CA Montpellier, 2e ch. soc., 9 février 2022, n° 18/00299
MONTPELLIER
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
King Memphis (Sasu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Masia
Avocats :
Me Guy, Me Bensoussan, Me Lefebvre, Me Vidal
FAITS ET PROCÉDURE
La SASU King Memphis, spécialisée dans le domaine de la restauration, exploite un concept de restauration sur le modèle des « diners » américains des années 50 et a créé un réseau de franchise destiné à le promouvoir en France.
Le 15 février 2013, la SASU King Memphis a concédé à la SARL Menphis Narbonne en cours de constitution représentée par MM. X et Y en qualité de cogérants, le droit d'exploiter un restaurant lui appartenant, sous l'enseigne « Memphis Coffee » à Narbonne, dans le cadre d'un contrat de franchise.
Le 18 novembre 2015, faisant valoir que sa situation de gérant de la SARL Menphis Narbonne devait être requalifié en qualité de gérant salarié de succursale et que des rappels de salaire lui étaient dus, M. X a saisi le conseil de prud'hommes de Narbonne.
Son associé M. Y a fait de même.
Le 25 novembre 2015, MM. X et Y ainsi que la SARL Memphis Narbonne ont assigné la SASU King Memphis devant le tribunal de commerce de Marseille à titre principal, en annulation du contrat de franchise pour dol, à titre subsidiaire pour absence de cause, à titre infiniment subsidiaire aux fins de voir prononcer la résiliation du contrat aux torts du franchiseur et de condamner celui-ci à leur payer diverses sommes.
La procédure devant le tribunal de commerce est la suivante :
- par jugement du 28 février 2017, le tribunal de commerce a pour l'essentiel déclaré les demandeurs irrecevables en leurs demandes.
- par arrêt du 3 avril 2019, la Cour d'appel de Paris a pour l'essentiel déclaré les demandeurs recevables en leurs demandes mais les en a déboutés.
- par arrêt du 14 avril 2021, estimant que les moyens de cassation n'étaient manifestement pas de nature à entraîner la cassation, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi.
La procédure devant le conseil de prud'hommes est la suivante :
par jugement de départage du 16 mars 2018, le conseil de prud'hommes a :
- débouté la société King Memphis de son exception d'incompétence,
- dit que les critères de l'article L. 7321-2 du Code du travail ne sont pas réunis et par conséquent a débouté M. X de l'intégralité de ses demandes,
- débouté la société King Memphis de sa demande reconventionnelles en dommages et intérêts pour procédure abusive,
- condamné M. X à payer à la société King Memphis la somme de 1.500 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,ainsi qu'aux dépens.
Par déclaration du 16 mars 2018, M. X a régulièrement interjeté appel de ce jugement.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières conclusions enregistrées au RPVA le 29 mars 2021, M. X demande à la Cour, au visa des articles L. 7321-2, L. 7321-3, L. 8223-1 du Code du travail, 564, 565 du Code de procédure civile, de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a dit compétente la juridiction prud'homale ;
- le réformer pour le reste ;
- dire et juger qu'il existe un contrat de travail depuis le 13 novembre 2013 entre société King Memphis, en qualité d'employeur, et lui-même en qualité de gérant de succursale ;
- dire et juger qu'il a été licencié le 30 mai 2017 sans cause réelle et sérieuse ;
- dire et juger que la convention collective applicable est celle des Hôtels, Cafés, Restaurants ;
- dire et juger que sa fonction est celle de directeur, correspondant à la classification Niveau 5, échelon 3 et que son salaire mensuel pour 151,67 heures est de 3 129 brut ;
- condamner King Memphis à lui verser les sommes suivantes :
- 136 111,50 brut au titre du rappel des salaires dus et non versés depuis le 13 novembre 2013, soit à la date du licenciement 43,5 mois,
- 9 387 bruts au titre de son préavis,
- 18 774 bruts au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et procédure irrégulière,
- 1 095,15 au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement ;
- dire et juger la demande ayant trait au licenciement recevable au visa de l'article 565 du Code de procédure civile ;
A défaut, dire et juger que le contrat s'étant poursuivi, King Memphis doit reprendre le paiement des salaires depuis le 30 mai 2017 et verser ceux non payés (soit au 30 septembre 2018 la somme de 50 064 bruts, à parfaire à la date de l'arrêt) ;
- dire et juger qu'il était soumis à l'horaire collectif de travail et qu'il l'a dépassé ;
- condamner King Memphis à lui payer les sommes de
18 774 au titre de l'article L8223-1 du Code du travail ;
18 774 au titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
- condamner King Memphis à lui délivrer les bulletins de salaire conformes ;
- condamner King Memphis à lui payer la somme de 6 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- le condamner aux entiers dépens de l'instance, en ce compris les sommes prévues par les articles R. 444-3 et ses annexes, et A. 444-31 du Code de commerce, portant fixation du tarif des huissiers de justice en matière civile et commerciale, ajoutées en sus aux sommes auxquelles il sera condamné et laissées entièrement à sa charge ;
- débouter l'employeur de toutes ses demandes contraires et reconventionnelles.
Aux termes de ses dernières conclusions enregistrées au RPVA le 21 mai 2021, la SASU King Memphis demande à la Cour, au visa des articles L. 7321-2 et L. 8223-1 du Code du travail, 1382 du Code civil (ancien) et 32-1, 559 et 564 du Code de procédure civile, de
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. X de l'intégralité de ses demandes, en ce qu'il l'a condamné à lui payer la somme de 1 500 en application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens ;
- l'infirmer en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et statuant à nouveau sur ce point, recevoir son appel incident, le déclarer fondé et condamner M. X à lui payer la somme de 10 000 à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice né de la procédure abusive initiée à son encontre ;
En toute hypothèse, de déclarer irrecevable la demande nouvelle formée en appel par M. X en paiement de sommes au titre d'un prétendu licenciement sans cause réelle et sérieuse :
Et, à titre subsidiaire, de déclarer irrecevable, pour le même motif, sa demande en paiement de salaires depuis juin 2017 ;
- le débouter de toutes demandes, fins et prétentions ;
- le condamner à lui payer la somme de 15.000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'au paiement des entiers dépens d'appel, lesquels seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 18 octobre 2021.
Pour l'exposé des prétentions des parties et leurs moyens, il est renvoyé, conformément à l'article 455 du Code de procédure civile, à leurs conclusions ci-dessus mentionnées et datées.
MOTIFS
A titre liminaire, il y a lieu de relever que l'exception d'incompétence soulevée par la SASU King Memphis en première instance est abandonnée en cause d'appel.
Sur la requalification du contrat de franchise en un contrat de gérant salarié.
En application de l'article L. 7321-2 2° b) du Code du travail, « Est gérant de succursale toute personne dont la profession consiste essentiellement soit à recueillir les commandes ou à recevoir des marchandises à traiter, manutentionner ou transporter, pour le compte d'une seule entreprise, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par cette entreprise ».
Il résulte de ces dispositions légales que :
- la relation franchiseur/franchisé est supposée sans lien de subordination, le franchisé devant rester un entrepreneur indépendant tout au long de l'engagement contractuel,
- les trois conditions énoncées par l'article L. 7321-2 2° (approvisionnement exclusif ou quasi-exclusif auprès du franchiseur, local fourni ou agréé par celui-ci, conditions et prix imposés par celui-ci), lesquelles définissent une réelle dépendance économique, doivent être cumulativement remplies pour emporter requalification du contrat de franchise en un contrat de gérance de succursale,
- le contrat de franchise n'est requalifié en contrat de travail que lorsque l'existence d'un lien de subordination juridique est constaté.
En l'espèce, l'appelant qui sollicite la requalification du contrat de franchise en contrat de gérance salariée et en contrat de travail, fait valoir en substance d'une part,
- son absence d'autonomie dans la gestion de l'entreprise, le franchiseur ayant imposé à la fois le choix du local et son aménagement, les prix de revente sans lui laisser aucune marge de manoeuvre et l'obligation d'approvisionnement exclusif ou quasi-exclusif, le franchiseur exerçant un pouvoir de direction en matière de gestion de l'entreprise ; ce qui doit entraîner selon lui la requalification du contrat de franchise en contrat de gérant de succursale,
- l'existence d'un lien de subordination juridique entre eux, le franchiseur exerçant également un véritable pouvoir de direction, corollaire du lien de subordination ; ce qui doit entraîner selon lui la requalification du contrat en contrat de travail.
Il y a lieu de vérifier la réunion cumulative des trois conditions ci-dessus rappelées.
S'agissant de l'approvisionnement exclusif ou quasi-exclusif, l'appelant fait valoir qu'il lui était imposé des fournisseurs dépendant étroitement du franchiseur, lequel, sous couvert d'une centrale de référencement, se comportait en réalité comme une véritable centrale d'achats.
L'article 9-2-1 du contrat de franchise relatif à l'approvisionnement en fourniture (définie comme « les matières premières nécessaires au franchisé pour la réalisation des plats servis dans le restaurant franchisé ») est ainsi rédigé :
« En vue d'assurer l'homogénéité et la qualité des produits distribués par le réseau Memphis Coffee, indispensables à préserver son identité et sa réputation, le franchiseur a sélectionné et référencé des fournitures en vue de la réalisation des plats franchisés, répondant à des spécifications objectives de qualité, faisant l'objet de la présente franchise.
Le franchiseur s'engage à fournir périodiquement un fichier répertoriant les fournisseurs agréés du réseau et les fournisseurs susceptibles, en cas de carence, de les remplacer avec tous les renseignements commerciaux utiles, notamment leurs conditions générales de vente ainsi que les conditions particulières consenties aux franchisés.
A ce titre le franchisé s'engage à ne s'approvisionner en fournitures qu'auprès des fournisseurs agréés du réseau.
Toutefois, le franchisé pourra, s'il le désire, s'approvisionner pour lesdites fournitures auprès de tout autre franchisé Memphis Coffee ou succursale.
Dans l'hypothèse où pour une raison exceptionnelle, le franchisé ne pourrait se faire livrer en temps utile auprès du franchiseur ou de ses fournisseurs référencés, il pourra s'adresser au fournisseur de son choix, à la condition d'une part que cette hypothèse soit exceptionnelle, d'autre part qu'il ait averti préalablement le franchiseur de cette situation. (…) ».
L'article XII intitulé « Les fournisseurs » du « Guide de l'ouverture » produit aux débats par l'appelant contient en pages 50 et 51 la liste des fournisseurs référencés : Transgourmet, Relais d'Or, SDV, Brake France, Davigel, Memphis Product, La Compagnie des Desserts, Pomona Passion Froid, Pomona Terre Azur, France Boisson, Pommery, Metro, Café Folliet, Fidemaxx, Pointex, Silliker, SDI Ventilation et Rentokil.
Après avoir rappelé les termes de l'article 9-2-1 du contrat de franchise et examiné la liste des fournisseurs référencés par le franchiseur, les premiers juges ont, à raison, retenu que, hormis la société Memphis Product, filiale de la SASU King Memphis, tous les autres fournisseurs étaient des entreprises indépendantes de cette dernière, qu'il n'était pas démontré l'existence d'un lien de dépendance économique entre celles-ci et le franchiseur et qu'au surplus le franchisé avait la possibilité, à titre exceptionnel, de se fournir auprès d'entreprises non agréées.
Il doit être ajouté qu'au vu de la liste des produits de la filiale Memphis Product contenue dans le Guide de l'ouverture pages 62 à 65, celle-ci n'est pas le fournisseur quasi-exclusif du franchisé puisque ne sont concernés que les consommables (par exemple : pailles, gobelets enfants, sets de table Memphis), la vaisselle, la publicité sur le lieu de vente, la papeterie et les tenues des personnels.
En conséquence, il n'existe pas de lien exclusif ou quasi-exclusif avec le franchiseur dès lors que l'approvisionnement de marchandises s'effectue auprès de sociétés distinctes de celui-ci, en sorte que l'affirmation selon laquelle la SASU King Memphis constituerait une centrale d'achats n'est pas étayée.
Dans la mesure où l'une des trois conditions cumulatives prévues à l'article L. 7321-2 n'est pas remplie, l'appelant doit être débouté de sa demande tendant à lui voir reconnaître la qualité de gérant de succursale, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres critères.
Il s'ensuit que l'appelant doit être débouté de ses demandes de requalification du contrat de franchise en contrat de gérance de succursale.
Sur la relation salariée.
Il résulte des articles L. 1221-1 et L. 1221-2 du Code du travail que le contrat de travail suppose un engagement à travailler pour le compte et sous la subordination d'autrui moyennant rémunération.
En l'absence d'un contrat de travail écrit, c'est à celui qui allègue l'existence d'un tel contrat d'en rapporter la preuve.
Le contrat de travail se caractérise par un lien de subordination juridique qui consiste pour l'employeur à donner des ordres, à en surveiller l'exécution et, le cas échéant, à en sanctionner les manquements.
En l'espèce, l'appelant fait valoir qu'un lien de subordination existait entre lui et la SASU King Memphis dans la mesure où il recevait des instructions précises relatives à la gestion du commerce et du personnel, aux prix pratiqués, aux fournisseurs.
Pourtant, il ressort des pièces n° 29 et 30 du dossier de l'intimée que l'appelant décidait du prix de vente de produits, lequel pouvait être fixé en dehors de la fourchette de prix conseillée par le franchiseur, sans pour autant que des sanctions soient prononcées à son encontre.
S'il est constant que le cahier des charges impose un service en continu, il n'est pour autant pas établi par le franchisé que le franchiseur serait intervenu s'agissant des horaires précis d'ouverture et de fermeture du restaurant.
Dans son courriel adressé le 21 octobre 2014 au franchiseur, la SARL Memphis Coffee a fait part à ce-dernier des difficultés économiques qu'elle rencontrait, précisant « nous avons pris les devants en réduisant notre masse salariale (un départ est encore prévu), mais maintenant nous ne pouvons plus trop la réduire car nous risquons de nous mettre en danger et d'être moins efficace période d'affluence. Nous nous efforçons de réduire les stocks pour conserver une marge satisfaisante, mais malgré tout cela la situation ne s'améliore pas car la fréquentation ne cesse de baisser.(…)
Nous nous tournons vers vous afin de nous conseiller et de trouver avec vous et l'ensemble du réseau des solutions pour nous aider à sortir de cette impasse. Nous allons convenir d'un rendez vous avec le cabinet comptable après les vacances et aimerions nous entretenir également avec vous par la suite. (...) »
Ainsi que l'a justement relevé le conseil de prud'hommes, il résulte de ce courriel qu'en décidant seuls de réduire la masse salariale, les gérants de la SARL Memphis Narbonne, dont M. X, ont mis en oeuvre les prérogatives relevant du seul pouvoir du chef d'entreprise, à savoir décider de rompre des contrats de travail pour tenter de maintenir l'entreprise en bonne santé économique.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'intimé disposait du pouvoir d'embaucher et de licencier mais également de fixer les prix de vente des produits proposés à la clientèle et encore de fixer les horaires d'ouverture et de fermeture du restaurant ainsi que les horaires de travail des salariés.
Certes, l'article 30 du contrat de franchise stipule que la résiliation interviendra de plein droit notamment en cas de non-respect d'une disposition de l'article 29.
Mais, contrairement à ce que soutient l'intimé, cette disposition est en adéquation avec la finalité du contrat de franchise.
En effet, le respect de normes imposées par le franchiseur est de l'essence même du contrat de franchise et constitue la contrepartie de la notoriété de la marque dont bénéficie le franchisé.
Faute de démonstration de l'existence d'un lien de subordination, il n'est pas établi que les parties travaillaient dans le cadre d'une relation salariée.
Sur la demande reconventionnelle pour procédure abusive.
L'article 1240 du Code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
En l'espèce, il n'est pas démontré que les circonstances de la saisine de la juridiction prud'homale puis de la cour d'appel seraient de nature à faire dégénérer l'exercice de l'action en justice en faute.
La demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts sera rejetée.
Le jugement critiqué sera confirmé dans son intégralité.
Sur les demandes accessoires.
L'appelant sera tenu aux entiers dépens.
Il est équitable de le condamner à payer à l'intimée la somme de 2 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais exposés en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, après en avoir délibéré, par arrêt mis à disposition au greffe ;
CONFIRME l'intégralité des dispositions du jugement du 15 février 2018 du conseil de prud'hommes de Narbonne ;
Y ajoutant,
CONDAMNE M. X à payer à la SASU King Memphis la somme de 2 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNE M. X aux entiers dépens.