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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 17 octobre 1995, n° 93/005689

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Thebault

Défendeur :

Editions Gérard de Villiers (SA), Imbrohoris

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Duvernier

Conseillers :

Mme Mandel, Mme Marais

Avoués :

SCP Teytaud, SCP Lagourgue, Me Bodin Casalis, SCP Varin Petit

Avocats :

Me Weil, Me Wagner, Me Jaraud

TGI Paris, 3e ch. 1, du 25 nov. 1992

25 novembre 1992

Titulaire de la marque « VIDEO X – LE MAGAZINE DU FILM X » qu’il exploite notamment par le biais d’un service télématique « 3615 VIDEO X », M. Claude THEBAULT a reproché à la société PARAMARIBO et aux éditions Gérard de Villiers d’avoir respectivement édité et diffusé sous le titre « X VIDEO GUIDE » un guide des films pornographiques dont M. IMBROHORIS, dont Didier SAILLAC est l’auteur.

Saisi à l’encontre des susnommés d’une action en contrefaçon de marque et en concurrence déloyale, le Tribunal de Grande Instance de PARIS, par jugement du 25 novembre 1992, estimant que la marque invoquée était exclusivement descriptive des services qu’elle désignait et non susceptible de protection à défaut d’être originale au titre de la loi de 1957, a débouté Claude THEBAULT de ses prétentions et faisant droit à la demande reconventionnelle des défendeurs , a prononcé la nullité de la marque déposée le 17 mars 1987 à l’I.N.P.I sous le N° d’enregistrement 1520420, rejetant toutefois les demandes en dommages-intérêts également formulées.

Claude THEBAULT a interjeté appel de cette décision.

A l’appui de son recours, Claude THEBAULT allègue que la marque « VIDEO X » n’est pas nécessaire dès lors que de nombreuses publications consacrées à la critique des films érotiques paraissent sous une autre acception.

Il prétend également qu’elle n’est ni descriptive ni générique puisqu’elle ne désigne pas le procédé technique de « filmage » qualifié par le terme vidéo.

Estimant que sa marque est parfaitement valable pour n’être qu’évocatrice des produits et services désignés, il conclut à l’infirmation de la décision dont appel en ce qu’elle a prononcé la nullité de celle-ci sur le fondement de la « descriptivité », demandant toutefois à la COUR de confirmer la motivation dudit jugement en ce qu’il a estimé que la marque n’était pas contrairement à l’ordre public et au bonne mœurs.

Il prétend dès lors qu’en intitulant son guide des films pornographiques « X VIDEO GUIDE », en l’éditant et en le diffusant, Dider IMBROHORIS, la société PARAMARIBO et les Editions Gérard de Villiers ont contrefais sa marque, la simple inversion ne « conjurant » en aucun cas, selon lui, le risque de confusion entre les deux dénominations.

Il reproche également à M. IMBROHORIS d’avoir, par l’intermédiaire de la société C.J.P.I dont la gérante n’est autre que sa femme, d’avoir déposé le 2 mai 1991 une marque HUITIEME ART X VIDEO GUIDE pour la classe des services 41, contrefaisant la sienne et en demande en conséquence l’annulation.

Il entend préciser que la marque « VIDEO X » par lui utilisé pour le service télématique accessible par le réseau public du téléphone dès lors qu’elle est distinctive de ce service est a fortiori originale et doit en conséquence bénéficier d’une protection autonome.

Il prétend enfin que l’utilisation du titre « X VIDEO GUIDE » pour désigner une œuvre de même genre que la sienne, par le risque de confusion qu’elle engendre contrevient aux dispositions de l’article L. 112-4 alinéa 2 du Code de la Propriété Intellectuelle et constitue un acte de concurrence déloyale qui lui crée un grave préjudice commercial dont il s’estime fondé à demander réparation.

Concluant en conséquence à l’infirmation de la décision déférée il sollicite, outre les mesures d’interdiction et de publication habituelles et le retrait de la vente et la destruction des exemplaires du guide X VIDEO GUIDE, paiement d’une somme de 925.840 francs à titre de dommages-intérêts résultant des actes de contrefaçon, ou à tout le moins de concurrence déloyale commis à son égard ainsi que d’une somme de 20 000 francs au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.  

La société PARAMARIBO ayant fait l’objet d’un jugement de liquidation judiciaire, et la S.C.P BROUARD DAUDE intervenant en qualité de mandataire liquidateur aux débats, Claude THEBAULT demande que sa créance à l’encontre de la société soit fixée à la somme susvisée.

La société « Editions Gérard de Villiers » distributeur de l’ouvrage litigieux, prétend que la marque invoquée est nulle en vertu des dispositions de l’article 3 de la Loi du 31 décembre 1964 applicables en l’espèce, comme étant contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs, ou à tout le moins comme étant descriptive, et sollicite en conséquence son annulation et sa radiation du registre national des marques où elle est enregistrée.

Contestant que la dénomination litigieuse puisse faire l’objet d’une quelconque protection en raison de sa banalité, et estimant, pour dénier les actes de concurrence déloyale ou parasitaire, que n’est pas établi le risque de confusion invoqué, la société conclut au rejet des prétentions de l’appelant.

A titre subsidiaire, elle fait valoir qu’en sa qualité de simple distributeur elle n’avait pas la possibilité de contrôler si le titre litigieux de la revue constituait ou non la reproduction d’une marque déposé ou d’un titre original, et sollicite en conséquence sa mise hors de cause.

Plus subsidiairement encore, elle sollicite la garantie intégrale de la société PARAMARIBO et demande, à celle des parties qui succombera, paiement de la somme de 15 000 francs au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La S.C.P BROUARD DAUDE intervenant en qualité de mandataire liquidateur de la société PARAMARIBO, prétend que Claude THEBAULT, qui ne justifie pas avoir déclaré sa créance dans les délais fixés ou obtenu de relevé de forclusion, est irrecevable en sa demande, ladite créance étant éteinte par application des dispositions de l’article 53 de la Loi du 25 janvier 1985.

Jean-Pierre IMBROHORIS, dit Didier SAILLAC, invoquant la nullité de la marque opposée qu’il estime descriptive, conclut à la confirmation de la décision entreprise sur ce point.

Prétendant subir un préjudice financier important par suite du refus opposé par la société PARAMARIBO de poursuivre, en raison de la procédure initié, l’exploitation de la revue litigieuse qui lui était confiée à titre exclusif, M. IMBROHORIS en demande réparation sollicitant paiement de la somme de 160.000 francs avec intérêts capitalisés à compter du 5 mars 1992 à titre de dommages-intérêts, outre la somme de 15.000 francs au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La société C.J.P.I conclut quant à elle l’irrecevabilité de sa mise en cause devant la COUR à défaut pour Claude THEBAULT de justifier d’une évolution du litige au sens de l’article 555 du NCPC.

Faisant siens, à titre subsidiaire, les moyens développés par Jean-Pierre IMBROHORIS, elle conclut au débouté de l’appelant, lui réclamant paiement de la somme de 15.000 francs au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Jean-Pierre IMBROHORIS étant décédé en cours d’instance, son fils, Nicolas IMBROHORIS, a repris l’instance en sa qualité d’héritier, faisant siennes les prétentions formulées par son père.

SUR CE

1°) SUR LA VALIDITE DE LA MARQUE :

Considérant que la marque « VIDEO X LE MAGAZINE DU FILM X » déposée le 17 mars 1987 sous la N° d’enregistrement 1520420 et soumise quant à sa validité aux dispositions de la loi 1964 en raison de la date de son dépôt, n’est nullement contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs, comme l’a énoncé à juste titre le tribunal, dès lors qu’elle ne comporte pas en elle-même de termes ou expressions immorales ou illicites, les activités qu’elle sert à désigner, au demeurant non interdites mais simplement réglementées, n’étant pas de nature à en affecter la validité ;

Considérant, en revanche, que pour motifs pertinents que la COUR adopte, les premiers juges ont a bon droit énoncé que la dénomination « VIDEO X » constituée par assemblage :

- de la lettre « X » employée par la loi du 30 décembre 1975 pour la classification administrative des films à caractère pornographique, et servant, depuis cette date, à désigner dans le langage courant de tels films,

- et du terme « VIDEO » visant communément les produits et services revendiqués tels que communication, édition et programmation supports d’enregistrement magnétiques, appareil pour l’enregistrement, la transmission, la reproduction du son et des images, communications orales ou visuelles, reproduction de film ;

est exclusivement descriptive et ne revêt donc aucun caractère distinctif des produit ou services qu’elle entend désigner ;

Que l’appelant prétend à tort voir réduire au seul procédé technique « du filmage qui permet le visionnage d’un film sur support cassette au moyen d’un magnétoscope » la signification du terme VIDEO ;

Que le Tribunal indique encore à bon escient que la dénomination « LE MAGAZINE DU FILM X » qui désigne directement et exclusivement des produits tels qu’édition de livres, revues, organisation de concours en matière de divertissement et d’éducation, est exclusivement descriptive ;

Que la juxtaposition de ces deux dénominations ne fait pas perdre  pour autant à l’ensemble un tel caractère descriptif ;

Que c’est en conséquence de façon pertinente que le Tribunal a considéré que la dénomination adoptée n’était pas susceptible d’appropriation privative et ne pouvait constituer une marque valable pour désigner les produits et services dont la liste figure au jugement auquel il est expressément référé sur ce point, étant observé que la présence sur le marché des produits de même genre revêtus d’une dénomination distincte ne retire par la dénomination critiquée la caractère descriptif qui est le sien ;

2°) SUR LES AUTRES PROTECTIONS REVENDIQUEES

Considérant par ailleurs que la dénomination, exclusivement descriptive et particulièrement banale dès lors qu’elle s’applique aux produits et services n cause, ne porte pas la marque de la personnalité de son auteur qui lui aurait seule permis d’accéder au niveau d’une œuvre de l’esprit et de prétendre au bénéfice de la protection instaurée par la loi de 1957 sur le droit d’auteur ;

Que si l’utilisation par Claude THEBAULT du titre « VIDEO X » pour désigner les services de télématique qu’il exploite, interdit à quiconque d’en faire usage pour désigner un produit de même genre, au sens de l’article L. 112-4 du Code de la Propriété Intellectuelle, c’est à condition que cet usage soit de nature à provoquer une confusion ;

Qu’un tel risque de confusion, contrairement à ce que prétend l’intéressé, n’existe pas en l’espèce, la spécificité du service télématique et de sa technique de diffusion par le réseau public du téléphone excluant tout risque de confusion avec la mise sur le marché d’un guide des films pornographiques, aucun lien ne pouvant s’instaurer dans l’esprit du public, s’agissant d’un simple récolement des œuvres « érotiques » disponibles, entre les deux œuvres qui laisserait croire à une paternité commune ;

3°) SUR LA CONTREFACON :

Considérant dès lors qu’à défaut de pouvoir revendiquer un quelconque droit privatif sur la dénomination revendiquée, Claude THEBAULT ne saurait faire grief aux intimés d’avoir fait œuvre contrefaisante ;

3°) SUR LA CONCURRENCE DELOYALE :

Considérant que l’appelant ne saurait davantage prétendre être victime d’actes de concurrence déloyale dès lors que l’utilisation par les intimés de l’expression « X VIDEO GUIDE » s’effectue dans des conditions exemptes de tout risque de confusion, comme il l’a été ci-dessus énoncé ;

Que n’alléguant aucun autre fait distinct de concurrence déloyale ou parasitaire, l’appelant doit être débouté des prétentions formulées à ce titre ;

Que ses demandes doivent en conséquence être rejetées sans qu’il soit besoin d’examiner les moyens présentés par le mandataire liquidateur de la société PARAMARIBO qui deviennent de ce fait sans objet ;

4°) SUR LES MESURES ORDONNEES

Considérant que la décision entreprise doit être confirmée en ce qu’elle a prononcé la nullité de la marque déposée par Claude THEBAULT, étant précisé que ce dépôt est intervenu le 17 mars 1989, et non le 13 mars 1989 comme il l’a été énoncé par erreur par le Tribunal dans le dispositif de son jugement ;

Que si les intimés ne peuvent solliciter valablement de la COUR la « radiation » de ladite marque à défaut de dispositions légales spécifiques, la présente décision n’en doit pas moins être transmise par les soins du secrétariat greffe au Directeur de l’I.N.P.I pour être inscrite sur le registre national des marques ;

Que la société C.J.P.I invoque à bon droit les dispositions de l’article 555 du NCPC pour prétendre à l’irrecevabilité de sa mise en cause devant la COUR, Claude THEBAULT ne justifiant nullement d’une évolution du litige sans laquelle une telle mise en cause ne peut s’opérer ;

Que le jugement à juste titre a rejeté la demande de nullité de marque formulée à l’encontre d’une personne autre que son titulaire et doit en conséquence être confirmé sur ce point ;

5°) SUR LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE DE M. IMBROHORIS

Considérant que pour prétendre à l’allocation de dommages-intérêts, M. IMBROHORIS fait valoir que l’action entreprise à son encontre par Claude THEBAULT lui a causé un important préjudice financier dans la mesure où l’exploitation de son guide s’est trouvée arrêtée ;

Mais considérant, comme l’a énoncé à juste titre le tribunal, que l’action entreprise par Claude THEBAULT n’est pas abusive ni même téméraire, et ne constitue que l’exercice normal d’un droit ;

Que l’intéressé ne justifie pas davantage du préjudice qu’il allègue, ne démontrant pas que l’exploitation de son « œuvre » aurait pu se poursuivre sans l’action exercée ;

Que sa demande de dommages-intérêts doit en conséquence être rejetée ;

6°) SUR L’ARTICLE 700 du NCPC

Considérant qu’il n’est pas inéquitable de laisser à chacune des parties la charge des frais irrépétibles par elles engagés en cause d’appel, M. CLAUDE THEBAULT qui succombe ne pouvant au surplus prétendre à une telle indemnité ;

PAR CES MOTIFS

CONFIRME le jugement du Tribunal de Grande Instance de PARIS en date du 25 novembre 1992, en toutes ses dispositions notamment en ce qu’il a prononcé la nullité de la marque :

VIDEO X LE MAGAZINE DU FILM X ;

N° d’enregistrement 1520420

Dépôt du 17 mars 1989

A l’INPI sous le n°117909

Déclare irrecevable la mise en cause de la société C.J.P.I ;

Y ajoutant,

Dit que la présente décision sera transmise par les soins du secrétariat greffe au Directeur de l’I.N.P.I pour être inscrit sur le Registre National des Marques

Dit n’y avoir lieu à faire application de l’article 700 du NCPC ;

Condamne Claude THEBAULT aux dépens dont distraction au profit de la S.C.P VARIN PETIT, de M° BODIN CASALIS, de la S.C.P. LAGOURGUE Avoués conformément aux dispositions de l’article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.