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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 29 septembre 2021, n°  19/18123

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

SCI GERINO

Défendeur :

À LA LEGION D'HONNEUR (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gil

Conseillers :

Mme Goury, Mme Chaintron

Avocats :

SELEURL TBA, l'AARPI CABINET B. ET ASSOCIES

TGI de Paris, du 29 août 2019, n° 15/173…

29 août 2019

EXPOSE DU LITIGE

Par acte sous seing privé du 28 décembre 1998, la SAS DU [...], aux droits de laquelle se trouve actuellement la SCI GERINO a donné à bail commercial, en renouvellement, à la société CAFÉ BAR RESTAURANT A LA LÉGION D'HONNEUR aujourd'hui dénommée A LA LÉGION D'HONNEUR, divers locaux destinés à usage commercial situés [...] pour une durée de neuf années entières à compter rétroactivement du 1er janvier 1998, moyennant un loyer annuel de 330.000 francs, soit 50.308,18 euros en principal, outre diverses clauses et conditions précisées audit acte.

Par acte sous seing privé en date du 26 janvier 2007, le bail a été renouvelé pour une durée de neuf années à compter du 1er janvier 2007, moyennant un loyer annuel de 64.953,45 euros en principal, outre diverses clauses et conditions précisées audit acte.

Par exploit d'huissier en date du 29 juin 2015, la SCI GERINO a fait délivrer à la société A LA LÉGION D'HONNEUR un congé pour le 31 décembre 2015 à minuit, avec renouvellement du bail à compter du 1er janvier 2016, moyennant un nouveau loyer de 244.500 euros hors taxes hors charges. La société A LA LÉGION D'HONNEUR a accepté le renouvellement, mais a sollicité la fixation du loyer selon la règle du plafonnement.

Par acte du 19 novembre 2015, la société A LA LÉGION D'HONNEUR a assigné la SCI GERINO devant le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Paris.

Par jugement du tribunal de grande instance de Paris rendu le 29 mars 2016, Monsieur M. a été désigné en qualité d'expert avec la mission d'usage pour parvenir à la fixation du prix du bail renouvelé à compter du 1er janvier 2016 entre la SCI GERINO, bailleresse et la société A LA LÉGION D'HONNEUR, locataire pour les locaux situés [...] ; le loyer provisionnel a été fixé pour la durée de l'instance au montant du loyer contractuel en cours.

L'expert a déposé son rapport le 8 juin 2018 et a calculé le loyer plafonné qui s'élève au 1er janvier 2016 à 74.101,63 euros par an en principal et a estimé la valeur locative des lieux loués à la somme de 136.000 euros par an en principal.

Par jugement en date du 29 août 2019, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Paris a :

Vu le rapport d'expertise de Monsieur José M.,

Fixé à 74 101,63 euros en principal par an, à compter du 1er janvier 2016 le loyer du bail renouvelé entre la SCI GERINO et la société A LA LÉGION D'HONNEUR pour les locaux situés [...] ;

Dit n'y avoir lieu à appliquer les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Ordonné l'exécution provisoire de la présente décision ;

Débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

Ordonné le partage des dépens par moitié, y compris les frais d'expertise.

Par déclaration en date du 24 septembre 2019, la SCI GERINO a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 18 juin 2020, la SCI GERINO demande à la Cour de :

Vu les articles L.145-33, L.145-34, R.145-3, R.145-6, R.145-8, R-145-35 du Code de commerce,

Vu l'ensemble des pièces versées aux débats,

DÉCLARER la SCI GERINO recevable et bien fondée en son appel ;

INFIRMER le jugement du Juge des Loyers Commerciaux du Tribunal de Grande Instance de PARIS en date du 29 août 2019 qui a considéré que le loyer du bail renouvelé à effet du 1er janvier 2016 des locaux sis à [...] loués à la Société LE SOLFERINO devait être plafonné et a fixé son montant à la somme de 74.101,63  par an en principal ;

Et statuant à nouveau,

JUGER qu'il s'est produit au cours du bail expiré une modification notable des facteurs locaux de commercialité ayant eu une incidence favorable sur le commerce de la société locataire au sens de l'article R.145-6 du Code de commerce ;

JUGER au surplus que le preneur a réalisé au cours du bail expiré des travaux ayant entraîné une modification notable des caractéristiques des lieux loués au sens de l'article R. 145-3 du Code de commerce ;

En conséquence,

JUGER y avoir lieu à déplafonnement et fixation à la valeur locative du loyer du bail renouvelé à compter du 1er janvier 2016 des locaux sis à [...] loués par la SCI GERINO à la Société SOLFERINO ;

FIXER le loyer du bail renouvelé à la somme de DEUX CENT QUARANTE-DEUX MILLE EUROS (242.000 ') par an en principal à compter du 1er janvier 2016 ;

JUGER que les arriérés de loyers échus à compter du 1er janvier 2016 porteront intérêt au taux légal à compter de cette date, et que les intérêts échus et dus au moins pour une année entière produiront eux-mêmes intérêts en application de l'article 1343-2 du Code Civil ;

DÉBOUTER la Société SOLFERINO de toutes demandes, fins et conclusions plus amples et contraires aux présentes ;

JUGER que la société locataire supportera tous les dépens, y compris les frais d'expertise, dont le montant pourra être recouvré par Maître Jacques B. conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 19 février 2021, la SAS A LA LÉGION D'HONNEUR demande à la Cour de :

Vu les dispositions des articles L. 145-33 et L.145-34, R. 145-3 et R. 145-8 du Code de Commerce,

Vu les jugements rendus par le Juge des loyers les 29 mars 2016 et 29 août 2019,

Vu le rapport d'expertise judiciaire déposé par Monsieur José M.,

Statuant sur le renouvellement du bail portant sur les locaux exploités par la Société À LA LÉGION D'HONNEUR et dépendant de l'immeuble sis à [...],

Dire et juger la SCI GERINO mal fondée en son appel et l'en débouter ;

Dire et juger la société À LA LÉGION D'HONNEUR recevable et bien fondée en son appel incident, et faisant droit à ses demandes ;

Constater par l'effet du congé avec offre de renouvellement délivré le 29 juin 2015 par la SAS DU [...], aux droits de laquelle se trouve actuellement la SCI GERINO et son acceptation par la société A LA LÉGION D'HONNEUR, le principe du renouvellement du bail à compter du 1er janvier 2016 ;

SUR LE PLAFONNEMENT DU LOYER :

Dire et juger que la SCI GERINO ne justifie nullement d'une quelconque évolution notable des facteurs locaux de commercialité qui serait intervenue au cours de la période considérée et présentant a fortiori un impact direct et favorable sur l'activité exercée ;

Dire et juger que la SCI GERINO ne justifie nullement d'une quelconque modification des caractéristiques ou amélioration des lieux loués intervenue au cours du bail expiré et présentant les critères requis par les dispositions des articles R. 145-3 et R. 145-8 du Code de commerce et la jurisprudence qui en découle ;

En tout état de cause, dire que la clause du bail permettant au bailleur de demander la remise des lieux en l'état en fin de bail reporte les effets de l'accession en fin de jouissance et interdit tout déplafonnement à raison d'éventuelles modifications apportées aux lieux loués par le preneur ;

Dire et juger qu'aucun motif ne permet dès lors d'évincer la règle du plafonnement prévue par les dispositions de l'article L. 145-34 du Code de Commerce ;

En conséquence,

Confirmer le jugement rendu par le Juge des loyers le 29 août 2019 en ce qu'il dit que ne sont établis ni une modification notable des facteurs locaux de commercialité ayant eu une incidence favorable sur le commerce considéré ni une modification des caractéristiques des lieux loués au cours du bail expiré et qu'il n'existe aucun motif justifiant que la règle du plafonnement soit écartée ;

L'infirmer pour le surplus et statuant à nouveau ;

SUR LE CALCUL DU LOYER PLAFONNE,

Dire que conformément à l'article L. 145-38 du Code de Commerce, le loyer plafonné doit être calculé en utilisant comme indice multiplicateur le dernier indice des loyers commerciaux publié à la date d'effet du renouvellement, soit celui du 3ème trimestre 2015, et non celui, retenu par le Tribunal, du 2ème trimestre 2015, la clause d'indexation contractuelle choisissant l'indice du coût de la construction du 2ème trimestre pour le calcul du loyer indexé annuellement, n'ayant pas vocation à s'appliquer au loyer plafonné en renouvellement ;

Fixer en conséquence le loyer du bail renouvelé au 1er janvier 2016 selon la règle du plafonnement, soit à la somme annuelle en principal de 73.482,83 euros (SOIXANTE-TREIZE MILLE QUATRE CENT QUATRE-VINGT-DEUX EUROS ET QUATRE-VINGT-TROIS CENTIMES), toutes autres clauses, charges et conditions demeurant inchangées, sous réserve du réajustement du dépôt de garantie, de la clause d'échelle mobile faisant l'objet d'une instance distincte, et des ajustements requis par la loi du 18 juin 2014 et son décret d'application ;

Dire que les intérêts au taux légal seront dus sur tout loyer trop perçu, et ce à compter de chaque échéance contractuelle ou subsidiairement à compter de l'assignation ;

SUR LES AUTRES DEMANDES,

Débouter la SCI GERINO de toutes ses demandes, fins et prétentions, particulièrement infondées ;

Condamner la SCI GERINO à verser à la société A LA LEGION D'HONNEUR la somme de 7.500,00 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile en première instance et en cause d'appel ;

Condamner la SCI GERINO aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais de l'expertise de Monsieur José M. dont le recouvrement sera poursuivi par la SELARL T.-B.A., en la personne de Maître Eric A., par application des dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 11 mars 2021.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières conclusions précitées des parties pour ce qui concerne l'exposé détaillé de leurs moyens et prétentions.

MOTIFS DE LA DECISION

La SCI GERINO critique le jugement entrepris qui n'a pas fait droit à sa demande de déplafonnement du loyer alors qu'il existe deux motifs de déplafonnement, invoquant à la fois la modification notable des facteurs locaux de commercialité et la modification des caractéristiques des locaux loués au cours du bail expiré.

Elle fait valoir que le secteur dans lequel sont situés les lieux loués a connu d'importantes évolutions touristiques et commerciales qui ont été bénéfiques au commerce de café-brasserie-restaurant du preneur, activités sensibles non seulement à la fréquentation des résidents mais également à celle des touristes et employés du secteur dont le flux a évolué positivement. Elle invoque à cet effet le déplafonnement du loyer des locaux du [...] en raison d'une modification notable des facteurs locaux de commercialité découlant de la restructuration de l'ancien Hôtel des Douanes ayant redynamisé la [...]. Elle invoque également l'augmentation notable de la fréquentation du musée d'Orsay situé à 300 mètres des locaux loués et considère que c'est à tort que l'expert a considéré que les visiteurs du musée d'Orsay ne se dirigeraient pas vers le tronçon du [...] où sont situés les locaux loués et qu'il existerait de nombreux établissements de restauration à proximité immédiate du musée d'Orsay ainsi que trois établissements de restauration au sein même du musée, faisant valoir que le [...] mène directement dans le centre névralgique de la Rive Gauche et qu'une partie des visiteurs du musée a vocation à s'y rendre ; que la station de métro 'Solférino' située en face des locaux loués, sur la ligne [...] ainsi qu'à Sèvres-Babylone où se situe le 'Bon Marché'; que les établissements de restauration situés à proximité ne relèvent pas de la même catégorie et ne peuvent accueillir des groupes importants. Elle se prévaut par ailleurs de la réouverture en novembre 2006 du musée de la Légion d'Honneur situé à 200 mètres des locaux loués dont la fréquentation annuelle varie entre 50.000 et 75.000 visiteurs, du réaménagement au cours du bail expiré du [...] distant de 350 mètres des locaux loués qui a conduit à la fermeture définitive de la circulation automobile de la totalité de la voie express rive gauche et à l'ouverture d'un lieu de promenade de 2,3 kms, permettant la mise en place de pôles d'activités et points culturels, considérant que les points de restauration qui y sont aménagés ne constituent pas une concurrence réelle sérieuse pour la brasserie traditionnelle exploitée par la société locataire. La SCI GERINO invoque en outre l'augmentation de la fréquentation des Batobus désormais disponibles toute l'année, l'augmentation de la population résidente et de son pouvoir d'achat, le remplacement de logements vacants par des résidences secondaires louées entre particuliers et enfin le classement du secteur en zone touristique internationale et reproche à la société locataire de ne pas avoir communiqué ses chiffres d'affaires.

S'agissant de la modification des caractéristiques des locaux, la SCI GERINO fait valoir qu'au cours du bail expiré, la société locataire a rationalisé l'emprise de la terrasse lui permettant d'augmenter de plus de 25 % la capacité d'accueil de cette dernière et invoque la modification d'une pièce au sous-sol initialement à usage de cave/stockage devenue laboratoire/cuisine, l'installation de deux chambres froides au sous-sol et la suppression d'un WC dans le vestiaire du personnel en améliorant ainsi la superficie.

La société A LA LEGION D'HONNEUR sollicite la confirmation du jugement entrepris faisant grief au bailleur de ne pas rapporter la justification d'une modification notable des facteurs locaux de commercialité ayant une incidence favorable sur le commerce considéré.

Elle considère, s'agissant de la modification alléguée des caractéristiques du local, que le bail reporte les effets de l'accession en fin de jouissance de sorte qu'en l'absence d'accession, les travaux allégués ne peuvent entraîner un déplafonnement ; qu'en outre il n'est pas établi une modification notable de l'aspect extérieur des lieux loués ; que la surface des droits de terrasse n'a pas été agrandie ou modifiée ; que le droit de terrasse par essence précaire ne peut constituer un motif de déplafonnement ; que l'affectation de la cave n'a pas été modifiée ; qu'aucun laboratoire cuisine n'a été réalisé au sous-sol du restaurant.

La cour rappelle que par application des dispositions de l'article L. 145-33 du code de commerce le montant des loyers de baux renouvelés ou révisés doit correspondre à leur valeur locative ; que cette valeur locative ne s'applique que lors des fixations judiciaires du loyer révisé ou renouvelé, à défaut d'accord entre les parties.

L'article L. 145-34 du même code institue cependant un plafonnement du loyer lors des renouvellements auquel il peut être dérogé en cas de modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° .

* sur la modification des facteurs locaux de commercialité :

Aux termes de l'article R. 145-6, les facteurs locaux de commercialité dépendent principalement de l'intérêt que présente, pour le commerce considéré, l'importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation, de la répartition des diverses activités dans le voisinage, des moyens de transport, de l'attrait particulier ou des sujétions que peut présenter l'emplacement pour l'activité considérée et des modifications que ces éléments subissent d'une manière durable ou provisoire.

Une modification notable des facteurs locaux de commercialité ne peut constituer un motif de déplafonnement qu'autant qu'elle est de nature à avoir une incidence favorable sur le commerce considéré et plus précisément pour le commerce exercé dans les lieux loués, dans le respect de la destination contractuelle. La preuve en incombe au bailleur.

La modification doit être intervenue au cours du bail expiré.

En l'espèce, les locaux loués sont situés à [...] et de la [...]. En face, côté [...] se trouvent l'ancien ministère de la Défense, une bouche de métro de la station Solferino et à 550 mètres environ l'Assemblée Nationale tandis que côté [...], se trouvent l'ex-siège du parti socialiste et à 400 mètres environ le musée d'Orsay et le musée de la Légion d'Honneur. Il s'agit d'un secteur où les bureaux, souvent occupés par les services de l'Assemblée Nationale, de plusieurs ministères et autres administrations, sont nombreux, et qui est également très fréquenté par les touristes en raison de la proximité immédiate du Musée d'Orsay et de la proximité de l'autre côté de la Seine, du Jeu de Paume, de l'Orangerie et du Jardin des Tuileries, l'expert en déduisant, sans être contredit sur ce point, que l'emplacement est très favorable de jour pour l'exercice de l'activité de café-brasserie mais médiocre en soirée puisqu'en raison d'une population résidente peu nombreuse, le quartier est déserté peu après l'heure de fermeture des bureaux.

Il n'est pas pertinent pour le bailleur de se prévaloir du jugement rendu le 9 novembre 2016 ayant déplafonné le loyer d'un restaurant situé [...] en raison de l'évolution de la commercialité de la [...] liée à la restructuration de l'ancien Hôtel des Douanes situé au [...] ayant entraîné la création de 12.000 m² de bureaux et de 3.500 m² de commerce et le remplacement des employés du secteur public par des entreprises privées du secteur de la finance, du luxe et du droit alors que la distance séparant les deux établissements est de 750 mètres ; que les locaux loués à la société A LA LEGION D'HONNEUR sont distants de 550 mètres de l'ancien Hôtel des Douanes qui se trouve dès lors hors de sa zone de chalandise et qu'il n'est pas établi de flux de chalands entre les deux emplacements, le premier juge ayant en outre à juste titre relevé que les locaux litigieux sont situés dans le dernier tronçon du [...] peu animé commercialement.

Il n'est pas discuté que la fréquentation du musée d'Orsay a augmenté de 8,63 % au cours du bail expiré passant de 3.166.509 visiteurs en 2007 à 3.439.832 visiteurs en 2015. Pour autant, le bailleur qui reproche à l'expert d'avoir adopté une pétition de principe pour affirmer qu'à la sortie du musée les touristes ne se dirigent pas vers le dernier tronçon commercialement peu animé du [...], tente vainement de tirer argument de la présence en face des locaux loués de la station de Solferino sur la ligne 12 du métro menant [...] ainsi qu'à Sèvres-Babylone ou dans le quartier des Grands Magasins très prisé des touristes alors que le rapport d'expertise met en évidence la diminution de 7,58 % de la fréquentation de cette station de métro au cours du bail expiré. La critique du bailleur sur le cheminement des touristes tel qu'il ressort du rapport d'expertise est dès lors dénuée de pertinence.

La cour relève par ailleurs à l'instar du premier juge que de nombreux établissements de restauration se trouvent au voisinage immédiat du musée et que trois restaurants se trouvent au sein même dudit musée ; qu'il en résulte dès lors une dilution du flux supplémentaire de chalands découlant de l'augmentation de la fréquentation du musée d'Orsay de sorte qu'il n'est pas démontré une incidence favorable sur le commerce exercé par le preneur.

Il est par ailleurs constant que le musée de la Légion d'Honneur a rouvert ses portes en novembre 2006 après une opération de rénovation qui a duré plusieurs années. Sa fréquentation moyenne a connu des variations au cours du bail expiré et est de l'ordre de 50.700 visiteurs annuels. Elle reste cependant minime au regard du nombre de visiteurs des dix musées ou monuments les plus fréquentés de la capitale de sorte son incidence sur le commerce exercé est faible malgré sa proximité avec les locaux loués.

Comme le fait valoir la SCI GERINO, le [...] distant d'environ 350 mètres des locaux loués a été réaménagé et ce réaménagement a conduit à la fermeture définitive de la voie expresse rive gauche à la circulation automobile en janvier 2013 et à l'ouverture au public en juin 2013 d'une promenade de 2,3 kms agrémentée d'installations, de zones ludiques et d'espaces de détente en accès libre. Si ces aménagements font l'objet d'une active fréquentation surtout par beau temps, l'expert relève néanmoins que ces quais piétonnisés offrent aux promeneurs différents moyens de se restaurer dès lors qu'il a noté la présence d'aires de pique-nique, d'un restaurant éphémère, d'un food-truck et de plusieurs péniches restaurants avec terrasses. Il en résulte un effet de dilution du flux de chalands créé par cet aménagement de sorte que son incidence favorable sur le commerce exercé par la société locataire n'est pas établie et ce d'autant plus que, dans le même temps, pour atténuer les effets de la fermeture de la voie rapide rive gauche, la Mairie a pris la décision de créer une troisième voie de circulation sur le [...] entraînant l'interdiction de stationner sur ce quai alors que les cars de touristes usaient précédemment de cette faculté et qu'aucune solution de substitution n'a été prévue, l'expert retenant que cette situation est préjudiciable à la société A LA LEGION D'HONNEUR.

S'agissant de l'augmentation de la fréquentation des Batobus, l'expert relève que ce service a été créé en 1989 ; que l'extension de ce service invoquée par le bailleur n'est pas de l'ampleur décrite par ce dernier puisqu'antérieurement à l'ouverture à l'année depuis le 1er janvier 2014, c'était uniquement au mois de janvier que ce service n'était pas assuré et non pendant toute la période hivernale. Il ressort dès lors de ces constatations que l'incidence de l'extension alléguée sur le commerce exercé n'est pas établie, la cour relevant en outre qu'il existe de nombreux restaurants à proximité du quai d'embarquement.

Contrairement aux affirmations du bailleur, la population de l'arrondissement est restée stable, les chiffres de l'INSEE faisant au contraire apparaître une légère diminution entre 2007 et 2014 et la composition socio-professionnelle de cette population n'a pas non plus connu d'évolution notable au cours de la même période, la cour relevant que la diminution alléguée du nombre des logements vacants ne s'est pas traduite par une augmentation de la population mais apparaît ainsi que le retient l'expert comme étant la conséquence de l'aggravation de la taxe sur les locaux vacants, étant observé que le bailleur se borne à invoquer des chiffres concernant l'arrondissement en son entier. Si les catégories socio-professionnelles à pouvoir d'achat élevé constituaient 35,40 % des ménages en 2014 contre 28,70 % en 2006, l'expert relève cependant que cette augmentation en pourcentage ne représente que 817 nouveaux ménages répartis sur la totalité de l'arrondissement, la SCI GERINO s'abstenant de fournir le moindre chiffre sur le périmètre restreint de chalandise de la société A LA LEGION D'HONNEUR.

Il n'est pas davantage fourni d'éléments précis sur les locations touristiques de type Airbnb, la société A LA LEGION D'HONNEUR faisant à juste titre observer que l'augmentation du nombre de résidences secondaires diminue le nombre de clients potentiels à l'année et que la croissance de ce type d'hébergement se fait au détriment de l'hébergement classique en hôtellerie.

Si le bailleur fait valoir à juste titre que le secteur dans lequel se trouvent les locaux donnés à bail est situé en zone touristique internationale, la zone Saint-Germain dans laquelle les commerces peuvent ouvrir le dimanche ainsi que le soir jusqu'à minuit, il ne démontre cependant nullement dans quelle mesure la création de cette zone permet de renforcer l'attractivité de cette partie du [...], la cour relevant à l'instar du preneur qu'il était déjà ouvert le dimanche antérieurement à cette création de même que le musée d'Orsay et le musée de la Légion d'Honneur ; que les locaux loués sont situés dans le dernier tronçon du [...] peu animé commercialement, ce que corrobore la baisse de la fréquentation de la station de métro Solferino.

Il ne peut enfin être fait grief à la société locataire de ne pas avoir communiqué d'éléments suffisants concernant l'évolution de son chiffre d'affaires au cours du bail expiré, l'évolution du chiffre d'affaires ne constituant pas un motif de déplafonnement.

Il résulte ainsi de ce qui précède que la SCI GERINO ne rapporte pas la preuve qui lui incombe d'une modification notable des facteurs locaux de commercialité, pris ensemble ou séparément, ayant eu une influence favorable sur le commerce dont s'agit.

* sur la modification des caractéristiques des locaux :

La cour rappelle que lorsque la modification porte sur les caractéristiques du local considéré, elles s'apprécient selon les termes de l'article R. 145-3 du code de commerce ; que lorsque les travaux réalisés sont constitutifs d'une amélioration, les dispositions de l'article L. 145-8 du même code ont vocation à s'appliquer.

Si des travaux modifient notablement les caractéristiques du local au sens de l'article R. 145-3 du code de commerce, ils constituent un motif de déplafonnement du prix du bail renouvelé s'ils ont été exécutés au cours du bail à renouveler. Si les travaux ont amélioré les lieux loués, ils constituent un motif de déplafonnement lors du premier renouvellement du bail au cours duquel ils ont été réalisés si le bailleur en a assumé la charge, directement ou indirectement, ou lors du deuxième renouvellement si c'est le preneur qui les a pris en charge.

Lorsque des travaux modifient notablement les caractéristiques des lieux loués mais améliorent aussi notablement ces mêmes locaux, le régime de l'amélioration prévaut.

Il est cependant constant que le bailleur ne peut se prévaloir des travaux réalisés par le preneur que s'ils sont devenus sa propriété par accession.

En l'espèce, le bail liant les parties stipule : 'à l'expiration du présent bail, par avènement du terme convenu ou par résiliation pour quelque cause que ce soit, toutes constructions et installations, tous aménagements, améliorations et embellissements effectués par le preneur resteront, sans indemnité, la propriété du bailleur, à moins que celui-ci ne réclame le rétablissement de tout ou partie des lieux dans leur état primitif, se réservant le choix entre l'exécution matérielle des travaux ou une indemnité pécuniaire représentative de leur coût, indemnité qui constituera une créance privilégiée au même titre que le loyer'.

Le bailleur se réserve ainsi deux options, soit celle de faire jouer la clause d'accession, soit celle d'exiger la remise en état des lieux dans leur état primitif.

Si la clause d'accession comporte une date d'accession, à savoir la fin du bail, elle est corrélée à une obligation éventuelle de rétablissement des lieux dans leur état primitif, laquelle ne peut intervenir qu'à la fin des relations contractuelles entre les parties et non pas lors du renouvellement du bail. Elle est ainsi ambigüe et doit être interprétée.

Conformément aux dispositions de l'article 1162 du code civil en sa version applicable à l'espèce, dans le doute, la convention s'interprète contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l'obligation, soit en l'espèce en faveur de la société locataire.

Il en résulte que la clause d'accession dont il sera souligné qu'elle vise l'ensemble des travaux réalisés par le preneur, ne pourra recevoir application qu'en fin des relations contractuelles. Il s'ensuit que les travaux allégués ne peuvent être invoqués, lors du renouvellement du bail, par le bailleur qui ne peut ainsi se prévaloir d'une modification notable des caractéristiques des locaux.

Le second motif de déplafonnement invoqué par le bailleur sera donc également écarté.

En définitive, les motifs de déplafonnement invoqués par le bailleur étant écartés, le loyer est soumis à la règle du plafonnement ainsi que l'a retenu le premier juge.

* sur le montant du loyer plafond :

La société A LA LEGION D'HONNEUR critique le montant du loyer plafonné tel que retenu par le premier juge, faisant valoir qu'il doit être calculé en utilisant comme indice multiplicateur l'ILC du 3ème trimestre 2015, dernier indice publié à la date du renouvellement, et non celui du 2ème trimestre, invoquant à cet effet l'absence de clause contractuelle fixant le trimestre de référence pour le calcul du loyer plafonné.

Il n'est pas discuté que le loyer plafond doit être calculé selon la variation de l'indice des loyers commerciaux publié par l'INSEE et il résulte des dispositions de l'article L. 145-34 du code de commerce, qu'à défaut de clause contractuelle fixant le trimestre de référence de cet indice, il y a lieu de prendre la variation dudit indice calculée sur la période de neuf ans antérieure au dernier indice publié.

La cour relève que l'expert a évalué le loyer plafond à la somme annuelle de 74.101,63 euros HT/HC en appliquant au loyer initial de 64.953,45 euros l'an le dernier indice publié au jour du renouvellement mentionné comme étant celui du 2ème trimestre 2015 et celui du 2ème trimestre 2006 publié neuf ans plus tôt ; que cependant l'indice des loyers des loyers commerciaux du 3ème trimestre 2015 était déjà publié au jour du renouvellement du bail, sa publication étant intervenue le 23 décembre 2015 ; que c'est dès lors à tort que l'expert a mentionné l'indice du 2ème trimestre 2015 comme étant le dernier publié et pris en compte celui du 2ème trimestre 2006.

La cour relève par ailleurs que le bail du 26 janvier 2007 ne comporte aucune stipulation fixant le trimestre de référence à prendre en considération lors du renouvellement du bail, la clause d'échelle mobile concernant la seule révision et non le renouvellement du bail. C'est dès lors à tort que le premier juge se référant à cette stipulation contractuelle a pris en compte l'indice du 2ème trimestre.

Il convient dès lors de déterminer le loyer plafond en prenant en compte le dernier indice publié au 1er janvier 2016 : 108,38 (3ème trimestre 2015) et l'indice correspondant 9 ans plus tôt : 95,80 (3ème trimestre 2006) soit un loyer plafond de 73.482,83 euros (64.953,45 x 108,38/95,80), le jugement entrepris étant infirmé de ce chef.

Aucun élément du dossier ne permet d'établir que la société A LA LEGION D'HONNEUR est créancière d'un trop-perçu de loyers de sorte que la demande d'intérêts de ce chef est sans objet.

Sur les demandes accessoires :

Le jugement entrepris étant confirmé pour l'essentiel, il le sera sur les dépens en ce compris les frais d'expertise et l'indemnité de procédure.

La SCI GERINO qui succombe en son appel en supportera les dépens. La distraction des dépens sera autorisée au profit de l'avocat postulant qui en a fait la demande conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Il n'y a pas lieu en cause d'appel de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement,

Confirme le jugement entrepris sauf sur le quantum du loyer,

Infirmant de ce chef,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Fixe à 73.482,83 euros en principal par an, à compter du 1er janvier 2016 le loyer du bail renouvelé entre la SCI GERINO et la société A LA LEGION D'HONNEUR relativement aux locaux situés à [...],

Dit n'y avoir lieu à fixer le point de départ des intérêts sur un trop-perçu,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Condamne la SCI GERINO aux dépens d'appel dont distraction au bénéfice de l'avocat postulant qui en a fait la demande en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.