Cass. com., 16 février 2022, n° 20-11.754
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Garage de Bretagne (SA)
Défendeur :
Mercedes-Benz France (Sasu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Champalaune
Avocat général :
M. Douvreleur
Avocats :
SCP Spinosi, SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 novembre 2019), en exécution d'un contrat conclu avec la société Mercedes-Benz France (la société Mercedes-Benz), la société du Garage de Bretagne a été importateur en France de véhicules neufs et des pièces de rechange de la marque Mercedes et concessionnaire exclusif pour la distribution et la réparation des véhicules de cette même marque, jusqu'à la résiliation de ce contrat avec effet au 30 septembre 2003.
2. La société du Garage de Bretagne ayant contesté en justice tant cette résiliation que le refus d'examen de sa nouvelle candidature à un agrément comme distributeur de véhicules neufs, ses demandes en réparation du préjudice qu'elle invoquait ont été rejetées par des arrêts, devenus irrévocables, de cours d'appel.
3. Le 16 septembre 2002, elle a conclu un contrat de réparateur agréé pour les voitures particulières avec la société Mercedes-Benz. Cette dernière y a mis fin, par lettre du 17 septembre 2014, à effet au 17 septembre 2016.
4. Reprochant à la société Mercedes-Benz le rejet de sa nouvelle demande d'agrément en qualité de réparateur, la société du Garage de Bretagne l'a assignée afin qu'il lui soit enjoint de l'agréer en cette qualité et qu'elle soit condamnée à réparer son préjudice.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. La société du Garage de Bretagne fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors :
« 1°) que l'exigence de bonne foi requiert, de la part de la tête d'un réseau de distribution sélective qualitative, la détermination d'un processus de sélection fondé sur des critères définis et objectivement fixés et la mise en oeuvre de ces critères de façon non discriminatoire ; qu'en retenant que la société Mercedes-Benz pouvait, sans manquer à son obligation de bonne foi, refuser d'examiner la candidature de la société du Garage de Bretagne à son réseau de distribution sélective qualitative, quand ce refus n'était pas justifié par le non-respect des critères de sélection fixés par la société Mercedes-Benz, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
2°) qu'en se bornant à retenir que l'existence d'un litige ayant opposé les sociétés du Garage de Bretagne et Mercedes-Benz à l'occasion de la résiliation du contrat de concession exclusive suffisait à justifier le refus de la seconde d'examiner la candidature de la première au réseau de réparation agréée, sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant invitée, si, d'une part, le caractère particulièrement ancien de ce litige, d'autre part le fait qu'il n'ait pas porté sur le contrat de réparation agréée résilié et enfin, la circonstance qu'il n'ait donné lieu à aucune condamnation pour procédure abusive ne faisaient pas obstacle à ce qu'il puisse être invoqué par la société Mercedes-Benz pour justifier de son refus d'agrément, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
3°) que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; qu'en ne répondant pas au moyen, péremptoire, tiré de ce que la société Mercedes-Benz n'avait “nullement prévu dans ses critères de sélection la moindre condition d'agrément portant sur la qualité de ses relations passées avec un candidat”, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
6. En premier lieu, si pour assurer la libre concurrence sur le marché, le droit de la concurrence impose à la tête d'un réseau de distribution et de réparation sélectives qualitatives de déterminer les critères de sélection requis par la nature des biens distribués ou réparés ou des services effectués et de les mettre en oeuvre uniformément et de manière non discriminatoire, cette exigence ne relève pas de l'obligation de bonne foi contractuelle. Le moyen qui, en sa première branche, postule le contraire, manque en droit.
7. En second lieu, après avoir relevé que pour justifier son refus de conclure un nouveau contrat de réparateur agréé avec la société du Garage de Bretagne, la société Mercedes-Benz avait, loyalement, sans intention vindicative ni autre intention de nuire, fait état du contentieux ayant opposé les parties à l'occasion du contrat antérieur de concession exclusive, faisant ressortir l'impérieuse nécessité de la confiance réciproque entre les parties pour que la conclusion d'un contrat puisse être envisagée, l'arrêt retient que l'abus du droit de ne pas contracter n'est pas caractérisé. En cet état, la cour d'appel, qui a effectué la recherche invoquée par la deuxième branche et n'avait pas à répondre au moyen inopérant tiré du respect des conditions de sélection, a légalement justifié sa décision.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
9. La société du Garage de Bretagne fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°) que le refus d'agrément opposé au distributeur qui candidate à un réseau de distribution sélective qualitative dont il remplit les critères de sélection constitue un accord de volontés au sens de l'article L. 420-1 du code de commerce ; qu'en retenant que la preuve d'un accord implicite de la société SAGA quant au projet de la société Mercedes-Benz de lui conférer un monopole absolu sur la réparation agréée de véhicules Mercedes Benz dans la région d'Angers n'était pas rapportée, pour en déduire que l'existence d'un accord de volontés n'était pas caractérisée, sans rechercher si un tel accord ne pouvait pas résulter du seul refus d'agrément opposé à la société du Garage de Bretagne, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article L. 420-1 du code de commerce ;
2°) qu'en se fondant exclusivement, pour retenir que l'existence d'un accord de volontés n'était pas établie, sur l'absence de preuve de l'acquiescement implicite de la société Saga au projet de la société Mercedes-Benz, la cour d'appel, qui s'est déterminée par un motif impropre à caractériser une telle absence d'accord de volontés, a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article L. 420-1 du code de commerce ;
3°) que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; qu'en l'espèce, en ne répondant pas au moyen, péremptoire, qui faisait valoir qu'autoriser le fournisseur d'un réseau de distribution sélective qualitative à refuser d'agréer des distributeurs qui remplissent pourtant les critères de sélection revenait à lui permettre de limiter discrétionnairement le nombre d'opérateurs sur ce réseau en appliquant un critère quantitatif non défini, “ce que le droit national ou européen de la concurrence n'autorise pas” , la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
10. Ni le droit européen, ni le droit national de la concurrence ne prohibent le seul refus, par l'opérateur à la tête d'un réseau de distribution sélective qualitative, d'agréer des distributeurs qui remplissent les critères de sélection, seule une mise en oeuvre discriminatoire de ces derniers ayant pour objet ou pour effet de fausser la concurrence ou un refus ayant le même objet ou effet étant prohibés par les articles 101 § 1 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et L. 420-1 du code de commerce.
11. Par ce motif de pur droit, substitué, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, à ceux justement critiqués, et dès lors que la société du Garage de Bretagne ne précise pas en quoi ce refus aurait eu pour objet ou pour effet de fausser la concurrence, la décision se trouve légalement justifiée.
12. Le moyen ne peut être accueilli.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.