CA Caen, 1re ch. civ., 8 février 2022, n° 19/01368
CAEN
Arrêt
Infirmation partielle
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guiguesson
Conseillers :
Mme Velmans, M. Gance
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :
Le 16 novembre 2017, la société D. a vendu à Mme R. un véhicule de marque Suzuki moyennant paiement d'un prix de 14 990 euros.
Par acte du 10 octobre 2018, elle a fait assigner la société D. devant le tribunal de grande instance de Lisieux afin de la voir condamnée à titre principal à remplacer le véhicule acquis par un véhicule quatre roues motrices d'un kilométrage équivalent et à titre subsidiaire à faire procéder à ses frais à une mise en conformité du véhicule par sa transformation en un véhicule quatre roues motrices.
Par jugement du 28 février 2019 auquel il est renvoyé pour un exposé complet des prétentions en première instance, le tribunal de grande instance de Lisieux a :
- débouté Mme R. de sa demande principale tendant à voir condamner la société D. au remplacement du véhicule acquis par un véhicule quatre roues motrices d'un kilométrage équivalent
- condamné la société D. à procéder ou à faire procéder à ses frais à la transformation du véhicule acquis par Mme R. en un véhicule quatre roues motrices
- condamné la société D. à payer à Mme R. la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts
- condamné la société D. à payer à Mme R. la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles
- condamné la société D. à payer les dépens
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision.
Par déclaration du 3 mai 2019, Mme R. a formé appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 30 juin 2020, elle demande à la cour de :
- infirmer la décision entreprise en ce qu'elle :
*l'a déboutée de sa demande principale tendant à voir condamner la société D. au remplacement du véhicule acquis par un véhicule quatre roues motrices
*a condamné la société D. à procéder ou à faire procéder à ses frais à la transformation du véhicule
- confirmer la décision en ce qu'elle :
*a condamné la société D. à lui payer la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles
*a condamné la société D. à payer les entiers dépens
statuant à nouveau dans cette limite,
à titre principal :
- condamner la société D. au remplacement du véhicule Suzuki par un véhicule quatre roues motrices Suzuki S Cross 1.6 Ddis Allgrip d'un kilométrage équivalent (pouvant se situer dans une fourchette comprise entre 26 136 et 50 000 kilomètres) à celui acquis le 16 novembre 2017
- débouter la société D. de toutes demandes contraires au présent dispositif
à titre subsidiaire :
- condamner la société D. à lui payer la somme de 8 000 euros au titre d'une restitution partielle du prix
en tout état de cause :
- débouter la société D. de son appel incident tendant à voir voir :
* à titre principal, infirmer le jugement du 28 février 2019 et statuant à nouveau dire et juger que les conditions de la garantie légale de conformité ne sont pas réunies
* à titre subsidiaire, confirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de remplacement du véhicule
* réduire à de plus justes proportions la demande de restitution partielle du prix de vente qui ne saurait être supérieure à 10 % du prix d'achat du véhicule, soit la somme de 1 499 euros
* la condamner à lui payer une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
* la condamner aux entiers dépens
- condamner à titre principal la société D. à lui payer une somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts en raison du manquement à ses obligations légales, ou à défaut, confirmer le jugement du 28 février 2019 en ce qu'il a condamné la société D. à lui verser une somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts
- condamner la société D. à lui payer la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel en ce compris les frais de constat d'huissier réalisé par Me M. du 24 avril 2018 de 241 euros
- condamner la société D. aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 11 juin 2020, la société D. demande à la cour de :
à titre principal :
- infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Lisieux du 28 février 2019
statuant à nouveau :
- dire et juger que les conditions de la garantie légale de conformité ne sont pas réunies
- en conséquence, débouter Mme R. de l'ensemble de ses demandes
à titre subsidiaire :
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme R. de sa demande de remplacement du véhicule
- infirmer le jugement pour le surplus
statuant à nouveau,
- dire et juger que la transformation du véhicule est impossible
- réduire à de plus justes proportions la demande de restitution partielle du prix de vente, qui ne saurait être supérieure à 10 % du prix d'achat du véhicule, soit la somme de 1 499 euros
- débouter Mme R. de l'intégralité de ses demandes complémentaires
en toute hypothèse,
- condamner Mme R. à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- condamner Mme R. aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture de l'instruction a été prononcée le 10 novembre 2021.
Pour l'exposé complet des prétentions et de l'argumentaire des parties, il est expressément renvoyé à leurs dernières écritures susvisées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
L'article L. 217-4 du code de la consommation dans sa version antérieure à l'ordonnance n°2021-1247 du 29 septembre 2021 dispose que le vendeur livre un bien conforme au contrat et répond des défauts de conformité existant lors de la délivrance.
Conformément aux dispositions de l'article L. 217-5 dans sa version applicable au litige, le bien est conforme au contrat:
2° s'il présente les caractéristiques définies d'un commun accord par les parties ou est propre à tout usage spécial recherché par l'acheteur, porté à la connaissance du vendeur et que ce dernier a accepté.
Il résulte des articles L.127-9 et L. 217-10 dans leur version applicable au litige qu'en cas de défaut de conformité, l'acheteur choisit entre la réparation et le remplacement du bien. Toutefois, si la réparation et le remplacement du bien sont impossibles, l'acheteur peut rendre le bien et se faire restituer le prix, ou garder le bien et se faire rendre une partie du prix.
En l'espèce, aux termes du bon de commande du 10 novembre 2017 et de la facture du 16 novembre 2017, Mme R. (consommatrice) a acquis auprès de la société D. un véhicule de marque Suzuki, 'désignation S CROSS 1.6 DDIS ALLGRIP, genre VP, millésime 2015, puissance 6, places 5, énergie GO, carrosserie conduite intérieure 5, kilométrage 26136, couleur noir'.
L'indication 'ALLGRIP' signifie que le véhicule est équipé de quatre roues motrices.
Or, il est établi par le procès-verbal de constat du 24 avril 2018 que le véhicule ne comporte que deux roues motrices.
Le garage D. soutient que la mention 'All Grip' sur le bon de commande est une erreur purement matérielle.
Pour en justifier, il se fonde sur les déclarations écrites de son ancien salarié qui indique que lors de la mise en route du véhicule, il n'a jamais été fait état d'un mode de fonctionnement quatre roues motrices (pièces n° 7 et 8).
Toutefois, il n'a pas non plus été précisé qu'il ne s'agissait pas d'un véhicule quatre roues motrices. Il résulte simplement de ces déclarations écrites que cet aspect n'a pas été abordé.
Il n'est pas possible d'en déduire que l'acheteuse savait qu'il ne s'agissait pas d'un véhicule quatre roues motrices.
Mme R. fournit trois déclarations écrites de proches indiquant que celle-ci a toujours parlé de son véhicule comme d'un véhicule quatre roues motrices.
Enfin, elle n'a aucune compétence particulière en matière de véhicule automobile, étant rappelé qu'elle exerce la profession de bouchère.
Ainsi, il est établi que le véhicule acquis n'est pas conforme aux caractéristiques définies d'un commun accord par les parties (en particulier celles mentionnées sur le bon de commande). En outre, il n'est pas démontré que Mme R. avait connaissance du défaut de conformité ou qu'elle ne pouvait l'ignorer lorsqu'elle a contracté.
Les parties s'accordent sur le fait que le véhicule n'est pas réparable, c'est à dire qu'il n'est pas techniquement transformable en un véhicule quatre roues motrices. Elles sollicitent en effet toutes deux l'infirmation du jugement sur ce point qui sera donc prononcée.
En revanche, les parties s'opposent sur la possibilité de remplacer le véhicule par un véhicule conforme.
Il est en effet exact que la société D. a proposé à Mme R. un véhicule quatre roues motrices en remplacement du véhicule acquis sous condition d'une participation financière de 1500 euros.
Toutefois, il s'agissait d'un véhicule différent puisqu'il datait de 2016 et présentait une finition supérieure à celle du véhicule acquis par Mme R..
Dans son courrier du 12 juin 2008, l'intimée rappelle que le véhicule objet du litige n'existe pas en version Allgrip, c'est à dire quatre roues motrices.
Mme R. ne produit aucune pièce qui viendrait contredire cette affirmation.
Il résulte de ces observations que le remplacement du véhicule d'occasion acquis par Mme R. par un véhicule équivalent équipé de quatre roues motrices est matériellement impossible.
Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté Mme R. de sa demande tendant au remplacement du véhicule.
Mme R. sollicite à titre subsidiaire la restitution partielle du prix de vente à hauteur de 8000 euros.
Le véhicule a été vendu à Mme R. au prix de 14990 euros, soit 13990 euros à régler après imputation de la valeur du véhicule repris (1500 euros).
La somme de 8 000 euros réclamée par Mme R. correspond à la différence entre le prix auquel le véhicule a été vendu à Mme B. en mars 2015 et le prix auquel il lui a été revendu deux ans plus tard, soit 22 990 euros - 14 990 euros = 8 000 euros.
Toutefois, dans son courrier du 25 avril 2018, l'intimée rappelle que la valeur d'un véhicule équipé de quatre roues motrices est supérieure de 2000 euros à celui qui a été vendu.
Cette affirmation est corroborée par le prix indiqué pour le véhicule de 'remplacement' allégué par Mme R. (pièce n° 6) ainsi que par les informations fournies par l'intimée dans son courrier du 12 juin 2018 (pièce n° 2).
Compte tenu de la perte de valeur du véhicule après sa mise en circulation telle qu'elle résulte de la différence entre les prix de vente susvisés, la restitution du prix sera fixée à hauteur de 1500 euros.
La société intimée sera donc condamnée à restituer à Mme R. la somme de 1500 euros à titre de restitution partielle du prix (celle-ci conservant le véhicule).
Cette dernière sollicite des dommages et intérêts à hauteur de 2000 euros au titre du préjudice lié aux tracas et soucis issus de la procédure et au non-respect de ses obligations par le vendeur.
Toutefois, s'il est exact que Mme R. a subi un préjudice lié aux tracas afférents à la non conformité, en revanche, ce préjudice est inférieur à celui qui est allégué. En effet, dés le 12 juin 2018, l'intimée lui a proposé de lui régler 1500 euros à titre de compensation financière ce qui correspond à la restitution partielle du prix qui est ordonnée.
Ce préjudice sera donc évalué à hauteur de 1000 euros.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société intimée à payer 1000 euros de dommages et intérêts à Mme R..
Le principe d'une non-conformité étant retenu comme en première instance, le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépététibles.
Succombant partiellement, la société D. sera condamnée aux dépens d'appel.
Il est équitable de débouter les parties de leurs demandes au titre des frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort par mise à disposition au greffe ;
Confirme le jugement en date du 28 février 2019 sauf en ce qu'il a condamné la société D. à procéder ou faire procéder à ses frais à la transformation du véhicule ;
L'infirme de ce chef ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne la société D. à payer à Mme R. la somme de 1500 euros à titre de restitution partielle du prix ;
Condamne la société D. aux dépens d'appel ;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires comme précisé aux motifs.