CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 10 février 2022, n° 18/22139
PARIS
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Open Air (SAS)
Défendeur :
International Flavors & Fragrances (Sasu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Prigent
Conseillers :
Mme Soudry, Mme Le Cotty
Faits :
La société Open Air, dont le gérant est M. Frédéric M., exerce une activité d'études de marché et de sondage, principalement dans le secteur de la parfumerie.
La société International Flavors & Fragances IFF (ci-après la société « IFF ») est spécialisée dans la conception et la fabrication de parfums et d'arômes.
La société G. France (ci-après la société « G. ») est un fabricant de concentrés de parfums, d'arômes et d'ingrédients actifs cosmétiques.
La société F. et Cie (ci-après la société « F. ») est une société spécialisée dans la conception et la fabrication de parfums et d'arômes.
Les sociétés IFF, G. et F. développent des parfums qu'elles fournissent aux maisons de parfum, telle que la société Coty, après une procédure d'appels d'offres.
Dans le cadre de la création de parfums, ces trois sociétés F., G. et IFF, effectuent, auprès de prestataires, telle que la société Open Air, des pré-tests de leurs projets de fragrances leur permettant de faire des ajustements avant de les présenter à leurs clientes, maisons de parfums, et de les soumettre, dans le cadre des appels d'offres de ces dernières, à des tests de sélection, également effectués auprès de prestataires.
Ces trois sociétés, F., G. et IFF, sollicitaient régulièrement, depuis 2005, la société Open Air afin qu'elle effectue des pré-tests mais aussi des tests de sélection sur leurs projets de fragrances.
Ces prestations, qu'il s'agisse des tests de sélection ou des pré-tests, étaient facturées directement aux trois sociétés et non à la société Coty.
Par ailleurs, la société Open Air effectuait également des tests de concept, facturés directement à la société Coty.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 15 avril 2014, la société Coty a informé la société Open Air de la rupture de leurs relations commerciales avec effet au 15 octobre 2015.
Procédure,
Par acte d'huissier de justice du 4 juin 2014, la société Open Air a assigné la société Coty devant le tribunal de commerce de Paris en vue d'obtenir réparation du préjudice résultant de la rupture brutale des relations commerciales établies. Le préjudice invoqué par la société Open Air englobait le chiffre d'affaires effectué avec les sociétés F., G. et IFF.
Par jugement du 3 octobre 2016, le tribunal de commerce de Paris a débouté la société Open Air de ses demandes considérant que le préavis de 18 mois accordé par la société Coty était suffisant et que la baisse du chiffre d'affaires invoquée au titre des pré-tests et des tests de sélection ne pouvait être imputée à la société Coty.
C'est dans ces conditions que par lettres recommandées avec demande d'avis de réception du 17 novembre 2016, la société Open Air a sollicité des sociétés F., G. et IFF l'indemnisation des préjudices résultant de la rupture brutale des relations avec ces trois sociétés.
Ces demandes étant restées vaines, la société Open Air a, par acte du 10 janvier 2017, assigné les sociétés F., G. et IFF devant le tribunal de commerce de Paris afin d'obtenir une indemnité pour rupture brutale des relations commerciales établies.
Par jugement du 1er octobre 2018, le tribunal de commerce de Paris a :
- Dit que la société Open Air a renoncé à son droit d'agir contre les sociétés F. et Cie, G. France et International Flavors & Fragrances IFF (France) ;
- Débouté la société Open Air de l'ensemble de ses demandes ;
- Débouté la société G. France de sa demande de dommages et intérêts ;
- Condamné la société Open Air à payer à chacune des sociétés F. et Cie, G. France et International Flavors & Fragrances IFF (France) la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;
- Condamné la société Open Air aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe.
Par déclaration du 11 octobre 2018, la société Open Air a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a :
- Dit que la société Open Air avait renoncé au droit d'agir contre les sociétés F., G. et IFF.
- Débouté la société Open Air de l'ensemble de ses demandes.
- Condamne la société Open Air à payer à chacune des sociétés F., G. et IFF la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires.
- Condamné la société Open Air aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 122,31 euros dont 20,17 euros de TVA.
Prétentions et moyens des parties,
Par conclusions notifiées par le RPVA le 2 juillet 2019, la société Open Air demande à la cour de :
Vu l'article L. 442-6 I° 5° du code de commerce (nouvel article L. 442-1),
Vu l'article 1382 du code civil,
Vu les anciens articles 1109 et 1110 (nouveaux articles 1130 et 1134 et suivants) du code civil,
Vu les articles 110 et 111 de l'ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539,
- Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 1er novembre 2018 en ce qu'il a dit que la société Open Air avait renoncé au droit d'agir contre les sociétés F. et Cie, G. France et International Flavors & Fragrances IFF (France), débouté la société Open Air de l'ensemble de ses demandes, et l'a condamnée à payer à chacune des sociétés F. et Cie, G. France et International Flavors & Fragrances IFF (France) la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Statuant à nouveau,
A titre liminaire,
- Ecarter des débats toutes pièces communiquées en langue anglaise non assorties d'une traduction en français.
A titre principal,
- Dire la société Open Air recevable en son action.
Subsidiairement,
- Dire nul et de nul effet l'engagement unilatéral de la société Open Air du 4 juillet 2016.
- Dire la société Open Air recevable en son action.
Au fond,
- Dire et juger que les sociétés F. et Cie, G. France et International Flavors & Fragrances IFF (France) ont brutalement rompu la relation commerciale qu'elles entretenaient avec la société Open Air et qu'elles doivent réparer le préjudice qui en résulte.
- Condamner la société F. Et Cie à payer à la société Open Air une somme de 116.626 euros de dommages et intérêts au titre de la perte de marge.
- Condamner la société G. France à payer à la société Open Air une somme de 138.116 euros de dommages et intérêts au titre de la perte de marge.
- Condamner la société International Flavors & Fragrances IFF (France) à payer à la société Open Air une somme de 155.582 euros de dommages et intérêts au titre de la perte de marge.
- Condamner solidairement les sociétés F. et Cie, G. France et International Flavors & Fragrances IFF (France) à payer à la société Open Air une somme de 100.000 euros de dommages et intérêts au titre de son préjudice d'image.
- Condamner solidairement les sociétés F. et Cie, G. France et International Flavors & Fragrances IFF (France) à payer à la société Open Air une somme de 657.200 euros de dommages et intérêts au titre de la perte de valeur de son fonds de commerce.
- Débouter la société G. de sa demande de paiement par la société Open Air de la somme de 20.000 euros au titre d'un prétendu préjudice qui résulterait du caractère abusif de la présente procédure.
- Débouter les sociétés F. et Cie, G. France et International Flavors & Fragrances IFF (France) de toutes leurs demandes.
- Condamner solidairement les sociétés F. et Cie, G. France et International Flavors & Fragrances IFF (France) à payer à la société Open Air une somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Par conclusions notifiées par le RPVA le 16 octobre 2020, la société IFF demande à la cour de :
Vu l'article L. 442-6 du code de commerce,
Vu les anciens articles 1109 et 1110 du code civil,
- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 1er octobre 2018 en toutes ses dispositions.
A titre principal,
- Constater la renonciation au droit d'agir contre la société IFF dans le courrier adressé à cette dernière par le gérant de la société Open Air.
- Constater que le moyen tendant à la nullité de l'engagement unilatéral de renonciation de la société Open Air a été soulevé pour la première fois en cause d'appel et qu'il est dès lors irrecevable.
- Constater l'absence de nullité pour vice de consentement de l'engagement unilatéral de renonciation de la société Open Air.
- Constater qu'Open Air se contredit au détriment d'IFF en violation du principe de l'estoppel ;
- Déclarer l'action de la société Open Air irrecevable.
- Débouter la société Open Air de l'ensemble de ses demandes.
A titre subsidiaire, au fond :
Sur l'absence de baisse délibérée des commandes imputable à IFF :
- Dire et juger que la baisse des commandes de IFF à Open Air n'est pas délibérée et imputable à IFF.
- Débouter la société Open Air de l'ensemble de ses demandes.
Sur l'absence de chute brutale des volumes entre IFF et Open Air :
- Constater que le chiffre d'affaires entre IFF et Open Air est fluctuant depuis 2010.
- Constater que la société Open Air n'a jamais mis en cause cette situation,
- Constater qu'IFF a continué de travailler avec Open Air après 2015 pour d'autres clients d'IFF.
- Dire et juger qu'il n'y a pas de chute brutale du chiffre d'affaires entre IFF et Open Air.
- Débouter la société Open Air de l'ensemble de ses demandes.
Sur l'absence de rupture brutale et le respect d'un préavis :
- Dire et juger que le préavis de 18 mois dont a bénéficié Open Air pour anticiper la fin des commandes sur les produits Coty profite à la société IFF, en raison de son obligation contractuelle de traiter avec Open Air pour les produits Coty.
- Dire et juger qu'il n'y a pas de rupture brutale par IFF.
- Débouter la société Open Air de l'ensemble de ses demandes.
A titre infiniment subsidiaire :
- Constater que le montant du préjudice relatif à la perte de marge brute due par la société IFF à la société Open Air n'est pas ventilé entre les tests et pré-tests.
- Constater que les autres demandes indemnitaires d'Open Air sont injustifiées.
- Débouter la société Open Air de ses demandes de réparations des différents préjudices allégués.
En tout état de cause :
- Condamner la société Open Air à verser à la société IFF la somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamner la société Open Air aux entiers dépens dont distraction dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par conclusions notifiées par le RPVA le 5 octobre 2020, la société G. demande à la cour de :
Vu l'article L. 442-6 I 5 du code de commerce (dans sa version applicable au moment des faits) ;
Vu l'article 32-1 du code de procédure civile ;
- Confirmer le jugement rendu, le 1er octobre 2018, par le tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté la société G. France de sa demande indemnitaire visant la société Open Air fondée sur le caractère abusif de la présente procédure ;
Infirmant le jugement de ce seul chef :
- Condamner la société Open Air à payer à la société G. France la somme de 15.000 euros en réparation du préjudice résultant pour elle du caractère abusif de la présente procédure ;
Y ajoutant :
- Débouter la société Open Air de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions visant la société G. France ;
- Condamner la société Open Air à payer à la société G. France la somme de 20.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de ses frais irrépétibles d'appel ;
- Condamner la société Open Air aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Me Christian V., qui pourra en poursuivre le recouvrement dans les conditions prévues à l'article 699 du code de procédure civile.
Par conclusions notifiées par le RPVA le 7 octobre 2020, la société F. demande à la cour de :
Vu l'article ancien L. 442-6 du code de commerce,
À titre principal,
- Débouter la société Open Air de l'ensemble de ses demandes.
À titre subsidiaire,
- Enjoindre à la société Open Air de communiquer l'intégralité des pièces comptables pour l'année 2016, afin permettre à la société F. de procéder elle-même au calcul de la marge brute générée par l'activité effectuée avec la société F. et Cie au titre des pré-tests pour la société Coty.
En tout état de cause,
- Condamner la société Open Air à payer à la société F. et Cie la somme de 12.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamner la société Open Air aux entiers dépens.
- Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 22 octobre 2020.
MOTIFS
Sur le rejet des débats de certaines pièces,
La société Open Air se prévaut des articles 110 et 111 de l'ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 pour demander le rejet des débats de toutes les pièces communiquées en langue anglaise non assorties d'une traduction en français.
La société IFF s'oppose à cette demande en faisant valoir qu'elle produit un extrait du contrat rédigé en langue anglaise la liant à la société Coty, le reste du contrat étant couvert par la confidentialité, et qu'elle a traduit librement en français ledit extrait dans ses conclusions.
L'article 111 de l'ordonnance royale de Villers-Cotterêts d'août 1539 prescrit: « De dire et faire tous les actes en langue française et parce que de telles choses sont arrivées très souvent, à propos de la [mauvaise] compréhension des mots latins utilisés dans lesdits arrêts, nous voulons que dorénavant tous les arrêts ainsi que toutes autres procédures, que ce soit de nos cours souveraines ou autres subalternes et inférieures, ou que ce soit sur les registres, enquêtes, contrats, commissions, sentences, testaments et tous les autres actes et exploits de justice qui en dépendent, soient prononcés, publiés et notifiés aux parties en langue maternelle française, et pas autrement. »
Ces dispositions n'imposent l'usage du français que pour les actes de procédure et non pour les pièces soumises au juge comme élément de preuve. Il appartient au juge du fond, dans l'exercice de son pouvoir souverain, d'apprécier la force probante des éléments de preuve qui lui sont soumis. Il peut toujours, dans ce cadre, exiger qu'une pièce soit produite en français ou écarter comme élément de preuve un document écrit en langue étrangère, faute de production d'une traduction en langue française.
En l'espèce, les pièces litigieuses, qui constituent des extraits de contrats liant les sociétés intimées à la société Coty, rédigés en langue anglaise, font l'objet d'une traduction libre en français de sorte qu'il n'y a pas lieu de les rejeter des débats.
Sur la recevabilité des demandes.
Sur la renonciation de la société Open Air à son droit d'action.
Les sociétés IFF, G. et F. invoquent tout d'abord l'irrecevabilité de l'action de la société Open Air dans la mesure où cette dernière aurait clairement exprimé sa renonciation à agir à leur encontre dans trois lettres du 4 juillet 2016. Selon elles, ces lettres doivent être qualifiées d'acte unilatéral de renonciation non équivoque. Elles prétendent qu'une renonciation à un droit n'est pas subordonnée à l'existence de concessions réciproques ni à l'acceptation du bénéficiaire. Elles considèrent en outre que cette renonciation n'était pas limitée à une plainte pénale ni même aux tests effectués pour la société Coty mais à la totalité de l'activité les concernant.
Pour répondre au moyen de nullité soulevé par la société Open Air, la société IFF considère que ce moyen est nouveau en cause d'appel et est donc irrecevable. Sur le fond, elle estime que ce moyen de nullité doit être écarté en l'absence d'erreur ayant vicié le consentement de la société Open Air qui avait parfaitement connaissance de l'identité de ses partenaires. Elle fait à cet égard valoir que les factures de la société Open Air lui étaient bien adressées. Elle ajoute que l'erreur sur les motifs ou l'erreur inexcusable n'est pas prise en compte.
La société G. conteste également l'existence d'un vice du consentement puisque la société Open Air savait à qui elle facturait ses prestations.
La société F. considère qu'aucune erreur n'est démontrée et qu'en tout état de cause cette erreur, si elle était admise, serait inexcusable et ne permettrait donc pas d'obtenir la nullité de l'acte de renonciation.
La société Open Air dénie avoir renoncé à son droit d'agir à l'encontre des sociétés intimées. Elle estime que la déclaration faite par M. M., son dirigeant, dans des courriers du 4 juillet 2016, ne constitue pas un acte de renonciation à défaut de caractère certain, exprès et non-équivoque et à défaut de l'existence d'une contrepartie à cette renonciation ou d'une acceptation formelle. Elle considère que ce courrier constitue une simple déclaration d'intention, un engagement moral, dans le contexte de l'instance engagée contre la société Coty. En tout état de cause, elle estime que si cette lettre devait être qualifiée d'acte de renonciation, la renonciation ne pourrait concerner qu'une plainte au pénal et le seul flux d'activité des tests de sélection pour la société Coty et non l'ensemble des relations nouées avec les intimées.
A titre subsidiaire, si la cour retenait l'existence d'un acte unilatéral de renonciation globale, la société Open Air fait valoir que son consentement a été vicié puisqu'elle a commis une erreur sur les qualités substantielles des destinataires de cet acte. Elle explique avoir eu la croyance fausse qu'elle n'avait de relations commerciales qu'avec la société Coty, alors qu'en réalité, les sociétés IFF, G. et F. étaient ses partenaires contractuelles directes, et que cette circonstance a été déterminante de l'envoi de sa lettre du 4 juillet 2016 puisqu'elle avait la certitude de s'adresser à des tiers et non à ses partenaires commerciales. Elle précise que ce moyen de nullité est recevable en cause d'appel puisqu'il lui est permis, en application de l'article 563 du code de procédure civile, d'invoquer des moyens nouveaux.
La renonciation à un droit se définit comme un acte de disposition par lequel une personne, abandonnant volontairement un droit déjà né dans son patrimoine, éteint ce droit ou s'interdit de faire valoir un moyen de défense ou d'action sur cette base.
Il s'agit d'un acte unilatéral qui ne repose que sur l'existence de concessions unilatérales et non réciproques à la différence de la transaction.
La renonciation ne se présume pas et doit être faite en pleine connaissance de cause, de manière non équivoque et porter sur un droit acquis.
Dans trois lettres du 4 juillet 2016 adressées à la société IFF, à la société G. et à la société F., M. Frédéric M. a écrit :
« Je teste vos fragrances sans discontinuer depuis 28 ans (XS, Organza et Opium pour Homme étaient mes trois premiers grands tests). En particulier les tests de sélection de fragrance que Coty nous commande et qu'il vous fait payer en tant que maison de parfum de leur "core list".
Suite à un incident personnel avec la VP des études (licenciée depuis lors), Coty nous a envoyé une lettre de préavis de résiliation des relations commerciales. A l'issue de cette période, nous avons assigné Coty en justice pour non-respect de leur engagement : 529.000€.
Or, voilà que Coty change son fusil d'épaule dans ses conclusions de juin 2016 et prétend que tous ses tests de sélection de jus sont en fait commandés par les maisons de parfum de leur propre initiative (puisque que c'est à vous que nous devons envoyer la facture). Coty nous suggère donc de vous assigner en justice pour rupture d'activité (voir ci-joint).
C'est évidemment faux : vous n'êtes en aucune façon décisionnaire des tests de sélection de Coty, vous êtes seulement tenu de les payer (et de les commander) en vertu du contrat « core list ». Contrat dont l'avocat de Coty nie l'existence (voir ses conclusions ci-jointes). Et que le juge trouve « totalement anormal, si son existence était avérée. »
Il serait très intéressant que je puisse le prouver de façon incontestable en ayant ce contrat. D'une part cela obligerait Coty à honorer ses engagements à mon égard au lieu d'essayer de vous les imputer ; d'autre part cela constituerait une brèche dans un système inique : une duperie que vous subissez tous les trois.
Se rendant compte, suite à mon intervention au tribunal vendredi dernier, que j'étais au courant de l'existence du contrat « core list » (comme toute la profession d'ailleurs) et que j'ai de bonnes chances de mettre la main dessus, l'avocat de Coty s'est précipité sur mon avocat à la sortie de l'audience pour lui proposer un accord du double du montant qu'il prétendait nous donner dans sa plaidoirie suivie d'un : « dites-moi votre prix ».
On me dit que le directeur des achats de Coty vient de se faire licencier, qu'il les hait et qu'il est vénal. Je pourrais probablement me procurer le contrat « core list » chez lui, mais franchement, j'aimerais mieux ne pas traiter avec lui. D'autant que si je n'ai pas de contact avec lui, je n'ai pas à lui donner ma parole que je ne dévoilerai jamais l'origine de l'obtention de ce document. Or je ne trahis jamais (sans exception) ma parole, je vous en donne ma parole.
Je veux croire qu'une fois que Coty sera condamné, les autres groupes hésiteront également à perpétuer les contrats « core lists » (qui ne vous servent à rien) et que l'on reviendra aux pratiques plus correctes qui étaient en vigueur avant. Et c'est moi qui aurai initié ce progrès, parce qu'ils ont voulu se défausser de leur engagement à mon égard grâce au contrat « core list » et que je ne me suis pas laissé faire. J'en aurais de la satisfaction.
Avant de vous saluer, je veux être clair sur le fait que je ne porterai pas plainte contre les maisons de parfum pour rupture d'activité sur les tests de sélection de Coty, quelle que soit l'issue de ma présente lettre. Ce serait malhonnête, comme il est malhonnête de la part de Coty d'essayer de se défausser de son engagement à mon égard.
Je vous remercie d'avance de réserver à cette lettre l'accueil qu'elle mérite. »
Il ressort des termes mêmes de cette lettre qu'elle visait à obtenir des éléments de preuve à l'encontre de la société Coty dans le cadre de l'instance engagée par la société Open Air devant le tribunal de commerce de Paris. Ainsi M. M. s'adresse à ses partenaires commerciaux avec lesquels il entretient, depuis 28 ans selon ses dires, une relation de confiance et d'amitié, ainsi qu'il en fait d'ailleurs état dans sa signature, pour obtenir d'eux la communication d'un contrat qu'il sait confidentiel. Lorsqu'il promet de ne pas porter « plainte contre les maisons de parfums pour rupture d'activité sur les tests de sélection de Coty », il n'a nullement l'intention de se situer sur un plan juridique destiné à créer des effets de droits mais uniquement sur un plan moral. Cette interprétation est d'ailleurs confortée par le terme « malhonnêteté » qu'il utilise juste après ou encore par la référence à « sa parole ».
En conséquence, c'est à tort que les premiers juges ont considéré que la société Open Air avait renoncé à son droit d'agir à l'encontre des sociétés intimées et qu'elle était irrecevable en son action. Le jugement sera réformé de ce chef.
Sur le principe de l'estoppel,
La société IFF considère que l'action de la société Open Air est irrecevable pour violation du principe de l'estoppel. Elle fait valoir que la société Open Air en indiquant d'abord qu'elle n'engagerait pas de poursuites dans sa lettre du 4 juillet 2016 puis en introduisant une telle action en violation de son engagement l'a induite en erreur quant à ses intentions et a violé le principe selon lequel on ne peut se contredire au détriment d'autrui. Elle fait encore grief à la société Open Air de se contredire dans le cadre de la présente instance avec les arguments exposés dans l'instance contre la société Coty.
La société Open Air répond que le principe de l'estoppel n'a pas vocation à s'appliquer en l'espèce dès lors que la contradiction invoquée n'a pas eu lieu au cours de la même procédure.
Elle soutient qu'en tout état de cause, il n'y a pas eu violation du principe de l'estoppel dans la mesure où la contradiction critiquée par les intimées est intervenue dans l'instance l'opposant à la société Coty, distincte de la présente.
En vertu du principe de l'estoppel, nul ne peut se contredire au détriment d'autrui. Le comportement visé au titre de l'estoppel doit être constitutif d'un changement de position, en droit, par une partie de nature à induire l'adversaire en erreur sur ses intentions. En outre, la seule circonstance qu'une partie se contredise au détriment d'autrui n'emporte pas nécessairement fin de non-recevoir.
Ce principe répond à une exigence de loyauté procédurale.
Ce principe n'est pas applicable en l'espèce dès lors que la contradiction qui est reprochée à la société Open Air résulte d'un engagement moral pris antérieurement à la présente procédure.
Par ailleurs, le principe de l'estoppel ne saurait être invoqué lorsque la contradiction incriminée est constatée dans le cadre de litiges distincts opposant des parties différentes. Dès lors, il ne peut être reproché à la société Open Air d'avoir soutenu, dans l'instance l'opposant à la société Coty, que leur relation englobait les tests de sélection puis, dans l'instance l'opposant aux sociétés IFF, G. et F., après que l'instance introduite contre la société Coty a été définitivement close par un jugement définitif, de soutenir que les tests de sélection faisaient partie de la relation entretenue avec elles.
Aucune irrecevabilité n'est donc encourue sur ce point par la société Open Air.
Sur la rupture brutale des relations commerciales établies,
La société Open Air rappelle que même si le flux d'affaires existant avec les sociétés intimées était fluctuant, les relations étaient anciennes, continues, habituelles et importantes de sorte qu'elle pouvait s'attendre légitimement à leur poursuite. Elle considère que les relations commerciales ont commencé en 1988 avec la société Dorset, qui était également dirigée par M. M., et se sont poursuivies avec elle à partir de 2005. Elle prétend que la rupture s'est d'abord matérialisée par une chute brutale du chiffre d'affaires à compter du 1er octobre 2015 puis par un arrêt des relations à compter du 31 mars 2017. Elle affirme n'avoir reçu aucun préavis écrit annonçant la rupture d'abord partielle puis totale des relations.
La société IFF soutient que la baisse d'activité n'a pas été brutale et qu'elle ne lui est pas imputable. Elle explique qu'il convient de distinguer deux types de relations avec la société Open Air: d'une part, les relations directes par lesquelles elle demandait à cette dernière de réaliser des « pré-tests » sur ses créations, et les relations indirectes par lesquelles elle lui demandait la réalisation de tests de sélection. Elle affirme que dans ce dernier cas, elle n'avait pas le choix du prestataire qui était imposé par la société Coty en vertu d'un contrat les liant. Elle ajoute qu'en ce qui concerne les « pré-tests », il est d'usage de désigner le prestataire qui sera ensuite chargé de réaliser les tests de sélection. Elle considère que la baisse des commandes à la société Open Air, que ce soit pour les « pré-tests » ou les tests de sélection, résulte ainsi de la rupture des relations entre la société Open Air et la société Coty qui ne lui est pas imputable. Elle ajoute avoir poursuivi les relations avec la société Open Air pour réaliser des « pré-tests » et des tests pour d'autres clients que la société Coty. Elle dénie toute action concertée avec les sociétés G. et F. et précise qu'elles sont toutes trois concurrentes. Elle affirme qu'en outre, le chiffre d'affaires réalisé avec la société Open Air a toujours été fluctuant et que les relations se sont poursuivies après 2015 de sorte qu'aucune rupture brutale n'est caractérisée. Elle se prévaut enfin du préavis de 18 mois accordé par la société Coty. Elle indique qu'à partir de l'annonce par la société Coty de la rupture des relations, la société Open Air aurait dû anticiper la baisse des commandes qu'elle lui adressait. Elle ajoute que cette baisse a été progressive et non brutale.
La société G. prétend avoir adressé à la société Open Air un préavis écrit parfaitement clair le 16 juin 2014 et estime que cette dernière a ainsi bénéficié d'un préavis de 16 mois qui est suffisant au regard de la durée de 9 ans de leurs relations (entre 2005 et 2014). Elle considère qu'eu égard à l'interdépendance évidente entre les tests et les pré-tests, la rupture de la relation entre les sociétés Coty et Open Air l'a contrainte à cesser de travailler avec cette dernière pour les deux types de tests dès lors qu'ils étaient destinés à la société Coty, sans que cela ne puisse lui être reproché.
La société F. allègue que la relation commerciale qui l'unissait à la société Open Air a été rendue précaire par l'annonce, le 15 avril 2014, par la société Coty de la cessation de leurs relations et que la société Open Air ne pouvait plus anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec elle. Elle explique que la société Open Air ne pouvait ignorer que si la société Coty cessait de faire appel à ses services, les trois intimées liées à cette dernière par un contrat « Core List » allaient nécessairement cesser de lui demander de mener des tests ou des pré-tests. Elle fait encore valoir que les flux d'affaires étaient très fluctuants. Elle en conclut qu'elle n'était pas tenue d'accorder un préavis à la société Open Air. En tout état de cause, elle estime que la rupture alléguée ne lui est pas imputable et est indépendante de sa volonté. Elle explique qu'en vertu du contrat « Core List » la liant avec la société Coty, elle n'était pas libre de choisir le prestataire chargé de réaliser les tests de sélection ; le choix du prestataire étant imposé par la société Coty. Elle ajoute qu'en raison de l'interdépendance entre les « pré-tests » et les tests de sélection, elle était également tenue de faire réaliser les « pré-tests » par le même prestataire qui allait ensuite être désigné pour effectuer les tests de sélection.
Sur le caractère établi des relations commerciales,
L'article L. 442-6, I, 5°du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.
La relation commerciale, pour être établie au sens de ces dispositions, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.
En l'espèce, il résulte des pièces produites par la société Open Air, qui sont attestées par son expert-comptable, que le flux d'affaires entretenu avec les sociétés IFF, G. et F. a été le suivant :
2011, 2012, 2013, 2014 , 2015, 2016 Variation 2015/16. IFF, 397 993, 216 607, 228 137, 139 267,199 090, 18 360, -90,77%. G. 245 828, 304 108, 166 094, 265 133, 122 931, 16 601, -86,49%. F. 225 370, 210 777, 167 290, 108 600, 193 067, 30 600, -84,15%. CA total, 1 177 663, 1 318 994, 1 151 135, 976 914, 1 049 741.
Les chiffres allégués par la société IFF et la société F. ne seront pas retenus. En effet, le seul document produit par la société IFF est un tableau établi par ses soins sans aucune certification par un expert-comptable ou production de pièces justificatives. La société F. se contente autant à elle de produire des factures et aucun document comptable certifié.
Par ailleurs, contrairement à ce que prétendent les sociétés intimées, il n'y a pas lieu, pour déterminer le flux d'affaires entretenu par chacune des intimées avec la société Open Air d'exclure le chiffre d'affaires lié aux tests de sélection Coty ou celui lié à d'autres clientes maisons de parfums autre que la société Coty. En effet, le litige porte sur la rupture des relations et il n'y a pas lieu de distinguer selon l'identité des clients finaux. En outre, il ressort des pièces versées aux débats que les tests de sélection destinés à répondre aux appels d'offres de la société Coty étaient commandés et facturés directement aux société IFF, G. et F. de sorte que ce flux d'affaires doit être compris dans les relations entretenues entre ces sociétés.
S'il peut être relevé que l'activité de la société Open Air avec chacune des sociétés intimées a été fluctuante, elle a néanmoins été continue pendant plusieurs années et a porté sur un volume d'affaires conséquent de sorte que la société Open Air pouvait légitimement croire en sa poursuite.
En outre, s'il est exact que la société Coty a annoncé le 15 avril 2014 la fin de ses relations avec la société Open Air à compter du 15 octobre 2015, il n'en demeure pas moins que cette cessation des relations n'impliquait pas nécessairement la fin des relations avec les sociétés IFF, G. et F. dans la mesure où il s'agissait de personnes morales distinctes de la société Coty et où ces dernières, ayant d'autres clientes maisons de parfums que la société Coty, étaient susceptibles de maintenir un flux d'affaires équivalent avec la société Open Air. Dès lors, c'est à tort que la société F. prétend que la relation a été rendue précaire à compter du 15 avril 2014.
Or il apparaît que l'activité a brutalement baissé en 2016 par rapport aux années précédentes pour cesser totalement en 2017.
Sur l'absence de préavis,
Le texte précité vise à sanctionner, non pas la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou l'insuffisance de préavis.
En l'espèce, il est constant que la rupture partielle puis totale des relations avec la société Open Air n'a été précédée d'aucun préavis écrit de la part des sociétés IFF et F.. A cet égard, le préavis adressé par la société Coty ne peut leur bénéficier dès lors qu'il s'agit de relations distinctes. En outre, ainsi qu'il a été observé ci-dessus, la fin des relations avec la société Coty n'impliquait pas nécessairement la fin des relations avec les sociétés intimées qui avaient d'autres maisons de parfums clientes pour lesquelles elles pouvaient faire réaliser des tests et des pré-tests par la société Open Air.
La société G. fait valoir que le courriel adressé le 16 juin 2014 équivaut à un préavis.
Dans ce courriel, M. Oriol S., directeur commercial de la société G., écrit à M. M. le message suivant :
« Hola Frédéric,
Nous sommes surpris et profondément attristés par cette nouvelle concernant la volonté de Coty de rompre vos relations commerciales.
Nous avons toujours été très satisfaits de notre fructueuse collaboration concernant toutes les études que G. a confiées à Open Air depuis de nombreuses années, tant par la qualité et la pertinence de tes présentations, que par les enseignements toujours très opérationnels permettant des retravaux immédiats pour nos parfumeurs pour améliorer nos notes.
Nous continuerons de notre côté à travailler avec Open Air, en atteste les pré-tests en cours sur lesquels nous travaillons aujourd'hui sur les projets Coty Prestige, mais souhaitons rester en ligne avec notre stratégie de tests qui demeure identique, à savoir conduire nos pré-tests avec l'institut en charge du test Client afin d'être au plus près de leur méthodologie pour nous assurer d'un maximum de reproductibilité et ainsi, accroître nos chances d'optimiser nos résultats au sein des tests Clients finaux.
En revanche, nous envisageons de conduire dans le futur avec Open Air des études plus en amont sur certains projets spécifiques et ne manquerons pas de revenir vers toi à ces occasions. »
Si la société G. laisse entendre, dans cette lettre, qu'elle ne confiera plus à la société Open Air de pré-test à réaliser dès lors que le client destinataire de la fragrance sera la société Coty, elle n'évoque à aucun moment sa volonté de mettre un terme à la relation ni n'indique de date de rupture.
Or la notification de l'intention de rompre la relation n'est régulière et le préavis ne commence à courir que si la date de la rupture est précisée. Dans ces conditions, le courriel du 16 juin 2014 de la société G. ne peut valoir préavis écrit.
Les sociétés intimées tentent d'échapper à toute responsabilité en faisant valoir que la rupture ne résulte pas d'un fait volontaire de leur part mais de la volonté de la société Coty qui leur imposait le choix du prestataire à désigner pour la réalisation des tests de sélection des fragrances soumises à ses appels d'offres.
Toutefois les termes des contrats liant la société Coty aux sociétés IFF, G. et F. sont inopposables à la société Open Air, tiers à ces contrats, et il leur appartenait de notifier à la société Open Air un préavis écrit si elles entendaient ne plus recourir à cette dernière pour réaliser les pré-tests et les tests destinés à la société Coty et s'il devait en résulter une diminution importante du volume d'affaires entre elles. Par ailleurs, les sociétés intimées ne versent aucun élément de leur comptabilité attestant que la réduction du flux d'affaires avec la société Open Air résulte de la réduction des commandes qu'elles ont reçues de la part de leurs clientes.
Dès lors, force est de constater qu'aucun préavis écrit n'a été donné à la société Open Air par aucune des trois sociétés intimées. La brutalité de la rupture, d'abord partielle à compter du 1er janvier 2016, puis totale, à compter du 1er janvier 2017, est donc caractérisée. La responsabilité de chacune des sociétés IFF, G. et F. à l'égard de la société Open Air sera retenu.
Sur la durée du préavis,
La société Open Air fait valoir que ces trois sociétés représentaient, ensemble, plus de 60 % de son chiffre d'affaires et qu'eu égard à l'ancienneté de 17 ans des relations, un préavis de 18 mois aurait dû être accordé.
Les sociétés intimées considèrent que les relations n'ont commencé qu'en 2005 et que chacune ne représentait que 20 % du chiffre d'affaires de la société Open Air. Elles estiment à six mois la durée du préavis qui aurait dû être observé.
Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.
En l'espèce, en ce qui concerne la durée de la relation commerciale, la société Open Air ne verse aux débats aucun élément de nature à démontrer que la relation d'affaires entretenue entre les sociétés intimées et la société Open Air constitue la continuation de la relation d'affaires initiée en 1988 avec la société Dorset. Le fait que M. M. ait été dirigeant des sociétés Dorset puis Open Air ne peut suffire à établir que les parties ont entendu se placer dans la même relation.
Eu égard à l'ancienneté des relations (de 11 ans) et à la part de chacune des sociétés intimées dans le chiffre d'affaires de la société Open Air entre 2011 et 2015 (soit 20 % pour la société IFF, 19 % pour la société G. et 16 % pour la société F.), le préavis qui aurait dû être observé par chacune de ces sociétés doit être fixé à 8 mois.
Sur les préjudices subis par la société Open Air.
Sur la perte de marge brute.
La société Open Air évalue la marge brute sur coûts variables escomptée à 48,18 %.
Les sociétés intimées estiment que la société Open Air ne justifie pas de la marge brute qu'elle allègue et qu'elle ne distingue pas selon les sociétés concernées. En outre, elles estiment que doit être exclu du calcul du préjudice la perte de chiffre d'affaires liée à la rupture des relations avec la société Coty.
Ainsi qu'il a été énoncé ci-dessus, la responsabilité des sociétés IFF, G. et F. a été retenue du fait de la rupture de la relation commerciale entretenue par chacune d'elles avec la société Open Air ; les trois sociétés ayant été déclarées responsables de la rupture de l'intégralité de la relation sans qu'il y ait lieu de distinguer les flux résultant des tests de sélection ou des pré-tests destinés à la société Coty.
Contrairement à ce que soutiennent les sociétés intimées, la société Open Air a versé aux débats les éléments comptables relatifs aux exercices 2011 à 2015 ainsi qu'une attestation de son expert-comptable évaluant la marge sur coûts variables escomptée à une moyenne de 48,18 % entre 2011 et 2015. Il résulte de l'analyse comparée de ces documents que les charges variables qui ont été prises en compte par l'expert-comptable sont celles liées aux achats d'études. Le calcul de l'expert-comptable n'est pas critiqué de manière pertinente par les sociétés intimées et sera donc retenu.
En conséquence, le préjudice résultant pour la société Open Air de la rupture de ses relations avec la société IFF sera évalué à 42.292 euros [(moyenne du chiffre d'affaires réalisé entre 2013 et 2015, soit 188.831/12) x 8 mois x 48,18 %, soit un total de 60.652 euros, dont il convient de déduire la somme de 18.360 euros correspondant au chiffre d'affaires réalisé en 2016].
Le préjudice résultant pour la société Open Air de la rupture de ses relations avec la société G. sera évalué à 42.731 euros [(moyenne du chiffre d'affaires réalisé entre 2013 et 2015, soit 184.719/12) x 8 mois x 48,18 %, soit un total de 59.332 euros, dont il convient de déduire la somme de 16.601 euros correspondant au chiffre d'affaires réalisé en 2016].
Le préjudice résultant pour la société Open Air de la rupture de ses relations avec la société F. sera évalué à 19.610 euros [(moyenne du chiffre d'affaires réalisé entre 2013 et 2015, soit 156.319/12) x 8 mois x 48,18 %, soit un total de 50.210 euros, dont il convient de déduire la somme de 30.600 euros correspondant au chiffre d'affaires réalisé en 2016].
Sur le préjudice d'image,
La société Open Air considère avoir subi un préjudice d'image en raison des circonstances de la rupture brutale puisque les sociétés intimées ont mené une action concertée, ce dont il est résulté une atteinte à sa réputation qu'elle chiffre à hauteur de 100.000 euros.
Les sociétés intimées contestent le préjudice d'image allégué en soutenant qu'il n'est aucunement prouvé. Elles dénient toute action concertée. En tout état de cause, elles estiment que le préjudice allégué résulte non pas de la brutalité de la rupture mais de la rupture elle-même.
Il sera constaté que la société Open Air se contente d'alléguer l'existence d'un préjudice d'image sans le démontrer. Elle ne verse ainsi aucun élément de preuve démontrant une atteinte à sa réputation liée à la brutalité des ruptures litigieuses.
Sa demande d'indemnisation de ce chef sera rejetée.
Sur la perte de valeur du fonds de commerce,
La société Open Air prétend également avoir subi un préjudice lié à une perte de valeur du fonds de commerce. Elle soutient que son fonds de commerce a subi une dépréciation du fait de l'absence de préavis lui permettant de trouver des solutions de remplacement au cour d'un marché très étroit. Elle évalue cette dépréciation au montant du chiffre d'affaires qu'elle aurait dû réaliser sur une année avec les trois intimées, soit la somme de 657.200 euros.
Les sociétés intimées dénient toute perte de valeur du fonds de commerce.
La société Open Air ne verse aux débats aucun élément permettant de démontrer l'existence d'une perte de valeur de son fonds de commerce.
La demande d'indemnisation sur ce point sera écartée.
Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
La société G. fait valoir que la procédure intentée à son encontre a un caractère abusif dans la mesure où elle avait donné un préavis tout à fait clair et suffisant à la société Open Air dans son courriel du 16 juin 2014.
Il résulte de ce qui précède qu'aucun abus de procédure ne peut être reproché à la société Open Air. Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive de la société G..
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.
Les sociétés IFF, G. et F. succombent à l'instance. Les dispositions du jugement relatives aux dépens de première instance et aux frais irrépétibles seront infirmées. Les sociétés IFF, G. et F. seront condamnées in solidum à supporter les dépens de première instance et d'appel. Elles seront condamnées in solidum à payer à la société Open Air une somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Les autres demandes sur ce fondement seront rejetées.
Sur l'exécution provisoire,
S'agissant d'une décision insusceptible de voies de recours suspensives d'exécution, la demande d'exécution provisoire est sans objet.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Dit n'y avoir lieu d'écarter des débats les pièces communiquées en langue anglaise ;
Infirme le jugement sauf en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par la société G. ;
Statuant à nouveau,
Déclare recevable l'action de la société Open Air ;
Déclare les sociétés International Flavors & Fragances IFF, G. France et F. et Cie chacune responsable de la rupture brutale de la relation commerciale établie qu'elle entretenait avec la société Open Air ;
Condamne la société International Flavors & Fragances IFF à payer à la société Open Air une somme de 42.292 euros de dommages et intérêts en réparation de la perte de marge résultant de la brutalité de la rupture ;
Condamne la société G. France à payer à la société Open Air une somme de 42.731 euros de dommages et intérêts en réparation de la perte de marge résultant de la brutalité de la rupture ;
Condamne la société F. et Cie à payer à la société Open Air la somme de 19.610 euros de dommages et intérêts en réparation de la perte de marge résultant de la brutalité de la rupture ;
Rejette les demandes d'indemnisation de la société Open Air au titre du préjudice d'image et de la perte de valeur du fonds de commerce ;
Condamne in solidum la société International Flavors & Fragances IFF, G. France et F. et Cie à payer à la société Open Air une somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette les autres demandes sur ce fondement ;
Condamne in solidum les sociétés International Flavors & Fragances IFF, G. France et F. et Cie aux dépens de première instance et d'appel.