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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 26 janvier 2022, n° 20/08578

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Fournier (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Depelley, Mme Lignières

Avocats :

Me Teytaud, Me Weygan, Me Bellichach, Me Favier

T. com. Lyon, du 14 mai 2020, n° 2019J01…

14 mai 2020

Vu le jugement rendu le 14 mai 2020 par le tribunal de commerce de Lyon qui a débouté M. X de l'ensemble de ses demandes et :

- l'a condamné à payer à la société Fournier la somme de 500 €, à titre de dommages intérêts, pour procédure abusive ainsi que celle de 1 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- l'a condamné aux entiers dépens.

Vu l'appel relevé par M. X et ses dernières conclusions notifiées le 2 avril 2021 par lesquelles il demande à la cour, au visa de l'article L. 442-6-1I 5° du code de commerce et de l'article 1382 du code civil, d'infirmer le jugement et, statuant à nouveau, de :

- constater que la société Fournier a conclu un contrat de franchise avec la société Style Kitchen le 17 novembre 2010, que la relation commerciale entre ces deux sociétés était établie, que la société Fournier l'a rompue de manière brutale, sans préavis, par lettre du 30 juillet 2013 et qu'elle a engagé sa responsabilité dans le cadre de cette rupture brutale,

- juger que, bien que tiers à la relation commerciale entre la société Fournier et la société Style Kitchen, il est fondé à demander réparation des préjudices par ricochet subis du fait de la rupture brutale et abusive de cette relation,

- condamner la société Fournier à lui payer la somme de 377 406,52 €, à titre de dommages intérêts, ainsi que celle de 15 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile,

- déclarer la société Fournier irrecevable et en tout cas mal fondée en son appel incident, et la débouter de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société Fournier aux dépens de première instance et d'appel;

Vu les dernières conclusions notifiées le 4 janvier 2021 par la société Fournier qui demande à la cour, au visa de l'article 1382 ancien du code civil, de l'article L. 442-6-I 5° du code de commerce ainsi que des articles 9 et 32-1 du code de procédure civile, de :

- à titre principal, constater que les demandes de M. X sont autant irrecevables que mal fondées et, en conséquence, ne pas y faire droit,

- à titre subsidiaire, constater que M. X ne justifie pas des préjudices qu'il invoque et des demandes qu'il formule,

- en conséquence, rejeter l'ensemble de ses demandes,

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a condamné M. X à lui payer la somme de 500 €, à titre de dommages intérêts, pour procédure abusive,

- statuant à nouveau sur ce point, condamner M. X à lui payer la somme de 5 000 €, à titre de dommages intérêts, pour procédure abusive,

- en tout état de cause, condamner M. X aux entiers dépens de l'instance et à lui payer la somme de 15 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile,

SUR CE, LA COUR

La société Style Kitchen a été constituée en octobre 2010 entre M. Y et M. X, chacun détenant la moitié des actions ; cette société avait pour activité la vente et l'installation en sous-traitance de meubles de cuisines, salles de bains ainsi que de rangements et accessoires s'y rapportant ; M. X était son dirigeant.

Le 17 novembre 2010, la société Fournier qui est spécialisée dans la fabrication et la distribution, sous la marque SoCoo'c, d'une sélection de meubles, d'électro ménager et d'accessoires de cuisine, a signé un contrat de franchise avec la société Style Kitchen, lui concédant une exclusivité territoriale pour la distribution de ses produits au consommateur final.

Par lettre recommandée du 30 juillet 2013, avec accusé de réception, la société Fournier a mis en demeure la société Style Kitchen de lui payer la somme de 161 155,64 € en joignant la liste de factures impayées datées des 10 février 2012 au 26 juillet 2013 et en lui impartissant un délai de 15 jours aux fins de régularisation, faute de quoi elle procéderait à la résiliation immédiate du contrat de franchise.

M. X lui a répondu, par lettre recommandée du 16 août 2013, en demandant la prorogation du délai de paiement et en précisant qu'il avait réalisé la vente d'un bien immobilier dont le règlement devait intervenir dans les jours à venir, ce qui lui permettrait de régulariser sa situation. Puis, par lettre de son conseil du 11 octobre 2013, M. X s'est plaint du blocage des commandes l'empêchant d'honorer sa dette, a demandé à la société Fournier un plan d'apurement tout en poursuivant l'activité de sa société et précisé qu'à défaut il serait contraint de déposer le bilan.

La liquidation judiciaire de la société Style Kitchen a été prononcée le 20 décembre 2013 et la clôture des opérations de liquidation est intervenue le 9 février 2018.

Le 25 juillet 2018, M. X a fait assigner la société Fournier devant le tribunal de commerce de Lyon afin d'obtenir réparation de ses préjudices subis par ricochet du fait de la rupture brutale et abusive par cette société de la relation commerciale établie avec la société Style Kitchen.

Le tribunal, par le jugement déféré, a débouté M. X de toutes ses demandes et l'a condamné au paiement de la somme de 500 €, à titre de dommages intérêts, pour procédure abusive.

Sur les demandes de dommages intérêts de M. X :

M. X, qui était le dirigeant de la société Style Kitchen, est recevable à former des demandes de dommages intérêts en invoquant des préjudices personnels que lui aurait causé la rupture brutale et abusive par la société Fournier de la relation commerciale établie résultant du contrat de franchise signé le 17 novembre 2010.

Il expose, en ce qui concerne la relation commerciale :

- que c'est uniquement par manque de moyens financiers que la société Style Kitchen n'a pas engagé de poursuites contre la société Fournier,

- que la société Style Kitchen avait réalisé un chiffre d'affaires de 349 576 € dès son premier exercice clos le 30 novembre 2011 et de 636 595 € à la clôture de l'exercice suivant au 31 décembre 2012, ce qui laissait entrevoir la pérennité de l'entreprise et son développement progressif,

- mais que son passif était important, bien plus que celui prévu par le franchiseur dans son document d'information pré contractuelle, et qu'il grevait la trésorerie depuis le début d'activité, ce qui traduit une mauvaise prévision par le franchiseur de sa relation commerciale avec le franchisé,

- que l'état du marché et de la concurrence a été d'emblée mal défini par le franchiseur,

- que pour respecter les directives du franchiseur, la société Style Kitchen a été contrainte dès l'origine d'engager des frais importants pour des opérations de communication, promotions et participation à des foires,

- que les comptes rendus de réunions entre le franchiseur et le franchisé des 17 septembre 2012, 22 novembre 2012 et 21 décembre 2012 font état d'un très faible passage de clients qui ne peut s'expliquer que par un emplacement proche de celui de deux concurrents importants Discount cuisines et Cuisinella, ce que la société Fournier semble découvrir plus d'un an après l'ouverture du magasin et une étude de marché erronée réalisée par elle,

- que si des difficultés sont apparues avec son associé M. Y, les difficultés financières de la société Style Kitchen sont principalement liées à sa dette fournisseur.

M. X reproche à la société Fournier :

- de n'avoir pas respecté un préavis raisonnable qui aurait dû être de six mois minimum, pour tenir compte de la situation de dépendance économique de la société Style Kitchen,

- d'avoir vicié le consentement du franchisé, d'une part en lui ayant fourni des chiffres irréalistes : le rétro planning et le business plan étant totalement inadaptés et engendrant des surcoûts d'investissements, d'autre part en fournissant des documents contradictoires : le pré contrat de franchise prévoyant une trésorerie de 150 000 € et le business plan seulement de 80 000 €,

- d'avoir manqué à son obligation d'assistance, notamment lors du lancement du magasin,

- de ne pas s'être remise en question alors que 41 % de ses points de vente ont fermé comme précisé dans un arrêt de cette cour du 24 octobre 2018,

- d'avoir refusé de livrer la société Style Kitchen alors que celle-ci développait son carnet de commandes,

- d'avoir, par ces manquements, conduit à la liquidation judiciaire de la société Style Kitchen.

Mais la société Fournier réplique à juste raison :

- que les droits consentis à la société Style Kitchen étaient assortis de certaines obligations et, notamment, celle « de payer à bonne date les produits commandés, »

- que M. X, agissant en qualité de dirigeant de la société Style Kitchen n'a pas contesté devoir la somme de 161 155,64 € réclamée, demandant des délais pour l'apurer et s'engageant à régulariser la situation, ce qu'il n'a pas fait,

- qu'elle a fait preuve de patience à l'égard de la société Style Kitchen qui revendait ses produits à ses propres clients sans la payer elle.

M. X ne démontre pas un vice qui aurait affecté le consentement du franchisé lors de son engagement, alors que le business plan de la société Fournier est un document dépourvu de toute valeur contractuelle et qui précise que « le résultat sur investissement est à pondérer en fonction des choix de l'entreprise cliente » à qui il appartient « pour finaliser le projet d'établir un prévisionnel à partir des éléments remis en tenant compte de sa propre situation » ; si l'appelant allègue que l'emplacement du magasin était mal choisi et l'étude de marché erronée, il ne verse pas au dossier d'éléments probants en ce sens.

L'appelant ne justifie d'aucun manquement de la société Fournier à son obligation d'assistance.

Il est mal fondé à imputer à la société Fournier ses problèmes de trésorerie, alors qu'il apparaît du compte de résultat de la société Style Kitchen au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2011 que la rémunération versée aux deux associés s'élevait à 66 759 €, hors charges et cotisations.

De plus, M. X a écrit à la société Fournier :

- par courriel du 23 mai 2013, que M. Y avait quitté la société en lui cédant ses parts et qu'il était maintenant en mesure d'engager son partenaire financier avec lequel il allait mettre en place un nouveau plan de financement pour effacer l'historique et stabiliser les comptes,

- par courriel du 2 juillet 2013 : « J'ai conscience d'avoir décrédibilisé ma position vis à vis de Fournier de par les promesses d'investissements non tenues par mon ex-associé M. Y

Maintenant que celui-ci a définitivement quitté la société que je reprends sous forme de SASU et que de par l'aide d'un partenaire financier, M. Z, je vais être en mesure de solder ma situation et vous demande, dans l'intérêt commun, de me permettre de passer des commandes afin de tenir jusqu'à la mise en place du plan de financement ... ».

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que c'est sans commettre aucune faute ni aucun abus que le 30 juillet 2013, la société Fournier dont la créance s'élevait à 161 155,64 € pour des factures impayées pendant plus d'un an, a notifié à la société Style Kitchen la rupture de leurs relations, à défaut de paiement dans les 15 jours.

Le non-paiement par la société Style Kitchen d'une dette d'un tel montant envers son fournisseur constitue une faute d'une gravité suffisante pour justifier la rupture des relations sans préavis.

En conséquence, M. X sera débouté de l'ensemble de ses demandes.

Sur la demande de dommages intérêts pour procédure abusive :

La société Fournier demande à ce titre la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile. Elle fait valoir que « le tribunal de commerce de Lyon a valablement estimé que les circonstances dans lesquelles l'action avait été introduite caractérisaient une procédure abusive, M. X, ancien dirigeant de la société Style Kitchen liquidée, se présentant comme tiers victime de la prétendue rupture, et dont les demandes pécuniaires n'étaient pas en lien avec l'indemnisation demandée dans le contexte d'une rupture brutale et la société Fournier ayant déjà subi de lourds impayés du fait de la déconfiture de la société Style Kitchen . »

L'appelant s'oppose à cette demande en soutenant qu'il n'a commis aucun abus dans l'exercice de son droit d'agir en justice.

Au vu des éléments du dossier, il convient de retenir que M. X n'a pas fait dégénérer en abus son droit d'agir en justice ; la demande de la société Fournier sera donc rejetée.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile :

M. X, qui succombe en ses prétentions, doit supporter les dépens de première instance et d'appel.

En application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il y a lieu d'allouer la somme supplémentaire de 8 000 € à l'intimée et de rejeter la demande de ce chef de l'appelant.

PAR CES MOTIFS

INFIRME le jugement seulement en ce qu'il a condamné M. X à payer à la société FOURNIER la somme de 500 €, à titre de dommages intérêts, pour procédure abusive,

Statuant à nouveau sur ce point,

DÉBOUTE la société FOURNIER de sa demande en paiement de la somme de 5 000 €, à titre de dommages intérêts, pour procédure abusive,

CONFIRME le jugement en toutes ses autres dispositions,

Y ajoutant,

CONDAMNE M. X à payer à la société FOURNIER la somme de 8 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE M. X de toutes ses demandes,

CONDAMNE M. X aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.