Cass. com., 13 octobre 2021, n° 19-23.784
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, SCP Waquet, Farge et Hazan
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 23 octobre 2018), la société Laboratoires Auvex (la société Auvex), venant aux droits de la société Aspilabo, est titulaire de la marque semi-figurative française « Aspivenin », déposée le 30 janvier 1984 sous le numéro 1259051, renouvelée depuis et valable jusqu'au 30 janvier 2024, pour désigner notamment, en classe 10, les produits « pompes d'hygiène médicale à aspirer le venin », ainsi que de la marque semi-figurative communautaire « Aspivenin », déposée le 1er avril 1996 sous le numéro 72710 et valable jusqu'au 1er avril 2016, pour désigner, en classe 10, les produits « pompes à usage médical ».
2. Ayant été assignées par la société Aspilabo en contrefaçon des marques française et communautaire « Aspivenin », les sociétés Laboratoires Novodex Pharma (la société Novodex), Sabaviam et N2P Distribution (la société N2P) ont demandé reconventionnellement l'annulation de ces marques.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches
Enoncé du moyen
4. La société Auvex fait grief à l'arrêt, confirmant le jugement entrepris, d'annuler pour défaut de distinctivité les marques n° 1259051 et n° 72710, dont elle est titulaire, désignant les produits de pompes d'hygiène médicale à aspirer le venin, alors :
« 3°/ qu'une marque qui, lors de son enregistrement, est dépourvue de caractère distinctif en ce qu'elle indique la qualité essentielle du produit désigné, peut acquérir un caractère distinctif par l'usage qui en a été fait après son enregistrement ; qu'en l'espèce, la société Laboratoires Auvex faisait valoir, pièces à l'appui, que la marque française semi-figurative "Aspivenin" avait acquis un caractère distinctif par l'usage qui en avait été fait après son dépôt ; qu'en retenant que "l'acquisition du caractère distinctif par l'usage au jour du dépôt de la marque (30 janvier 1984)" n'était pas établie, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la marque n'avait pas acquis un caractère distinctif par l'usage qui en avait été fait après son enregistrement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 6 quinquies C de la Convention de Paris du 20 mars 1883 pour la protection de la propriété industrielle et de l'article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle ;
4°/ que la société Laboratoires Auvex faisait valoir, pièces à l'appui, que la marque communautaire semi-figurative "Aspivenin" avait acquis un caractère distinctif par l'usage qui en avait été fait après son dépôt ; qu'en retenant que les pièces comportant une date certaine antérieure à avril 1996, produites par la société Laboratoires Auvex, "ne suffisent pas à établir un usage continu, intense et de longue durée du signe constituant la marque communautaire 'ASPIVENIN' au jour du dépôt (1er avril 1996)", sans rechercher, comme elle y était invitée, si la marque n'avait pas acquis un caractère distinctif par l'usage qui en avait été fait après son enregistrement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 7, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 40/94 du 20 décembre 1993, devenu l'article 7, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
5. Les sociétés Novodex, Sabaviam et N2P soutiennent que le moyen est irrecevable comme nouveau et mélangé de fait et de droit, voire comme contraire à la thèse soutenue en appel, au motif que la société Auvex avait exposé, dans ses conclusions d'appel, que la validité de ses marques devait s'apprécier à la date de leur dépôt et selon la loi ou le règlement communautaire en vigueur à cette époque.
6. Cependant, la société Auvex ayant soutenu, dans ses écritures d'appel, que l'usage et la notoriété dont, selon elle, la marque française « Aspivenin » jouissait déjà au moment de son dépôt, en 1984, n'avaient fait que s'accroître par la suite « jusqu'à aujourd'hui », et que cette marque étant distinctive tant en elle-même qu'en raison de son usage et de sa notoriété, elle était valable sous l'empire de la loi ancienne comme sous celui de l'article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle, le moyen par lequel elle soutient que la cour d'appel aurait dû apprécier si cette marque avait acquis un caractère distinctif par l'usage qui en avait été fait depuis son dépôt n'est ni nouveau ni contraire à la thèse soutenue en appel.
7. De même, la société Auvex ayant soutenu, dans ses écritures d'appel, que l'usage et la notoriété dont, selon elle, la marque communautaire « Aspivenin » jouissait déjà au moment de son dépôt, en 1996, s'étaient encore développés « par la suite » et ayant invité la cour d'appel à constater que cette marque avait acquis, en tout état de cause, un caractère distinctif par l'usage notoire qui en avait été fait « avant comme après le dépôt de la marque communautaire en 1996 », le moyen par lequel elle soutient que la cour d'appel aurait dû apprécier si ladite marque avait acquis un caractère distinctif par l'usage qui en avait été fait depuis son dépôt n'est ni nouveau ni contraire à la thèse soutenue en appel.
8. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles 6 quinquies, C, de la Convention de [Localité 3] du 20 mars 1883 pour la protection de la propriété industrielle, modifiée le 28 septembre 1979, et L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, ainsi que l'article 52, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009 sur la marque communautaire :
9. Il résulte du premier de ces textes qu'une marque qui, à la date de son dépôt, était dépourvue de caractère distinctif, ne peut être annulée si, depuis cette date, elle a acquis, par l'effet de la durée de son usage, le caractère distinctif qui lui faisait défaut. Selon le deuxième, n'est pas déclarée nulle une marque enregistrée lorsque le caractère distinctif a été acquis après son enregistrement. Tel est le cas lorsqu'une marque enregistrée en application de la loi n° 64-1360 du 31 décembre 1964 a acquis un caractère distinctif postérieurement à l'entrée en vigueur, le 28 décembre 1991, de la loi n° 91-7 du 4 janvier 1991.
10. Aux termes du troisième texte, lorsque la marque communautaire a été enregistrée alors qu'elle était dépourvue de caractère distinctif, elle ne peut toutefois être déclarée nulle si, par l'usage qui en a été fait, elle a acquis après son enregistrement un caractère distinctif pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée.
11. Pour confirmer le jugement entrepris en ce qu'il avait annulé les marques française et communautaire « Aspivenin » pour les produits « pompes d'hygiène médicale à aspirer le venin », l'arrêt retient que ces marques n'avaient pas, au moment de leurs dépôts respectifs, acquis un caractère distinctif par l'usage qui en avait été fait.
12. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si ces marques n'avaient pas acquis un caractère distinctif par l'usage qui en avait été fait depuis leurs dépôts respectifs, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement entrepris, il annule pour défaut de distinctivité la marque nationale n° 1259051 et la marque communautaire n° 72710, dont la société Laboratoires Auvex est titulaire, désignant les produits de pompes d'hygiène médicale à aspirer le venin, l'arrêt rendu le 23 octobre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris.