalée et connue comme telle du consommateur. Dans ce contexte, la forme concrète du financement, que ce soit le versement d’une somme d’argent ou toute autre contrepartie ayant une valeur patrimoniale est sans incidence du point de vue de la protection du consommateur et de la confiance des lecteurs dans la neutralité de la presse.
42 En effet, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 60 de ses conclusions, interpréter la notion de « financement », au sens de cette disposition, en ce sens que celle-ci exigerait le versement d’une somme d’argent ne correspondrait pas à la réalité de la pratique journalistique et publicitaire comme priverait en grande partie ladite disposition de son effet utile.
43 Cette approche est corroborée par le rapport du Parlement européen du 19 décembre 2013, sur l’application de la directive 2005/29 [2013/2116(INI] (A 7-0474/2014). En effet, au point 16 de ce rapport, le Parlement demande à la Commission européenne et aux États membres de veiller à la bonne application de la directive 2005/29, en particulier pour ce qui concerne la publicité « cachée » sur Internet par l’intermédiaire de la diffusion de commentaires sur des réseaux sociaux, des forums ou des blogs, semblant émaner des consommateurs eux-mêmes, alors qu’il s’agit en réalité de messages à caractère publicitaire ou commercial, directement ou indirectement générés ou financés par des acteurs économiques, et insiste sur les effets préjudiciables de telles pratiques sur la confiance des consommateurs et la réglementation en matière de concurrence.
44 S’agissant d’une publication dans un magazine portant sur une opération promotionnelle organisée par un professionnel en collaboration avec la société éditrice de médias concernée, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si cette opération a elle-même, au moins en partie, été financée par ce professionnel, en ce sens que ce dernier a accordé un avantage, sous la forme du versement d’une somme d’argent, de biens, de services ou de tout autre avantage ayant une valeur patrimoniale, pour ladite opération, de nature à influer sur le contenu de cette publication.
45 En effet, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé en substance au point 72 de ses conclusions, il ressort du libellé du point 11, première phrase, de l’annexe I de la directive 2005/29 que le financement, au sens de cette disposition, doit viser la promotion du produit au moyen d’un contenu rédactionnel dans les médias, ce qui implique un lien certain, dans le sens d’une contrepartie, entre l’avantage patrimonial fourni par le professionnel concerné et ce contenu rédactionnel. Une telle interprétation est confirmée par l’objectif de ladite disposition, lequel est, ainsi qu’il ressort des points 40 et 41 du présent arrêt, celui de protéger le consommateur contre la publicité cachée, c’est-à-dire contre les contenus rédactionnels pour lesquels les professionnels annonceurs ont fourni des avantages sans le signaler, et de préserver la confiance des lecteurs dans la neutralité de la presse.
46 Dans ce contexte, la mise à disposition gratuite, en faveur de la société éditrice de médias par le professionnel concerné, d’images protégées par des droits d’utilisation peut constituer un financement direct de cette publication, dans la mesure où ces images représentaient des prises de vue des locaux et des produits commercialisés par ce professionnel dans le cadre de l’opération promotionnelle concernée. En effet, cette mise à disposition a une valeur patrimoniale et vise à promouvoir les ventes des produits dudit professionnel.
47 Par ailleurs, le point 11, première phrase, de l’annexe I de la directive 2005/29 ne prévoit aucune règle concernant le montant minimal de la valeur du financement ou la proportion de ce financement dans le coût total de l’opération promotionnelle concernée, et n’exclut pas que la société éditrice de médias supporte elle-même une partie des coûts de la publication dans son propre intérêt.
48 En outre, il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier si les autres conditions du point 11, première phrase, de l’annexe I de la directive 2005/29 sont satisfaites.
49 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que le point 11, première phrase, de l’annexe I de la directive 2005/29 doit être interprété en ce sens que la promotion d’un produit par la publication d’un contenu rédactionnel est « financée » par un professionnel, au sens de cette disposition, lorsque ce professionnel fournit une contrepartie ayant une valeur patrimoniale pour cette publication, que cela soit sous la forme du versement d’une somme d’argent ou sous toute autre forme, dès lors qu’il existe un lien certain entre le financement ainsi accordé par ledit professionnel et ladite publication . Tel est notamment le cas de la mise à disposition gratuite par le même professionnel d’images protégées par des droits d’utilisation, sur lesquelles sont visibles les locaux commerciaux et des produits commercialisés par celui-ci.
Sur les dépens
50 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :
Le point 11, première phrase, de l’annexe I de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive 84/450/CEE du Conseil et les directives 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE) no 2006/2004 du Parlement européen et du Conseil, doit être interprété en ce sens que la promotion d’un produit par la publication d’un contenu rédactionnel est « financée » par un professionnel, au sens de cette disposition, lorsque ce professionnel fournit une contrepartie ayant une valeur patrimoniale pour cette publication, que cela soit sous la forme du versement d’une somme d’argent ou sous toute autre forme, dès lors qu’il existe un lien certain entre le financement ainsi accordé par ledit professionnel et ladite publication. Tel est notamment le cas de la mise à disposition gratuite par le même professionnel d’images protégées par des droits d’utilisation, sur lesquelles sont visibles les locaux commerciaux et des produits commercialisés par celui-ci.