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Décisions

CA Lyon, 1re ch., 20 juin 1991, n° 4303/89

LYON

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Silex Entreprise (SARL), Charpillon

Défendeur :

La redoute catalogue (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Farge

Conseillers :

M. Roux, Mme Martin

Avoués :

Me Brondel, Me Tudela, Me Barriquand

Avocats :

Me Veron, Me Lemistre

TGI Lyon, 1re ch., du 28 juin 1989

28 juin 1989

Madame Agnès CHARPILLON épouse BAUDURET est propriétaire de la marque « LA PIERRADE » pour l’avoir déposée à l’institut national de la propriété industrielle, sous le n°6451, le 27 mars 1986, afin de désigner notamment des appareils de cuisson et ustensiles de cuisine. Cette marque a été enregistrée sous le n° 1348820.

La société à responsabilité limitée SILEX ENTREPRISE fabrique des appareils de cuisson constitués d’une pierre accumulant la chaleur et les commercialise sous la marque « LA PIERRADE » dont elle possède la licence.

La société anonyme LA REDOUTE CATALOGUE a proposé à la vente, dans son catalogue « printemps-été 1989 », un appareil de cuisson autonome, dénommé « la pierre à cuire », illustré par une photographie accompagnée de la légende « LA « pierrade » : cuisson diététique ».

Par acte du 19 avril 1989, la société SILEX ENTREPRISE a assigné la société LA REDOUTE pour que soit constatée la contrefaçon, que soit ordonnée la cessation de toute commercialisation au moyen de la dénomination « LA PIERRADE », que soit ordonnée une expertise afin d’évaluer le préjudice et que la société défenderesse soit condamnée au paiement d’une provision de 500.000 Frs ;

Madame BAUDURET est intervenue à l’instance.

La société LA REDOUTE a opposé la nullité de la marque en application de l’article 3 de la loi du 3 décembre 1964, le terme « LA PIERRADE » constituant une désignation nécessaire ou générique d’un appareil de cuisson sur une pierre préalablement chauffée.

Par jugement du 28 juin 1989, le Tribunal de grande instance de Lyon a :

- prononcé la nullité de la marque « LA PIERRADE » ;

- débouté la société SILEX ENTREPRISE de l’ensemble de ses demandes ;

- condamné la société SILEX ENTREPRISE à payer à la société LA REDOUTE CATALOGUE la somme de 4000 Frs en vertu de l’article 700 du nouveau Code de Procédure civile ;

- débouté la société LA REDOUTE CATALOGUE de sa demande en dommages-intérêts ;

- condamné la société SILEX ENTREPRISE aux dépens.

Appelantes, la société SILEX ENTREPRISE et Madame BAUDURET, faisant valoir que la marque « LA PIERRADE », constituée d’un néologisme n’évoquant pas un appareil de cuisson, n’est pas descriptive au sens de l’article 3 de la loi du 31 décembre 1964, demandent à la Cour de :

- constater la validité de la marque ;

- dire que la société LA REDOUTE CATALOGUE s’est rendue coupable de contrefaçon ;

- faire défense à cette société d’utiliser la dénomination « LA PIERRADE » sous astreinte définitive de 1000 Frs par infraction constatée à compter de la signification de l’arrêt, étant précisé que la mention de la dénomination sur chaque catalogue constituerait une infraction distincte ;

- condamner la société LA REDOUTE CATALOGUE à payer à Madame BAUDURET et à la société SILEX ENTREPRISE la somme de 50 000 Frs à titre de dommages-intérêts ;

- ordonner la publication, par extraits, de l’arrêt à intervenir dans trois journaux et périodiques au choix de la société SILEX ENTREPRISE et de Madame BAUDURET aux frais de la société LA REDOUTE CATALOGUE à concurrence de 50 000 Frs hors taxes par insertion, et ce au besoin à titre de dommages-intérêts complémentaires ;

- condamner la société LA REDOUTE CATALOGUE au paiement de 50 000 Frs en vertu de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société intimée conclut à la confirmation du jugement, sauf à élever à 10 000 Frs l’indemnité allouée en vertu de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile. Elle soutient que le terme « PIERRADE » est un néologisme non distinctif puisqu’il est composé sur la base du préfixe « pierre » et du suffixe « ade » pour exprimer le résultat d’une cuisson sur la pierre, selon le même procédé que le mot « grillade ». Elle ajoute qu’elle n’a jamais utilisé la dénomination litigieuse comme marque mais en tant que terme de langage courant.

MOTIF DE LA DECISION

Attendu que l’article 3 de la loi du 31 décembre 1964 énonce que ne peuvent être considérés comme marque celles qui sont constituées exclusivement de la désignation nécessaire ou générique du produit ainsi que celles qui sont composées exclusivement de termes indiquant la qualité essentielle ou la composition du produit ;

Attendu que le terme « PIERRADE » est un néologisme composé à l’aide du suffixe « ade » ;

Que, selon les règles usuelles de construction du vocabulaire, ce suffixe sert à former des substantifs désignant sur une base verbale le résultat d’une action tels que rigoler – rigolade, se baigner – baignade, glisser – glissade, ou bien à former des substantifs collectifs sur une base nominale, tels que coton – cotonnade, pan (pain en provençal) – panade, moucle (variété de moule en Aunis) – mouclade, piper (poivron en béarnais ) – pipérade ;

Qu’il n’existe pas de verde « pierrer » exprimant une façon de chauffer ou  de cuire ;

Que le sens collectif qui serait donné au nom « pierre » par l’adjonction du suffixe resterait à la notion de chaleur ou de cuisson ;

Que, si le mot « carbonnade » et le néologisme « brasérade » se rapportent bien à un mode de cuisson sur le charbon (carbo en latin » et sur un brasero, l’emploi du mot « pierre » n’implique pas l’idée de cuisson ;

Qu’ainsi, contrairement à l’analyse des premiers juges, le terme « PIERRADE » ne définit pas directement et nécessairement un appareil de cuisson ;

Qu’il n’indique pas non plus la qualité essentielle d’un tel appareil ou les éléments le composant ;

Que le caractère descriptif du néologisme ne résulte en rien du document publicitaire de la société SILEX ENTREPRISE formulé en ces termes ; « LA PIERRADE ? C’est cuire sur votre table la « PIERRE CHAUDE » ; qu’au contraire, cette publicité illustre la nécessité de décrire le produit proposé ;

Que, dès lors, la dénomination « LA PIERRADE » constitue bien un vocable de fantaisie susceptible d’être approprié comme marque ;

Qu’enfin, la société LA REDOUTE n’établit nullement qu’à la date du dépôt de la marque, soit le 27 mars 1986, comme le terme « PIERRADE » ait été employé de manière générale et commune pour désigner un appareil de cuisson sur pierre chauffée ;

Attendu que la contrefaçon est démontrée par le procès-verbal d’achat du 1er mars 1989 du catalogue « printemps-été 1989 » proposant à la vente un appareil de cuisson, dénommé « la pierre à cuire » : cuisson diététique » ; que, même s’il est vrai que seul le terme « PIERRADE », et non pas l’article le précédant, se trouve placé entre guillemets, il s’agit là de la reproduction de la marque pour désigner un produit analogue à ceux visés au dépôt ;

Qu’il sera fait défense à la société LA REDOUTE CATALOGUE d’utiliser la dénomination « LA PIERRADE » sous astreinte provisoire de 500 Frs par infraction constatée à compter de la signification du présent arrêt, étant précisé que la mention sur chaque catalogue constituerait une infraction distincte ;

Qu’il est constant que la contrefaçon a été commise au moyen de la diffusion d’un seul catalogue bi-annuel ; que l’importance du préjudice en résultant justifie d’allouer à Madame BAUDURET et à la société SILEX ENTREPRISE indivisément, la somme de 15 000 Frs à titre de dommages-intérêts ;

Qu’il convient d’ordonner la publication, par extraits, du présent arrêt dans trois journaux ou périodiques, au choix de Madame BAUDURET et de la société SILEX ENTREPRISE et aux frais de la société LA REDOUTE CATALOGUE, le coût de chaque insertion ne devant pas excéder 6000 Frs hors taxes ;

Attendu qu’il serait inéquitable de laisser supporter à Madame BAUDURET et à la société SILEX ENTREPRISE l’intégralité des frais non compris dans les dépens qu’elles ont dû exposer en première instance et en appel ;

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement ;

Statuant à nouveau,

Constate la validité de la marque « LA PIERRADE » déposée par Madame Agnès CHARPILLON épouse BAUDURET, le 27 mars 1986, sous le n°6451, et enregistrée sous le n° 1 348 820 ;

Dit que la société anonyme LA REDOUTE CATALOGUE a contrefrait cette marque ;

Fait défense à la société LA REDOUTE CATALOGUE d’utiliser la dénomination « LA PIERRADE » sous astreinte provisoire de 500 Frs par infraction constatée à compter du jour de la signification du présent arrêt, étant précisé que la mention sur chaque catalogue constituerait une infraction distincte ;

Condamne la société LA REDOUTE CATALOGUE à payer à Madame BAUDURET et à la société à responsabilité limitée SILEX ENTREPRISE, indivisément, la somme de 15 000 Frs à titre de dommages-intérêts ;

Ordonne la publication, par extraits, du présent arrêt dans trois journaux ou périodiques, au choix de Madame BAUDURET et de la société SILEX ENTREPRISE et aux frais de la société LA REDOUTE CATALOGUE, le coût de chaque insertion ne devant pas excéder 6 000 Frs hors taxes ;

Condamne la société LA REDOUTE CATALOGUE à payer à Madame BAUDURET et à la société SILEX ENTREPRISE, indivisément, la somme de 15 000 Frs en vertu de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

La condamne aux dépens de première instance et d’appel avec, pour les seconds, droit de recouvrement direct au profit de la société civile professionnelle d’avoués BRONDEL-TUDELA.