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Décisions

Cass. 2e civ., 2 novembre 2011, n° 10-30.907

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Avocats :

Me Bertrand, Me Carbonnier, SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Piwnica et Molinié

Bordeaux, du 1 juill. 2010

1 juillet 2010

Sur le moyen unique du pourvoi incident qui est recevable :

Attendu que la société Tonnellerie Sylvain fait grief à l'arrêt d'avoir dit que le brevet était valide dans ses revendications 1 à 14 prises ensemble alors, selon le moyen :

1°) qu'une invention est considérée comme nouvelle si elle n'est pas comprise dans l'état de la technique ; que la divulgation résultant d'un tiers auquel l'inventeur a divulgué l'invention est destructrice de nouveauté dès lors que ce tiers n'était pas lié par une clause de confidentialité expresse ; qu'en jugeant que la divulgation résultant de la vente par la société Mecanic Worker de l'outil permettant la confection de barriques reproduisant le procédé breveté par la société Groupe Vicard à la société John Cooper en janvier 2000, ne pouvait être valablement prise en compte comme antériorité du brevet, car elle résulterait d'un manquement contractuel de cette société, sans constater que la société Groupe Vicard aurait sollicité et obtenu un engagement de confidentialité de sa part et après avoir jugé qu'il n'était pas même « établi par les pièces du dossier que la société Groupe Vicard avait informé la société Mecanic Worker de son intention de breveter le bouvetage autoserrant garantissant l'étanchéité des fonds de barriques », la cour d'appel a violé les articles L. 611-11 et L. 611-13 du code de la propriété intellectuelle ;

2°) qu'une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d'une manière évidente de l'état de la technique ; qu'en présence d'une revendication principale suivie de revendications dépendantes, les juges du fond doivent, pour conclure à la validité d'un brevet, rechercher si la revendication principale implique, en elle-même, une activité inventive ; qu'en validant les revendications 1 à 11 du brevet litigieux sans rechercher si la revendication principale impliquait, en elle-même, une activité inventive, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 611-14 du code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu, d'une part, que l'arrêt relève, par motifs propres et adoptés, que la société Mecanic Worker a divulgué, dans les six mois précédant le dépôt de la demande de brevet, à la société John Cooper, et à l'insu de la société Groupe Vicard, un porte outils permettant de réaliser des barriques selon le procédé breveté ; qu'il relève encore que la responsabilité de la société Mecanic Worker, vis à vis de la société Groupe Vicard, se trouve engagée pour non respect de la confidentialité des recherches effectuées par cette dernière pour améliorer un outil préexistant mais affecté nouvellement à la tonnellerie dans un but d'étanchéité ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations souveraines, dont il se déduit que la divulgation de l'invention par la société Mecanic Worker a été effectuée en violation d'un engagement de confidentialité, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

Et attendu, d'autre part, qu'ayant retenu, par motifs propres et adoptés, que si le principe du rainurage latéral des lattes ou bouvetage était connu pour assembler et faire tenir ensemble des lattes, l'homme du métier, à savoir le tonnelier, avait dû vaincre un préjugé et avait fait preuve d'activité inventive en concevant d'assurer l'étanchéité des fonds de barrique en utilisant un bouvetage autoserrant, sans adjoindre ni joints ou goujons, ni colle, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche :

Attendu que la société Groupe Vicard fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté son action en contrefaçon à l'encontre de la société Tonnellerie Ludonnaise, alors, selon le moyen, que le juge doit statuer dans les termes du litige tels qu'ils sont fixés par les conclusions des parties ; que la société Tonnellerie Ludonnaise n'ayant pas contesté, dans ses conclusions signifiées les 23 avril et 6 mai 2010, que son produit constituait la reproduction du brevet n° 2 796 587 mais s'étant bornée à invoquer, subsidiairement à sa demande de nullité du brevet, l'exception de possession personnelle antérieure de l'invention et, plus subsidiairement, l'absence de preuve du préjudice résultant de la contrefaçon, la cour d'appel ne pouvait retenir que le produit critiqué ne constituait pas la contrefaçon du brevet opposé en l'absence de ressemblances suffisantes entre les caractéristiques essentielles des objets en présence sans violer l'article 4 du code de procédure civile ;

Mais attendu que la société Tonnellerie Ludonnaise ayant conclu à la confirmation du jugement en ce qu'il avait dit qu'elle n'avait pas commis d'actes de contrefaçon du brevet Vicard, sans formuler de ce chef de nouveaux moyens, était réputée s'en approprier les motifs ; que c'est dès lors sans méconnaître l'objet du litige que la cour d'appel a statué comme elle a fait ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche :

Vu l'article L. 613-2 du code de la propriété intellectuelle ;

Attendu que pour rejeter la demande en contrefaçon du brevet formée à l'encontre de la société Tonnellerie Sylvain, l'arrêt retient par motifs propres et adoptés que l'huissier ayant procédé à la saisie-contrefaçon avait noté une inclinaison des parties obliques des lattes selon un angle d'environ 25° au lieu de 30° et qu'aucun élément ne permettait d'affirmer que cette inclinaison était compatible avec l'angle de bouvetage auto-serrant à 30°, selon le brevet ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'étendue de la protection conférée par un brevet est déterminée par les revendications, la description et les dessins ne servant qu'à les interpréter, et qu'en ses revendications 1 à 7, dont la contrefaçon était invoquée, le brevet ne revendiquait pas un angle d'inclinaison particulier, l'angle de 30° ne faisant l'objet que de la revendication 8, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et sur ce moyen pris en sa cinquième branche et sur le second moyen pris en sa sixième branche, rédigés en termes identiques :

Vu l'article L. 615-1 du code de la propriété intellectuelle ;

Attendu que pour rejeter les demandes en contrefaçon, l'arrêt retient qu'aucun acte de contrefaçon, fût-ce par équivalence, n'est établi ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, après avoir relevé, par motifs propres et adoptés, que le brevet couvrait une fonction nouvelle consistant à maintenir l'assemblage des lattes du fond de barrique par un emboîtage à force sans recourir à un autre mode de fixation, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, malgré la différence de forme liée à la présence d'un jonc d'étanchéité entre les lattes, le moyen consistant à combiner ce joint à des lattes, dont les faces latérales comportaient des rainures, ne remplissait pas la même fonction en vue d'un résultat de même nature, même si celui-ci était d'un degré différent, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

REJETTE le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté l'action en contrefaçon des revendications 1 à 11 du brevet n° 0007395 exercée par la société Groupe Vicard à l'encontre des sociétés Tonnellerie Sylvain et Tonnellerie Ludonnaise, l'arrêt rendu le 1er juillet 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et pour être fait droit les renvoie devant la cour d'appel de Paris.