Livv
Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 13 avril 2006, n° 05/01317

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

SYNAXIS PRODUCTIONS (Sté)

Défendeur :

Mme TRANIER

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Senselme

Conseillers :

M. Vergne, M. Grimaud

TGI Toulouse, du 22 nov. 2004, n° 01/228…

22 novembre 2004

La société Synaxis Production a relevé appel le 3 mars 2005 du jugement rendu le 22 novembre 2004 par le tribunal de grande instance de Toulouse qui a prononcé la résiliation du bail commercial établi le 26 mai 1998 entre elle-même et Mme Tyrek pour le local situé [...], qui a ordonné son expulsion, qui l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes, qui l'a condamnée à payer à Mme Tyrek 3 359,63 € par trimestre et d'avance à titre d'indemnité d'occupation outre 1 900 € pour frais irrépétibles.

Mme Tyrek louait le local qu'elle possède au [...] à la société Victor Hugo qui exerçait une activité de bar brasserie. La société Victor Hugo a été déclarée en redressement judiciaire et la société Synaxis Production a acquis le fonds de commerce après jugement de cession en sa faveur du 29 avril 1998. Le 26 juin 1998, Mme Tyrek a conclu avec la société Synaxis Production un bail pour le local du [...] à usage de 'restauration alimentaire, bar, brasserie, glacier et toutes activités annexes telles que plats cuisinés à emporter' pour une durée de 9 années à compter du 1 juin 1998. La copropriété du [...], ainsi que la copropriété voisine, se sont plaintes de nuisances sonores. Après une procédure de référé infructueuse, Mme Tyrek a saisi le tribunal qui a rendu le jugement déféré.

La société Synaxis Production conteste le grief qui lui est fait de déspécialisation du fonds de bar brasserie en bar musical. Elle soutient en premier lieu que le temps des bars de quartier est révolu, qu'elle s'est conformée à une évolution sociale inéluctable en adjoignant de la musique à son activité de bar et de restauration, que cette évolution n'emporte pas déspécialisation. Elle conteste aussi avoir organisé des soirées musicales moyennant droit d'entrée, cette circonstance ne s'étant produite qu'une fois et pour des motifs financiers. Elle expose avoir avec la Sacem un contrat qui correspond à une activité de débit de boissons ou de restauration avec diffusion de musique et respecter des horaires qui sont ceux d'un bar. Elle estime qu'en mettant l'accent sur le côté musical du bar elle a tout au plus adjoint une activité connexe ou complémentaire et que l'activité de l'établissement est restée la même. Elle soutient par ailleurs que Mme Tyrek a été informée de l'adjonction d'une activité connexe ou complémentaire, qu'elle a donné une autorisation implicite et en tout cas elle n'a pas contesté cette activité dans le délai de deux mois. S'agissant des nuisances sonores retenues par le tribunal, elle argue de travaux d'insonorisation et de la pose de limiteurs de bruit et elle précise que l'expert n'a pas relevé de bruit dépassant le niveau autorisé à l'exception d'un local professionnel dont les occupants partent à 19 heures. Elle considère que les plaintes de tiers ne démontrent pas les nuisances ni leur intensité et elle soutient que la fermeture administrative, intervenue pendant 27 jours, a pour origine une défaillance du système de sonorisation. Elle critique les rapports des services d'hygiène de la ville de Toulouse car leurs conclusions ne sont pas conformes à celles de l'expert judiciaire, depuis elle a fait effectuer des travaux, elle en ferait effectuer d'autres encore si Mme Tyrek lui en donnait l'autorisation. S'agissant de l'interdiction d'activités bruyantes qui figure au règlement de copropriété, la société Synaxis Production estime qu'elle lui est inopposable car elle n'a pas été portée à sa connaissance. A propos des travaux qu'elle a effectué sur un mur porteur, la société Synaxis Production fait valoir qu'ils étaient prévus à l'offre de reprise du fonds de commerce, qu'ils n'ont généré aucun désordre, que les lieux ont été remis en état. Sur le grief de non paiement des loyers, elle fait valoir qu'il n'est intervenu qu'un seul incident en huit ans. A titre subsidiaire, la société Synaxis Production demande d'être autorisée à déspécialiser le fonds et elle prétend qu'un tel changement n'est pas un manquement grave aux obligations du bail. A titre infiniment subsidiaire, la société Synaxis Production invoque des fautes de Mme Tyrek à son égard en ce que la bailleresse l'a empêchée de réaliser des travaux et elle chercherait à augmenter le loyer ou à récupérer la valeur du fonds. Elle évalue à 500 000 € le préjudice résultant de la résistance de Mme Tyrek à la laisser exploiter le fonds outre le refus de Mme Tyrek d'accepter la vente du fonds. La société Synaxis Production conclut au débouté des prétentions de Mme Tyrek, subsidiairement à l'autorisation de déspécialiser le fonds, à titre encore plus subsidiaire au paiement de 500 000 € à titre de dommages et intérêts. Elle sollicite 15 000 € pour frais irrépétibles et la distraction des dépens au profit de la SCP Chateau Passera.

Mme Tyrek expose que le projet de reprise déposé par la société Synaxis Production dans le cadre du redressement judiciaire du précédent locataire, la société Victor Hugo, ne lui a jamais été communiqué et elle déclare avoir attiré l'attention sur les problèmes de bruit s'agissant d'un immeuble à usage principal d'habitation dont le règlement de copropriété prohibe les nuisances sonores. Elle admet avoir été sollicitée pour autoriser des travaux d'insonorisation et de décoration mais dans son esprit ces travaux devaient permettre un bar à ambiance musicale et nullement de la musique amplifiée. Elle déclare qu'un premier contentieux a opposé la société Synaxis Production à la copropriété en ce que cette société a installé un climatiseur sans autorisation, puis elle a commencé des travaux d'insonorisation en attaquant un mur porteur sans l'accord de quiconque. En raison d'une musique trop bruyante, une fermeture administrative a suivi les plaintes de copropriétaires et des riverains. Une expertise a été ordonnée en référé, confiée à M. Colliou. Mme Tyrek invoque en premier lieu une infraction au bail par tentative de déspécialisation du fonds de bar-brasserie-glacier en bar musical et ce sans son accord et contrairement au règlement de copropriété. Elle en voit la preuve en ce que l'activité de bar musical est régie par un décret de 1998 alors que la musique d'ambiance est soumise à un texte de 1995 et la société Synaxis Production a prévu des travaux d'insonorisation relevant du décret du 15 décembre 1998. Elle en déduit qu'elle était fondée à refuser ces travaux qui ne correspondent pas à la destination des lieux telle que prévue au bail. Elle ajoute que la société Synaxis Production emploie un disc jokey pour animer ses soirées et elle fait payer une entrée qui comporte une consommation gratuite ce qui ne se fait jamais dans les bars brasseries. Elle reproche à l'expert judiciaire d'avoir réalisé ses mesures à des dates de faible activité, de n'avoir pas mesuré le déplacement par octaves, de n'avoir pas réalisé de mesures au rez-de-chaussée malgré la demande d'un copropriétaire. Elle fait état de plusieurs plaintes émanant du gérant du restaurant voisin et des nuisances sonores constatées par huissier. Elle conteste avoir connu les modalités d'exercice de l'activité envisagées dès l'origine par la société Synaxis Production, elle souligne que la copropriété n'est pas tenue d'accepter les nuisances d'un bar musical, elle reproche à la société Synaxis Production d'être à l'origine des procédures qu'elle doit subir de la part des copropriétaires. Elle se prévaut du commandement qu'elle a fait délivrer le 26 février 2001 et elle fait grief à la société Synaxis Production de ne respecter ni le bail, ni le règlement de copropriété. S'agissant d'un mur porteur qui séparait en deux le local commercial, elle reproche à la société Synaxis Production de l'avoir détruit sans autorisation et de n'avoir remis les lieux en l'état que deux ans après avoir reçu commandement à cet effet. Elle ajoute qu'elle a fait délivrer le 25 avril 2003 un commandement de payer visant la clause résolutoire et la société Synaxis Production ne s'est exécutée que 4 mois après ce qui justifie encore que la résiliation du bail soit constatée. Enfin, sur la demande subsidiaire de la société Synaxis Production en déspécialisation du fond, Mme Tyrek s'y refuse. Elle fait valoir qu'il n'existe aucune raison économique de déspécialiser le fonds car le restaurant voisin est prospère bien qu'il n'ait pas d'activité de bar musical et la société Victor Hugo a périclité en raison de fautes de gestion et nullement en raison de la nature de son commerce. Elle conclut à la confirmation du jugement, au paiement de 17 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, au paiement de 3 000 € pour frais irrépétibles, à la distraction des dépens au profit de la SCP Sorel Dessart Sorel.

SUR QUOI

Attendu qu'il convient en premier lieu de rechercher si la société Synaxis Production a procédé à une déspécialisation du fonds sans l'accord de sa bailleresse Mme Tyrek ; qu'en effet celle-ci a fait délivrer le 26 février 2001 à la société Synaxis Production un commandement visant la clause résolutoire insérée au bail et enjoignant à sa locataire de remettre en état un mur porteur 'et de cesser tous travaux tendant à une déspécialisation du fonds de commerce de Bar Brasserie vers un Bar Musical ;

Attendu qu'il est permis au locataire d'adjoindre à son activité telle que définie au bail une activité connexe ou complémentaire résultant de l'évolution économique et sociale ou de l'apparition d'un usage ; que pour apprécier si l'activité nouvelle est simplement connexe ou complémentaire, il convient de se référer à l'identité de la clientèle, ou des produits offerts, ou des méthodes de travail ;

Attendu que le bail souscrit par la société Synaxis Production le 26 juin 1998 interdit les commerces dangereux bruyants ou insalubres et il énumère les activités de 'restauration alimentaire-bar-brasserie-glacier et toutes activités connexes telles [que] plats cuisinés à emporter' ; que la société Synaxis Production ne conteste pas avoir commencé d'exercer une activité de bar musical, activité soumise à des travaux d'insonorisation qu'elle veut réaliser ;

Attendu que les activités de restauration, de bar et brasserie d'une part, de bar musical d'autre part ne visent pas la même clientèle ; que la restauration vise tous les publics y compris des personnes qui ne souhaitent pas écouter de la musique alors que l'activité de bar musical vise avant tout des personnes sensibles à la musique et dont ce sera la seule motivation pour fréquenter les lieux ; que les produits sont différents en ce que la qualité des mets est la préoccupation essentielle d'un restaurant alors que le bar musical crée son succès sur la musique et l'ambiance qui en résulte ; que les méthodes de travail sont différentes, la restauration se faisant par un travail axé sur les repas de midi et du soir alors que l'activité de bar musical a lieu avec un personnel spécialisé, uniquement le soir et de préférence tard dans la nuit ;

Attendu en conséquence que Mme Tyrek est fondée à soutenir que l'activité de bar musical n'est ni connexe, ni complémentaire à l'activité de 'restauration alimentaire-bar-brasserie-glacier' et qu'elle s'inscrit dans une réelle transformation ;

Attendu, sur le fait que Mme Tyrek aurait autorisé les travaux destinés à permettre l'activité de bar musical, qu'il ne résulte d'aucun document que la société Synaxis Production ait notifié à sa bailleresse le projet d'une telle activité comme lui en fait obligation l'article L 145-49 du Code de commerce ; qu'en effet l'offre de reprise qui décrit les projets de transformation de la société Synaxis Production et qui relate un projet de bar musical a été adressée au tribunal de commerce et non à Mme Tyrek ; que la présence de Mme Tyrek au jugement autorisant la cession du fonds de commerce de la société Victor Hugo à la société Synaxis Production, et la lecture de l'acte de cession du fonds en date du 29 mai 1998, n'emportent pas connaissance par la bailleresse des projets de la société Synaxis Production et encore moins autorisation de réaliser lesdits projets ; qu'au contraire, si telle était l'intention de la société Synaxis Production, il lui appartenait de rechercher un accord avec Mme Tyrek lors de la signature du bail, ce qui n'a pas été fait, ou de suivre la procédure prévue à l'article L. 145-49 ce qui n'a pas été fait non plus ; que la société Synaxis Production ne peut donc arguer d'une autorisation de sa bailleresse ;

Attendu, sur la demande subsidiaire de la société Synaxis Production d'être autorisée par justice à exercer l'activité de bar musical, que l'article L.145-52 du Code de commerce permet une autorisation judiciaire si le refus du bailleur n'est pas inspiré par un motif grave et légitime ;

Attendu en premier lieu que l'activité de bar musical n'est pas la condition d'un commerce florissant et la société Synaxis Production n'est nullement contrainte d'y recourir ; que des établissements de seule restauration sont prospères aux environs du [...] sans compter les bars et les glaciers ;

Attendu que la volonté de se conformer au règlement de copropriété est un motif grave et légitime ; qu'en l'espèce le règlement de copropriété interdit en page 22 Tout bruit, tapage nocturne et diurne de quelque nature que ce soit, susceptible de troubler la tranquillité des occupants est formellement interdit alors même qu'il aurait lieu à l'intérieur des appartements et autres locaux, sauf à accepter les bruits inhérents aux commerces du rez-de-chaussée, et notamment ceux de la brasserie' ; que le bruit d'une brasserie n'est pas celui d'un bar musical lequel implique des concerts et de la musique amplifiée ;

Attendu que si le règlement de copropriété n'a pas été notifié à la société Synaxis Production, celle-ci a pris connaissance du bail qui prohibe expressément les commerces 'dangereux bruyants ou insalubres'; qu'un bar musical est nécessairement bruyant sous peine de ne pas satisfaire ses clients ; qu'en l'espèce le bruit a déclenché l'hostilité des copropriétaires, des voisins de l'immeuble, et même de certains clients (avis d'internautes) ; que Mme Tyrek est tenue, de par le règlement de copropriété, de répondre de sa locataire et elle fait l'objet de procédures initiées par des copropriétaires ou par des tiers en raison de nuisances sonores ;

Attendu que l'expertise judiciaire de M. Colliou désigné en référé le 10 février 1999 et le 18 avril 2001 ne fait pas apparaître de nuisances sonores dans un autre local que celui occupé par la FNAIM au 1er étage ; que cependant l'expert indique n'avoir mesuré qu'un niveau global alors que probablement les basses dépassent la norme (page 8/10 de son rapport) et il considère que si des travaux ne sont pas nécessaires au regard du décret du 18 avril 1995 relatif aux bruits de voisinage, un limiteur de bruit par octave serait nécessaire au regard du décret du 15 décembre 1998 qui vise les bars musicaux ;

Attendu que si les conclusions de l'expert judiciaire ne font pas apparaître de nuisances sonores importantes dans les locaux voisins du bar de la société Synaxis Production, il n'en demeure pas moins que les mesures effectuées par les services d'hygiène et de sécurité de la mairie de Toulouse du 5 au 7 octobre 2000 puis dans la nuit du 18 au 19 mai 2001, ont révélé des dépassements de nature à justifier une fermeture administrative; que le syndic de la copropriété a fait part à Mme Tyrek de nombreuses récriminations des occupants de l'immeuble ; que des voisins de l'immeuble concerné se plaignent aussi ; que Mme Tyrek est fondée à refuser les travaux permettant l'exercice d'une activité qui déroge tant au bail qu'au règlement de copropriété ;

Attendu en conséquence que Mme Tyrek a un motif grave et légitime de refuser la transformation du local commercial en bar musical et le jugement sera confirmé en ce qu'il a constaté la résiliation du bail par l'effet du commandement du 26 février 2001 visant la clause résolutoire et demeuré infructueux un mois après sa signification ;

Attendu que la société Synaxis Production invoque à titre infiniment subsidiaire une faute de Mme Tyrek ouvrant droit à indemnisation soit dans le cadre de l'article L 145-53 du Code de commerce, soit par application de l'article 1147 du Code civil, voire par application de l'article 1382 du Code civil ;

Attendu que l'un ou l'autre de ces textes suppose une faute de Mme Tyrek et tel n'est pas le cas en l'espèce où Mme Tyrek avait un motif grave et légitime de refuser la transformation du fonds ; que la demande d'indemnisation n'est donc pas fondée ;

Attendu que la société Synaxis Production reproche aussi à Mme Tyrek de s'être opposée à une vente du fonds en refusant de se rendre à la signature ; qu'en raison du contentieux opposant les parties et de l'objet du litige, ce refus n'est pas fautif ; qu'en toute hypothèse la société Synaxis Production ne disposait plus du droit au bail après le 26 mars 2001 ;

Attendu, sur la demande de Mme Tyrek en dommages et intérêts, qu'il n'est pas caractérisé de faute de la société Synaxis Production dans l'utilisation de la procédure ;

Attendu qu'il convient d'allouer 3 000 € pour frais irrépétibles ;

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement déféré sauf à préciser que le bail a pris fin au 26 mars 2001,

Y ajoutant,

Déboute la société Synaxis Production de ses demandes,

Déboute Mme Tyrek de sa demande en dommages et intérêts,

Condamne la société Synaxis Production à payer à Mme Tyrek trois mille euros (3 000 €) pour frais d'appel irrépétibles,

Condamne la société Synaxis Production aux dépens,

Autorise la SCP Sorel Dessart Sorel à faire application de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.