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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 9 février 2022, n° 20/08333

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Société de Transformation des Volailles de l'Ouest (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Lignières, Mme Depelley

CA Paris n° 20/08333

9 février 2022

La société de transformation des volailles de l'Ouest (ci-après « la société STVO ») est une société du groupe Hendrix Genetics, leader mondial dans la génétique et la distribution de dindes et de pondeuses. La société STVO est une société de découpe de volailles réformées, c'est-à-dire des volailles produites par des sélectionneurs et des multiplicateurs et non des éleveurs qui produisent pour le marché de la consommation (volailles de chair).

La société ETS T. et Fils est spécialisée dans l'abattage de volailles.

Depuis 1996, la société ETS T. et Fils réalise une prestation de ramassage, d'abattage et de conditionnement de canards pour la société la société STVO. Aucun contrat n'a été formalisé entre les parties.

Par courriel du 8 octobre 2018, la société ETS T. et Fils a adressé des demandes relatives à la révision des tarifs et la mise en place d'un planning prévisionnel d'abattage.

Après discussions entre les parties, le 19 décembre 2018, la société STVO a envoyé un courriel proposant une augmentation de tarif limitée à 0,48 euros le kilo vif prestation complète et a indiqué qu'elle ne pouvait s'engager sur des volumes prévisionnels puisque de par la spécificité de son activité, elle n'en avait pas la maîtrise.

Le 5 Janvier 2019, la société ETS T. et Fils a adressé un courriel indiquant son accord sur le tarif proposé et demandant un engagement sur des commandes d'un tonnage minimum, la prise en charge financière par la société STVO du coût d'investissements supplémentaires liés à une évolution réglementaire. Elle demandait également le prévisionnel de commandes pour l'année 2019.

Le 23 janvier 2019, la société STVO a adressé par courriel un planning de volume pour les semaines 6, 8 et 10. L 'activité s'est poursuivie sur ces bases jusqu'en juin 2019.

Constatant qu'aucune commande n'avait été passée en juillet 2019 et que le volume de commandes sur les sept premiers mois de l'année avait chuté fortement, la société T. et Fils, par l'intermédiaire de son conseil, a adressé le 25 juillet 2019 à la société STVO une mise en demeure de réparer son préjudice au motif de la rupture brutale des relations commerciales établies.

Le 2 août 2019, la société STVO a adressé une nouvelle commande à la société T. et Fils.

Le 9 août 2019, la société T. et Fils a répondu aux arguments soulevés par la société STVO et a refusé d'accepter la commande du 2 août.

De nouveaux courriers ont été échangés sans que les parties ne trouvent un accord.

C'est dans ce contexte que par acte introductif d'instance en date du 8 novembre 2019, la société T. et Fils a assigné la société STVO à comparaître devant le tribunal de commerce de Rennes.

Par jugement du 14 mai 2020, le tribunal de commerce de Rennes a :

Condamné la société STVO à payer à la société T. et Fils la somme de 259 809,32 euros en réparation du préjudice causé au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies,

Condamné la société la société STVO à payer à la société T. et Fils la somme de 8 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

Débouté la société T. et Fils dans sa demande d'exécution provisoire,

Débouté les parties du surplus de leurs demandes,

Condamné la société STVO aux entiers dépens,

Liquidé les frais de greffe à la somme de 73,22 euros tels que prévu aux articles 695 et 701 du Code de Procédure Civile.

Par déclaration en date du 1er juillet 2020, la société STVO a interjeté appel de ce jugement.

Vu les dernières conclusions de la société STVO déposées et notifiées le 29 mars 2021, par lesquelles il est demandé à la cour d'appel de Paris de :

Vu l'article L442 ' 6, I ' 5 du Code de Commerce,

Vu la jurisprudence,

Vu les pièces versées aux débats,

Recevant la SOCIETE DE TRANSFORMATION DES VOLAILLES DE L'OUEST (S.T.V.O.) en son appel, l'y déclarer bien fondée,

INFIRMER le jugement rendu le 14 mai 2020 par le Tribunal de Commerce de RENNES, en ce qu'il a :

- condamné la SOCIETE DE TRANSFORMATION DES VOLAILLES DE L'OUEST (S.T.V.O.) à payer à la société T. et Fils la somme de 259 809,32 euros en réparation du préjudice causé au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies,

- condamné la SOCIETE DE TRANSFORMATION DES VOLAILLES DE L'OUEST (S.T.V.O.) à payer à la société T. et Fils la somme de 8 000,00 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

- débouté la SOCIETE DE TRANSFORMATION DES VOLAILLES DE L'OUEST (S.T.V.O.) du surplus de ses demandes,

- condamné la SOCIETE DE TRANSFORMATION DES VOLAILLES DE L'OUEST (S.T.V.O.) aux entiers dépens,

Et STATUANT DE NOUVEAU,

- constater la rupture de la relation commerciale établie aux torts exclusifs de la société T. et Fils,

- débouter purement et simplement la société T. et Fils de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de la SOCIETE DE TRANSFORMATION DES VOLAILLES DE L'OUEST (S.T.V.O.),

EN TOUT ETAT DE CAUSE,

- dire et juger infondé l'appel incident de la société T. et Fils et l'en débouter,

- condamner la société T. et Fils au paiement d'une somme de 50 000,00 euros au titre des frais irrépétibles de la SOCIETE DE TRANSFORMATION DES VOLAILLES DE L'OUEST (S.T.V.O.) en cause d'appel,

- condamner la société T. et Fils aux entiers dépens de première instance et d'appel dont le recouvrement sera poursuivi par la SELARL T.-B. A., en la personne de Maître Eric A. conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.

Vu les dernières conclusions de la société T. et Fils déposées et notifiées le 21 décembre 2020, par lesquelles il est demandé à la cour d'appel de Paris de :

Vu l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce dans sa version applicable en janvier 2019,

Vu les pièces versées au débat,

CONFIRMER le jugement du Tribunal de commerce de RENNES du 14 mai 2020 en ce qu'il a :

- dit que la société STVO avait rompu brutalement ses relations commerciales avec la société ETS T. et Fils, en application de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce dans sa version applicable en janvier 2019,

REFORMER le jugement du Tribunal de commerce de RENNES du 14 mai 2020 en ce qu'il a fixé :

- à la somme de 259 809,32 € le montant des dommages-intérêts dus à la société ETS T. et Fils du fait de cette rupture brutale des relations commerciales établies,

- fixé à 8.000€ le montant des frais irrépétibles à la charge de la société STVO sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

STATUANT A NOUVEAU :

- condamner la société STVO au paiement de la somme de 772 703,62€ au titre de dommages-intérêts du fait de la rupture brutale de ses relations commerciales établies avec la société ETS T. et Fils,

- condamner la société STVO au paiement de la somme de 50 000 € au titre des frais irrépétibles de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société STVO aux entiers dépens de première instance et d'appel dont le recouvrement sera effectué pour ceux-là concernant par la SELARL JRF & ASSOCIES, représentée par Maître Stéphane F., conformément aux dispositions de l'article 699 du CPC.

La clôture a été prononcée en date du 26 octobre 2021.

SUR CE, LA COUR,

Sur la rupture brutale de la relation établie

L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas.

La relation commerciale, pour être établie au sens de ces dispositions, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.

Le texte précité vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou l'insuffisance de préavis.

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.

En l'espèce, l'existence d'une relation stable entre les parties depuis 1996 n'est pas contestée.

Le point de litige porte sur l'existence d'une rupture brutale, partielle à compter de janvier 2019 et totale à compter du 9 août 2019, imputable à la société STVO, comme l'a jugé le tribunal de commerce.

La société STVO, à l'appui de son appel, soutient d'une part que la baisse de commandes à compter de janvier 2019 s'explique par la volonté de la société T. et Fils de se recentrer sur son activité d'abattage de volailles autres que le canard, la relation d'affaires entre elles ne portant que sur l'abattage de canards, et d'autre part, que le comportement de la société T. et Fils, en lui imposant début 2019 une hausse de tarifs brutale et des conditions d'exécution des prestations qui étaient impossible à tenir, démontre la volonté de cette dernière de ne pas poursuivre leur relation.

La société T. et Fils dément les allégations de l'appelante et sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a reconnu l'existence d'une rupture brutale imputable à la société STVO.

Sur la rupture brutale partielle intervenue en janvier 2019

- l'existence d'une baisse significative des commandes

Au vu des extraits de compte de la société T. et Fils concernant son client STVO (pièces 3 de T. et Fils : extrait des comptes client STVO de 1996 à 2018), il apparaît les montant totaux de commandes suivants : 325k euros en 2016, 297k euros en 2017, 279k en 2018 et 61k euros en 2019 (de janvier à fin juillet : 7 mois avant la rupture totale).

Il est démontré une chute drastique des commandes de la société STVO en 2019 par rapport aux trois années précédentes.

La baisse significative de la relation d'affaires entre les parties à compter de janvier 2019 est donc caractérisée, et d'ailleurs non démentie par les parties.

Le point de litige porte sur l'imputabilité de cette chute.

- la baisse de volumes voulue par la société T. et Fils du fait de la situation du marché d'abattage du canard

La société STVO fait valoir que la société T. et Fils a continué à travailler avec elle sans émettre aucune remarque sur la baisse effective des volumes durant 7 mois et ce, jusqu'au 25 juillet 2019 (date du courrier du conseil de T. et Fils à la société STVO en pièce 16 de STVO).

Elle prétend que cette baisse des volumes correspondrait à un accord verbal entre les dirigeants des deux sociétés intervenu lors d'une rencontre sur un stand professionnel fin janvier 2019 s'expliquant par la volonté de la société T. et Fils de se recentrer sur son activité « poulet » du fait du contexte du marché des « canards » particulièrement chaotique à cette période. Cette allégation contestée par la société T. et Fils n'est pas prouvée par la société STVO. D'ailleurs, les chiffres produits par la société STVO sur la situation du marché du « canard de réformes » ne font pas apparaître une baisse significative de la production (Tableaux en page 18 des conclusions de la société STVO) En outre, l'attestation de l'expert comptable de la société T. et Fils sur la "filière canards" dément la situation de crise dudit marché en 2019 invoquée par la société STVO.

Enfin, une baisse des commandes voulue par la société T. et Fils en 2019 est peu crédible alors que cette dernière avait demandé fin décembre 2018 un engagement de la part de la société STVO sur des volumes dans ces commandes futures sur l'année 2019. (courriel du 9 janvier 2019 en pièce 5 de T. et Fils: le dirigeant d' STVO écrit au dirigeant de T. et Fils : « je reviens sur ton souhait de planifier avec précision les volumes et demande d'engagement long terme sur les volumes »)

- les conditions de prestations imposées par la société T. et Fils à la société STVO

La société STVO fait en outre valoir que la hausse brutale des tarifs de 10% demandée par la société T. et Fils à compter de 2019 n'était pas acceptable. Cependant, d'une part, la société STVO ne démontre pas que cette hausse était exorbitante au vu du marché concerné et d'autre part, la société STVO ne conteste pas avoir finalement accepté une hausse à hauteur de 4,5% après une phase de négociation entre les parties initiée dès octobre 2018, son dirigeant indique ainsi par courrier du 23 janvier 2019 : « j'ai acté le prix négocié entre nous, tu peux constater que le volume mini est respecté ». (pièce 9 de T. et Fils)

La société STVO invoque également que l'engagement de volume minima jusqu'à 2020 était impossible à respecter du fait que le marché doit être flexible, néanmoins, les parties ont finalement convenu de plannings prévisionnels à moyen terme et n'ont pas mis en place des engagements de volumes sur une année.

La société STVO fait aussi valoir que la société T. et Fils lui a imposé certaines conditions d'exécution des prestations qui étaient impossible à tenir, telles que :

-une répartition de quantité mâle/femelles dans les lots de volailles à abattre alors que l'abattage d'un lot complet est une condition essentielle du contrat,

- la fourniture de containers spécifiques pour le transport des volailles,

- l'abattage les jours fériés,

- la communication de plannings à l'avance.

Mais, la Cour relève que la communication de plannings à l'avance a été mise en oeuvre par la société STVO dès fin janvier 2019 et que les autres conditions n'ont jamais été mises en oeuvre faute d'accord entre les parties, ce qui n'a pas empêché la poursuite des commandes de janvier à fin juin 2019. La société STVO ne peut donc de bonne foi invoquer au moment de la rupture début août 2019 que des conditions impossibles à respecter lui ont été imposées par son partenaire.

Au vu de ces éléments, il en ressort que la modification substantielle dans le volume des commandes doit être qualifiée de rupture brutale partielle imposée à la société T. et Fils par la société STVO puisque cette dernière ne prouve pas que cette baisse substantielle des commandes lui a été imposée par des contraintes économiques extérieures survenues après l'accord sur les prix entre les parties de début janvier 2019.

En conséquence, la rupture brutale partielle de la relation est caractérisée dès janvier 2019 et est imputable à la société STVO au préjudice de la société T. et Fils, comme l'a jugé la décision de première instance qu'il convient de confirmer sur ce point.

Sur la rupture brutale totale à compter du 9 août 2019

La société STVO fait valoir que la rupture totale de la relation avec la société T. et Fils est intervenue du fait de cette dernière en ce qu'elle a pris l'initiative de refuser par courrier du 9 août 2019 une commande du 2 août 2019. (pièce 19 de la société STVO)

Cependant, ce refus de commande de la part de la société T. et Fils fait suite à un courrier de son conseil en date du 25 juillet 2019 par lequel elle constate la rupture partielle brutale imputable à la société STVO, en constatant notamment qu'elle n'a reçu aucune commande de la part de cette dernière depuis fin juin 2019, et demande une indemnisation de son préjudice. (pièce de T. et Fils en Annexe 7, pièce 16 STVO)

Dès lors que la baisse drastique des commandes à compter de janvier 2019 de la part de la société STVO comme il a été démontré infra n'étaient dues ni à un événement extérieur comme une contrainte économique ni à la volonté de son partenaire commercial, il est justifié que la société T. et Fils refuse de continuer la relation dans ces conditions d'autant qu'elle avait mis l'accent lors des négociations fin 2018 sur la nécessité de volumes minima pour l'avenir. Il s'en suit que la rupture totale de la relation est imputable à la société STVO. Le caractère brutal de la rupture totale est caractérisé du fait qu'aucun préavis écrit préalable n'a été notifié par la société STVO à la société T. et Fils alors que leur relation d'affaires était stable depuis près de 23 années.

Sur l'évaluation du préjudice de la rupture brutale, partielle puis totale, subie par la société T. et Fils

La société T. et Fils soutient que le préavis de 12 mois fixé par le tribunal est insuffisant, elle demande un délai de 23 mois au vu de l'ancienneté de la relation et de l'importance de l'activité consacrée à la société STVO (10% du tonnage abattu). Elle ajoute que sa perte de marge est étayée par les relevés de ses chiffres d'affaires ainsi que par les comptes annuels, qui laissent apparaître une marge brute globale de 42,07% pour les comptes clos au 30 septembre 2018, en cohérence avec la marge sur coûts variables retenue par l'expert-comptable. S'agissant des autres frais liés à la rupture brutale de la relation commerciale, la société intimée soutient qu'outre les frais de conseil, la société T. et Fils estime avoir engagé la somme de 7 866,62€ correspondant au temps passé par ses équipes sur ce dossier ainsi qu'au recours à un expert indépendant afin de faire évaluer son préjudice.

La société SVTO réplique que la société T. et Fils ne justifie d'aucun préjudice lié à cette rupture. Elle affirme en outre que le préavis de 23 mois demandé est mal fondé, en faisant valoir que l'abattage de canards qui faisait l'objet de leur relation d'affaires ne représente que la portion congrue de l'activité de la société T. et Fils (soit selon STVO, 3 à 4 % du chiffre d'affaires global de T. et Fils), qu'il n'existe aucune clause d'exclusivité et qu'il n'existe aucune dépendance économique vis-à-vis d'elle.

La société STVO conteste la force probante des données comptables fournies par la société T. et Fils et notamment l'expertise comptable privée qui ne lui serait pas opposable du fait de son caractère non contradictoire.

Sur ce,

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.

Le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture est constitué par la perte de la marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé. La référence à retenir est la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture.

En l'espèce, il est produit par la société T. et Fils ses comptes annuels pour 2017 et 2018 ainsi que le Grand Livre auxiliaire concernant son client STVO pour 2019, une attestation de son expert-comptable (pièces 18, 19 et 22 de T. et Fils) ainsi qu'un rapport d'expertise privée non contradictoire du cabinet d'expertise comptable SV Advisory et ses annexes (pièce 23 de T. et Fils) qui bien que non contradictoire, n'en constitue pas moins une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la contradiction adverse. Or ce rapport n'est pas utilement contesté par la société STVO qui se contente de relever son caractère non contradictoire pour demander qu'il ne lui soit pas opposable.

Compte tenu de la durée de la relation commerciale de 23 années mais également du fait que le chiffre d'affaires de la société T. et Fils tirée de sa relation avec la société STVO était limité à moins de 10% de son chiffre d'affaires global, le délai de préavis de 12 mois retenu par le tribunal est nécessaire mais suffisant.

Au vu des éléments comptables fournis, la Cour retient un taux de marge brute de 53,9 % et adopte le mode de calcul pertinent retenu par le tribunal de commerce qui prend en compte les chiffres d'affaires moyens de la société T. et Fils tirés de sa relation avec la société STVO sur les trois derniers exercices avant la rupture (2016 à 2018), en retranchant le chiffre d'affaires tiré de la relation en 2019, ce qui aboutit à un préjudice qui s'élève à 259 809,32 euros au titre du gain manqué.

Quant aux frais engagés par la société T. et Fils pour produire l'expertise comptable amiable à l'appui de sa demande en indemnisation, ce coût sera pris en compte dans la fixation des frais irrépétibles.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société STVO aux dépens de première instance et à payer à la société T. et Fils la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société STVO, succombant en son appel, sera condamnée aux dépens d'appel ainsi qu'à participer aux frais irrépétibles engagés par la société T. et Fils dans ce litige à hauteur de 10 000 euros, y compris les frais de l'expertise privée (note d'honoraires de 3 600 euros en pièce 24).

PAR CES MOTIFS

CONFIRME le jugement dans toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

CONDAMNE la SOCIÉTÉ DE TRANSFORMATION DES VOLAILLES DE L'OUEST (STVO) aux dépens d'appel,

CONDAMNE la SOCIÉTÉ DE TRANSFORMATION DES VOLAILLES DE L'OUEST (STVO) à payer à la société ETS T. ET FILS la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

REJETTE toute autre demande.