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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 24 mars 2000, n° 1999/10555

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Time Warner Entertainment Company (Sté)

Défendeur :

Directeur Général de l'INPI

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boval

Conseillers :

Mme Mandel, Mme Regniez

Avocats :

Me Casalonga, Me Sabatier

Directeur de l'INPI, du 21 janv. 1999

21 janvier 1999

La société HTS a déposé, le 15 juin 1998, la demande d’enregistrement n° 98 737 797 portant sur le signe complexe DVDécodeur, présenté comme destiné à distinguer, suite à la décision de rejet partiel rendue a l’institut, des produits relavant de la classe 9, à savoir ; « Cartes électroniques et périphériques pour les applications multimédia de la micro-informatique »

Le 16 septembre 1998, la société TIME WARNER ENTERTAINMENT COMPANY a formé opposition  à l’enregistrement invoquant ses droits sur la marque antérieure complexe DVD, déposée le 15 janvier 1996 et enregistrée sous le n° 96 605 720, pour désigner notamment des « Films cinématographiques et films de télévision, dessins animés ; disques préenregistrés ou non, bande audio et audio-vidéo préenregistrées ou non, cassettes audio et audio-vidéo préenregistrées ou non, disque compacts audio et audio-vidéo préenregistrées ou non ; casques stéréo, écouteurs stéréo, piles ; logiciels de jeu (programmes enregistrés) ; téléphone sans fil ; machines à calculer portables ou non ; magnétophones à cassettes, lecteurs de disques compacts, lecteurs de vidéodisques ; appareils portables à fonction karaoké ; récepteurs d’appels : extraits de films en cassettes utilisées avec visionneurs et projecteurs portables ; cassettes audio, cassettes vidéos, cassettes audio-vidéo, bandes audio, bandes vidéos, bande audio-vidéos – radio » (classe 9)

L’INPI a adressé aux parties un projet de décision rejetant l’opposition en retenant principalement que les produits en présence n’étaient pas similaires, et, subsidiairement, que le signe contesté n’était ni la reproduction partielle de la marque (dans laquelle l’acronyme DVD n’était pas susceptible de protection), ni son imitation. Cette décision, en l’absence de toute contestation, est devenue définitive le 26 février 1999.

Bien qu’elle se soit abstenue de contester en quoi que ce soit le projet de décision qui lui avait été soumis, TIMES WARNER a formé un recours contre ce projet une fois devenu définitif.

La requérante soutient, en substance, que les produits en présence seraient similaires et que le terme DVD, contrairement à ce qu’à retenu l’INIPI, serait distinctif et aurait été reproduit, enfin que le signe contesté reprendrait les caractéristiques calligraphiques de la marque antérieure et en constituerait l’imitation.

L’INPI a présenté des observations tendant au rejet du recours. Il soutient que les produits ne sont pas similaires et que la marque antérieure n’est pas reproduite (alors notamment que l’acronyme DVD était entré dans le langage courant avant son dépôt) et n’est pas davantage imitée.

HTS a conclu au rejet du recours, ajoutant à l’argumentation de l’INPI que TIME WARNER ne saurait prétendre interdire aux tiers l’usage de l’acronyme DVD désignant un nouveau standard de l’industrie électronique, et elle a réclamé une indemnité de 10 000 F pour ses frais irrépétibles.

TIME WARNER a conclu de nouveau, développant de nouveaux arguments notamment sur la comparaison des produits, et réclament que HTS soit condamnée à lui payer une indemnité de 10 000 F par application de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile.

HTS a encore conclu en répondant sur le fond aux dernières conclusions de TIME WARNER et en sollicitant leur rejet des débats comme tardives.

Dans ses observations orales, à l’audience, le ministère public a conclu au rejet du recours.

SUR CE LA COUR :

Considérant que HTS a longuement conclu à nouveau le 21 février 2000 en réponse aux écritures en réplique de TIME WARNER du 17 février ; qu’elle ne saurait dans ces conditions prétendre qu’il aurait été porté atteinte au principe du contradictoire et sera déboutée de sa demande de rejet des débats des dernières écritures de son adversaire ;

Sur la comparaison des produits

Considérant que l’INPI a retenu sur ce point :

- « que suite à la décision portant rejet partiel de la demande d’enregistrement contestée rendue par l’Institut, le libellé à prendre en considération aux fins de la présente procédure est le suivant : « Cartes électroniques et périphériques pour les applications multimédia de la micro-informatique »,

- que l’enregistrement de la marque antérieure a été effectué notamment pour les produits suivants «  Films cinématographiques et films de télévision, disques préenregistrés ou non, bandes audio et audio-vidéo préenregistrées ou non, disques compacts audio et audio-vidéo préenregistrés ou non, disques compacts vidéo-digitaux contenant des informations et des images, logiciels de jeu (programmes enregistrés), lecteurs de disques compacts, lecteurs de vidéo-disques, cassettes vidéo, cassettes audio-vidéo »

- que les produits suivants de la demande d’enregistrement s’entendent respectivement comme suit :

               - les « Cartes électroniques pour les applications multimédia de la micro-informatique », de plaquettes regroupant divers composants électroniques destinés à assurer le déroulement d’applications informatiques mettant en œuvre des informations de différents types (textes, sons, images etc.)

               - les « périphériques pour les applications multimédia de la micro-informatique », de l’ensemble des dispositifs extérieurs à l’ordinateur permettant d’y introduire des données (périphériques d’entrée), d’en extraire des résultats (périphériques de sortie) et des mémoires annexes permettant de stocker des informations (périphériques de stockage),

- que ces produits n’ont pas les mêmes nature, fonction et destination que les « disques compacts vidéodigitaux contenant des informations et des images, logiciels de jeu (programme enregistrés) » de la marque antérieure, qui s’entendent respectivement de supports d’enregistrement numériques et de l’ensemble des instructions rédigées dans un langage de programmation permettant à, un ordinateur d’exécuter des applications à vocation ludique,

- qu’à cet égard, les « périphériques pour les applications multimédia de la micro-informatique » de la demande d’enregistrement, tels qu’ils ont été précédemment définis, ne sauraient recouvrir les « logiciels de jeu (programmes enregistrés) » de la marque antérieure, dès lors que ces derniers s’entendent de simples données informatiques assimilables par l’ordinateur et non, comme le soutient à tort la société opposante, de dispositifs techniques reliés à l’ordinateur,

- qu’en outre, les produits précités de la demande d’enregistrement et de la marque antérieure ne sont davantage issus des mêmes industries, dès lors que les premiers sont fabriqués par des entreprises spécialisées dans la conception de composants électroniques et de matériel informatique, alors que les seconds sont le fruit de sociétés spécialisées dans la fabrication de support d’enregistrement et de sociétés d’ingénierie informatique,

- qu’enfin, il ne saurait suffire, pour les déclarer similaires, que tous les produits précités soient en relation avec le domaine informatique, ce qui au demeurant n’est pas nécessairement le cas de tous les « disques compacts vidéo-digitaux contenant des informations et des images » de la marque antérieure ; qu’en effet, en décider autrement reviendrait à considérer comme similaires des produits présentant pourtant des natures, fonction, destination et origine radicalement différentes,

- qu’ainsi, et contrairement aux allégations de la société opposante, il n s’agit pas de produits similaires, le public n’étant pas fondé à leur attribuer une origine commune ;

Considérant que TIME WARNER conteste cette comparaison des produits ;

Qu’il sera d’abord mentionné qu’elle indique dans ses dernières écritures que « ainsi que l’a relevé l’INPI les libellés à prendre en considération sont les suivants :

- « Cartes électroniques et périphériques pour les applications multimédia de la micro-informatique » pour le signe contesté,

-  «  Films cinématographiques et films de télévision, disques préenregistrés ou non, bandes audio et audio-vidéo préenregistrées ou non, disques compacts audio et audio-vidéo préenregistrés ou non, disques compacts vidéo-digitaux contenant des informations et des images, logiciels de jeu (programmes enregistrés), lecteurs de disques compacts, lecteurs de vidéo-disques, cassettes vidéo, cassettes audio-vidéo »

Qu’elle fait valoir :

- que contrairement à ce qu’à retenu l’INPI « il est bien évident que les logiciels sont des périphériques puisque ce sont bien des produits extérieurs à l’ordinateur dont la fonction est de stocker des informations pour les y introduire »,

- que les cartes électroniques de la demande ont la même fonction et la même destination que les produits visés par la marque opposée dès lors que l’INPI indique lui-même que les cartes électroniques « sont des produits destinés à assurer le déroulement d’applications informatiques » et que les produits visés par la marque antérieure « permettent à un ordinateur d’exécuter des applications »

- que les produits en présence se rapportent pareillement au domaine de l’informatique ;

Mais considérant que l’affirmation de TIME WARNER selon laquelle « il est bien évident que les logiciels sont des périphériques » est véritablement fantaisiste ;

Qu’un logiciel ne peut être considéré comme un périphérique alors qu’un périphérique se définit comme un « élément de matériel distinct de l’unité de traitement d’un ordinateur » ; que ne serait-ce que parce que les logiciels ne sont pas des « matériels », les périphériques de la demande contestée ne sont pas similaires aux logiciels de la marque antérieure :

Considérant que s’agissant des cartes électroniques de la demande d’enregistrement, si la définition qui en est donnée par l’Institut fait référence, comme pour les logiciels de la marque antérieure, à l’exécution d’applications, cette notion, très générale, ne suffit pas à caractériser un risque de confusion ; que la nature de ces produits est d’ailleurs différente (respectivement cartes, donc produits matériels, et instructions, donc produits immatériels), ainsi que leur destination (multimédia pour les premiers, jeux pour les seconds) ;

Considérant qu’en sa dernière branche, le raisonnement de la requérant conduirait à admettre la similarité de tous les produits relevant du domaine de l’informatique ; qu’une telle solution serait manifestement contraire au principe de spécialité, alors que le marché de l’informatique s’est aujourd’hui considérablement segmenté, et que l’emploi généralisé de l’outil informatique ne saurait conduire à confondre tous les produits ou activités dont il est le support ou l’objet ;

Considérant que dans ses dernières conclusions, TIME WARNER soutient que les unités de stockage étant des périphériques d’ordinateurs, les disques et les lecteurs de disques compacts et de vidéo disques visés dans la marque antérieure sont identiques ou similaires aux périphériques pour les applications informatiques de la demande d’enregistrement ; qu’elle verse en effet aux débats un dictionnaire de l’informatique qui énonce que constituent des périphériques les unités de stockage (pour enregistrer des données sur une mémoire externe et pouvoir les conserver puis les relire) et précise que cette catégorie comprend tous les matériels à mémoire externe ; … unité de disques et de disquettes.. unités de disques optiques, mémoires auxiliaires ; que si les disques, simples supports d’information, ne sont pas des périphériques, il est exact que les lecteurs de disques compacts, et lecteurs de vidéo-disques de la marque opposée, constituent, au vu des définitions ci-dessous rappelées, des périphériques d’ordinateurs, similaires aux périphériques pour les applications multimédia de la micro-informatique de la demande ;

Considérant que si TIME WARNER prétend encore dans ses dernières écritures qu’il existerait un lien étroit direct et nécessaire entre les cartes électroniques (comprenant les cartes à mémoire) et les produits visés dans la marque première, elle ne précise pas les produits de la marque première, elle ne précise pas les produits de la marque antérieure auxquels elle se réfère et ne démontre en rien le lien nécessaire qu’elle allègue ;

Considérant que la décision attaquée doit être approuvée en ce qui concerne la comparaison des produits, sauf pour les lecteurs de disques compacts et lecteurs de vidéo-disques de la marque antérieure qui, ainsi qu’il a été dit ci-dessous, apparaissent similaires aux périphériques pour les applications multimédia de la micro-informatique de ma demande contestée ;

Sur la comparaison des signes

Considérant que la comparaison des signes doit être effectuée dans la mesure où ils s’appliquent aux produits dont la similarité a été admise ;

Considérant que l’INPI ayant estimé que l’acronyme DVD était descriptif pour désigner les produits visés par la marque antérieure, TIME WARNER soutient :

- qu’à la date de dépôt de sa marque le 15 janvier 1996, le terme DVD n’aurait pas fait partie du langage courant,

- que sa marque ne désigne pas seulement les disques vidéo digitaux, mais d’autres produits pour lesquels elle ne pourrait être tenue pour générique ;

Mais considérant que les pièces mises aux débats montrent que, dès le début de 1995, la presse faisait état de l’existence de l’acronyme DVD pour désigner les DIGITAL VIDEO DISC ou DIGITAL VERSATILE DISC ; que TIME WARNER s’est d’ailleurs bien gardée de tenter de faire enregistrer à titre de marque verbale cet acronyme DVD qui désigne un standard majeur de l’industrie électronique ;

Qu’elle n’est donc pas fondée à critiquer la décision déférée en ce que celle-ci a retenu que l’acronyme DVD n’est pas susceptible de protection à l’égard des produits de la marque antérieure (lecteurs de disques compacts et lecteurs de vidéo-disques) qui apparaissent seuls être similaires à une partie des produits désignés dans la demande : les périphériques pour les applications multimédia de la micro-informatique ; que la reprise de l’acronyme DVD dans le signe complexe contesté DVDécodeur ne constitue pas une reproduction partielle illicite de la marque antérieure complexe DVD ;

Considérant, enfin, qu’au-delà de l’acronyme non distinctif DVD (dont les graphismes respectifs présentent certains points communs -mais aussi des différences justement relevées par l’INPI), les signes en présence se distinguent de manière essentielle en ce que la marque antérieure comporte la représentation très apparente d’un disque, dans toute sa largeur, alors que la demande contestée, dépourvue au contraire de tout élément figuratif, se termine par le suffixe écodeur » ; qu’eu égard à ces différences qui l’emportent sur les ressemblances, les deux signes, prix dans leur ensemble, ne sont pas de nature a susciter de risque de confusion pour un consommateur d’attention moyenne ne les ayant pas simultanément sous les yeux ;

Considérant qu’ainsi le signe complexe contesté DVDécodeur ne constitue pas la reproduction ou l’imitation illicites de la marque antérieure invoquée ; que la recours sera rejeté ;

Considérant que l’équité commande d’allouer à ETS l’indemnité de 10 000 F qu’elle réclame pour ses frais irrépétibles ;

PAR CES MOTIFS :

Rejette le recours ;

Condamne la société TIME WARNER ENTERTAINMENT COMPANY à payer à la société ETS une indemnité de 10 000 F par application de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Rejette toute autre demande.

Dit que le greffier notifiera le présent arrêt aux parties et au directeur de l’Institut National de la Propriété Industrielle.