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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 9 février 2022, n° 20/06702

PARIS

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Art de Bretagne (SARL)

Défendeur :

Tricots Saint-James (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocats :

Me Koerfer Boulan, Me Régnier, Me Brun Peyrical

T. com. Rennes, du 6 févr. 2020, n° 2019…

6 février 2020

Vu le jugement assorti de l'exécution provisoire rendu le 6 février 2020 par le tribunal de commerce de Rennes qui a :

- Débouté la société ADB de l'ensemble de ses demandes.

- Condamné la société ADB à payer à la société Tricots Saint James la somme de 1.000 euros pour procédure abusive.

- Constaté le parasitisme mené par la société ADB sur les marques propriété de la société Tricots Saint James.

- Condamné la société ADB à payer à la société Tricots Saint James la somme de 5.000 euros en réparation du préjudice de parasitisme et concurrence déloyale.

- Ordonné que sous un mois à compter de la signification du jugement, l'ensemble des marques propriété de la société Tricots Saint James et en particulier Saint James et Captain Corsaire soit retiré des boutiques et du site internet de la société ADB.

- Condamné la société ADB à une astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du 30ème jour suivant la signification du jugement, pendant un délai de 30 jours, par application de l'article 131-1 du code des procédures civiles d'exécution, se réservant passer ce délai le pouvoir de liquider l'astreinte conformément à l'article L. 131-3 de ce code.

- Débouté la société Tricots Saint James du surplus de sa demande à ce titre.

- Ordonné que la société ADB publie sur son site internet la présente décision et la complète par la mention : « ADB n'est plus distributeur officiel des marques Saint James et Captain Corsaire depuis le 30 juin 2018. »

- Débouté la société Tricots Saint James de ses demandes au titre de la contrefaçon.

- Condamné la société ADB aux entiers dépens et à payer la somme de 5.000 euros à la société Tricots Saint James au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu l'appel relevé par la société ADB 'Art de Bretagne' et ses dernières conclusions notifiées le 29 octobre 2021 par lesquelles elle demande à la cour, au visa des articles 1143 et 1231 du code civil ainsi que des articles L. 410-2, L. 420-2 et L. 442-6 du code de commerce, de :

1. Á titre principal, dire que la rupture des relations commerciales notifiée par courrier du 8 mars 2017 est à la fois abusive et brutale.

- Á titre subsidiaire dire que la société Tricots Saint James a abusé de son état de dépendance économique.

- En conséquence, infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes de dédommagement financier en raison des préjudices subis du fait de la rupture brutale des relations commerciales à l'initiative de la société Tricots Saint James.

Statuant à nouveau, condamner la société Tricots Saint James à lui payer : la somme de 616.000 TTC, à titre de dommages-intérêts, en réparation de son préjudice financier, la somme de 40.000 euros au titre de son préjudice moral.

2. Á titre reconventionnel :

- Confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Tricots Saint James de ses demandes au titre de la contrefaçon.

- Infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société ADB à payer à la société Tricots Saint James la somme de 5.000 euros en réparation du préjudice de parasitisme et de concurrence déloyale.

- Débouter la société Tricots Saint James de sa demande de condamnation au paiement de la somme de 250.000 euros en réparation du préjudice subi au titre de la contrefaçon, du parasitisme et de la concurrence déloyale.

- Infirmer le jugement en ce qu'il a :

- Ordonné que sous un mois à compter de la signification du jugement, l'ensemble des marques propriété de la société Tricots Saint James, et en particulier Saint James et Captain Corsaire, soit retiré des boutiques et du site de la société ADS.

- Condamné la société ADB à une astreinte de 100 euros par jour de retard, à compter du 30ème jour suivant la signification du jugement, pendant un délai de 30 jours, par application de l'article L. 131-3 du code des procédures civiles d’exécution, se réservant passer ce délai le pouvoir de liquider l'astreinte conformément à l'article L. 131-3 de ce code.

- Ordonné que la société ADB publie sur son site internet la décision et la complète par la mention : « ABD n'est plus distributeur officiel des marques Saint James et Captain Corsaire depuis le 30 juin 2018. »

- Condamné la société ADB à payer à la société Tricots Saint James la somme de 1.000 euros pour procédure abusive.

- Débouter la société Tricots Saint James de sa demande en paiement de la somme de 10.000 euros pour procédure abusive.

- Infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société ADB au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

3) Statuant à nouveau :

- Débouter la société Tricots Saint James de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles à titre principal et accessoire.

- Condamner la société Tricots Saint James à publier sur son site internet l'arrêt à intervenir.

4) En tout état de cause,

- Condamner la société Tricots Saint James à lui payer la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

- La condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

Vu les dernières conclusions notifiées le 18 octobre 2021 par la société Tricots Saint James qui demande à la cour de :

1. Confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société ADB de l'ensemble de ses demandes et juger qu'elle-même était recevable et bien fondée en ses prétentions.

2. Au visa des articles L. 410-1, L. 420-2 et L. 446-2 du code de commerce :

- Constater l'absence de dépendance économique.

- Constater que la rupture des relations commerciales décidée par elle est fondée sur les manquements de la société ADB.

Á défaut constater que le délai de préavis de 15 mois laissé par elle à la société ADB était suffisant.

- En conséquence, dire que la rupture intervenue n'a été ni abusive, ni brutale et constater l'absence de préjudice de la société ADB.

3. Á titre reconventionnel, au visa de l'article 1240 du code civil ainsi que des articles L. 335-3, L. 713-1 et L. 716-1 du code de la propriété intellectuelle :

- Confirmer le jugement en ce qu'il a constaté les actes de concurrence déloyale et les agissements parasitaires de la société ADB.

- L'infirmer en ce qu'il a rejeté sa demande tenant à la contrefaçon des marques de la société Tricots Saint James par la société ADB.

- En conséquence :

- Confirmer le jugement en ce qu'il a enjoint à la société ADB de cesser ses agissements déloyaux et de de retirer toute référence aux marques Saint James et Captain Corsaire sur son site internet.

- Infirmer le jugement sur le quantum de la condamnation et condamner la société ADB à lui payer la somme de 250.000 euros, à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice subi.

- Confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société ADB à publier sur son site internet et par voie d'affichage sur les vitrines de ses boutiques la décision à intervenir et l'information selon laquelle elle n'est plus distributeur exclusif de la société Tricots Saint James depuis le 30 juin 2018.

- Confirmer le jugement en ce qu'il a constaté la mauvaise foi de la société ADB et, l'infirmant sur le quantum de la condamnation prononcée, condamner la société ADB au paiement de la somme de 10.000 euros pour procédure abusive.

4) En tout état de cause :

- Condamner la société ADB au paiement de la somme de 12.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- La condamner aux entiers dépens de l'instance ;

SUR CE LA COUR

La société ADB 'Art de Bretagne', ci-après ADB, est immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Quimper avec pour activité la vente de vêtements, chaussures, chapeaux et accessoires en rapport avec l'habillement de la personne, activité qu'elle exerce sous le nom commercial « Au costume breton. »

Elle a commencé à entretenir des relations commerciales avec la société Tricots Saint James, qui fabrique et commercialise des vêtements marins depuis 1889, en lui passant une première commande le 14 mai 2001.

La société ADB, dans un courriel du 23 janvier 2012, a demandé à la société Tricots Saint James de lui proposer un contrat de distribution. Aucun contrat écrit n'a ensuite été régularisé entre les parties.

Par lettre du 13 août 2013, la société Tricots Saint James a, notamment, autorisé la société ADB à télécharger les photos de sa brochure Automne/hiver - 2013/2014 et lui a demandé de signer et de renvoyer un exemplaire signé du Règlement d'usage de sa marque.

Par lettre du 17 juillet 2014, se référant à une réunion tenue le 17 juillet 2014, la société Tricots Saint James a indiqué à la société ADB qu'elle souhaitait :

- Que soit respectée l'image de sa marque et, par conséquent, que soit évitée toute confusion et équivoque entre son site internet www.effet-mer.fr et les sites institutionnels de la société Tricots Saint James, lui demandant une copie de sa page d'accueil.

- Que comme ses autres distributeurs, elle paraphe, signe et renvoie un exemplaire du Règlement d'usage des marques qui lui avait été adressé en août 2013.

La société ADB n'a pas signé ce Règlement.

En décembre 2014, les parties ont conclu une convention intitulée « Mise à disposition d'éléments constituant le mobilier/corner Saint Jame » et les relations commerciales entre les parties se sont poursuivies.

Mais par lettre recommandée avec avis de réception du 8 mars 2017, la société Tricots Saint James, reprochant à la société ADB d'utiliser ses droits de propriété intellectuelle sans autorisation et d'avoir refusé de signer le Réglement d'usage de sa marque, lui a notifié la fin de leurs relations commerciales au 30 juin 2018, lui précisant :

- Que la dernière commande qui serait honorée serait celle relative à la collection Printemps/Été 2018 pour des livraisons avant le 30 juin 2018.

- Que si elle continuait après cette date à vendre ses produits jusqu'à écoulement complet du stock, elle devrait cesser d'utiliser ses droits de propriété et ne plus faire figurer sa marque tant sur son site internet que dans sa boutique de Quimper.

Dans sa réponse du 23 mai 2017, la société ADB a contesté la rupture des relations. La société Tricots Saint James lui a confirmé sa décision par lettre du 30 juin 2017.

Le 27 juillet 2017, la société ADB a fait assigner la société Tricots Saint James devant le juge des référés du tribunal de commerce de Quimper pour voir ordonner le rétablissement des livraisons telles qu'elles étaient précédemment, à savoir 2 livraisons par semaine. Par ordonnance du 3 octobre 2017, le juge des référés a déclaré nulle l'assignation délivrée le 27 juillet 2017 pour manquement aux dispositions de l'article 56 du code de procédure civile.

Le 4 juin 2018, la société ADB a fait assigner la société Tricots Saint James devant le tribunal de commerce de Rennes qui, par le jugement déféré, l'a déboutée de ses demandes et a fait droit partiellement aux demandes reconventionnelles de la société Tricots Saint James.

Sur les demandes de la société ADB :

La société ADB demande condamnation de la société Tricots Saint James à lui payer, à titre de dommages-intérêts, la somme de 616.000 euros en réparation de son préjudice financier, calculée sur la base d'une perte de marge brute pendant 2 ans, et la somme de 40.000 euros pour préjudice moral.

Elle soutient :

- Á titre principal, que la rupture des relations commerciales est à la fois abusive et brutale.

- Á titre subsidiaire, que la société Tricots Saint James a abusé de son état de dépendance économique.

La société Tricots Saint James s'oppose à ces prétentions en contestant tout état de dépendance économique de la société ADB, toute brutalité dans la rupture et tout abus de position dominante en raison de la dépendance économique ; elle ajoute que la société ADB ne justifie d'aucun préjudice.

Sur le caractère brutal de la rupture des relations.

L'existence de relations commerciales établies depuis 16 ans n'est pas contestée.

Afin de démontrer le caractère brutal de leur rupture, la société ADB fait valoir en premier lieu qu'elle se trouvait en état de dépendance économique vis à vis de la société Tricots Saint James ; elle allègue en ce sens :

- Qu'entre 2011 et 2016, le volume des ventes qu'elle réalisait grâce à la commercialisation des produits de la marque Saint James et de la marque Captain Corsaire (marque qui avait été rachetée par la société Tricots Saint James) n'avait cessé de croître, passant de moins de 50 % de son chiffre d'affaires à 87,71 %.

- Que pour l'année 2018, elle a perdu 43 % de son chiffre d'affaires et, pour l'année 2019, 66 % de son chiffre d'affaires en raison de la perte des produits de la société Tricots Saint James.

- Que sa boutique Effet Mer de Quimper était entièrement consacrée à la marque Saint James, seule sa boutique à Locronan étant multi-marques.

- Qu'elle était dans l'impossibilité de trouver un autre fournisseur dans des conditions techniques et économiques équivalentes aux relations contractuelles nouées avec la société Tricots Saint James, celle-ci étant l'un des leaders du vêtement marin et les autres marques telles que Armor Lux et Petit Bateau ayant déjà leurs propres revendeurs à Quimper.

- Que la plupart des fournisseurs avec lesquels elle travaillait dans sa boutique de Locronan ont disparu.

- Qu'elle continue de revendre des produits d'autres marques, dont la marque Geox dans sa boutique de Quimper, mais sans commune mesure avec le chiffre d'affaires qui était réalisé avec la société Tricots Saint James.

- Que le contrat de mise à disposition du corner lui imposait une obligation de non-concurrence, voire une clause d'exclusivité.

Mais la société Tricots Saint James réplique à juste raison :

- Que la seule circonstance qu'un distributeur réalise une part importante de son approvisionnement auprès d'un seul fournisseur ne suffit pas à caractériser son état de dépendance économique.

- Que la société ADB n'était tenue à aucune clause de non-concurrence ni d'exclusivité, le contrat de mise à disposition du mobilier Saint James stipulant seulement que les éléments de ce mobilier devaient être utilisés exclusivement pour la présentation, la promotion et la mise en avant des vêtements et accessoires Saint James à l'exclusion de tout autre produit appartenant à une autre marque.

- Qu'il était possible pour la société ADB de vendre des produits d'autres marques dans sa boutique de Quimper comme elle le faisait dans sa boutique de Locronan, mais qu'elle a fait le choix de se limiter à la vente de produits Saint James dans sa boutique de Quimper.

L'état de dépendance économique et/ou financière invoqué par la société ADB n'est donc pas démontré.

La société ADB prétend en deuxième lieu que le préavis de 15 mois était insuffisant, eu égard notamment au fait que dans le secteur de l'habillement il faut raisonner en termes de collections saisonnières, voire d'écoulement des stocks. Elle précise qu'à réception de la lettre de rupture, elle ne disposait plus que d'une seule collection à commander, celle du Printemps/Été 2018 pour réaliser un chiffre d'affaires honorable et trouver d'autres fournisseurs.

Elle ajoute que, contrairement à ce que soutient la société Tricots Saint James, elle n'a commis aucun manquement de nature à justifier un préavis insuffisant et encore moins un défaut de préavis pour des relations commerciales florissantes de plus de 16 ans.

Mais il apparaît que le préavis accordé était cohérent avec la saisonnalité des collections : la société ADB ayant passé sa commande pour la collection Printemps/Été 2018 le 20 septembre 2017 et ayant passé de nombreuses commandes de réassort jusqu'au 30 juin 2018.

Eu égard à l'ancienneté des relations, à la nature de l'activité exercée, à l'absence d'exclusivité et à l'absence de dépendance économique de la société ADB, le préavis de 15 mois était suffisant pour lui permettre de se réorganiser en trouvant d'autres fournisseurs.

La société ADB allègue en troisième lieu que pendant la durée du préavis la relation commerciale n'a pas été maintenue aux conditions antérieures.

Elle expose en ce sens :

- Qu'en 2017, le nombre de livraisons passées et reçues et le nombre de factures ont été divisées par deux par rapport aux années précédentes 2014 à 2016 et qu'elle a procédé à des achats pour 428.257 euros en 2017 et pour 124.849 euros au cours des mois de janvier à juin 2018.

- Que les délais de livraison via son site internet ont été rallongés, et certains articles devenus indisponibles ainsi qu'il ressort des échanges de courriels avec M. K....

- Que les produits étaient indiqués comme disponibles sur le site internet de la société Tricots Saint James mais n'étaient pas livrés en temps et en heure lorsque la société ADB passait commande pour ses clients.

- Que la société Tricots Saint James n'en était pas à son premier blocage puisqu'il ressort d'un procès-verbal d'huissier l'existence de messages téléphoniques du directeur commercial de Tricots Saint James qui indiquait que des livraisons étaient bloquées en septembre 2016 si le Règlement d'usage des marques n'était pas signé.

Mais les éléments intervenus en septembre 2016 sont sans intérêt pour apprécier l'effectivité ou non du préavis courant du 8 mars 2017 au 30 juin 2018.

La société Tricots Saint James fait justement valoir que les clients, dont M. K..., qui se sont plaints d'allongement du délai de livraison ou d'indisponibilité des articles avaient passé commande via le site internet de la société ADB et qu'il incombait à cette dernière de constituer et gérer ses stocks pour répondre à leurs demandes.

La société ADB ne démontre pas que la société Tricots Saint James aurait refusé de lui livrer les produits qu'elle aurait commandés ou lui aurait fait subir un allongement des délais de livraison.

Le moyen tiré du défaut d'effectivité du préavis doit donc être rejeté.

Indépendamment des reproches qu'elle a formulés à l'encontre de la société ADB, la société Tricots Saint James était en droit de mettre fin à leurs relations commerciales en lui accordant un préavis suffisant de 15 mois. La rupture ne présente pas un caractère brutal ni ne revêt un caractère abusif.

Sur la demande subsidiaire tendant à voir constater l'abus de position dominante en raison de la dépendance économique

La société ADB expose que :

- Pour qu'il y ait abus de position dominante au sens de l'article L. 420-2 du code de commerce, trois conditions doivent être réunies : l'existence d'une position dominante, une exploitation abusive de cette position et un effet restrictif de concurrence sur ce marché.

- La position dominante s'entendant sur un marché de produits ou de services déterminés, l'appréciation d'une telle position passe inévitablement par une définition du marché pertinent.

- Qu'en cas d'abus de position dominante, la sanction est la même qu'en matière de rupture brutale des relations commerciales.

Après avoir rappelé l'historique de la société Tricots Saint James, la société ADB fait valoir :

- Qu'elle n'a jamais exploité les droits de propriété intellectuelle de la société Tricots Saint James.

- Que par lettre du 27 septembre 2012, le conseil de la société Tricots Saint James s'est rapproché d'elle en invoquant des agissements susceptibles de constituer des actes de concurrence déloyale pour lui imposer la signature d'un Règlement d'usage de sa marque.

- Que le 13 août 2013, la société Tricots Saint James a conditionné la communication des nouveaux identifiants des kit-médias concernant les photos de la brochure Automne/Hiver-2013/2014 à la signature du Règlement d'usage de sa marque, alors qu'elle en bénéficiait sans aucune condition ni difficulté depuis 2012.

- Que la contrainte ainsi exercée est caractéristique de la violence économique sanctionnée depuis peu au titre de l'abus de dépendance économique à l'article 1143 du code civil.

- Qu'elle n'a pas signé ce Règlement en dépit des demandes répétées de la société Tricots Saint James qui n'a cessé de dénoncer ses actes de concurrence déloyale tout en acceptant d'augmenter le volume de ses ventes, la plaçant chaque année un peu plus dans une situation de dépendance.

- Qu'en septembre et décembre 2016, la société Tricots Saint James a bloqué ses commandes pour s'opposer à une opération commerciale mise en place pour ses clients, qu'au début de l'année 2017 elle a réduit significativement le nombre de livraisons hebdomadaires et que par lettre du 8 mars 2017, elle lui a imposé une baisse des livraisons afin qu'elle accepte ses conditions de vente.

- Qu'il résulte des termes de la lettre du 8 mars 2017 que la société Tricots Saint James entendait l'empêcher d'écouler son stock après la date du 8 juin 2018 en lui interdisant formellement toute publicité concernant la marque Saint James.

- Que la société Tricots Saint James a refusé de lui racheter son stock alors qu'elle entendait respecter les termes du jugement lui enjoignant de retirer de sa boutique l'ensemble des marques Saint James et Captain Corsaire et que ce n'est que par lettre du 15 janvier 2021 que cette société a sollicité la transmission d'un état du stock qu'elle détiendrait encore.

La société ADB en déduit que pendant des années, la société Tricots Saint James a procédé de manière abusive vis à vis de son revendeur exclusif sur Quimper en contrôlant ses prix, ses opérations commerciales et ses moyens de vente (boutique et internet), l'empêchant de commercer librement en prenant en compte la concurrence sur le marché de la vente de textiles marins assez présent en Bretagne et particulièrement à Quimper.

La société Tricots Saint James rappelle que l'article L. 420-2 du code de commerce est ainsi libellé :

- Alinéa 1 : « Est prohibée, dans les conditions prévues à l'article L. 420-1, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations établies au seul motif que le partenaire refuse de sa soumettre à des conditions commerciales injustifiées. »

- Alinéa 2 : « Est en outre prohibée, dès lors qu'elle est susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées, en pratiques discriminatoires visés aux articles L. 442-1 à L. 442-3 ou en accords de gamme. »

Elle fait exactement valoir que la société ADB échoue à démontrer un quelconque état de dépendance économique et qu'elle ne justifie aucunement que la société Tricots Saint James occuperait une position dominante sur le marché et aurait abusé d'une telle position.

Elle objecte encore à juste raison :

- Qu'aucune clause d'exclusivité n'a été imposée à la société ADB.

- Qu'elle n'a pas conditionné la poursuite des relations à la signature du Règlement d'usage de ses marques, les relations s'étant poursuivies pendant 4 ans en dépit du refus de signer de la société ADB.

- Qu'elle n'a jamais interdit à la société ADB d'écouler son stock de produits, mais seulement demandé la protection de ses droits intellectuels.

Il résulte de tout ce qui précède que la société ADB est mal fondée en ses demandes de dommages-intérêts et qu'elle doit en être déboutée.

Sur les demandes de la société Tricots Saint James :

La société Tricots Saint James reproche à la société ADB d'avoir, après la rupture de leurs relations, continué à se présenter comme « dépositaire officiel » des produits Saint James sur son site internet et à utiliser ses marques sans autorisation. Elle en veut pour preuve deux constats d'huissier de justice dressés le 25 septembre 2018 ainsi qu'une page d'accueil du site internet Effet Mer de la société ADB (capture d'écran du 31 juillet 2019).

Elle analyse les pratiques de la société ADB comme constituant des actes de concurrence déloyale et de parasitisme ainsi que de contrefaçon.

La société ADB conteste les actes qui lui sont imputés aux motifs :

- D'une part, qu'à la date du 25 septembre 2018, elle disposait de stocks à écouler, qu'elle devait faire connaître à ses clients la marque des produits qu'elle vendait et que le tribunal a justement retenu que l'utilisation en 2018 des logos de la marque Saint James sur son site et dans ses boutiques ne constituait pas en soi un acte de parasitisme, de concurrence déloyale ou de contrefaçon puisqu'il s'agissait d'écouler des produits en stock acquis légalement à peine trois mois auparavant.

- D'autre part, que ce n'est pas la marque Saint James qui apparaît en première position sur la capture d'écran de son site internet réalisée en juillet 2019, mais la marque Hublot en gros caractères et que la mention « dépositaire officiel » concerne la marque Hulot dont elle était effectivement dépositaire officiel.

La société Tricots Saint James ne justifie pas être titulaire de la marque française Saint James, de la marque européenne Saint James et de la marque française Né de la mer. Sa seule pièce 15 étant incomplète, sa demande fondée sur la contrefaçon en ce que la société ADB aurait porté atteinte à son droit de propriétaire des marques ne peut dès lors qu'être rejetée.

En revanche, les constats dressés le 25 septembre 2019 montrent que, à cette date, la société ADB maintenait sur la façade de sa boutique de Locronan un panonceau mentionnant « Saint James vêtements marins » outre un logo et faisait figurer sur un chevalet devant sa boutique de Quimper l'inscription « Saint James né de la mer » avec un logo.

Également la capture d'écran du 31 juillet 2019 établit qu'à cette date, la société ADB faisait figurer en tête de la page d'accueil de son site internet Effet Mer : les signes distinctifs « Saint James » et « Captain Corner » et, à gauche sous le sigle « Effet...Mer » la mention en rouge « Dépositaire officiel ».

Elle a ainsi profité de l'image et de la notoriété des produits Saint James en se plaçant dans son sillage pour attirer des clients et leur vendre d'autres vêtements, ce qui caractérise des agissements parasitaires.

Au vu des éléments du dossier, il convient d'allouer à la société Tricots Saint James la somme de 5 000 euros pour agissements parasitaires.

Aucun préjudice moral n'étant démontré, sa demande de ce chef sera rejetée.

Les dispositions du jugement relatives aux interdictions prononcées et à la publication de la décision sur le site internet de la société ADB seront confirmées, sauf à remplacer les termes « marques propriété de la société Tricots Saint James » par « signes distinctifs » conformément au dispositif du présent arrêt.

Sur les autres demandes.

Il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de la société ADB tendant à voir condamner la société Tricots Saint James à publier le présent arrêt sur le site internet de celle-ci.

La société ADB n'ayant pas fait dégénérer en abus son droit d'agir en justice, la demande de dommages-intérêts de la société Tricots Saint James pour procédure abusive sera rejetée.

La société ADB, qui succombe en ses prétentions, doit supporter les dépens.

Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il convient d'allouer la somme supplémentaire de 5.000 euros à la société Tricots Saint James et de débouter la société ADB de sa demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS

INFIRME le jugement en ce qu'il a :

- Condamné la société ABD à payer la somme de 5.000 euros à la société TRICOTS SAINT JAMES en réparation du préjudice de parasitisme et concurrence déloyale.

- Condamné la société ADB 'ART DE BRETAGNE' à payer la somme de 1.000 euros à la société TRICOTS SAINT JAMES pour procédure abusive.

- Ordonné que sous un mois à compter de la signification du jugement, l'ensemble des marques propriété de la société TRICOTS SAINT JAMES et en particulier Saint James et Captain Corsaire soit retiré des boutiques et du site internet de la société ADB.

Statuant à nouveau sur ces points :

- CONDAMNE la société ADB ' ART DE BRETAGNE' à payer à la société TRICOTS SAINT JAMES, à titre de dommages-intérêts, la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice résultant du parasitisme.

- ORDONNE que sous un mois à compter de l'arrêt, l'ensemble des signes distinctifs de la société TRICOTS SAINT JAMES et en particulier Saint James et Captain Corsaire soit retiré des boutiques et du site internet de la société ADB ' ART DE BRETAGNE'.

- DÉBOUTE la société TRICOTS SAINT JAMES de sa demande en paiement de la somme de 10.000 euros pour procédure abusive.

CONFIRME le jugement en toutes ses autres dispositions.

Y ajoutant,

CONDAMNE la société ADB 'ART DE BRETAGNE' à payer la somme de 5.000 euros à la société TRICOTS SAINT JAMES par application de l'article 700 du code de procédure civile.

DÉBOUTE les parties de toutes leurs autres demandes.

CONDAMNE la société ADB 'ART DE BRETAGNE' aux dépens d'appel.