CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 16 février 2022, n° 20/04895
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Verhoeven (SAS)
Défendeur :
RLG Europe BV (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dallery
Conseillers :
Mme Depelley, Mme Lignières
Avocats :
Me Wilhelm, Me Dumur, Me Boccon Gibod, Me Guilloteau
FAITS ET PROCEDURE
La société Verhoeven a pour activité le commerce de détail d'articles de joaillerie et d’horlogerie de luxe. Elle exploite une bijouterie-horlogerie à Dunkerque.
La société RLG Europe BV Amsterdam Swiss Branch (ci-après « la société RLG » ou « le Groupe Richemont ») commercialise des produits horlogers haut de gamme sous les marques Cartier, Baume & Mercier, Jaeger-LeCoultre, Vacheron Constantin, Panerai et IWC.
La société Verhoeven a distribué la marque Cartier à partir des années 1980 par le biais d’un contrat de distribution sélective avec la société RLG et puis élargi son offre progressivement aux marques Baume & Mercier, Jaeger-LeCoultre, Vacheron Constantin, Panerai et IWC.
La société RLG a dénoncé par lettres adressées à la société Verhoeven entre septembre 2016 et juillet 2018 les contrats de distribution sélective sur ces différentes marques.
La société Verhoeven contestant les conditions dans lesquelles ces dénonciations ont été effectuées et soutenant qu'elles l'ont mise dans une situation financière difficile, a par acte d’huissier du 05 août 2019, assigné la société RLG devant le tribunal de commerce de Paris afin d’obtenir des dommages-intérêts pour non-renouvellement illicite, déloyal et abusif des contrats ainsi que pour rupture brutale de la relation commerciale.
Par jugement du 3 février 2020, le tribunal de commerce de Paris, a :
Débouté la SAS VERHOEVEN de sa demande de condamnation de la Société RLG Europe B.V., Amsterdam (NL) Swiss Branch à des dommages intérêts en réparation du préjudice de non renouvellement illicite, déloyal et abusif de son agrément ;
Débouté la SAS VERHOEVEN de sa demande d'indemnité pour rupture brutale de la relation commerciale établie ;
Débouté la SAS VERHOEVEN de sa demande de dommages intérêts pour préjudice moral,
Condamné la Société RLG Europe B.V., Amsterdam (NL) Swiss Branch à reprendre, si ce n'est déjà fait, les stocks des produits en bon état de la marque VACHERON CONSTANTIN, PANERAI, IWC, JAEGER-LECOULTRE et BAUME & amp, MERCIER, sur la base d'un inventaire contradictoire à leur valeur d'achat initial dans les trente jours de la signification du présent jugement ;
Condamné la Société RLG Europe B.V., Amsterdam (NL) Swiss Branch à verser sur le montant des stocks repris pour la marque VACHERON CONSTANTIN des intérêts de retard au taux légal à compter du 30 juin 2018, pour la marque JAEGER-LECOULTRE LECOULTRE à compter du 31 mars 2018 et pour les marques PANERAI, IWC et BAUME & amp, MERCIER à compter du 31 décembre 2019, avec, en tant que de besoin, capitalisation des intérêts ;
Condamné la Société RLG Europe B.V., Amsterdam (NL) Swiss Branch à payer à la SAS VERHOEVEN la somme de 10000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Débouté les parties pour leurs demandes plus amples et/ou contraires ;
Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement ;
Condamné la Société RLG Europe B.V., Amsterdam (NL) Swiss Branch aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 € donc 12,20 € de TVA.
La société Verhoeven a interjeté appel de ce jugement le 6 mars 2020 et sollicite l’infirmation du jugement du 3 février 2020 dans toutes ses dispositions.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 5 novembre 2021, la société Verhoeven demande à la Cour de :
Vu l’article 1134 du code civil (dans sa version antérieurement en vigueur),
Vu les articles 101 TFUE et L 420-1 du code de commerce,
Vu l’article L 442-6 5° du code de commerce (dans sa version antérieure à l’ordonnance du 24 avril 2019),
Vu l’article 1343-2 du code civil,
Débouter la société RLG de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
Juger l’appel de la société Verhoeven recevable et bien-fondé ;
Confirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a débouté la société Verhoeven de ses demandes de condamnation du Groupe Richemont au titre du non-renouvellement illicite, déloyal et abusif de son contrat de distribution sélective et de sa demande de condamnation du Groupe Richemont à reprendre le stock de l’ensemble des produits du Groupe Richemont encore en sa possession au jour du jugement à leur prix de vente public et infirmer ces chefs du jugement.
Statuant à nouveau et y ajoutant,
A titre principal,
Condamner le Groupe Richemont à verser à la société Verhoeven la somme de 2 000 000 €, sauf a` parfaire, en réparation du préjudice résultant du non-renouvellement illicite de son agrément, avec intérêts au taux légal à compter du 30 juin 2018 et capitalisation des intérêts jusqu’a` complet règlement sur le fondement de l’article 1343-2 du code civil ;
Condamner le Groupe Richemont à verser à la société Verhoeven la somme de 278 096 €, sauf à parfaire, au titre de la rupture brutale de ses relations commerciales établies, avec intérêt au taux légal à compter du 30 juin 2018 et capitalisation des intérêts jusqu’a` complet règlement sur le fondement de l’article 1343-2 du code civil ;
Condamner le Groupe Richemont a` racheter les produits du Groupe Richemont que la société Verhoeven a acquis au titre des contrats de distribution sélective à leur valeur de vente au public, et lui verser la somme de 706 221,90 euros, a` parfaire, avec intérêts au taux légal à compter du 30 juin 2018 et capitalisation des intérêts jusqu’à complet règlement sur le fondement de l’article 1343-2 du code civil,
Condamner le Groupe Richemont à racheter les Produits Cartier du Groupe Richemont que la société Verhoeven a achete´ au Groupe Richemont au titre des contrats de distribution sélective et qu’elle détient encore en stock dans les huit jours de la signification de la décision a` intervenir pour leur valeur de vente au public, soit la somme de 12 792 euros sous astreinte de 1 000 € par jour de retard, avec intérêt au taux légal à compter a` compter du 30 juin 2018 et capitalisation des intérêts jusqu’a` complet règlement sur le fondement de l’article 1343-2 du code civil,
Condamner la société RLG à verser a` la société Verhoeven la somme de 200 000 €, a` parfaire, au titre du préjudice moral résultant du non-renouvellement des contrats de distributeur agrée, avec intérêt au taux légal a` compter du 30 juin 2018 et capitalisation des intérês jusqu’a` complet règlement sur le fondement de l’article 1343-2 du code civil,
A titre subsidiaire,
Désigner tel expert judicaire inscrit qu’il plaira à la cour avec pour mission de déterminer le montant du préjudice subi par la société Verhoeven résultant du non- renouvellement de son agrément par la société RLG, et pour ce faire (...)
En tout état de cause,
Condamner le Groupe Richemont à verser à la société Verhoeven la somme de 15 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamner le Groupe Richemont aux entiers dépens sur le fondement de l’article 699 du code de procédure civile ;
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 10 novembre 2021, la société RLG demande à la Cour de :
Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il :
-Déboute la société Verhoeven de sa demande de condamnation de la société RLG a` des dommages et interêts en réparation du préjudice de non renouvellement illicite, déloyal et abusif de son agrément,
-Déboute la société Verhoeven de sa demande d’indemnité pour rupture brutale de la relation commerciale établie,
-Déboute la société Verhoeven de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral,
Dire recevable et bien-fondé l’appel incident de la sociéte´ RLG et en conséquence :
Infirmer ledit jugement en ce qu’il :
- Condamne la société RLG EUROPE, Amsterdam (NL) Swiss Branch à reprendre les stocks des produits de la marque VACHERON CONSTANTIN, PANERAI, IWC, JAEGER LECOULTRE et BAUME & MERCIER,
- Condamne la société RLG EUROPE, Amsterdam (NL) Swiss Branch à verser sur le montant des stocks repris pour la marque VACHERON CONSTANTIN des intérêts de retard au taux légal à compter du 30 juin 2018, pour la marque JAEGER-LECOULTRE à compter du 31 mars 2018 et pour les marques PANERAI, IWC et BAUME & MERCIER à compter du 31 décembre 2019,
- Condamne la société RLG EUROPE, Amsterdam (NL) Swiss Branch à payer à la SAS VERHOEVEN la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
- Ordonne l’exécution provisoire du jugement,
- Condamne la société RLG EUROPE, Amsterdam (NL) Swiss Branch aux dépens.
Statuant à nouveau,
- Dire n’y avoir lieu à condamnation de la société RLG EUROPE à reprendre les stocks des produits de la marque VACHERON CONSTANTIN, PANERAI, IWC, JAEGER LECOULTRE et BAUME & MERCIER, cette reprise ayant été effectuée,
- Dire n’y avoir lieu à paiement d’intérêts sur le montant des sommes représentant le rachat des stocks résiduels des marques ci-dessus mentionnées,
- Débouter la société VERHOEVEN de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
Y ajoutant,
- Condamner la société VERHOEVEN à payer à la société RLG EUROPE la somme de 25 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
- La condamner en tous les dépens de première instance et d’appel,
- Dire que les dépens d'appel pourront être directement recouvrés par la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, en application de l'article 699 du Code de procédure civile ;
- Rappeler que la décision à intervenir constitue un titre de restitution des fonds versés en application des dispositions infirmées du jugement assorti de l’exécution provisoire.
La cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
La société Verhoeven a conclu avec la société RLG des contrats de distribution sélective :
- dernier en date du 3 mars 2012 pour la marque Cartier (pièce n°3-4)
- du 1er septembre 2015 pour la marque Baume& Mercier (pièce n°4)
- du 10 février 2014 pour la marque Jaeger- LeCoultre (pièce n°5 et 17)
- du 1er avril 2012 pour la marque Iwc (pièce n°16)
- du 28 octobre 2014 pour la marque Panerai (pièce n°7)
- en 2016 pour la marque Vacheron Constantin.
Ces contrats organisaient une distribution sélective qualitative de détaillant agréé.
A l’article 7 de ces contrats, il était stipulé sur la durée du contrat :
7.1 Le présent contrat entre en vigueur lors de sa signature par les deux parties et prendra fin le 31 décembre de l’année en cours.
7.2 Il se renouvellera ensuite pour des périodes contractuelles d’une année chacune, à moins d’être dénoncé par l’une ou l’autre des parties par lettre recommandée envoyée trois mois (3) mois avant le terme du présent contrat ou l’échéance d’une quelconque période contractuelle ultérieure, sans qu’une telle dénonciation n’entraîne pour l’une ou l’autre des parties un droit à une quelconque indemnité de ce fait.
La société RLG a notifié par lettres du 14 septembre 2016 (pièce n° 13), 4 août 2017 (pièce n°14), 19 juillet 2018 (pièce n°15,16, 17) , 30 juillet 2018 (pièce n°18) respectivement pour les marques Cartier, Vacheron Constantin, Baume & Mercier, Iwc, Jaeger-LeCoultre, Panerai, la résiliation des contrats en application de l’article 7 précité.
Sur la demande de la société Verhoeven en réparation d’un préjudice causé par une entente anticoncurrentielle
La société Verhoeven soutient que le non-renouvellement de ses agréments est soumis au droit des ententes des articles 101 TFUE et L420-1 du code de commerce et que celui-ci constitue une entente illicite, en ce qu’il constitue une pratique discriminatoire s’inscrivant dans le cadre d’une politique générale visant à exclure une certaine forme de distribution, à savoir la distribution physique, ayant pour objet et a minima pour effet de restreindre la concurrence sur le marché de la vente au détail des montres haut de gamme. Elle relève que le groupe Richemont ne démontre pas qu’il détient une part de marché inférieur à 30% permettant à son réseau de bénéficier de l’exemption catégorielle sur le fondement du Règlement (UE) n°330/20101 ni qu’il peut bénéficier d’une exemption individuelle.
La société RLG réplique en premier lieu que le non-renouvellement est un acte unilatéral non susceptible de constituer une entente, dès lors qu’elle a choisi de ne pas reconduire les contrats de distribution de la société Verhoeven en vue de réorganiser son réseau. Elle insiste sur le fait que la société appelante ne démontre, aucune application discriminatoire à son encontre des critères de sélection des différents contrats de distribution dont elle était titulaire. Elle précise que la mise en oeuvre des critères de sélection de manière nondiscriminatoire, ne signifie pas que le fournisseur est obligé d’agréer toutes les candidatures qui lui sont présentées, une telle solution l’empêcherait de mettre en oeuvre une quelconque stratégie commerciale et porte atteinte à la liberté contractuelle.
Elle prétend en outre que sur le marché des montres dont le prix de vente au public est supérieur à 1000 euros, les sociétés du groupe Richemont ne détiennent pas une part de marché supérieure à 30% et qu’il est définitivement acquis depuis un arrêt Com 12 mai 2021, pourvoi n°19-17580 qu’un refus d’agrément opposé à un candidat à l’entrée dans un réseau de distribution dont la tête de réseau détient une part de marché inférieure à 30% bénéficie en tout état de cause de l’exemption par catégorie et ne peut pas être remis en cause au titre du droit européen ou national de la concurrence.
En toute hypothèse, la société RLG relève que la société Verhoeven ne démontre pas, à partir d’une analyse du contexte économique et juridique, que le non-renouvellement de ses contrats de distribution conduirait à une restriction par objet ni du degré de nocivité. Sur les effets anticoncurrentiels invoqués, la société RLG soutient que le fait qu’elle chercherait à écarter la distribution physique au profit de ses ventes en ligne constitue un procès d’intention dépourvu de toute démonstration et qu’il n’est versé aucune pièce que le non-renouvellement de ses contrats de distribution affecterait la concurrence, réelle ou potentielle, à un point tel qu’il aura sur le marché des montres de luxe des effets négatifs sur les prix, la production, l’innovation ou la diversité ou la qualité.
Sur ce,
Si le droit des ententes trouve à s'appliquer, ce qui est contesté par la société RLG, les parties ne contestent pas l'application du droit de l'Union.
En vertu de l'article 101, alinéa 1 du TFUE : «Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché intérieur, et notamment ceux qui consistent à (...)».
De même, l'article L. 420-1 du code de commerce prévoit que : «Sont prohibées même par l'intermédiaire direct ou indirect d'une société du groupe implantée hors de France, lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu'elles tendent à : (...) ».
La constitution d'une entente anticoncurrentielle présuppose la réunion d'un élément subjectif, un concours de volontés entre au moins deux opérateurs, et un élément objectif, la restriction de concurrence.
Il ressort des contrats de distribution versés aux débats, ( pièces n° 3 à 7 Verhoeven), notamment des obligations relatives au “détaillant agréé” et des ses points de vente, que le réseau mis en place par la société RLG est un réseau de distribution sélective qualitative.
Aucun critère de sélection quantitatif n'est prévu dans ces contrats.
La Cour de justice de l'Union européenne a rappelé dans un arrêt Pierre Fabre que les accords qui constituent un système de distribution sélective influencent nécessairement la concurrence dans le marché commun et sont à considérer, à défaut de justification objective, en tant que « restrictions par objet ». Cette justification objective peut résider dans des exigences légitimes, telles que le maintien du commerce spécialisé capable de fournir des prestations spécifiques pour des produits de haute qualité et technicité, qui justifient une réduction de la concurrence par les prix au bénéfice d'une concurrence portant sur d'autres éléments que les prix. Les systèmes de distribution sélective constituent donc, du fait qu'ils visent à atteindre un résultat légitime, qui est de nature à améliorer la concurrence, là où celle-ci ne s'exerce pas seulement sur les prix, un élément de concurrence conforme à l'article 101, paragraphe 1, TFUE. À cet égard, la Cour a déjà relevé que l'organisation d'un tel réseau ne relève pas de l'interdiction de l'article 101, paragraphe 1, TFUE, pour autant que le choix des revendeurs s'opère en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif, fixés d'une manière uniforme à l'égard de tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire, que les propriétés du produit en cause nécessitent, pour en préserver la qualité et en assurer le bon usage, un tel réseau de distribution et, enfin, que les critères définis n'aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire (arrêts du 25 octobre 1977, Metro SB-Großmärkte/Commission, 26/76, Rec. p.1875, point 20 ; Com. 18 décembre 2012, pourvoi n°11-27.342).
Selon la CJCE dans son arrêt du 25 octobre 1983, aff 107/82, «il s'ensuit que la mise en oeuvre d'un système de distribution sélective fondé sur des critères autres que ceux précités constitue une infraction à l'article 85, paragraphe 1 (devenu 101, alinéa 1 du TFUE). Il en est de même pour le cas où un système en principe conforme au droit communautaire est appliqué dans la pratique d'une manière incompatible avec celui-ci» (§ 36). «En effet, une telle pratique doit être considérée comme illicite, lorsque le fabricant, en vue de maintenir un niveau de prix élevé ou d'exclure certaines voies de commercialisation modernes, refuse d'agréer des distributeurs qui répondent aux critères qualitatifs du système» (§ 37). «Une pareille attitude de la part du fabricant ne constitue pas un comportement unilatéral de l'entreprise qui, comme le soutient AEG, échapperait à l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, du traité. Elle s'insère, par contre, dans les relations contractuelles que l'entreprise entretient avec les revendeurs. En effet, dans le cas d'admission d'un distributeur, l'agrément se fonde sur l'acceptation, expresse ou tacite, de la part des contractants, de la politique poursuivie par AEG exigeant, entre autres, l'exclusion du réseau de distributeurs ayant les qualités pour y être admis, mais n'étant pas disposés à adhérer à cette politique» (§ 38) (la cour souligne).
Les refus d'agrément sont donc de nature à rendre le réseau illicite au regard des critères Metro et à constituer une entente verticale anticoncurrentielle entre le fournisseur et les membres de son réseau s'ils ont un objet ou un effet anticoncurrentiel, c'est-à-dire s'ils s'insèrent dans une politique générale du fournisseur visant à exclure une ou des formes déterminées de distribution qui seraient aptes à distribuer les produits en cause, à créer des barrières artificielles à l'entrée sur le marché de la distribution des produits concernés ou à éliminer des distributeurs menant une pratique de prix bas.
Aussi, la liberté du commerce et son corollaire, la liberté de contracter, trouvent leurs limites dans les règles de concurrence, d'ordre public.
La pratique soumise à la Cour consiste dans le refus de renouvellement des contrats de distribution sélective de la société Verhoeven à leur échéance contractuelle.
La société Verhoeven se place sur un marché national des montres haut de gamme ou de prestige, les montres haut de gamme correspondant à des montres dont le prix est supérieur à 1000 euros.
* sur l’objet anticoncurrentiel
La société Verhoeven soutient que la décision du groupe Richemont de ne pas renouveler son agrément pour la distribution de l’ensemble de ses produits présente manifestement un caractère discriminatoire et vise en outre à écarter la distribution physique au profit du développement des ventes en ligne du Groupe Richemont ce qui constitue une restriction de concurrence par objet, ou a minima par effets. Elle souligne que le refus d’agrément litigieux ne constitue pas un refus isolé qui serait justifié par une perte de confiance ou d’autres raisons personnelles spécifiques à la société Verhoeven, telles le non respect des critères de sélection ou tout autre manquement contractuel et relève que le groupe Richemont n’a mis en avant aucun grief pour justifier le non-renouvellement de ses relations commerciales. Selon la société appelante, la décision du groupe Richemont à son égard est parfaitement discriminatoire, car reposant en réalité sur l’application de critères de sélection insuffisamment définis et objectifs, tel que l’existence d’un “potentiel de vente” sans définir la zone de chalandise concernée ni le volume de chiffre d’affaires (article 2.3 contrat de distribution Cartier, Vacheron Constantin).
La société Verhoeven en conclut que non seulement le réseau de distribution sélective du groupe Richemont, fondé sur des critères de sélection non objectivement définis, est illicite mais, de surcroît, le non-renouvellement de sa relation commerciale avec la société Verhoeven constitue une décision arbitraire visant à exclure un point de vente qui était pourtant apte à distribuer les produits en cause et n’avait jamais failli à développer les marques du groupe Richemont.
La charge de la preuve de l'objet anticoncurrentiel d'un refus d'agrément opposé à une entreprise incombe à cet opérateur.
Comme le relève à juste titre la société RLG, la société Verhoeven ne produit aucun élément tangible permettant de démontrer, non seulement en quoi les critères de sélection des différents contrats ne seraient pas suffisamment objectifs ou définis, mais surtout en quoi leur application serait discriminatoire à son encontre, la pratique discriminatoire ne pouvant se déduire du seul non-renouvellement à leur échéance des contrats. Il n’est pas non plus démontré, par une analyse précise du contexte économique et juridique, le degré de nocivité que pourrait avoir sur le marché en cause, le non-renouvellement des contrats de distribution Verhoeven et qui conduirait nécessairement à une restriction de concurrence.
* sur l’effet anticoncurrentiel
La société Verhoeven soutient encore qu’elle est un acteur incontournable sur le marché de la vente de produits de bijouterie et horlogerie de luxe dans la région de Dunkerque, et a également pu conquérir et fidéliser des clients de Rouen à la Belgique, en passant par la métropole Lilloise et les départements d’Ile-de-France, de la Somme et du Pas de Calais.
Elle prétend que la décision du groupe Richemont s’inscrit dans le cadre de sa stratégie générale visant à développer ses ventes en ligne au détriment des distributeurs physiques.
Selon elle cette stratégie a pour objet, et a minima pour effet :
- d’exclure une certaine forme de distribution - la distribution physique traditionnelle et multimarque pourtant apte à distribuer les produits- du marché au détail des montres haut de gamme. La diminution du nombre de détaillants physiques traditionnels, est notamment attestée par la Maison Lepage, distributeur agrée du groupe Richemont à Lille,
- de détourner les actions et les efforts engagés par les détaillants physiques pour développer les ventes de produits sélectifs sans en partager les coûts et, d’autre part d’empêcher, au détriment du consommateur final, une concurrence par les prix et la qualité de service.
La société Verhoeven souligne encore que le risque d’éviction, qui ne concerne par seulement la société Verhoeven, mais l’ensemble des distributeurs actuels ou potentiels, est d’autant plus important que le marché de la distribution des montres haut de gamme est caractérisé par :
- un cumul des réseaux de distribution sélective mis en place par la totalité des fournisseurs, lesquels exercent les uns sur les autres un effet d’entrainement, chacune des marques imposant de façon parallèle à leurs distributeurs de disposer d’une gamme de marques équivalentes,
- d’importantes barrières à l’entrée : beaucoup de temps et d’investissements sont nécessaires pour que les détaillants potentiels ou exclus puissent obtenir ailleurs une gamme de produits horlogers compétitive pr rapport aux marques du groupe Richemont qui sont, aux côtés de Rolex, les plus notoires des marques d’horlogerie haut de gamme et présentant une part très majoritaire du marché.
Pour constituer une entente par effet, un refus d'agrément doit être de nature à éliminer ou restreindre la concurrence sur le marché en cause, à savoir le marché de l’horlogerie de luxe, et non pas simplement conduire à des difficultés sur le marché pour le seul opérateur Verhoeven.
Aussi, les pièces versées aux débats par la société Verhoeven, à savoir les articles de presse faisant état d’un développement des ventes en ligne de la société RLG (pièces n°8,9,10, 11, 29, 33), un extrait de blog de la bijouterie Lepage à Lille (pièce n°34) ou les informations sur les marques les plus populaires (pièces n°35 et 36), sont insuffisantes pour accréditer les allégations de l’appelante suivant lesquelles le non-renouvellement de ses contrats non seulement s’inscrit dans une stratégie du groupe Richemont de réduire les points de vente physique pour les ventes en lignes et que cette stratégie a des effets nocifs sur le marché en cause défini comme celui du marché national des montres haut de gamme ou de prestige, en limitant la concurrence entre les marques et en provoquant l’éviction pure et simple de détaillant.
Au vu des éléments soumis à la Cour, il n’est pas rapporté la preuve que le refus de renouvellement des contrats de distribution serait de nature à affecter sensiblement le fonctionnement concurrentiel du marché en cause.
Dès lors qu’il n’est pas établi que le refus de non-renouvellement des contrats litigieux, aurait pour objet ou pour effet de porter atteinte à la concurrence au regard de l'alinéa 1 de l'article 101 du TFUE et de l'article L. 420-1 du code de commerce, il n'y a pas lieu de statuer sur la question de l'exemption automatique du règlement.
En conséquence, la société Verhoeven sera déboutée de sa demande de réparation d’un préjudice causé par une entente illicite du fait du non-renouvellement de ses contrats de distribution , et le jugement, par substitution de motifs, sera confirmé sur ce point.
Sur la demande de la société Verhoeven en réparation d’un préjudice causé par des conditions de non-renouvellement des contrats de distribution abusives et déloyales
La société Verhoeven soutient que la décision du groupe Richemont de ne pas renouveler les contrats de distribution s’est accompagnée de circonstances abusives, en ce qu’il a entretenu la société Verhoeven dans l’illusion que leur partenariat serait pérenne avant d’annoncer de façon brutale et sans aucun motif le non-renouvellement simultané de l’intégralité des contrats. Elle relève en outre une déloyauté en ce qu’elle n’aurait pas été informée du changement de stratégie du groupe Richemont alors qu’elle avait effectué d’importants investissements dans le cadre de cette relation commerciale qu’elle n’a pu amortir.
La société RLG réplique que les pièces versées aux débats par la société Verhoeven n’apportent aucunement la preuve d’un comportement abusif et déloyal de sa part.
Sur ce,
Il est certain qu’à la suite de la résiliation des contrats de distribution à l’initiative de la société RLG, la société Verhoeven a perdu la qualité de distributeur agréé des six marques du groupe Richemont en moins d’un an et demi et représentant une part significative de ses achats en horlogerie.
Néanmoins, ce non-renouvellement de l’agrément de la société Verhoeven pour l’ensemble des marques de la société RLG a été fait suivant les prévisions contractuelles à l’échéance des contrats et suivant des préavis plus longs que prévu dans les contrats, et sans avoir à justifier de motifs. Par ailleurs, même si le partenariat de longue date entre les deux sociétés et l’agrément progressif de plusieurs marques de la société RLG pouvait laisser croire à une relation commerciale pérenne, il n’est cependant pas démontré d’abus de la part de la société RLG dans son droit au non-renouvellement des contrats de distribution. Les pièces produites aux débats, à savoir un courrier de 2013 faisant état d’un “partenaire de province incontournable” ou la conclusion de nouveaux contrats en 2014 et septembre 2015 avant la première lettre de résiliation du contrat Cartier en septembre 2016, ne sont pas suffisantes pour établir un abus dans la décision de non-renouvellement de la société RLG. Il est en de même pour les courriers de mai et juin 2016 (pièces 28 et 28-1) qui concernent une reprise de stock et un courrier circulaire pour la “mise en avant” des produits Panerai (pièce n°31).
Enfin, la société Verhoeven ne justifie pas d’investissements importants et spécifiques, autre que l’obligation contractuelle d’approvisionnement, pour la distribution des marques de la société RLG peu avant la décision de non-renouvellement des contrats.
Dès lors, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté la société Verhoeven de sa demande de dommages-intérêts en réparation d’un préjudice de non-renouvellement déloyal et abusif de son agrément.
Sur la demande de la société Verhoeven en réparation d’un préjudice causé par une rupture brutale de la relation commerciale
La société Verhoeven relève qu’après 30 ans de relations commerciales, le groupe Richemont a annoncé le non-renouvellement de ses contrats de façon quasi-simultanée, pour l’intégralité des marques, en accordant des préavis particulièrement courts de 5 à 27 mois. Elle estime que ces préavis accordés sont manifestement insuffisants au regard de la relation commerciale qui a débuté en 1982 avec la marque Cartier et s’est développée au fur et à mesure avec de nouvelles marques, de l’état de dépendance économique de la société Verhoeven à l’égard du groupe Richemont et des spécificités du marché très sélectif de l’horlogerie de luxe. Elle prétend que le point de départ de la relation commerciale qui doit être appréhendée comme un partenariat unique depuis 1982 et que seul un préavis de 30 mois pour l’ensemble des marques lui aurait permis de réorienter son activité et trouver une nouvelle clientèle dans un secteur aussi spécifique.
La société RLG fait valoir que la société Verhoeven a bénéficié de préavis suffisants pour chacun des contrats de distribution, dont l’ancienneté doit s’analyser par contrat et non globalement sur une période de 30 ans.
Sur ce,
L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version antérieure à l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige, dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.
Les parties s’accordent sur le fait d’avoir noué une relation commerciale établie au sens des dispositions précitées mais divergent sur sa durée pour apprécier le délai de préavis.
Il n’est pas contesté que la relation commerciale a débuté entre 1982 et 1986 avec la marque Cartier pour laquelle un contrat de distribution a été signé le 13 mars 1986.
Cette relation s’est développée avec d’autres marques pour lesquelles des contrats de distribution sélective ont été signés en avril 2012 (IWC), février 2014 (Jeager-LeCoultre), octobre 2014 (Panerai), septembre 2015 (Baume&Mercier), 2016 (Vacheron Constantin).
Pour ces marques, la société Verhoeven prétend qu’ il existait déjà un flux d’affaires depuis les années 1990 et produit les factures suivantes à cet effet (pièce n°37) :
- 2 factures entre 1996 et 1998 pour la marque IWC,
- 6 factures entre 1990 et 2007 pour la marque Vacheron Constantin,
- 7 factures entre 1990 et 1997 pour la marque Jeager-Lecoultre
- 7 factures entre 1990 et 1997 pour la marque Baume&Mercier.
Cependant ces quelques ventes sporadiques, sans comparaison avec les volumes d’achat HT de ces marques après la signature des contrats de distribution (pièce n°12), ne permettent pas d’établir un flux d’affaires significatif sur cette période.
Aussi, des préavis différenciés entre la marque Cartier (relation d’affaires 30 ans) et les autres marques (relation d’affaires significative inférieure à 10 ans) sont justifiés.
En outre, la société Verhoeven se borne à produire des “tableaux comptables”( pièce n°12) faisant état des volumes d’achat HT horlogerie auprès du groupe Richemont, et leur part d’environ 30 à 22 % entre 2013 et 2016 sur le volume global de ces achats horlogerie. La société Verhoeven ne produit pas de bilan ou autre pièce comptable permettant d’apprécier la part de chiffre d’affaires de la relation commerciale avec la société RLG au regard de son chiffre d’affaires global. Autrement dit, les pièces produites sont insuffisantes pour justifier de la dépendance économique alléguée.
Dès lors, les délais de préavis notifiés par la société RLG en 2016, 2017 et surtout 2018, à savoir :
- 27 mois pour la marque Cartier,
- 17 mois pour la marque IWC
- 8 mois pour la marque Jeager-Lecoultre
- 5 mois pour la marque Panerai
- 10 mois pour la marque Vacheron Constantin
sont nécessaires mais suffisants, compte tenu de l’ancienneté des flux d’affaires pour chacune des marques et la spécificité incontestable du marché de l’horlogerie de luxe.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu’il a considéré que la rupture de la relation commerciale n’avait pas été brutale et débouté la société Verhoeven de sa demande de dommages-intérêts à ce titre.
Sur la demande de la société Verhoeven au titre d’un préjudice moral
La société Verhoeven sollicite la réparation d’un préjudice moral arguant d’une atteinte à son image de marque, consécutive à la perte simultanée de l’agrément pour six marques d’une très grande notoriété, à l’égard d’une clientèle potentielle qu’elle n’a pas captée et à l’égard d’autres fournisseurs en raison de la perte d’attractivité de son établissement.
Cependant, la société Verhoeven ne produit aucun élément pour corroborer ses allégations.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté la société Verhoeven de sa demande de dommages-intérêts à ce titre.
Sur la demande de la société Verhoeven relative au rachat des stocks
La société Verhoeven sollicite :
- la confirmation du jugement en ce qu’il a condamné le groupe Richemont à lui reprendre son stock résiduel de produits sélectifs et à verser des intérêts de retard à compter de la fin du contrat,
- y ajoutant, de fixer le montant des produits à leur prix de vente public, soit la somme de 1 377 327 euros et condamner le groupe Richemont à verser à la société Verhoeven la somme de 706 221,90 euros, à parfaire, au titre du préjudice subi du fait de l’impossibilité d’écouler le stock du fait de la rupture illicite, déloyale et abusive du contrat.
La société RLG soutient qu’au moment où le tribunal a statué, elle avait clairement fait une proposition de rachat des stocks et que sa condamnation à payer les intérêts sur les sommes représentant le rachat des stocks est injuste. En revanche, elle relève que c’est à juste titre que le tribunal a retenu que le rachat devait être effectué sur la valeur d’achat initiale, aucune des parties ne devant facturer de marge sur lesdits produits, tel que prévu au contrat.
Sur ce,
Conformément à l’article 9.1.2 du contrat de distribution type et l’impossibilité pour la société Verhoeven de vendre les produits des marques objets des contrats résiliés, le tribunal a justement retenu une obligation de reprise de stocks à la valeur initiale d’achat sur la base d’un inventaire contradictoire outre des intérêts à la charge de la société RLG.
Par ailleurs la société Verhoeven ne justifie pas d’un inventaire contradictoire au titre de sa demande complémentaire pour les accessoires Cartier à hauteur de 12 792 euros.
En outre, la société Verhoeven ne démontrant aucune rupture illicite, déloyale ou abusive sera déboutée de sa demande de fixer le montant du rachat des produits à leur prix vente public.
Le jugement sera confirmé sur ces points.
Sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile
La société RLG succombant partiellement en première instance, le jugement sera confirmé en ce qu’il l’a condamnée aux dépens de première instance et au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La société Verhoeven, succombant en son appel, sera condamnée aux dépens d’appel.
En application de l’article 700 du code de procédure civile, la société Verhoeven sera déboutée de sa demande et condamnée à verser à la société RLG la somme de 15 000 euros.
PAR CES MOTIFS
CONFIRME le jugement,
Y ajoutant,
DÉBOUTE la société VERHOEVEN de ses demandes complémentaires au titre de la reprise des stocks,
CONDAMNE la société VERHOEVEN aux dépens d’appel qui seront recouvrés suivant la procédure de l’article 699 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société VERHOEVEN à verser à la société RLG EUROPE B.V., AMSTERDAM (NL), SWISS BRANCH, VILLARS SUR GLANE la somme de 15 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
REJETTE toute autre demande.