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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 10 février 2022, n° 19/00728

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Hutchinson (SNC)

Défendeur :

Imateg 93 Srl (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Prigent

Conseillers :

Mme Renard, Mme Soudry

T. com. Paris, du 20 sept. 2018, n° 2017…

20 septembre 2018

Faits et procédure :

La société Industria Manifatturiera Articoli Tecnici Della Gomma 93 SRL - Imateg 93 (ci-après « Imateg 93 ») est une société de droit italien spécialisée dans le moulage de produits techniques en caoutchouc pour les secteurs de l'électroménager et de l'automobile.

Les sociétés Hutchinson SA et Hutchinson SNC, du groupe Hutchinson, sont des entreprises françaises qui fabriquent et commercialisent des produits issus de la transformation du caoutchouc, destinées principalement aux industries automobile et aérospatiale.

Pendant l'année 2013, les parties se sont rapprochées afin de négocier un contrat d'achat par la société Hutchinson de pièces en caoutchouc fabriquées par la société Imateg et destinées à un client final, la société italienne Fiat.

Le 6 février 2014, un contrat cadre a été signé sous la forme d'une « lettre de nomination ».

Aux termes de ce contrat, la société Imateg 93 est devenue fournisseur de la société Hutchinson pour deux composants surmoulés en FKM / polyamide dénommés « Tuyaux Blow-By » ayant les références (« Part Number » (production site) n° 221812 et 221814.

Le contrat repose sur des « hypothèses commerciales » (« commercial assomptions ») prévoyant une moyenne annuelle de pièces à produire : 25.000 pour les pièces sous référence 221812 et 49.000 pour les pièces sous référence 221814.

Outre l'hypothèse de l'impact d'une variation des coûts des matières premières, les prix unitaires sont dégressifs en fonction des quantités « livrées/commandées ».

A partir de décembre 2015, les rythmes et volumes de commandes ont été réduits, conduisant progressivement à un arrêt définitif au premier semestre 2016.

Par acte en date du 9 mars 2017, la société Imateg 93 a assigné la société Hutchinson devant le tribunal de commerce de Paris afin qu'elle soit condamnée à lui verser les sommes suivantes :

- 376.307,48 euros sauf à parfaire, au titre de la violation de ses obligations contractuelles ;

- 254.777,23 euros sauf à parfaire, au titre du préjudice subi par la rupture brutale des relations commerciales établies ;

- 1.290.000 euros sauf à parfaire, au titre du préjudice subi en raison des circonstances de la rupture ainsi que du déséquilibre de la relation contractuelle.

Par jugement du 20 septembre 2018, le tribunal de commerce de Paris a :

- Donné acte de son intervention volontaire à la société Hutchison SNC.

- Donné acte à Industria Manifatturiera Articoli Tecnici Della Gomma 93 SRL - Imateg 93 de son désistement de ses demandes à l'encontre de la société Hutchison SA.

- Rejeté la fin de non-recevoir tirée du principe de non cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle.

- Dit que la relation est établie entre les parties.

- Condamné SNC Hutchinson à payer à Industria Manifatturiera Articoli Tecnici Della Gomma 93 SRL - Imateg 93, la somme de 80.000 euros au titre de l'absence de préavis.

- Débouté Industria Manifatturiera Articoli Tecnici Della Gomma 93 SRL - Imateg 93 de sa demande de dommages et intérêts au titre de la violation d'obligations contractuelles.

- Débouté Industria Manifatturiera Articoli Tecnici Della Gomma 93 SRL - Imateg 93 de sa demande de dommages et intérêts au titre des circonstances de la rupture et du déséquilibre de la relation contractuelle.

- Débouté SNC Hutchinson de sa demande reconventionnelle.

- Condamné SNC Hutchinson à payer à Industria Manifatturiera Articoli Tecnici Della Gomma 93 SRL - Imateg 93 la somme de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

- Dit les parties mal fondées en leurs moyens et demandes contraires aux termes du présent jugement, les en a débouté respectivement.

- Ordonné l'exécution provisoire du jugement sans constitution de garantie.

- Condamné SNC Hutchison aux entiers dépens.

Par déclaration du 9 janvier 2019, la société Hutchinson a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a :

- Rejeté la fin de non-recevoir tirée du principe de non cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle.

- Dit que la relation est établie entre les parties.

- Condamné la SNC Hutchinson à payer à Industria Manifatturiera Articoli Tecnici Della Gomma 93 SRL - Imateg 93, la somme de 80.000 euros au titre de l'absence de préavis.

- Débouté la SNC Hutchinson de sa demande reconventionnelle visant à voir Imateg condamnée à lui payer la somme de 171.834,62 euros.

- Condamné la SNC Hutchinson à payer à Industria Manifatturiera Articoli Tecnici Della Gomma 93 SRL - Imateg 93 la somme de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

- Ordonné l'exécution provisoire du jugement sans constitution de garantie.

- Condamné la SNC Hutchison aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 24 janvier 2020, la société Hutchinson demande à la cour de :

Vu les articles 56,122, 127 et 327 et suivants du code de procédure civile,

Vu les articles 1134 et 1147 du code civil,

Vu l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce,

- Réformer le jugement en ce qu'il a :

Rejeté la fin de non-recevoir tirée du principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle ;

Condamné Hutchinson au paiement de la somme de 80.000 euros ;

Rejeté la demande reconventionnelle d'Hutchinson.

Et statuant à nouveau de :

- Juger que les demandes d'Imateg contreviennent au principe de non-cumul ;

- Juger les demandes d'Imateg irrecevables ou en tout état de cause mal fondées ;

- Débouter Imateg de sa demande au titre de la rupture brutale d'une relation commerciale établie à raison de l'absence de relation commerciale établie ou de l'absence de brutalité de la rupture ou subsidiairement dire que la durée du préavis doit être limitée à 2 mois et débouter Imateg du fait du défaut de justification de la marge perdue alléguée ;

- Condamner Imateg à payer à la SNC Hutchinson, la somme 171.834,62 euros ;

- Confirmer le jugement en ce qu'il a :

Débouté Imateg de ses demandes au titre de la violation d'obligations contractuelles, des circonstances de la rupture, ainsi que du déséquilibre de la relation contractuelle.

- En tout état de cause, condamner Imateg à payer à la SNC Hutchinson la somme de 10.000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 26 mars 2021, la société Imateg 93 demande à la cour de :

Vu les articles 1134 et 1147 du code civil ;

Vu l'article L. 442-6 5° du code de commerce ;

- Confirmer le jugement en ce qu'il a :

- Rejeté la fin de non-recevoir tirée du principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle ;

- Dit que la relation commerciale est établie entre les parties ;

- Débouté SNC Hutchinson de sa demande reconventionnelle ;

Et de :

- Réformer le Jugement en ce qu'il a :

- Limité le montant alloué au titre de l'absence de préavis à 80.000 euros ;

- Débouté Imateg de sa demande de dommages et intérêts au titre de la violation d'obligations contractuelles ;

- Débouté Imateg de sa demande de dommages et intérêts au titre des circonstances de la rupture et du déséquilibre de la relation contractuelle ;

et statuant à nouveau :

- Condamner, la société Hutchinson SNC à verser à la société Imateg la somme de 376.532,48 euros sauf à parfaire, au titre de la violation de ses obligations contractuelles ;

- Condamner la société Hutchinson SNC à verser à la société Imateg la somme de 254.777,23 euros sauf à parfaire, au titre du préjudice subi par la rupture brutale des relations commerciales établies ;

- Condamner la société Hutchinson SNC à verser à la société Imateg la somme de 1.290.000 euros sauf à parfaire, au titre du préjudice subi en raison des circonstances de la rupture ainsi que du déséquilibre de la relation contractuelle ;

- Condamner la société Hutchinson SNC à verser à la société Imateg la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société Hutchinson SNC aux entiers dépens et à supporter la totalité des sommes engagées dans le cadre de la médiation.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 23 septembre 2021.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la fin de non-recevoir résultant du cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle

La société Hutchinson fait valoir qu'il n'est pas possible de solliciter la réparation d'un dommage se rattachant à l'exécution d'un contrat sur le fondement des deux régimes de responsabilité.

La société Imateg 93 répond que le principe du non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle n'interdit pas à une victime de formuler des demandes sur un fondement délictuel et sur un fondement contractuel dès lors que le fondement et le préjudice sont différents.

La société Imateg 93 sollicite l'indemnisation sur le fondement de :

- La violation de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce engendrant un préjudice lié à la brutalité de la rupture de la relation commerciale établie ;

- La violation des obligations contractuelles engendrant un préjudice lié à la rupture elle-même ;

- La violation des obligations contractuelles engendrant un préjudice correspondant aux coûts exposés.

Le principe du non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle interdit seulement au créancier d'une obligation contractuelle de se prévaloir, contre le débiteur de cette obligation, des règles de la responsabilité délictuelle et n'interdit pas la présentation d'une demande distincte, fondée sur l'article L. 442-6, I, 5 du code de commerce, qui tend à la réparation d'un préjudice résultant non pas d'un manquement contractuel mais de la rupture brutale d'une relation commerciale établie.

Au titre de la rupture brutale, elle sollicite l'allocation de dommages intérêts indemnisant l'insuffisance de préavis qui lui a été accordé ; au titre de l'inexécution contractuelle, elle demande le remboursement des investissements en personnel et en matériel qu'elle a dû réaliser en raison des variations inopinées du volume des commandes de la société Hutchinson et des dommages-intérêts équivalent au gain manqué lié à l'absence d'exécution du contrat jusqu'en 2018.

La société Imateg 93 forme sur trois fondements juridiques différents des demandes de dommages et intérêts de nature distincte. Les demandes de la société Imateg 93 sont toutes recevables ce qui ne préjuge pas de leur bien fondé.

Sur la rupture brutale des relations commerciales

La société Hutchinson allègue que :

- La relation de sous-traitance présente un caractère précaire qui s'oppose à la stabilité nécessaire à caractériser une relation commerciale établie, sa pérennité, sa stabilité et sa continuité étant non seulement dépendantes des parties à cette relation de sous-traitance mais aussi des parties au contrat principal

- Seule une volonté claire et non équivoque de rompre la relation commerciale est susceptible de constituer une rupture fautive au sens de L. 442-6 I 5° du code de commerce, toute baisse de commande, même subite, ne constitue pas nécessairement une rupture partielle.

- Un seul contrat d'une durée de 26 mois n'est pas de nature à caractériser une relation commerciale établie.

- La cessation du contrat a été initiée par la société Imateg 93 elle-même, qui, dès janvier 2016, lui annonçait qu'elle ne serait plus en mesure d'assurer la livraison des pièces.

- Elle a été contrainte d'anticiper une sortie du contrat au regard tant des problèmes qualité rencontrés que de l'annonce par son fournisseur qu'il ne serait plus en mesure d'assurer la fourniture des pièces dans les conditions prévues au contrat.

La société Imateg 93 réplique qu'elle démontre l'existence d'une relation commerciale établie depuis le mois de janvier 2013 par la production de nombreuses factures sans que l'existence d'un contrat de sous-traitance constitue un obstacle.

L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur.

La relation commerciale, pour être établie au sens de ces dispositions, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.

Le texte précité vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou l'insuffisance de préavis.

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.

Les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce n'imposent aucun cadre, aucune durée pour caractériser une relation commerciale établie. En conséquence la production de factures constitue un élément de preuve de l'existence d'une relation commerciale. De plus, en l'espèce, il est produit une lettre de nomination équivalente à un contrat aux termes duquel la société Hutchinson confie à la société Imateg 93 le soin de fabriquer le prototype, la production et les pièces de rechange pour le programme de Forme-T Fiat 343.

La qualité de sous-traitant n'illustre pas en l'espèce une relation précaire puisqu'il était mentionné dans la lettre de nomination que la société Imateg 93 était sélectionnée dans le cadre d'un contrat liant la société Hutchinson à la société Fiat, qu'il était demandé à la société Imateg 93 d'atteindre des « standards qualité » . Il était prévu que la lettre de nomination s'applique pendant la durée du programme, celui-ci n'étant pas précisé mais chaque partie pouvait la résilier à la condition de respecter un préavis de six mois.

La société Imateg 93 justifie par la production de factures du montant de chiffre d'affaires suivant réalisé avec la société Hutchinson :

1er semestre 2013 : 3.120,00 €.

2nd semestre 2013 : 21.206,00 €.

1er semestre 2014 : 71.263,70 €.

2nd semestre 2014 : 233.397,10 €.

1er semestre 2015 : 851.858,00 €.

2nd semestre 2015 : 951.782,20 €.

1er semestre 2016 : 310.493,50 €.

Si au cours de l'année 2014, le montant du chiffre d'affaires de la société Imateg 93 s'est élevé à la somme de 304 660,80 euros, au cours de l'année 2015, il a considérablement augmenté pour atteindre le montant de 1 803 640,20 euros.

La montée en puissance du chiffre d'affaires, la nature du contrat justifiant la fabrication de prototypes et de pièces de rechange en nombre important ayant amené les parties à prévoir un prix très précis des pièces en fonction du volume commandé, l'existence d'un contrat entre la société Fiat et la société Hutchinson caractérisent l'existence d'une relation commerciale établie en ce que la société Imateg 93 pouvait légitimement espérer que les relations se pérennisent, et que, compte tenu des investissements et du volume d'affaires réalisés, les commandes se poursuivraient durant plusieurs années afin de lui permettre notamment d'amortir son matériel.

Il résulte des échanges de courriels entre les parties que les relations se sont dégradées en raison de difficultés liées à la fabrication des pièces qui ont été refusées car non conformes et de la difficulté de la société Imateg 93 de répondre au nombre important de pièces commandées. Il ne peut pour autant en être conclu une inexécution de ses obligations par la société Imateg 93 qui a tenté de remédier à ces non-conformités dont la cause n'a pas été établie.

La société Hutchinson devant fournir les pièces commandées par la société Fiat s'est orientée vers d'autres fournisseurs qui se sont révélés plus compétitifs.

Le 31 mars 2016, la société Imateg 93 a adressé à la société Hutchinson le courrier recommandé avec avis de réception suivant :

« Nous faisons suite à l'email ci-dessous reporté que nous rappelons dans son intégralité, à laquelle nous n'avons reçu aucune réponse jusqu'à ce jour.

Durant cette période, nous avons pu constater que les commandes du P.N. 221812 ont complètement cessé en date 28/2/2016 et celle du PN. 221814 out subi une réduction drastique par rapport au passé et ce sans aucune justification.

Cette situation met en sérieuse difficulté notre compagnie pour faire face à ces commandes réduites vue la nécessité de s’approvisionner de la matière première qui nous est fournie en lots minimums qui sont bien supérieurs à ces prévisions de faibles quantités.

Nous vous prions de bien vouloir organiser une rencontre chez nous au plus vite afin d'éclaircir cette situation et de planifier la poursuite du rapport de fourniture.

Nous vous informons qu'en l'absence d'une réponse dans les 5 prochains jours et sans autre avertissement nous serons contraints de suspendre toute fourniture afin de sauvegarder nos intérêts dans les sièges que nous retiendrons les plus opportuns. »

Si aux termes de ce courrier, la société Imateg 93 informe sa cocontractante qu'elle va suspendre toute fourniture en cas de non-réponse de celle-ci alors même qu'aucune réponse n'a été apportée à un précédent courrier, elle dénonce également la cessation de commande sur un type de pièce et une réduction drastique sur un autre type de pièce.

La société Imateg 93 démontre par la production de factures que les commandes ont diminué des deux tiers au premier semestre 2016 et ont ensuite cessé sans que la société Hutchinson ne rapporte la preuve que la société Imateg 93 ait refusé d'honorer les commandes. En conséquence, la société Hutchinson, en cessant toute commande, sans notification écrite préalable adressée à la société Imateg 93 est à l'origine de la rupture brutale des relations commerciales.

Si la relation commerciale a été de courte durée, le volume d'affaires entre les deux sociétés a été multiplié par 6 entre 2014 et 2015 obligeant la société Imateg 93 à produire en grande quantité. De plus, si la cour n'est pas liée par la durée de 6 mois de préavis prévue au contrat, il y a lieu d'observer que les parties se sont accordées sur cette durée dès la formation de la convention compte tenu de la nature de celle-ci.

Au vu de la durée de la relation commerciale, de la spécificité du domaine d'activité, et du flux d'affaires conséquent, et des investissements réalisés, un préavis d'une durée de 6 mois était nécesssaire à la société Imateg 93 pour lui permettre de retrouver de nouveaux partenaires commerciaux susceptibles de lui confier des prestations. Le jugement sera infirmé de ce chef.

Le préjudice sera évalué en se fondant sur le chiffre d'affaires moyen de la société Imateg 93 réalisé sur les années 2014 et 2015 seules années significatives de la relation commerciale. Sera appliqué au résultat le taux de marge brute. La société Imateg 93 calcule elle-même son taux de marge pour l'année 2015 qu'elle fixe à 23,24 %. En l'absence d'attestation comptable établissant le taux de marge brute, compte tenu de l'activité exercée et des bilans produits, le taux de marge de 20 % retenu par le tribunal de commerce sera confirmé.

Les factures produites établissent un montant de chiffre d'affaires moyen de :

Exercice 2014 : 304 660,80 pour 4 mois de prestations soit 76 165,30 € par mois.

Exercice 2015 : 1 803 640,20 € pour 12 mois de prestations soit 150 303,35 € par mois.

Soit une moyenne sur un an de 113 234,32 € X 20 % (marge brute) = 22 646,32 € X 6 mois = 135 877,92 €

Le jugement sera infirmé et la société Hutchinson devra verser à la société Imateg 93 la somme de 135 877,92 € à titre de dommages-intérêts en réparation de la rupture brutale des relations commerciales.

Sur la demande de dommages-intérêts de la société Imateg 93 résultant des circonstances de la rupture de la relation commerciale

La société Imateg 93 invoque le caractère vexatoire et calculateur de la rupture et contraire aux clauses du contrat, précise qu'elle n'a été informée qu'a posteriori de la rupture et de l'attribution du marché à un concurrent portugais, la société Hutchinson profitant de ses dernières recherches et solutions améliorant le composant.

La société Hutchinson répond que le contrat signé n'était pas à durée déterminée et qu'aucun engagement n'a été contracté jusqu'en 2018, que la société Imateg 93 souhaite une indemnisation cumulative du même préjudice, qu'elle ne rapporte pas la preuve du préjudice subi.

Aux termes du contrat, chaque partie était fondée à le rompre à la condition de respecter un délai de préavis de six mois.

Le contrat ne prévoyait aucune durée déterminée ni aucun volume de pièces à fournir. Par courriel du 16 novembre 2015 adressé à la société Imateg 93, la société Hutchinson formule des observations sur la qualité et la conformité des pièces fabriqués sans cependant indiquer qu'elle va avoir recours à un autre fournisseur. La société Imateg 93 est nommée dans ce courriel dont la teneur ne démontre pas le recours à un fournisseur tiers.

La société Imateg 93 ne peut reprocher à la société Hutchinson d'avoir diversifié ses fournisseurs puisqu'elle avait indiqué à la société Hutchinson qu'elle rencontrait des difficultés pour faire face à des commandes urgentes et outrepassant certains volumes.

La société Imateg 93 ne rapportant pas la preuve du caractère vexatoire de la rupture, ne peut prétendre à l'allocation de dommages-intérêts à ce titre.

La société Imateg 93 allègue également que le déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties justifie sa demande de réparation mais elle ne développe aucun moyen sur ce fondement. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de la société Imateg 93 de ce chef.

Sur la demande de la société Imateg 93 de dommages-intérêts pour violation de ses obligations contractuelles par la société Hutchinson.

La société Imateg 93 expose que la société Hutchinson n'a aucunement planifié les quantités commandées, contrairement aux usages et à la pratique du secteur, faisant obstacle à toute tentative d'organisation de l'activité de moulage, qu'elle a rappelé à maintes reprises à sa cocontractante que chaque commande devait être effectuée au minimum avec six semaines de préavis par rapport à la date de livraison afin de permettre d'acheter la matière première, de produire les pièces et d'effectuer le contrôle qualité avant l'envoi au client, qu'elle a dû investir en personnel et en matériel.

La société Hutchinson réplique que c'est le fonctionnement du schéma contractuel qui est dénoncé par la société Imateg 93I, que ce schéma, au demeurant courant dans ce secteur d'activité, a été pourtant accepté par société Imateg 93 qui a librement choisi de contracter, dans de telles conditions, que la variation à la hausse des volumes appelés a eu pour effet une augmentation nécessaire du chiffre d'affaires de la société Imateg 93 de sorte qu'aucun préjudice ne semble pouvoir être caractérisé de ce fait.

Le moyen allégué du défaut d'information à la charge de la société Hutchinson ayant conduit à un défaut de conformité des pièces sera examiné dans le cadre de la demande reconventionnelle de la société Hutchinson qui forme une demande à ce titre également.

Aux termes de la lettre de nomination, il n'est stipulé aucun volume imposé de pièces à produire ; il est en revanche prévu de manière précise un prix dégressif par pièce en fonction de la quantité produite.

Il est mentionné que les prix sont valables pour chaque année civile et dépendent des quantités livrées/commandées chaque année civile. Les prix pourraient être actualisés selon la hausse et les diminutions du coût des matières premières (valeur d'origine de la matière première à 5,73 €/ pièce), qu'en cas de changement dans le coût des matières premières, les deux parties conviennent de se rencontrer afin de discuter d'un changement de prix unitaire dans la liste de prix susmentionnés. (index des prix HRI 60028 Ind 8).

Ces dispositions corroborent le fait que le nombre de pièces commandées pouvait être très variable. En conséquence, si le nombre de pièces commandées par la société Hutchinson a entraîné pour la société Imateg 93 la nécessité d'investir, cette obligation résultant de l'exécution même du contrat ne peut caractériser une violation de l'obligation contractuelle.

La société Imateg 93 produit un courriel en date du 19 mai 2014 aux termes duquel elle précise à la société Hutchinson qu'elle lui a indiqué à plusieurs reprises qu'elle ne peut honorer les commandes que si un délai de six semaines est respecté entre le moment de la commande et la mise à disposition des pièces. Cette disposition ne figure pas au contrat et la société Imateg 93 ne justifie pas qu'elle résulte d'un accord passé avec la société Hutchinson.

Si la société Imateg 93 peut légitimement exiger un délai pour fabriquer les pièces, délai dont elle se plaint qu'il n'a pas été respecté par sa cocontractante, dans la mesure où elle ne peut justifier d'un accord intervenu entre les parties à ce titre, elle ne peut dès lors se prévaloir d'une inexécution contractuelle de ce chef.

La société Imateg 93 qui ne rapporte la preuve d'aucune violation contractuelle de la part de la société Hutchinson sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts. Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la demande reconventionnelle de la société Hutchinson en paiement de la somme de 171 834,62 euros

La société Hutchinson reproche à la société Imateg 93 un défaut de conformité des pièces produites, caractérisé par une rotation de l'insert dans la pièce injectée fournie par le fournisseur. Elle précise qu'elle a informé la société Imateg 93 de ce défaut de qualité au cours du mois de juin 2015 et a sollicité la transmission de pièces pour analyse, qu'il en ait résulté que trois pièces sur quatre n'étaient pas conformes, qu'elle réclame l'indemnisation des coûts induits par ce défaut de conformité.

La société Imateg 93 conteste le défaut de conformité invoqué en soutenant que la cause de cette rotation n'était pas liée à l'absence de Chemosil comme alléguée par la société Hutchinson mais à une question liée à la mécanique et donc au design du produit.

La société Hutchinson expose, aux termes de ses conclusions, que la pièce commandée à la société Imateg 93 était composée de deux parties, que dans la définition de cet ensemble, il devait nécessairement exister une adhérence entre la pièce en polyamide et la partie caoutchouc, que le problème qualité constaté sur les pièces livrées par IMATEG était caractérisé par une rotation du manchon sur l'insert, rotation liée à une absence d'adhérence entre l'insert et le manchon.

La société Hutchinson ajoute que techniquement, cette rotation, constitutive de non-conformité, peut s'expliquer :

- Soit pas l'absence de Chemosil, agent liant (ce qui peut être le résultat d'une omission par un opérateur lors de la fabrication ce qui est loin d'être absurde comme la société Imateg 93 tente le soutenir)

- Soit par une présence de Chemosil dont l'effet est annulé par une réaction chimique avec d'autres composants.

La société Imateg 93 répond que le Chemosil était bien présent sur les pièces et que la rotation était liée au design et à la manipulation finale du produit mais non à sa réalisation, que n'étant pas en mesure de modifier le design du produit, il est impossible de lui reprocher un tel défaut.

La société Imateg 93 ajoute que le problème a été résolu lorsqu'elle a indiqué à sa cocontractante qu'il était possible de modifier l'insert et de prévoir l'ajout d'une partie mécanique, solution qui a été validée par la société Hutchinson.

Chaque partie impute à sa cocontractante la responsabilité de ce défaut de conformité de la pièce qui a entraîné de très nombreux rebuts. Cependant, aucune analyse technique émanant d'un tiers aux parties n'est produite permettant d'en déterminer l'origine et la cause. Contrairement à ce qu'allègue la société Hutchinson, la référence aux éléments figurant au dossier d'approbation du processus de production n'était pas suffisante pour permettre la production d'une pièce conforme.

La société Hutchinson, réclame le paiement de la somme de 171.834,62 € représentant :

- Des coûts d'analyse.

- Des coûts de traitement des pièces non conformes (mise au rebut et retours clients).

- Des répercussions des frais facturés par le client final.

Elle verse aux débats de nombreuses factures de la société TRIGO au titre de prestations de contrôle qualité sans cependant être en mesure de justifier des résultats des analyses pratiquées. En conséquence, à défaut de démontrer la cause de cette non-conformité des pièces, la société Hutchinson, sera déboutée de sa demande d'indemnisation.

Il sera ajouté que la société Imateg 93 qui avait également formé une demande d'indemnisation pour défaut d'information de la société Hutchinson, sur ce plan, ne donne pas davantage d'élément pertinent démontrant l'existence d'informations erronées de la part de cette dernière. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande la société Imateg 93 de ce chef.

Sur les demandes accessoires,

Le jugement sera confirmé sur les dépens. La société Hutchinson qui succombe en appel versera à la société Imateg 93 la somme de 6000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et assumera la charge des dépens d'appel.

Il sera précisé qu'aux termes de l'article 695 du code de procédure civile, les frais de médiation ne relèvent pas des dépens.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement en ce qu'il a condamné la SNC Hutchinson à payer à la société Industria Manifatturiera Articoli Tecnici Della Gomma 93 SRL - Imateg 93, la somme de 80.000 euros au titre de l'absence de préavis.

Le confirme pour le surplus.

Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant.

Condamne la société Hutchinson à verser à la société Industria Manifatturiera Articoli Tecnici Della Gomma 93 SRL - Imateg 93, la somme de 135 877,92 euros en réparation de la rupture brutale de la relation commerciale.

Condamne la société Hutchinson à verser à la société Industria Manifatturiera Articoli Tecnici Della Gomma 93 SRL - Imateg 93, la somme de 6000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Rejette toute autre demande.

Condamne la société la société Hutchinson aux dépens de la procédure d'appel.