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Décisions

Cass. com., 2 février 2022, n°  20-17.151

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rémery

Avocats :

SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, SCP de Nervo et Poupet

Rapporteur :

Mme Bélaval

Avocat général :

Mme Guinamant

Paris, pôle 5, ch. 9, du 22 mai 2020

22 mai 2020

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 22 mai 2020), la société PY automation (la société PY) avait pour dirigeants MM. [J] et [K]. La société Gexpertise Systems (la société Gexpertise), devenue la société Simplicit, est une société filiale du Groupe Gexpertise, présidé par M. [M]. Dans le cadre d'un projet de partenariat discuté dès 2009, M. [M] a personnellement prêté à la société PY, en décembre 2010 et février 2011, les sommes de 50 000 euros et 25 000 euros, et la société Gexpertise a acquis, au mois d'avril 2011, 62,82 % des parts de la société PY, apporté la somme de 57 376,71 euros en compte courant et fait une avance de trésorerie de 56 300 euros à cette société, et s'est rendue caution solidaire du remboursement d'un prêt bancaire de 40 000 euros que cette société avait contracté.

2. Par un jugement du 15 décembre 2011, la société PY a été mise en redressement judiciaire. Un plan de cession a été arrêté le 22 juin 2012 et la liquidation judiciaire de la société PY a été prononcée le 5 juillet 2012.

3. Reprochant à MM. [J] et [K] une dissimulation frauduleuse de la situation réelle de la société PY commise avec le concours de la société In Extenso Picardie Ile-de-France (la société In Extenso), expert-comptable, la société Simplicit et M. [M] les ont assignés en réparation des préjudices qu'ils prétendaient avoir subi par leur faute, à savoir notamment la réalisation en pure perte des investissements réalisés sur la base d'informations et de documents comptables qui se seraient révélés faux, le cautionnement du prêt, la perte de chance de développer un projet dénommé "Miroir", et les divers coûts afférents à ce projet.

Examen des moyens

Sur le deuxième et le troisième moyens, ci-après annexés

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. La société Simplicit et M. [M] font grief à l'arrêt de les déclarer irrecevables en leurs actions dirigées contre la société In Extenso et MM. [J] et [K] au titre, pour la société Simplicit, de ses investissements directs dans la société PY et au titre, pour M. [M], des deux prêts consentis à la société PY, alors « que la recevabilité de l'action exercée par un créancier à l'encontre des dirigeants ou de l'expert-comptable d'une société faisant l'objet d'une procédure collective pour des faits antérieurs au jugement d'ouverture, est subordonnée à l'allégation d'un préjudice personnel, distinct de celui subi par la personne morale ; que constitue un préjudice personnel distinct du préjudice collectif subi par l'ensemble des créanciers de la procédure collective, le préjudice résultant des informations comptables erronées délivrées par les dirigeants d'une société et établies par son expert-comptable ; qu'en l'espèce, la cour a exposé que la société Gexpertise Systems avait acquis 62,82 % des titres de la société PY automation auprès des consorts [K] et de l'Institut de développement économique de Bourgogne et avait apporté à cette société la somme de 57 376,71 € en compte courant d'associé et fait une avance de trésorerie de 56 300 € ; qu'elle a également exposé que M. [M] avait consenti deux prêts de 50 000 € et 25 000 € à la société PY automation ; que pour déclarer la société Gexpertise Systems désormais dénommée Simplicit et M. [M] irrecevables en leur action en responsabilité dirigée contre la société In Extenso Picardie Ile-de-France, expert comptable de la société PY automation et contre ses dirigeants MM. [J] et [K], la cour a énoncé que ces investissements relevaient du dommage général subi par la collectivité des créanciers de la société PY automation soumise depuis lors à une procédure collective, sans que la société Gexpertise ne justifie d'un préjudice personnel spécifique ; qu'en statuant de la sorte, sans rechercher, comme elle y était invitée (Prod. 2, concl. p. 7 à 9 et Prod. 3, concl. p. 7-8 et 27- 28), si les préjudices invoqués par la société Gexpertise Systems devenue Simplicit et par M. [M], créanciers de la société PY automation sous procédure collective, ne résultaient pas des informations comptables erronées délivrées par les dirigeants de la société PY automation, établies par son expert-comptable, sur la foi desquelles ils avaient investi dans la société PY automation, de sorte que leur préjudice revêtait un caractère personnel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 622-20 et L. 641-4 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 622-20 et L. 641-4 du code de commerce :

6. Il résulte de ces textes que seul le liquidateur a qualité pour agir au nom et dans l'intérêt collectif des créanciers. Est toutefois recevable à agir en responsabilité contre le dirigeant de la société débitrice ou son expert-comptable un actionnaire ou un investisseur qui, recherchant la réparation du préjudice ayant résulté pour lui de la perte de ses apports, concours ou investissements réalisés sur la foi de la présentation de comptes annuels infidèles de cette société, invoque un préjudice personnel, distinct du préjudice collectif des créanciers, et étranger à la reconstitution du gage commun de ces derniers.

7. Pour déclarer la société Simplicit et M. [M] irrecevables en leurs actions dirigées contre la société In Extenso et MM. [J] et [K] au titre, pour la société Simplicit, de ses investissements directs dans la société PY et au titre, pour M. [M], des deux prêts consentis à la société PY, l'arrêt retient que c'était l'état de cessation des paiements de la société PY qui faisait que M. [M] et la société Simplicit, étaient, à la date de l'assignation, titulaires de ces créances demeurées impayées, qu'indépendamment du fondement juridique spécifique de leur action - des fautes reprochées aux dirigeants et à l'expert-comptable - ils tendaient en réalité uniquement à obtenir la seule réparation du préjudice pécuniaire résultant des investissements perdus ou des titres devenus sans valeur, qu'ils se trouvaient, à cet égard, dans une situation identique à tout créancier qui a apporté son concours à la société PY sur la base de comptes certifiés et publiés et que recevoir leur action aurait pour effet de rompre l'égalité entre les créanciers de la société PY et de leur permettre, pour autant que l'actif de l'entreprise puisse être réalisé pour partie, de percevoir un double paiement.

8. En statuant ainsi, alors que la société Simplicit et M. [M] invoquaient le préjudice personnel que leur aurait causé l'insincérité des comptes fournis par MM. [J] et [K] et établis par la société In Extenso, sur la foi desquels ils avaient investi, et non le préjudice causé par la défaillance de la société PY qui ne serait qu'une fraction du préjudice collectif des créanciers relevant du monopole du liquidateur, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il déclare la société Simplicit irrecevable en son action dirigée contre la société In Extenso Picardie Ile-de-France au titre de ses investissements directs dans la société PY automation (prise de participations et avances) et déclare M. [M] irrecevable en son action dirigée contre la société In Extenso Picardie Ile-de-France au titre des deux prêts consentis à la société PY automation, en ce qu'il déclare la société Simplicit irrecevable en son action dirigée contre MM. [J] et [K] au titre de ses investissements directs dans la société PY automation (prise de participation et avances) et en ce qu'il déclare M. [M] irrecevable en son action dirigée contre MM. [J] et [K] au titre des deux prêts consentis à la société PY automation, l'arrêt rendu le 22 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.