Cass. com., 24 octobre 2000, n° 98-12.563
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Armor Inox (SA)
Défendeur :
Kaufler (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dumas
Rapporteur :
M. Poullain
Avocat général :
Mme Piniot
Avocats :
SCP Thomas-Raquin et Benabent, Me Bertrand
Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Paris, 5 décembre 1997), que la société Armor inox (société Armor), titulaire d'un brevet européen, déposé le 6 mai 1988 et publié le 31 mars 1993 sous le n° 0 292 417 81, sous priorité d'un brevet français, concernant des ensembles empilables de récipients destinés à contenir des produits alimentaires pendant leur cuisson, et d'un brevet français déposé le 9 novembre 1990 et enregistré sous le n° 90 14019, concernant un ensemble formé par un cadre et une pluralité de récipients destinés à contenir des produits alimentaires pendant leur cuisson, a poursuivi judiciairement la société Kaufler, notamment en concurrence déloyale ; que cette société a reconventionnellement formé une demande en concurrence déloyale à l'encontre de la société Armor ; que la cour d'appel a déclaré constitutifs de concurrence déloyale certains des actes reprochés à la société Kaufler et rejeté les autres griefs ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en ses quatre branches :
Attendu que la société Armor fait grief à l'arrêt, après avoir retenu que la société Kaufler avait commis certains actes de concurrence déloyale d'avoir rejeté les autres actes qu'elle reprochait à cette société et d'avoir limité à la somme de 60 000 francs, le montant des dommages-intérêts, alors, selon le pourvoi, 1 ) que le débauchage des salariés d'un concurrent susceptible de désorganiser l'entreprise de celui-ci est de nature à constituer, même en l'absence d'une clause de non-concurrence liant ces salariés, une faute engageant la responsabilité de son auteur ; qu'en écartant en l'espèce, l'existence d'un débauchage fautif commis par la société Kaufler pour la raison que les salariés de la société Armor inox, qui n'étaient pas liés par une clause de non-concurrence, avaient été recrutés dans un premier temps par une autre entreprise, sans répondre aux conclusions de la société Armor inox faisant valoir que "cette autre entreprise" n'était qu'un écran intermédiaire utilisé par les créateurs de la société Kaufler pour masquer leurs agissements, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de réponse à conclusions en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, 2 ) qu'en écartant l'existence d'un débauchage fautif des salariés de la société Armor inox par la société Kaufler, pour la raison encore que le départ des salariés de la société Armor inox s'était espacé sur plusieurs années, en 1979 et 1980, puis en 1989, sans tenir compte du fait invoqué par la demanderesse dans ses conclusions d'appel que ces départs avaient été extrêmement rapides en se concentrant sur le début de la première période considérée à raison d'un salarié tous les quinze jours environ jusqu'en janvier 1979 puis en mars 1979 et concernaient des personnes exerçant des postes importants au sein de la société Armor inox, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; alors, 3 ) que constitue un détournement déloyal de clientèle la fait pour une société d'utiliser les connaissances de la clientèle acquises par l'un de ses dirigeants pendant qu'il était au service d'une autre société ; qu'en retenant que rien n'interdisait à la société Kaufler d'avoir les mêmes fournisseurs et les mêmes clients que la société Armor inox, sans rechercher comme l'y invitaient les conclusions de cette société, si la société Kaufler n'avait pas utilisé à son profit les connaissances du marché et de la clientèle que ses dirigeants, MM. Y et X, avaient acquises dans leur précédent emploi dans la société Armor inox, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du nouveau Code de procédure civile ; 4 ) qu'en ne recherchant pas si, alors même que le choix d'un moule à goulotte identique à celui de la société Armor inox, la pratique de prix inférieurs et l'existence de fournisseurs et de clients identiques à ceux de ladite société Armor inox, pris isolément, ne constituaient pas en eux-mêmes des agissements déloyaux, la réunion de ces différents faits, ajoutés aux autres agissements de la société Kaufler qualifiés de déloyaux, ne traduisait pas une action concertée pouvant constituer la faute prévue par l'article 1382 du Code civil, la cour d'appel a, à cet égard encore, privé sa décision de base légale au regard dudit article ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant relevé par motifs propres et adoptés que le recrutement d'anciens salariés d'une entreprise concurrente, qui avaient quitté la société Armor entre 1979 et 1980 puis en 1989, et avaient été embauchés par une autre entreprise avant de rejoindre la société Kaufler, ne pouvait caractériser un acte de concurrence déloyale, dès lors que ces salariés n'étaient pas liés par une clause de non-concurrence et qu'il n'était pas établi que ces recrutements avaient été la conséquence d'un débauchage, c'est à bon droit que la cour d'appel, qui a légalement justifié sa décision, a, répondant aux conclusions prétendument délaissées, statué comme elle l'a fait ;
Attendu, en deuxième lieu, que l'arrêt retient que la société Armor n'établit pas que les salariés sont partis en emportant des documents internes à cette société et que rien n'interdisait à des sociétés concurrentes d'avoir les mêmes fournisseurs ou les mêmes clients ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision ;
Attendu, en troisième lieu, qu'après avoir examiné les différents griefs adressés à la société Kaufler et constaté que nombre de faits allégués ne constituaient pas une faute, la cour d'appel, qui n'avait pas à rechercher si ces faits, pris dans leur ensemble, n'étaient pas fautifs, dès lors que l'action en concurrence déloyale est fondée sur les articles 1382 et 1383 du Code civil et non sur une présomption de responsabilité, a légalement justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident, pris en ses deux branches :
Attendu que la société Kaufler reproche à l'arrêt d'avoir décidé qu'elle avait commis des actes de concurrence déloyale, alors, selon le pourvoi, 1 ) qu'il appartient à celui qui invoque une faute de la prouver ; qu'il appartenait à la société Armor inox, qui invoquait la concurrence déloyale que lui faisait la reproduction par la société Kaufler sur ses documents publicitaires d'une photographie de l'un de ses produits, de prouver que le produit représenté était le sien, ce que contestait la société Kaufler ; qu'en énonçant le contraire qu'il appartenait à la société Kaufler de démontrer que les moules représentés n'étaient pas ceux de la société Armor inox, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, en violation de l'article 1315 du Code civil ; alors, 2 ) que le terme "brevet d'invention" désigne de façon générique, selon la loi elle-même, l'ensemble des titres de propriété industrielle, parmi lesquels le certificat d'utilité, qui a la nature juridique d'un brevet d'invention ; qu'en énonçant que l'emploi du terme "brevet" pour désigner, un document publicitaire, un certificat d'utilité, constitue "une "exactitude fautive", la cour d'appel a violé ensemble les articles L. 611-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle et 1382 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, qu'ayant relevé par motifs propres et adoptés que la plaquette publicitaire de la société Kaufler reproduisait des moules identiques à ceux commercialisés par la société Armor, dès lors qu'apparaissaient sur la photographie des éléments conformes à la revendication 1 du brevet européen, c'est à bon droit que la cour d'appel, abstraction faite d'un motif erroné mais surabondant critiqué à la 1re branche, a statué comme elle l'a fait ;
Attendu, d'autre part, que la cour d'appel, ayant retenu que si le certificat d'utilité est un titre de propriété industrielle, l'apposition du terme brevet qui laisse croire que la durée de protection du dispositif présenté est longue, constitue une inexactitude fautive, a pu statuer comme elle l'a fait ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois tant principal qu'incident.