CA Rennes, 3e ch. com., 8 février 2022, n° 19/04304
RENNES
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Tres France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Contamine
Conseiller :
M. Garet
Avocat :
Me Cesar
FAITS ET PROCEDURE
Suivant acte du 2 octobre 2008, M. X concluait un contrat d'agent commercial avec la société Tres Comercial, société de droit espagnol exerçant une activité de grossiste en robinetterie pour salles de bain et cuisines.
Aux termes de ce contrat, M. X bénéficiait d'un droit exclusif de représentation des produits de sa mandante sur un ensemble de départements français limitativement énumérés.
Ce contrat devait faire l'objet de deux avenants, d'abord le 7 juillet 2010 avec un élargissement du périmètre d'exclusivité à deux nouveaux départements, ensuite le 12 mai 2014, date à laquelle la société Tres Comercial informait son mandataire qu'elle se réserverait désormais le droit de visiter la clientèle spécialisée du réseau des cuisinistes tout en maintenant à M. X son droit de continuer à démarcher celle qu'il avait lui-même créée et dont la liste des établissements était annexée à l'avenant.
Le 22 décembre 2015, la société Tres France informait M. X qu'elle venait aux droits de la société Tres Comercial et que désormais, elle se substituerait aux droits et obligations de celle-ci dans le cadre de la continuation du contrat d'agence.
Par lettre du 18 novembre 2017, la société Tres France notifiait à M. X la résiliation du contrat d'agence et ce, à effet immédiat, la mandante justifiant en effet sa décision, d'abord par le fait que M. X représentait désormais une société concurrente, en l'occurrence la société Horus, ce dont il n'avait jamais informé sa mandante, ensuite par la forte diminution du chiffre d'affaires réalisé par M. X sur son secteur d'exclusivité, laquelle ne pouvait s'expliquer que par le partage de sa clientèle avec la société Horus.
Contestant ces reproches, et prétendant au versement d'une indemnité de rupture, d'une indemnité de préavis ainsi que d'une indemnité en réparation du préjudice qu'il avait subi par suite d'une rupture aussi brutale qu'injustifiée, M. assigner la société Tres France devant le tribunal de commerce de Rennes.
Par jugement du 13 juin 2019, le tribunal :
- se déclarait territorialement compétent pour connaître du litige et rejetait en conséquence l'exception d'incompétence soulevée par la société Tres France ;
- disait la société Tres France bien fondée dans son reproche formulé à l'encontre de M. X de ne pas l'avoir avertie de la signature d'un autre contrat de représentation avec une entreprise concurrente ;
- disait que M. X n'avait pas sollicité de la société Tres France son acceptation préalable de cette nouvelle représentation ;
- jugeait en conséquence que M. X avait gravement manqué à ses obligations contractuelles et commis des actes de déloyauté à l'égard de la société Tres France ;
- jugeait que M. X avait commis des fautes graves dans l'exécution de son contrat, qui justifiaient la rupture du contrat à ses torts exclusifs ;
- le déboutait en conséquence de ses demandes d'indemnités de fin de contrat et de préavis ;
- le déboutait de toutes ses autres demandes, fins et conclusions ;
- condamnait M. X à payer à la société Tres France la somme de 5 000 à titre de dommages et intérêts pour déloyauté commise dans l'exécution du contrat ;
- déboutait en revanche la société Tres France de sa demande indemnitaire au titre d'actes de concurrence déloyale et du surplus de ses autres demandes, fins et conclusions ;
- condamnait M. X à payer à la société Tres France une somme de 2 000 par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamnait enfin M. X aux entiers dépens de l'instance.
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 28 juin 2019, M. X interjetait appel de cette décision.
L'appelante notifiait ses dernières conclusions le 26 novembre 2021, l'intimée, par ailleurs appelante incidente, les siennes le 1er décembre 2021.
La clôture de la mise en état intervenait par ordonnance du 2 décembre 2021.
Sur la demande tendant à voir écarter des débats les dernières conclusions de M. X ainsi que la pièce n° 17 produite en annexe de celles-ci:
A l'appui de cette demande, la société Tres France fait valoir que ces dernières conclusions ainsi que la pièce n° 17 y annexée sont tardives comme ayant été produites quelques jours seulement avant l'ordonnance de clôture, M. X ayant ainsi violé le principe du contradictoire en ne permettant pas à son adversaire, dont les dirigeants résident en Espagne, de se défendre valablement et de discuter utilement le contenu des écrits qui leur sont opposés ou encore de rapporter une preuve contraire.
Cependant, la cour observe :
- que les dernières conclusions de M. X, n° 3, ont été notifiées plusieurs jours avant qu'intervienne la clôture, qu'elles ne contiennent que très peu de modifications par rapport aux conclusions précédentes, que ces modifications sont mises en évidence, conformément à l'usage, par un signe apparent porté sur la partie gauche des écrits, enfin que le dispositif de ces dernières conclusions est strictement identique à celui des conclusions précédentes, M. X s'étant ainsi abstenu de modifier ses demandes comme ses défenses ;
- que la société Tres France a été mise en mesure de répondre aux ultimes arguments développés par M. X dans ses derniers écrits, puisqu'elle l'a fait en concluant à son tour une dernière fois la veille de la clôture ;
- que de même, la société Tres France a pu faire valoir ses observations quant à la dernière pièce - n° 17 - communiquée par M. X, puisqu'elle en dénonce l'absence de valeur comme de force probante.
Le principe du contradictoire a donc été respecté, de sorte que la société Tres France sera déboutée de sa demande tendant à voir écarter des débats les dernières conclusions de M. X de même que sa pièce n° 17.
C'est encore vainement que la société Tres France demande à la cour d'écarter des débats cette pièce aux motifs, d'une part qu'elle ne répondrait pas aux exigences formelles de l'article 202 du code de procédure civile relatives aux attestations produites en justice, d'autre part qu'elle ne serait corroborée par aucun élément comptable certifié.
En effet, de tels arguments, qui ne tendent en réalité qu'à remettre en cause la valeur probante de la pièce contestée, ne sont pas de nature, en tout état de cause, à justifier son irrecevabilité.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
M. X demande à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- dit la société Tres France bien fondée dans son reproche formulé à l'encontre de M. X de ne pas l'avoir avertie de la signature d'un autre contrat de représentation commerciale avec une entreprise concurrente ;
- dit que M. X n'avait pas sollicité de la société Tres France l'acceptation préalable de la nouvelle représentation commerciale d'un concurrent ;
- dit en conséquence que M. X avait gravement manqué à ses obligations contractuelles, en commettant des actes de déloyauté à l'égard de la société Tres France ;
- dit que M. X avait commis des fautes graves dans l'exécution de son contrat, lesquelles justifiaient la rupture du contrat à ses torts exclusifs ;
- débouté M. X de ses demandes d'indemnités de fin de contrat et de préavis ;
- débouté M. X de toutes ses autres demandes, fins et conclusions ;
- condamné M. X à payer à la société Tres France une somme de 5 000 à titre de dommages et intérêts pour déloyauté commise dans l'exécution du contrat ;
- condamné M. X à payer à la société Tres France une somme de 2 000 par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. X aux entiers dépens de l'instance ;
Statuant de nouveau,
- condamner la société Tres France à verser à M. X les sommes suivantes :
- 2 275,88 au titre de l'indemnité de préavis,
- 18 207,06 au titre de l'indemnité de fin de contrat prévue à l'article L 134-12 du code de commerce,
- 10 000 à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale du contrat,
- 5 000 à titre de dommages et intérêts en réparation subi du fait de la déloyauté de la société Tres France dans le cadre de l'exécution du contrat d'agent commercial ;
- condamner la société Tres France à verser à M. X une somme de 4 000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouter la société Tres France de sa demande de dommages et intérêts au titre de la déloyauté commise dans l'exécution du contrat ;
- débouter la société Tres France de sa demande de dommages et intérêts au titre d'actes de concurrence déloyale ;
- condamner la société Tres France aux entiers dépens.
Au contraire, la société Tres France demande à la cour de :
Vu l'article 16 du code de procédure civile,
Vu l'article 202 du code de procédure civile,
Vu l'article 1134 du code civil dans son ancienne rédaction,
Vu l'article L. 134-3 du code de commerce,
Vu les articles L. 134-11 et L. 134-13 du code de commerce,
Vu les articles 1992 et 1993 du code civil,
- confirmer le jugement en toutes ces dispositions, sauf en ce qu'il a débouté la société Tres France de sa demande en paiement d'une indemnité de 10 000 pour concurrence déloyale ;
En conséquence,
- juger que M. X a commis des actes de déloyauté à son égard ;
- juger que M. X a commis des fautes graves dans l'exécution de son contrat ;
- juger que le secteur qu'elle lui a confié a connu une forte baisse du chiffre d'affaires du fait des agissements de M. X ;
- juger que M. X a exécuté le contrat de mauvaise foi ;
- ordonner à M. X de produire l'état mensuel des commissions payées par la société Horus depuis le début de ses relations avec cette dernière, afin de pouvoir les comparer avec la baisse des commissions constatée chez la société Tres France du fait de l'absence de prospection de l'agent commercial ;
En conséquence,
- débouter M. X de sa demande d'indemnité de préavis comme de sa demande d'indemnité de fin de contrat ;
- le débouter de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale du contrat ;
- le débouter de sa demande de dommages et intérêts en réparation du fait de la déloyauté au titre de l'exécution du contrat, et de sa demande au titre de l'article 700 et des dépens ;
A titre principal,
- juger que la société Tres France n'a commis aucune rupture brutale du contrat ;
- juger que M. X a commis des actes de concurrence déloyale à l'égard de la société Tres France ;
- juger que les différents manquements de M. X ont dû la conduire à rompre le contrat pour faute, et qu'aucune indemnité ne peut être réclamée ;
A titre infiniment subsidiaire, si le jugement venait à ne pas être confirmé :
- juger que la société Tres France ne peut être condamnée au-delà de la somme de 1 671,63 au titre de l'indemnité de préavis et au-delà de la somme de 13 373 au titre de l'indemnité compensatrice ;
En tout état de cause,
- juger que M. X ne rapporte pas la preuve qu'il aurait informé la société Tres France de la carte qu'il détenait pour le compte de la société Horus ;
- juger que M. X a exécuté le contrat de mauvaise foi ;
- condamner M. X à payer à la société Tres France une somme de 5 000 à titre de dommages et intérêts pour la déloyauté commise dans l'exécution du contrat ;
- juger que M. X a commis des actes de concurrence déloyale à son égard en vendant les produits d'une marque concurrente ;
- le condamner au paiement d'une somme de 12 047,20 au titre des actes de concurrence déloyale ;
- le condamner au paiement d'une somme de 8 000 au titre de l'article 700, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance et de ses suites.
Il est renvoyé à la lecture des conclusions précitées pour un plus ample exposé des demandes et moyens développés par les parties.
MOTIFS DE LA DECISION
A titre liminaire, il convient d'observer que la compétence de la juridiction rennaise n'est plus contestée à hauteur d'appel.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence territoriale précédemment soulevée par la société Tres France.
Sur les fautes à l'origine de la rupture du contrat d'agence:
La société Tres France reproche à M. X deux fautes:
- d'une part d'avoir souscrit, à son insu et a fortiori sans son autorisation, un autre contrat de représentation commerciale auprès d'une entreprise concurrente, en l'occurrence la société Horus ;
- d'autre part d'avoir connu une baisse importante de son chiffre d'affaires, que la société Tres France met en relation directe avec la collaboration que M. X entretient désormais avec la société Horus.
Sans contester la conclusion du nouveau contrat d'agence, qu'il reconnaît avoir souscrit auprès de la société Horus au mois de mars 2016, M. X fait valoir en revanche :
- qu'il était libre de souscrire ce nouveau contrat puisque n'étant tenu à aucune exclusivité au bénéfice de la société Tres France, n'étant en effet tenu envers celle-ci que d'une simple obligation d'information qu'il affirme d'ailleurs avoir respectée, l'appelant soutenant que la société Tres France était parfaitement informée de ce nouveau contrat, et ce depuis son origine ;
- qu'en tout état de cause, les deux contrats demeuraient parfaitement compatibles, dans la mesure où la société Horus ne commercialise pas les mêmes produits que la société Tres France ;
- que la baisse récente de son chiffre d'affaires en rapport avec la société Tres, dont M. X ne méconnaît pas la réalité, est sans rapport avec l'activité qu'il exerce désormais pour le compte de la société Horus, puisqu'aucun client de la société Tres n'a rejoint la société Horus.
Nonobstant ces dénégations, la cour s'en tiendra aux seuls éléments objectifs du dossier, en particulier aux stipulations du contrat conclu le 2 octobre 2008 entre M. X et la société Tres Comercial (aux droits de laquelle vient désormais la société Tres France) selon lesquelles :
- « l'agent s'appliquera au développement des ventes avec l'obligation de veiller [aux] intérêts de la société représentée et s'engage à exécuter son mandat en bon professionnel » ;
- « il devra informer le mandat de la situation de marché, du comportement de la clientèle et des initiatives de la concurrence » ;
- « l'agent informera la société représentée des nouvelles représentations qu'il assume ».
Ainsi, s'il est exact que le premier contrat d'agence n'interdisait pas à M. X de conclure d'autres contrats de représentation commerciale, encore fallait-il que le mandataire en informe sa mandante, celle-ci étant légitime à s'assurer que les nouveaux mandats envisagés soient compatibles avec le premier, la société Tres France étant en effet en droit de refuser que son agent travaille pour la concurrence.
Contrairement aux affirmations de M. X, les termes du contrat du 2 octobre 2008 (« l'agent informera la société représentée des nouvelles représentations qu'il assume ») ne dérogent pas au droit commun de l'article L 134-3 du code de commerce selon lequel «'[l'agent] ne peut accepter la représentation d'une entreprise concurrente de celle de l'un de ses mandants sans accord de ce dernier ».
D'ailleurs, il n'y avait nul intérêt pour la société Tres à s'informer des « nouvelles représentations assumées » par M. X, si ce n'était pour vérifier au profit de quelle entreprise et de quelle activité celui-ci souhaitait conclure un nouveau contrat, et ce, afin de l'y autoriser ou non.
Ainsi, c'est à tort que M. X soutient que le contrat du 2 octobre 2008 déroge au régime légal de l'autorisation pour ne le soumettre qu'à une simple obligation d'information de sa mandante.
Au demeurant, M. X ne justifie même pas avoir informé la société Tres France du nouveau contrat signé avec la société Horus, celui-ci s'abstenant même de préciser à quelle date et par quel moyen il l'aurait fait.
Au contraire, la société Tres France affirme n'avoir découvert l'existence de cette nouvelle activité qu'à l'occasion d'un salon professionnel au cours duquel, le 7 novembre 2017, elle dit avoir constaté la présence de M. X sur un stand de la société Horus, muni d'un badge de celle-ci.
Dès lors et dans ce contexte, la lettre de rupture qu'elle a notifiée à son agent quelques jours plus tard paraît cohérente.
En toute hypothèse, c'est par une tentative d'inversion de la charge de la preuve que M. X prétend imposer à sa mandante, à qui il incombe certes de justifier de la faute grave qu'elle invoque, de rapporter la preuve que M. X ne l'avait pas informée de la conclusion de son nouveau contrat.
En effet, dans la mesure où le contrat du 2 octobre 2008 prévoit que « l'agent informera la société représentée des nouvelles représentations qu'il assume », il s'en déduit nécessairement qu'en cas de contestation, c'est à l'agent qu'il appartient de démontrer qu'il a satisfait à son obligation.
Quant au caractère concurrent des deux entreprises pour le compte desquelles M. X a cru pouvoir s'engager simultanément, il résulte amplement des éléments du dossier, notamment des extraits de catalogues versés aux débats qui démontrent que la société Tres France comme la société Horus commercialisent toutes deux des éléments de robinetterie destinés aux cuisines et salles de bain, ces catalogues faisant même apparaître des produits très semblables sur le plan esthétique comme au regard de leur fonction.
A cet égard, c'est en vain que M. X soutient que les produits Horus seraient d'une qualité supérieure à celle des produits Tres, une telle affirmation étant en effet subjective alors par ailleurs qu'elle est contredite par la société intimée qui précise disposer quant à elle de trois gammes de produits, de la plus basique à la plus luxueuse.
En tout état de cause et en dépit d'une différence éventuelle de qualité, tous ces produits sont substituables les uns aux autres.
En d'autres termes, en se voyant proposer des robinets Horus, les clients prospectés par M. X sont susceptibles de renoncer à acheter ces robinets Tres, et réciproquement.
C'est encore en vain que M. X fait valoir que les deux sociétés utilisent des réseaux de distribution distincts, les produits Horus étant destinés aux salles d'exposition et aux grossistes, alors que les produits Tres ne seraient vendus qu'à des entreprises indépendantes.
En effet et au-delà de ces différences, il n'en demeure pas moins que pour le consommateur final, tout robinet acheté dans le réseau Horus ne le sera plus dans le réseau Tres, et réciproquement.
Au surplus, M. X reconnaît lui-même l'existence d'au moins un client commun aux deux réseaux (CBS Bretagne).
Enfin et plus généralement, la présence de l'agent commercial de la société Tres France sur le stand de la société Horus pour représenter les produits de celle-ci était de nature à créer auprès de la clientèle un risque de confusion entre les deux entreprises.
A tout le moins, ce risque nécessitait que M. X informe la société Tres France de son souhait de travailler simultanément pour la société Horus, afin que la première puisse vérifier la compatibilité entre les deux mandats et, le cas échéant, qu'elle puisse s'y opposer, conformément aux prévisions de l'article L 134-3 du code de commerce.
M. X ne démontrant pas l'avoir fait, il est établi qu'il a manqué à ses obligations contractuelles et, par là même, qu'il a commis une faute qui doit être qualifiée de grave au sens de l'article L. 134-13 en ce qu'elle a porté atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rendu impossible le maintien du lien contractuel noué avec la société Tres France.
Cette faute justifiant à elle seule la résiliation du contrat aux torts exclusifs de l'agent, il n'y a pas lieu de rechercher si la baisse de son chiffre d'affaires constituait également une faute grave.
Sur les demandes indemnitaires formées par M. X par suite de la rupture du contrat:
L'article L. 134-12 dispose que l'indemnité de rupture du contrat d'agent commercial n'est pas due, notamment, lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent.
M. X ne peut donc prétendre à aucune indemnité à ce titre.
De même, l'article L 134-11 prévoit que les délais de préavis prévus en cas de rupture du contrat ne s'appliquent pas, notamment, lorsque celui-ci prend fin en raison d'une faute grave de l'une des parties.
M. X ne peut donc prétendre à aucune indemnité à ce titre.
De même, il ne saurait prétendre à aucune indemnité pour rupture brutale du contrat, étant encore rappelé que la société Tres France était fondée, du fait même de la faute grave commise par M. X, à mettre fin à la relation contractuelle sans préavis, alors par ailleurs qu'il n'est pas établi que cette rupture se soit accompagnée d'actes vexatoires, la lettre du 18 novembre 2017 étant en effet rédigée en des termes objectifs et au surplus exempte de tous propos humiliants ou agressifs.
Sur la demande indemnitaire formée par M. X pour déloyauté dans l'exécution du contrat :
M. X réclame la condamnation de la société Tres France au paiement d'une indemnité de 5 000 en réparation du préjudice qui lui aurait été causé par ce qu'il estime être une déloyauté de sa mandante qui, par un avenant en date du 12 mai 2014, lui a imposé de réduire son périmètre de prospection commerciale en lui interdisant désormais de démarcher de nouveaux cuisinistes.
De fait, M. X produit la copie d'une lettre du 12 mai 2014, qualifiée « d'avenant au contrat du 2/10/2008 - segment clientèle cuisiniste », lettre qu'il reconnaît avoir reçue mais qu'il affirme n'avoir jamais acceptée, aux termes de laquelle la société Tres France lui « confirme sa décision de séparation du réseau cuisiniste sur l'ensemble du territoire » et lui indique ainsi « qu'au vu de la particularité de ce réseau de vente mais également des faibles résultats obtenus ces dernières années, Tres se réserve donc, à partir du 15 mai 2014, le droit de visite de la clientèle spécialisée cuisiniste ».
Finalement et aux termes de cette lettre, la société Tres France notifie à M. X sa « décision de libérer le type de clientèle cuisiniste sur l'ensemble du secteur qui [lui] est assigné » et, par suite, lui demande « de ne plus les visiter », lui « proposant » seulement de lui « maintenir » les clients cuisinistes qu'il a lui-même « créés au cours des dernières années », dont une liste nominative figure au bas de la lettre.
Au vu de ce courrier, force est de constater que la société Tres France a tenté d'imposer à son agent une réduction de son périmètre de prospection, alors même qu'il bénéficiait jusqu'alors d'un droit exclusif de représentation de la société, y compris pour la vente aux cuisinistes.
Ce procédé, nécessairement défavorable à l'agent puisqu'il a pour effet de réduire ses gains potentiels de commissions, n'est pas admissible dans la mesure où il n'est assorti d'aucune contrepartie financière ou concession d'un nouveau secteur géographique de prospection.
De même, c'est en vain que la société Tres France prétend que M. X a accepté cette modification et que, dès lors, « c'est le consensualisme qui prime ».
Au contraire, la société ne démontre pas cette acceptation, M. X n'ayant jamais signé cet avenant, alors même que la lettre du 12 mai 2014 l'invitait formellement à le faire.
Certes, il ne justifie pas avoir protesté en son temps contre le procédé que la société Tres France prétendait lui imposer.
Le pouvait-il seulement en cours de contrat, sauf à risquer un contentieux avec celle qui était alors encore sa mandante.
Toujours est-il qu'il proteste aujourd'hui, alors qu'il est toujours recevable à le faire puisqu'ayant formé sa demande indemnitaire de ce chef par conclusions de première instance notifiées dès le 26 février 2019, soit moins de cinq ans après l'avenant litigieux.
Il est donc établi que la société Tres France a manqué à ses obligations contractuelles, cette faute justifiant qu'elle soit condamnée à indemniser le préjudice qui en est résulté pour son cocontractant et ce, par application de l'article 1147 ancien du code civil.
En l'occurrence et quand bien même la vente aux cuisinistes dégageait de « faibles résultats » ainsi que la société Tres l'affirme dans sa tentative d'avenant, pour autant ce secteur d'activité procurait certaines commissions à M. X, sa mandante ayant d'ailleurs accepté, en dépit de la décharge qu'elle prétendait lui imposer, qu'il conserve la clientèle qu'il avait créée dans ce secteur.
Ainsi, en perdant la possibilité de prospecter de nouveaux clients cuisinistes, M. X a au moins subi une perte de chance de développer cette activité et d'en percevoir les revenus supplémentaires.
D'ailleurs, la société Tres France reconnaît elle-même que son agent a connu une baisse de son chiffre d'affaires depuis l'année 2014, soit depuis l'époque à laquelle il a dû réduire son périmètre de prospection, la lettre de rupture du contrat évoquant les chiffres suivants :
CA 2013 : 187 333,20
CA 2014 : 152 612,60
CA 2015 : 132 087,58
Or, cette diminution du chiffre d'affaires réalisé par M. X ne peut pas être la conséquence d'un transfert d'activité au profit de la société Horus, puisque ce n'est qu'en mars 2016 que ce nouveau contrat d'agence a été conclu.
Plus certainement, cette baisse d'activité pour le compte de la société Tres France doit être mise sur le compte d'une diminution du secteur de prospection concédé à M. X qui, au contraire et jusqu'alors, bénéficiait d'un accroissement régulier de son activité.
En conséquence et à titre de réparation du préjudice subi par M. X du fait du manquement contractuel incombant à la société Tres France, ce préjudice consistant en une perte de chance pour l'agent de continuer à développer son activité, par là même de percevoir les commissions y afférentes et ce, pendant plusieurs années, la société Tres France sera condamnée à payer à M. X une indemnité de 5 000 .
Le jugement sera infirmé en ce sens.
Sur les demandes reconventionnelles de la société Tres France :
Ladite société sollicite d'abord la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné M. X à lui payer une indemnité de 5 000 pour déloyauté dans l'exécution du contrat, la société Tres France reprochant en effet à son ex-agent d'avoir souscrit à son insu un autre contrat de représentation commerciale d'une entreprise concurrente.
Pour s'y opposer, M. X maintient qu'il n'a pas été déloyal, réaffirmant d'une part que la société Tres France était informée de ce nouveau contrat, d'autre part que les produits commercialisés par la société Horus n'étaient pas concurrents de ceux commercialisés par la société Tress France.
Cependant et ainsi qu'il vient d'être jugé, M. X ne justifie pas avoir satisfait à son obligation d'information envers sa mandante ; par ailleurs, il est établi que les produits Horus sont sinon directement concurrents des produits Tres, à tout le moins substituables à ceux-ci, de sorte que la société Tres France avait le droit de refuser que son agent travaille pour la société Horus.
La déloyauté de M. X dans l'exécution de son contrat est donc établie, la société Tres France étant dès lors fondée à réclamer l'indemnisation du préjudice, au moins moral, qui en est résulté pour elle et que la cour évaluera, au vu du contexte de l'affaire, à la somme de 1 500 €, le jugement devant être infirmé en ce sens.
La société Tres France réclame également la condamnation de son ex-agent au paiement d'une indemnité de 12.047,20 € pour concurrence déloyale, faisant essentiellement valoir qu'en travaillant pour la société Horus à partir de l'année 2016, M. X a fortement diminué le chiffre d'affaires qu'il rapportait à la société Tres, et ce, désormais au profit de du CA réalisé pour le compte de sa concurrente, l'indemnité qu'elle réclame correspondant à la perte cumulée des CA réalisés en 2016 et 2017 par rapport à la moyenne des CA réalisés au cours des années précédentes.
Contrairement aux affirmations de M. X, cette demande est recevable, dès lors en effet que la société Tres France ne la fonde pas sur le terrain de la concurrence déloyale délictuelle de l'article 1240 du code civil, cette demande reposant en effet toujours sur le manquement de son ex-agent à son engagement contractuel de ne pas concurrencer sa mandante pendant le cours du contrat.
Pour autant, c'est à juste titre que les premiers juges, pour débouter la société Tres France de cette demande, ont retenu qu'il n'était pas établi que cette baisse de chiffre d'affaires soit directement liée à la nouvelle représentation des produits Horus par M. X.
Ainsi et quand bien même les produits Horus et Tres étaient substituables, la société Tress France ne rapporte pas la preuve qu'aucun de ses clients l'ait quittée pour travailler désormais avec la société Horus, ni même qu'aucun d'entre eux n'ait diminué ses achats Tres pour les convertir en achats Horus. En effet, si elle déplore, à titre d'exemple, la diminution de ses ventes avec son client Soleo (passées de 13 023,24 en 2015 à 6 347,36 en 2016), pour autant M. Xproduit une attestation du représentant de ce client qui affirme n'avoir jamais acheté de robinetterie Horus en 2015-2016-2017.
En conséquence et faute pour la société Tres France de justifier d'un préjudice économique en relation avec la déloyauté contractuelle de son ex-agent, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société de sa demande indemnitaire de ce chef.
Sur les autres demandes :
Chacune des parties conservera la charge des frais irrépétibles qu'elle a pu exposer tant en première instance qu'en cause d'appel.
Enfin et compte tenu de la succombance partielle de chacune des parties, il convient d'ordonner le partage par moitié des entiers dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour :
- déboute la société Tres France de sa demande tendant à voir écarter des débats les dernières conclusions notifiées par M. X de même que sa pièce n° 17 ;
- infirme le jugement en ce qu'il a condamné M. X à payer à la société Tres France une indemnité de 5 000 pour déloyauté contractuelle, en ce qu'il a débouté M. X de sa demande indemnitaire pour déloyauté contractuelle de la société Tres France, en ce qu'il a condamné M. X à payer à la société Tres France une somme de 2.000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile, enfin en ce qu'il a condamné M. X aux entiers dépens de première instance ;
- confirme le jugement pour le surplus de ses dispositions ;
- statuant à nouveau des chefs d'infirmation, et y ajoutant :
- condamne M. X à payer à la société Tres France une indemnité de 1 500 pour déloyauté contractuelle ;
- condamne la société Tress France à payer à M. X une indemnité de 5 000 pour déloyauté contractuelle ;
- déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
- déboute les deux parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- partage par moitié les entiers dépens de première instance et d'appel.