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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 31 mars 2004, n° D20040061

PARIS

Ordonnance

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

ARTS ET CIVILISATIONS (Sté), TAILLANDIER (Sté)

Défendeur :

EUROPRO (Sté)

TGI Paris, du 15 nov. 2002

15 novembre 2002

Vu l'appel interjeté, le 15 novembre 2002, par la société EUROPRO d'un jugement rendu le 24 septembre 2002 par le tribunal de grande instance de Paris qui a :

- dit que :

- Adel E justifie de sa qualité d'auteur et la société ARTS ET CIVILISATIONS de sa qualité de cessionnaire des droits patrimoniaux sur un modèle de scarabée enregistré à l'INPI le 23 juin 1998 sous le n° 98 732,

- le modèle bénéficie des dispositions des Livres I, III et V du Code de la Propriété Intellectuelle,

- la société EUROPRO en fabriquant et commercialisant un modèle de scarabée reproduisant les caractéristiques du modèle précité et la société Editions TAILLANDIER en le diffusant dans le cadre des abonnements au magazine HISTORIA ont porté atteinte aux droits moraux de Adel E et aux droits patrimoniaux de la société ARTS ET CIVILISATIONS et ont ainsi commis des actes de contrefaçon à leur détriment,

- interdit la poursuite de ces actes illicites sous astreinte de 150 euros par exemplaire contrefaisant offert à la vente, vendu ou diffusé passé la signification de la présente décision,

- ordonné la confiscation des modèles contrefaisants encore entre les mains des sociétés défenderesses en vue de leur destruction sous contrôle d'huissier aux frais de ces dernières tenues in solidum et ce, dans les deux mois passé la signification de la présente décision sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard,

- condamné in solidum la société Editions TAILLANDIER et la société EUROPRO à payer à Adel E la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour l'atteinte à ses droits moraux et celle de 50 000 euros à la société ARTS ET CIVILISATION pour l'atteinte à ses droits patrimoniaux,

- autorisé à titre de dommages et intérêts complémentaires la publication dans deux journaux ou revues au choix des demandeurs, du dispositif de la présente décision et ce, aux frais des défenderesses tenues in solidum , dans la limite de 3000 euros HT par insertion,

- dit que la société Editions TAILLANDIER sera garantie par la société EUROPRO à hauteur de 75 % des condamnations mises à sa charge,

- débouté les parties de leurs autres demandes,

- condamné in solidum la société Editions TAILLANDIER et la société EUROPRO à payer à chaque demandeur la somme de 3 000 euros en application de l'article au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- dit que la charge finale de ces condamnations sera supportée conformément au partage institué pour les condamnations principales ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 12 février 2004, aux termes desquelles la société EUROPRO, poursuivant l'infirmation du jugement déféré, demande à la Cour de :

- à titre principal :

- juger que la traduction du contrat allégué du 1er mai 1998 et la traduction datée du 27 novembre 1998 d'une annexe non signée et non datée ne peuvent en aucun cas valoir contrat de cession de droits d'auteur qui lui soit opposable,

- déclarer la société ARTS ET CIVILISATIONS irrecevable en sa demande pour défaut de qualité à agir,

- à titre subsidiaire :

- constatant les antériorités de toutes pièces, prononcer la nullité du modèle déposé sous le numéro 98 3732,

- débouter Adel E et la société ARTS ET CIVILISATIONS de l'ensemble de leurs demandes,

- à titre infiniment subsidiaire,

- juger que le préjudice allégué par la société ARTS ET CIVILISATIONS ne saurait excéder la somme de 8 689 euros,

- condamner conjointement et solidairement Adel E et la société ARTS ET CIVILISATIONS à 15 000 euros à titre de procédure abusive, et à lui verser la somme de 6.097 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Vu les ultimes conclusions, en date du 15 décembre 2003, par lesquelles Adel E et la société ARTS ET CIVILISATIONS, poursuivant la confirmation du jugement déféré, demandent à la Cour d'y ajouter en condamnant in solidum la société EUROPRO et la société EDITIONS TALLANDIER à verser à la société ARTS ET CIVILISATIONS la somme de 100 000 euros pour résistance abusive et, en toutes hypothèses, de les condamner in solidum à leur verser à chacun la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles, ainsi qu'aux dépens ;

Vu les uniques conclusions signifiées le 18 mars 2003, aux termes desquelles, la société EDITIONS TALLANDIER, poursuivant l'infirmation du jugement déféré, demande à la Cour :

- principalement, de déclarer Adel E et la société ARTS ET CIVILISATIONS irrecevables en leurs demandes,

- subsidiairement, de les débouter de l'ensemble de leurs demandes,

- plus subsidiairement, de dire que la société EUROPRO la garantira à hauteur de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre, et ce sans aucune limite,

- condamner Adel E et la société ARTS ET CIVILISATIONS, et à défaut la société EUROPRO, à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties ; qu'il suffit de rappeler que :

- la société ARTS ET CIVILISATIONS a, le 23 juin 1998, déposé auprès de L'INPI, sous le n° 98 3732, 18 modèles, dont, au nombre des statuettes, la représentation d'un scarabée,

- la société EDITIONS TALLANDIER, exploitant la revue HISTORIA, a offert en cadeau de bienvenue, pour toute souscription d'abonnement à son magazine, un scarabée presse-papier en plastique, argué de contrefaçon par Adel E et la société ARTS ET CIVILISATIONS,

- ces presse-papiers représentant un scarabée ont été fournis à la société EDITIONS TALLANDIER par la société EUROPRO ;

I - sur la procédure :

1) sur la recevabilité de l'action engagée par Adel E et la société ARTS ET CIVILISATIONS :

A) en ce qui concerne Adel E :

Considérant que la Cour relève que, dans ses écritures d'appel, la société EUROPRO ne conteste plus la qualité d'auteur de Adel E et ne soutient plus le moyen tiré de l'irrecevabilité de l'action engagée par celui-ci ;

Que, en revanche, la société EDITIONS TALLANDIER persévère à prétendre que Adel E ne justifie pas de sa qualité d'auteur du modèle contesté ;

Mais considérant que les premiers juges ont fait une juste application des dispositions de l'article L. 113-1 du Code de la propriété intellectuelle, en ce que, en l'absence de toute revendication de la part de personnes physiques, Adel E bénéficie, le modèle déposé ayant été divulgué sous son nom puisque portant sa signature, de la présomption édictée par ce texte ;

Qu'il s'ensuit que, Adel E étant recevable à agir, il convient de confirmer, de ce chef, le jugement déféré ;

B) en ce qui concerne la société ARTS ET CIVILISATIONS :

Considérant que les sociétés EUROPRO et EDITIONS TALLANDIER font valoir que, nonobstant leurs sommations de communiquer, la société ARTS ET CIVILISATIONS n'a pas produit aux débats le contrat du 1er mai 1998, aux termes duquel, selon cette société, lui aurait été cédé les droits d'exploitation des oeuvres de Adel E ;

Considérant que force est de constater que ce contrat n'a pas été versé aux débats, fut-ce en copie, de sorte que la Cour n'est pas en mesure d'en vérifier l'existence même, la traduction produite n'étant pas de nature à suppléer cette carence dans l'administration de la preuve ;

Mais considérant que, selon les dispositions de l'article L. 513-2 du Code de la propriété intellectuelle, l'enregistrement d'un dessin ou modèle conférant à son titulaire un droit de propriété, la société ARTS ET CIVILISATIONS, en sa qualité de déposant du modèle litigieux, est donc recevable à agir en contrefaçon ;

Qu'il s'ensuit que ce moyen n'étant pas fondé, le jugement déféré sera également sur ce point confirmé ;

II - sur le fond :

1) sur le caractère protégeable de l'oeuvre de Adel E :

Considérant que, pour s'opposer à l'action en contrefaçon diligentée à leur encontre, les sociétés EUROPRO et EDITIONS TALLANDIER soutiennent que le scarabée sculpté par Adel E ne présenterait aucun caractère ni d'originalité ni de nouveauté et ne saurait donc se voir protéger tant au titre du droit d'auteur qu'à celui du droit des dessins et modèles ; qu'elles font valoir que le modèle serait banal dans la mesure où il serait la copie d'une oeuvre tombée dans le domaine public et que l'emprunt du style d'une époque et de ses thèmes ornementaux appartenant à ce domaine ne saurait constituer une création originale et nouvelle qu'à condition de pouvoir être distinguée de ses similaires ;

Considérant que les intimés soutiennent que le scarabée litigieux présenterait les caractères d'originalité et de nouveauté requis pour ouvrir droit à la protection due au titre des livres 1 et V du Code de la propriété intellectuelle, puisque Adel E a associé sur le dos du scarabée deux divinités ANUBIS, assis, et THOT, en babouin, qui n'auraient jamais été, dans toute l'histoire égyptienne, placés de telle sorte sur le dos du scarabée ; que, au surplus, aurait été, ajouté un texte hiéroglyphique purement décoratif dès lors qu'il serait, en fait, totalement illisible par un spécialiste ;

Considérant que si, d'une part, la statuaire égyptienne contient de nombreuses représentations de ces dieux antiques identifiables, ANUBIS, comme le dieu à tête de chacal, et THOT, sous sa forme de babouin, et, que, d'autre part, dans la mythologie égyptienne ces deux divinités intervenaient ensemble dans le processus funéraire des rois et pharaons, force est de constater que les sociétés appelantes ne justifient pas de leur représentation sous une forme identique à celle figurant sur le scarabée litigieux ;

Considérant, en effet, que le Professeur Zahi H, directeur du Conseil supérieur des antiquités du ministère de la culture égyptien, déclare, aux termes d'une attestation, en date du 11 septembre 2002, que les statues, objet du conflit, et en référence des photos ci- jointes, sont une imitation des statues exposées dans les musées d'Egypte et font partie du patrimoine égyptien ;

Mais considérant qu'il convient de relever les termes généraux de cette attestation, le Professeur Zahi H n'ayant manifestement pas identifié, comme le relève avec pertinence les intimés, le scarabée comme étant la copie conforme d'une statue ancienne et originale existante dans un musée qu'il n'aurait pas manqué d'identifier précisément ;

Que, au demeurant, il résulte du rapport technique du Dr. Shehata Ahmed Abdel R, conférencier à la Faculté des antiquités de l'Université du Caire que vu les photos présentées et annexées au présent rapport, et après examen et étude du point de vue antique et technique, et en référence aux sources scientifiques, et en confrontant ces photos avec les originaux antiques enregistrés aux musées et aux expositions, dont la désignation suit (...) statue de scarabée ayant des sculptures sur son dos (...) c'est une pièce qui n'a pas d'origine aux musées; qu'il précise en outre que la représentation des lettres hiéroglyphiques, mais qui sont (elles aussi) une espèce de "Fantaisie" ressemblant à l'écriture hiéroglyphique, mais ne représentant pas ses lettres ;

Considérant que les sociétés appelantes ne sauraient pertinemment invoquer les déclarations de Adel E pour justifier que le scarabée litigieux ne serait qu'une copie d'une pièce antique originale dans la mesure où les déclarations, auxquelles il est fait référence, sont, d'une part, contradictoires et que, d'autre part, les propos de celui-ci sont déformés dès lors qu'il a été amené à déclarer que ses oeuvres ne sont pas imitées ou copiées conformément à l'original des statues pharaoniques mais... inspirées de l'Art Pharaonique ;

Que, de même, c'est vainement que les appelants opposent aux intimés les mentions portées par la société ARTES sur ses catalogues, la société ARTS ET CIVILISATIONS ne pouvant être tenue par les annotations apposées sur les catalogues de ses distributeurs, alors même que lorsqu'elle vend son modèle à des distributeurs, elle l'accompagne d'une fiche technique qui explique la symbolique et l'utilisation du scarabée chez les anciens égyptiens et qu'elle ne mentionne en aucune façon que le modèle vendu ne serait qu'une reproduction d'une oeuvre originale ;

Qu'il s'ensuit que si la statuette litigieuse s'inspire des productions des sculpteurs de l'Egypte antique, Adel E a ajouté des éléments d'originalité, tels que le face à face des deux divinités et la représentation de faux hiéroglyphes, qui permettent de la distinguer du fonds commun de la statuaire de l'Egypte ancienne et qui lui donne à la fois l'empreinte de la personnalité de l'auteur qui la rend protégable au titre du livre I du Code de la propriété intellectuelle et du livre V du même code, de sorte qu'il y a, également lieu, de rejeter la demande formée par les appelants au titre de la nullité du modèle déposé ;

Que le jugement déféré mérite donc confirmation ;

III - sur la contrefaçon :

Considérant que les premiers juges ont fait une juste application des dispositions des articles L. 122-4 et L. 513-4 du Code de la propriété intellectuelle ;

Qu'en effet, il n'est pas contesté que l'examen comparatif du modèle original du scarabée de Adel E et celui proposé comme cadeau par la société EDITIONS TALLANDIER, pour les nouveaux abonnés du magazine HISTORIA, établit que le second est le surmoulage du premier à l'exception de la signature qui a été effacée ;

Que les premiers juges ont donc justement estimé que la société EDITIONS TALLANDIER, qui invoque vainement sa bonne foi inopérante en matière de contrefaçon, par la diffusion de la reproduction illicite du scarabée et la société EUROPRO, qui ne conteste pas plus être le fournisseur du modèle contrefait, ont porté atteinte aux droits des intimés sur le modèle original ;

Qu'il s'ensuit que, sur ce point, le jugement déféré sera confirmé ;

IV - sur les mesures réparatrices :

Considérant que les appelants sollicitent de la Cour une réduction des dommages et intérêts alloués aux intimés par les premiers juges tant en ce qui concerne le préjudice moral de Adel E que le préjudice patrimonial de la société ARTS ET CIVILISATIONS, leurs préjudices étant, selon eux, purement symboliques ;

Mais attendu que les premiers juges ont, par une motivation précise et pertinente que la Cour adopte, justement alloué, compte tenu, notamment, de l'importance du nombre de modèles contrefaisants, à titre de dommages et intérêts :

- à Adel E une indemnité de 15 000 euros en réparation de l'atteinte portée à son droit moral,

- à la société ARTS ET CIVILISATIONS celle de 50 000 euros en réparation de l'atteinte portée à ses droits patrimoniaux ;

Considérant que les mesures d'interdiction et de confiscation, en vue de la destruction des modèles contrefaisants, qui sont de nature à mettre fin aux pratiques illicites retenues, seront confirmées, de même que la mesure de publication, sauf à faire mention du présent arrêt ;

V - sur les responsabilités :

Considérant que la société EDITIONS TALLANDIER est fondée à rechercher la garantie de la société EUROPRO ;

Qu'en effet, les scarabées litigieux lui ont été fournis par la société EUROPRO qui, en tant que professionnelle familière de ce marché, devait s'assurer que le modèle était libre de tous droits ; que la société EDITIONS TALLANDIER n'était pas à même d'effectuer des recherches en ce sens ; que, en outre, la photographie figurant sur les prospectus du magazine HISTORIA a été réalisée par la société EDITIONS TALLANDIER à partir d'un seul exemplaire du scarabée qui lui avait été remis par la société EUROPRO ;

Qu'il convient en conséquence d'infirmer, sur ce point, le jugement déféré et de condamner la société EUROPRO à garantir la société EDITIONS TALLANDIER de toutes les condamnations prononcées à son encontre ;

VI - sur les autres demandes :

Considérant que les sociétés appelantes ont pu se méprendre de bonne foi sur la portée de leurs droits de sorte que la demande de dommages et intérêts, formée par les intimés, pour procédure abusive sera rejetée ;

Considérant qu'il résulte du sens de l'arrêt que la société EUROPRO n'est pas fondée à solliciter la condamnation des intimés à des dommages et intérêts pour procédure abusive et qu'elle ne saurait, au même titre que la société EDITIONS TALLANDIER , bénéficier des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; que, en revanche, l'équité commande, sur ce même fondement, de la condamner in solidum avec la société EDITIONS TALLANDIER à verser, à chacun des intimés, une indemnité de 6 000 euros ;

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement déféré, sauf en ce qui concerne l'appel en garantie de la société EDITIONS TALLANDIER ;

Et, statuant à nouveau de ce chef ;

Condamne la société EUROPRO à garantir la société EDITIONS TALLANDIER de l'ensemble des condamnations tant en principal, intérêts, frais et dépens prononcées à son encontre ;

Et, y ajoutant,

Dit que la mesure de publication ordonnée par le tribunal fera mention du présent arrêt ;

Condamne in solidum la société EUROPRO et la société EDITIONS TALLANDIER à verser, à chacun des intimés, une indemnité complémentaire de 6 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Rejette toutes autres demandes ;

Condamne in solidum la société EUROPRO et la société EDITIONS TALLANDIER aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.