Cass. com., 16 février 2022, n° 21-10.451
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Automobiles Jean-Paul Benmeleh (SAS)
Défendeur :
Hyundai motor France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Comte
Avocat général :
M. Douvreleur
Avocats :
SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh
Faits et procédure
1. Le 5 décembre 2003, la société Hyundai motor France (la société Hyundai), qui importe en France des véhicules neufs et des pièces de rechange de la marque Hyundai, a conclu avec la société Automobiles Jean-Paul Benmeleh (la société Automobiles JPB) un contrat de distribution et un contrat de réparateur agréé.
2. Dans la perspective de l'entrée en vigueur du règlement (UE) no 330/2010 du 20 avril 2010 concernant l'application de l'article 101 paragraphe 3 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées, la société Hyundai a résilié, le 27 juin 2012, les contrats conclus avec la société Automobiles JPB, à effet du 30 juin 2014. Celle-ci, malgré ses demandes, n'a pas fait l'objet d'un nouvel agrément comme distributeur de véhicules neufs par la société Hyundai, mais a conclu avec celle-ci un nouveau contrat de réparateur agréé.
3. Le 5 décembre 2016, la société Hyundai a notifié la résiliation du contrat de réparateur avec un préavis de deux ans.
4. Lui reprochant le caractère fautif des résiliations successives, la société Automobiles JPB a assigné la société Hyundai en réparation de son préjudice.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, le deuxième moyen, pris en sa première branche, et le troisième moyen ci-après annexés
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
6. La société Automobiles JPB fait grief à l'arrêt de dire que la société Hyundai n'a pas commis de faute en résiliant le contrat de distributeur agréé qui les liait, notamment pour n'avoir pas examiné la demande de nouvel agrément en tant que distributeur ni justifié son refus d'un tel agrément, de rejeter en conséquence ses demandes de dommages-intérêts, alors « que si la tête d'un réseau de distribution sélective est libre dans le choix de ses distributeurs en présence d'un réseau de distribution sélective quantitative, elle doit en revanche, en présence d'une distribution sélective à la fois quantitative et qualitative, justifier de la mise en oeuvre des critères qualitatifs fixés et de la transparence de la procédure de sélection opérée ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a énoncé qu'"un système de distribution sélective quantitative dans lequel la tête de réseau refuse son agrément sans avoir évalué la candidature sur la base des critères qualitatifs prédéfinis ne perd donc pas pour cela le bénéfice de l'exemption conférée par le règlement sur les accords verticaux" pour ensuite considérer que le refus d'agrément opposé par la société Hyundai Motor France n'était pas fautif et que cette tête de réseau n'avait pas à justifier d'un examen de la candidature de la société Automobiles Jean-Paul Benmeleh sur la base des critères qualitatifs qu'elle avait prédéfinis ; qu'en se prononçant ainsi, tandis qu'en présence d'un réseau de distribution sélective à la fois qualitatif et quantitatif, comme au cas présent, le refus d'agrément de la tête de réseau, certes libre, ne pouvait intervenir qu'à la condition d'avoir au préalable examiné la candidature des concessionnaires potentiels à l'aune des critères qualitatifs qu'elle a prédéfinis, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil, devenu l'article 1240 du même code, ensemble l'article L. 420-1 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
7. En premier lieu, le principe de la liberté contractuelle et la prohibition des engagements perpétuels s'opposent à la reconnaissance d'un droit à l'agrément d'un ancien membre d'un réseau de distribution. En outre, l'obligation de bonne foi contractuelle n'impose à la tête d'un réseau de distribution ni la détermination ni la mise en oeuvre d'un processus de sélection des distributeurs sur le fondement de critères définis et objectivement fixés ni l'application de ceux-ci de manière non discriminatoire. Ayant retenu qu'il n'était pas établi que la société Hyundai se fût engagée à examiner la candidature des concessionnaires sortants, la cour d'appel en a exactement déduit que la circonstance que cette société n'ait pas contracté un nouveau contrat de distribution avec ses anciens concessionnaires ne constituait pas une faute.
8. En second lieu, l'article 2 du règlement (UE) no 330/2010, auquel renvoie le règlement (UE) no 461/2010 du 27 mai 2010 concernant l'application de l'article 101, paragraphe 3, du TFUE à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile, exempte les accords verticaux sous réserve, d'une part, que la part de marché détenue par le fournisseur, comme celle détenue par l'acheteur, sur le marché sur lequel le premier vend ses biens et services et le second les achète, ne dépasse pas 30 % du marché en cause et, d'autre part, que l'accord ne comprenne aucune restriction caractérisée ou exclue, telle que prévue par ces règlements. En vertu de l'article 3 du règlement 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, l'application du droit national de la concurrence ne peut pas entraîner l'interdiction d'accords qui sont couverts par un règlement ayant pour objet l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité.
9. Après avoir relevé que la part de marché de la société Hyundai était inférieure à 30 %, tout comme celle de la société Automobiles JPB, et qu'il n'était pas soutenu que le contrat de distribution contînt des clauses s'opposant à l'exemption, l'arrêt retient qu'un système de distribution sélective dans lequel la tête de réseau refuse son agrément sans avoir évalué la candidature sur la base des critères qualitatifs prédéfinis ne perd pas le bénéfice de l'exemption conférée par le règlement sur les accords verticaux. Il relève en outre que le numerus clausus appliqué à leur détriment n'est pas contesté par elles.
10. En l'état de ces motifs, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que le refus de la société Hyundai d'examiner la candidature de la société Automobiles JPB, en qualité de distributeur, échappait à l'application des articles 101, paragraphe 1, du TFUE et L.420-1 du code de commerce.
11. Le moyen, n'est donc pas fondé.
12. Le réseau de la société Hyundai bénéficiant de l'exemption relative aux catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice d'une question préjudicielle, inopérante.
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
13. La société Automobiles JPB fait grief à l'arrêt de dire que la société Hyundai n'a pas manqué à l'obligation de bonne foi et, en conséquence, de rejeter ses demandes de dommages-intérêts contre ce constructeur automobile, notamment au titre de son refus de l'agréer en tant que réparateur, alors :
« 1°) que la tête d'un réseau de distribution sélective purement qualitative doit justifier, lorsqu'il rejette la demande d'agrément qui lui est présentée par un concessionnaire, de la mise en oeuvre des critères qualitatifs fixés et de la transparence de la procédure de sélection opérée afin de motiver son refus ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que la résiliation, par la société Hyundai, du contrat de réparateur agréé conclu avec la société Automobiles JPB n'était pas fautive, dès lors que cette résiliation était intervenue le 5 décembre 2016, avec un préavis de deux ans, et procédait d'un droit pour le concédant, sans l'obliger à examiner la candidature de la société Automobiles JPB, conformément au principe de liberté contractuelle ; qu'en se prononçant ainsi, tandis qu'en présence d'un réseau de distribution sélective purement qualitative, la société Hyundai, tête de réseau, ne pouvait se borner à s'abstenir de répondre à la demande d'un nouvel agrément par la société Automobiles JPB, de sorte que l'absence de réponse à cette demande constituait par elle-même une faute, peu important l'absence d'un effet anticoncurrentiel au refus d'agrément dès lors qu'il n'est pas motivé, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil, devenu l'article 1240 du même code et L. 420-1 du code de commerce ;
2°) qu'une demande non chiffrée n'est pas, de ce seul fait, irrecevable ou mal fondée ; qu'il appartient au juge du fond d'inviter, le cas échéant, le demandeur à l'indemnisation à évaluer chaque poste de demande ; qu'en l'espèce, la société Automobiles JPB sollicitait l'indemnisation du préjudice consécutif au refus d'agrément de la société Hyundai en tant que réparateur agréé, qu'elle n'était pas en mesure de chiffrer immédiatement puisque la société Hyundai soutenait, à tort, que son concessionnaire était demeurée réparateur agréé de la marque, alors même que le contrat de réparateur avait été résilié à effet du 5 décembre 2018 ; que la cour d'appel a rejeté cette demande d'indemnisation au motif que ce préjudice n'était pas chiffré ; qu'en se prononçant ainsi, tandis que l'absence de chiffrage de la demande ne pouvait suffire, à elle seule, à écarter cette demande, et qu'il appartenait le cas échéant à la cour d'appel d'inviter la société Automobiles JPB à évaluer ce poste de demande, la cour d'appel a violé les articles 4 et 12 du code de procédure civile ;
3°) que la cour d'appel n'a pas répondu aux conclusions selon lesquelles le refus d'agrément opposé par la société Hyundai à la société Automobiles JPB au titre d'un contrat de réparateur agréé avait causé à cette dernière un préjudice lié à une décroissance brutale des ventes de pièces détachées, du fait de son remplacement par un nouveau partenaire, violant ainsi l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
14. Le principe de la liberté contractuelle et la prohibition des engagements perpétuels s'opposent à la reconnaissance d'un droit à l'agrément d'un ancien membre d'un réseau sélectif. L'arrêt retient qu'en l'absence de déloyauté établie de sa part, rien n'obligeait la société Hyundai à proposer un renouvellement de contrat au réparateur sortant et il en déduit que la société Hyundai n'a pas commis de faute en ne répondant pas à la demande de candidature de la société Automobiles JPB.
15. En l'état de ces seuls motifs, abstraction faite de ceux, surabondants, critiqués par la deuxième branche, et dès lors que la société Automobiles JPB, sans invoquer ni préciser l'objet éventuellement anticoncurrentiel de l'absence d'examen de sa candidature, soutient, à tort, que la méconnaissance de l'article L. 420-1 du code de commerce pourrait être établie et constituer une faute civile en l'absence de tout effet anticoncurrentiel, la cour d'appel, qui n'avait pas à répondre à des conclusions rendues inopérantes en l'absence de faute retenue, a pu rejeter la demande de la société Automobiles JPB.
16. Pour partie inopérant, le moyen n'est pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.