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Décisions

CA Rennes, 2e ch. com., 27 avril 2010, n° 09/02806

RENNES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

M. Store GIE

Défendeur :

Store Nantaire (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Guillanton

Conseillers :

Mme Cocchiello, M. Christien

Avocats :

Me Bichon, Me Kanedanian

Rennes, du 10 mars 2010

10 mars 2010

EXPOSÉ DU LITIGE

Selon dépôt du 16 juin 1999 renouvelé le 3 avril 2009, Gérard T. a fait enregistrer à l'Institut national de la propriété industrielle la marque française figurative constituée de la combinaison des nuances de couleurs jaune et verte, dites pantone yellow et pantone 347, pour désigner, dans les classes 6, 9, 18, 19, 20 et 24, les produits et services suivants :

Matériaux de construction et de menuiserie métalliques, matériaux métalliques pour la fermeture des bâtiments ou terrains et l'occultation des fermetures d'habitation, en particulier fenêtres, portes-fenêtres, portes, armatures, cadres et châssis de fenêtres, portes-fenêtres et portes ; portails, rideaux, stores et volets, verrous et serrures (non électriques), vasistas, vérandas et pergolas métalliques, garde-corps métalliques ;

Systèmes de régulation et de gestion automatisés appliqués à l'habitation ; installations électriques, électroniques et informatiques pour la fermeture et la sécurité des habitations ; serrures électriques; portes, fenêtres, stores, volets et portails à fermeture automatique par commande électrique, électronique ou informatique ; automatismes pour le dépliage, le repliage, l'enroulement et le déroulement de stores et de parasols ; systèmes d'alarme et de détection du feu et/ou des effractions ;

Parasols ;

Matériaux de construction et de menuiserie non-métalliques pour la fermeture des bâtiments ou terrains et l'occultation des fenêtres d'habitation, en particulier fenêtres, portes-fenêtres, portes, armatures, cadres et châssis de fenêtres, portes-fenêtres et portes ; portails, rideaux, stores et volets, vasistas, vérandas et pergolas non métalliques, garde-corps non métalliques.

Stores d'intérieur à lamelles ; meubles d'intérieur et meubles de jardin.

Stores et rideaux en matières textiles ; tissus d'ameublement et tissus de stores ; moustiquaires.

Prétendant que la société Stores Nantais reproduisait ce signe pour commercialiser des produits ou des services identiques à ceux désignés dans le dépôt, le groupement d'intérêt économique Monsieur S., titulaire d'une licence d'exploitation de la marque inscrite à l'Institut national de la propriété industrielle, l'a, par acte du 23 octobre 2006, fait assigner en contrefaçon de marque et en concurrence déloyale devant le tribunal de grande instance de Nantes, monsieur T. étant par ailleurs intervenu volontairement à l'instance.

Par jugement du 19 février 2009, le tribunal de grande instance, accueillant la demande reconventionnelle en annulation de marque pour absence de caractère distinctif, a statué en ces termes :

Rejette les demandes du groupement d intérêt économique Monsieur S. et de monsieur Gérard T. et prononce la nullité de la marque n° 99 798 355 déposée le 16 juin 1999 ;

Rejette les demandes de dommages-intérêts formées par la société Stores Nantais ;

Condamne le groupement Monsieur S. et Gérard T. aux dépens et autorise la société civile professionnelle Cabinet Bézy et Bichon, qui l'a demandé, à recouvrer directement ceux dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision ;

Condamne le groupement Monsieur S. et Gérard T. à payer à la société Stores Nantais la somme de 3.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Ordonne l'exécution provisoire du jugement.

Le groupement d'intérêt économique Monsieur S. et monsieur T. ont relevé appel de cette décision en faisant valoir que leur marque, constituée, comme l'autorise l'article L.711-1-c du Code de la propriété intellectuelle, d'une combinaison arrangée de nuances de couleurs arbitraires, présente un caractère suffisamment distinctif et que la société Stores Nantais ne peut se prévaloir d'une antériorité enregistrée à titre de marque ou connue comme marque notoire ou bien comme enseigne de notoriété nationale.

Ils demandent en conséquence à la Cour :

De réformer le jugement entrepris ;

De constater que la société Stores Nantais a commis des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale à l'encontre de monsieur Gérard T. et du groupement d'intérêt économique Monsieur S. ;

En conséquence, de condamner la société Stores Nantais à cesser toute utilisation de la marque constituée de la combinaison du vert pantone 347 et du jaune pantone yellow et du dessin reproduisant un store rainuré en vert et jaune aux rebords arrondis, à cesser toute utilisation de tout autre signe distinctif du réseau Monsieur S., et à cesser tout acte de concurrence déloyale et de parasitisme ;

De condamner ladite société à réparer le préjudice causé au groupement d'intérêt économique Monsieur S. par le versement de la somme de 30 000 euros ;

Au surplus, de condamner la société Stores Nantais à verser au groupement d'intérêt économique Monsieur S. et à monsieur T. la somme de 3 500 euros à chacun sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Stores Nantais conclut quant à elle à la confirmation de la décision attaquée, sauf en ce qu'elle a rejeté ses demandes de dommages-intérêts pour concurrence déloyale et pour procédure abusive.

Elle demande à cet égard à la Cour de condamner les appelants au paiement des sommes 25 000 euros au titre de la concurrence déloyale et de 25 000 euros au titre du caractère abusif de la procédure, outre une indemnité complémentaire de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Subsidiairement, au cas où la Cour reconnaîtrait la marque valable, la société Stores Nantais en revendique le transfert à son profit en invoquant un usage antérieur du même signe déposé par monsieur T. à titre de marque en fraude à ses droits.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la Cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour le groupement d'intérêt économique Monsieur S. et monsieur T. le 5 août 2009, et pour la société Stores Nantais le 6 novembre 2009.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Sur la validité de la marque

Aux termes des articles L.711-1-c et L.711-2 du Code de la propriété intellectuelle, il est possible de déposer à titre de marque un signe figuratif consistant en une disposition, combinaison ou nuance de couleurs, dès lors que celles-ci ne sont pas dépourvues de caractère distinctif.

En l'occurrence, la marque figurative de monsieur T. a bien été déposée sous la forme d'une combinaison de deux nuances de vert et de jaune disposées en deux bandes verticales juxtaposées.

Contrairement à ce qu'indiquent les premiers juges, la représentation graphique du signe telle qu'elle figure dans l'enregistrement révèle que celui-ci procède bien d'un arrangement de couleurs déterminées sous la forme précise de deux bandes verticales, peu important que l'énoncé descriptif de la marque ne comporte pas de précisions relativement à cette disposition.

Il ne peut davantage être soutenu que cette marque est dépourvue de tout caractère distinctif, alors que la combinaison de vert et de jaune est, pour désigner les produits visés au dépôt, suffisamment arbitraire.

Cette combinaison ne reprend en effet nullement les couleurs naturelles des produits désignés, notamment des stores.

La circonstance que les couleurs verte et jaune seraient évocatrice de nature et de soleil et, partant, d'été et de vacances, ne confère pour autant pas au signe litigieux un caractère simplement descriptif des produits désignés ou de l'une de leurs qualités essentielles.

Enfin, rien ne démontre que l'association des couleurs verte et jaune serait usuellement utilisée pour désigner des stores au point d'être devenue un code couleur connu du public, les quelques documents publicitaires ou commerciaux versés aux débats n'attestant que d'un usage sporadique de ces couleurs ou, en tout cas, d'une reprise de cette combinaison dans des nuances ou des arrangements notablement différents de ceux adoptés par le signe litigieux.

La demande reconventionnelle en annulation de marque n'est en conséquence pas fondée, de sorte qu'il y aura lieu de réformer le jugement attaqué.

Sur la revendication de la marque.

Faisant grief à monsieur T. d'avoir déposé la marque litigieuse en fraude à ses droits alors qu'elle utilisait la combinaison de couleurs verte et jaune depuis 1987 dans ses documents commerciaux et sur son enseigne, la société Stores Nantais en revendique la propriété sur le fondement de l'article L.712-6 du Code de la propriété intellectuelle.

Cependant, rien ne démontre que le dépôt de marque procédait d'une intention frauduleuse.

En effet, les pièces produites par l'intimée n'établissent ni l'usage de la combinaison de couleurs selon un arrangement de bandes verticales similaire à celui du dépôt, ni même la poursuite de l'usage commercial de cette combinaison de couleurs postérieurement au 1er octobre 1994, date à laquelle elle a quitté le groupement d'intérêt économique Monsieur S., et en tout cas à une époque concomitante au dépôt litigieux du 16 juin 1999.

En outre, la circonstance que le groupement d'intérêt économique Monsieur S. utilisait, avant le dépôt de la marque bicolore, un code couleur associant le vert et le jaune au bleu est impropre à caractériser la mauvaise foi du déposant.

Il n'est donc pas établi que monsieur T. avait connaissance, au moment de la demande d'enregistrement de la marque, de l'existence d'un signe identique ou similaire exploité par un tiers.

Cette demande subsidiaire en revendication de marque sera donc rejetée.

Sur la contrefaçon de marque.

Monsieur T. et le groupement d'intérêt économique Monsieur S. font grief à la société Stores Nantais d'avoir commis des actes de contrefaçon de marque en la reproduisant sans autorisation sur l'enseigne de son magasin, ses documents commerciaux et publicitaires, son site Internet et sur un article promotionnel.

Il sera cependant rappelé que la contrefaçon par reproduction définie par l'article L.713-2-a du Code de la propriété intellectuelle suppose l'emploi d'un signe identique sans modification.

À cet égard, il convient aussi de rappeler que la marque invoquée est constituée par une combinaison de deux nuances de couleurs verte et jaune disposées en bandes verticales juxtaposées, étant précisé que c'est précisément cet arrangement particulier qui lui confère son caractère distinctif.

Or, si l'on excepte deux documents publicitaires (un prospectus édité à l'occasion des journées portes ouvertes 2006 et un encart publicitaire publié dans les pages jaunes de l'annuaire 2006 de la Loire-Atlantique), les éléments invoqués comme contrefaisants se bornent à reprendre la combinaison des couleurs verte et jaune dans des arrangements différents, ce dont il se déduit qu'il ne peut s'agir que d'actes d'imitation qui ne seront donc, selon l'article L.712-3-b du Code de la propriété intellectuelle, constitutifs de contrefaçon que s'il en est résulté un risque de confusion dans l'esprit du public.

Pourtant, rien ne démontre que l'utilisation d'un code couleur vert et jaune sur la devanture d'un magasin, dans des devis, factures, catalogues, communications publicitaires, sur les pages d'un site Internet ou même sur des stylos distribués à des fins promotionnelles ait été de nature à créer un risque de confusion entre les produits et les services offerts par la société Stores Nantais et ceux des membres du groupement d'intérêt économique Monsieur S..

En effet, le risque de confusion doit s'apprécier globalement en considération de l'impression d'ensemble produite par les signes en cause en tenant compte de tous les facteurs pertinents, et notamment en l'occurrence du degré de similitudes visuelle et conceptuelle entre les signes.

Or, au plan visuel, l'utilisation du code couleur vert et jaune pour la présentation typographique de documents commerciaux ou d'un site Internet ainsi que pour animer la devanture d'un magasin ou décorer un article promotionnel n'est pas suffisante pour créer une impression de similitude avec une marque figurative constituée de bandes verticales de couleurs verte et jaune juxtaposées.

De même, au plan conceptuel, la disposition des nuances de couleurs verte et jaune en bandes verticales est évocatrice de rayures de stores bannes, mais, si l'on excepte les deux documents précités, l'utilisation par la société Stores Nantais d'un code couleur combinant des teintes semblables sans les juxtaposer en bandes verticales n'évoque en rien des motifs de décor de stores.

Il ne se dégage donc pas de l'impression d'ensemble produite par la comparaison des signes une similitude telle qu'elle induise dans l'esprit du public un risque de confusion entre les produits et services fournis par les parties, fut-ce en leur attribuant une origine commune.

En revanche, le prospectus édité à l'occasion des journées portes ouvertes 2006 (pièce n°4) et l'encart publicitaire publié dans les pages jaunes de l'annuaire 2006 de la Loire-Atlantique (pièce n°12) reproduisent à l'identique la marque de monsieur T., la circonstance que ces documents publicitaires reprennent à l'infini la juxtaposition des bandes verticales de couleurs verte et jaune pour finalement évoquer un motif de rayures de stores bannes ne pouvant être regardée comme un ajout et étant en conséquence inopérante.

En outre, la différence de nuances de couleurs alléguée, quasi-indécelable à l'examen comparatif des signes en présence, est si insignifiante qu'elle passe totalement inaperçue aux yeux d'un consommateur moyen.

En diffusant ces deux documents publicitaires, la société Stores Nantais a donc bien commis des actes de contrefaçon par reproduction de marque, étant d'autre part constant qu'elle utilisait ce signe pour commercialiser des produits identiques à ceux désignés dans le dépôt.

Il s'infère de ces actes de contrefaçon l'existence d'un trouble commercial dont le groupement d'intérêt économique Monsieur S., licencié de la marque agissant conjointement avec le titulaire du signe, est fondé à obtenir réparation.

Ce trouble, qui résulte de l'exploitation illicite du signe distinctif pour bénéficier indûment de son caractère attractif aux yeux du public, sera exactement réparé par l'allocation de dommages-intérêts d'un montant de 8 000 € .

Il y aura également lieu, au titre des mesures réparatoires, de faire interdiction à la société Stores Nantais d'utiliser la marque de monsieur T., notamment en reproduisant à titre de signe dans sa documentation commerciale et publicitaire le dessin d'un store comportant un motif de décor reprenant la disposition et la combinaison de nuances de couleurs déposées.

Sur la concurrence déloyale.

Les appelants prétendent par ailleurs que les agissements de la société Stores Nantais constitueraient des actes de concurrence déloyale et parasitaire.

Il n'y a cependant aucun fait distinct entre le parasitisme économique consistant à profiter sans rien dépenser des efforts et des investissements consentis par le groupement d'intérêt économique Monsieur S. afin de développer la notoriété de sa marque et la captation du pouvoir attractif de celle-ci, déjà sanctionnée au titre de la contrefaçon.

De même, le groupement d'intérêt économique Monsieur S., qui a au demeurant présenté une demande d'indemnisation globale de son préjudice sans distinguer ce qui découlerait respectivement de la contrefaçon et de la concurrence déloyale, n'explique pas en quoi la société Stores Nantais aurait, en reproduisant sa marque, commis des faits de concurrence déloyale distincts de ceux déjà sanctionnés et réparés au titre de la contrefaçon.

Plus précisément, il ne démontre pas en quoi la reprise de son signe dans deux documents publicitaires a pu concrètement créer un risque de confusion suffisant pour amener la clientèle à se détourner de ses membres au profit de la société Stores Nantais.

Enfin, il a été précédemment souligné que la simple utilisation, sur la devanture du magasin, le site Internet, un article promotionnel ainsi que dans divers documents commerciaux, d'un code couleur comportant une combinaison de nuances semblables à celles associées en bandes verticales dans la marque litigieuse était insuffisante pour créer un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle entre les produits et services offerts par la société Stores Nantais et ceux des membres du groupement d'intérêt économique.

Dès lors, les appelants ne peuvent pas davantage obtenir la condamnation de la société Stores Nantais sur le terrain de la concurrence déloyale par confusion que sur celui de la contrefaçon par imitation.

Sur les demandes accessoires des parties.

La société Stores Nantais, qui succombe pour avoir commis des actes de contrefaçon de marque, est particulièrement mal fondée à réclamer des dommages-intérêts pour la prétendue concurrence déloyale à laquelle se serait livrée le groupement d'intérêt économique Monsieur S. en utilisant sa marque.

Pour le même motif, elle ne saurait prétendre que l'action et le recours de monsieur T. et du groupement d'intérêt économique Monsieur S., reconnus partiellement justifiés, ont dégénéré en abus.

En revanche, il serait inéquitable de laisser à la charge de monsieur T. et du groupement d'intérêt économique Monsieur S. l'intégralité des frais exposés par eux à l'occasion de la procédure et non compris dans les dépens, en sorte qu'il sera alloué à chacun d'eux une somme de 3.000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

Infirme le jugement rendu le 19 février 2009 par le tribunal de grande instance de Nantes ;

Statuant à nouveau,

Déboute la société Stores Nantais de sa demande reconventionnelle en annulation de la marque figurative déposée par monsieur T. à l'Institut national de la propriété industrielle le 16 juin 1999 et enregistrée sous le numéro 99 798 355 ;

La déboute de son action en revendication de cette marque;

Dit que la société Stores Nantais a commis des actes de contrefaçon de cette marque en la reproduisant sur un prospectus édité à l'occasion des journées portes ouvertes 2006 et un encart publicitaire publié dans les pages jaunes de l'annuaire 2006 de la Loire-Atlantique ;

Fait interdiction à la société Stores Nantais d'utiliser cette marque, notamment en faisant usage comme signe dans sa documentation commerciale et publicitaire du dessin d'un store comportant un motif de décor reprenant la disposition et la combinaison de nuances de couleurs déposée par monsieur T. ;

Condamne la société Stores Nantais à payer au groupement d'intérêt économique Monsieur S. la somme de 8.000 euros à titre de dommages-intérêts ;

Déboute le groupement d'intérêt économique et monsieur T. de leur action en concurrence déloyale.