Cass. com., 16 février 2022, n° 20-13.542
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
La Manif Pour Tous (Association)
Défendeur :
Société Protectrice Des Animaux (Association), la Fondation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocats :
SARL Corlay, SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer
Avocat général :
Mme Beaudonnet
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Bessaud
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 décembre 2019), la Société protectrice des animaux (la SPA), association reconnue d'utilité publique, dont l'objet social est la protection des animaux, a lancé une campagne nationale pour dénoncer la torture faite aux animaux dans le cadre de l'abattage, de l'expérimentation animale et de la corrida.
2. L'association La Manif pour tous (l'association LMPT), qui a pour objet la coordination d'actions de promotion du mariage homme-femme, de la famille, de la parenté et de l'adoption, a diffusé sur son site internet des « visuels » reprenant les codes et certains éléments de cette campagne, pour dénoncer la procréation médicalement assistée (PMA) sans père et la gestation pour autrui (GPA).
3. La Fondation [4], qui agit au profit des personnes atteintes de maladies génétiques, a également repris des éléments de cette campagne nationale sur son site internet, pour dénoncer l'avortement « tardif » et l'euthanasie.
4. A la demande de la SPA, un juge des référés a, notamment, interdit sous astreinte aux deux défenderesses de poursuivre l'utilisation des visuels litigieux, leur a ordonné la publication d'un communiqué sur leurs sites internet respectifs et a accordé à la SPA à titre de provision la somme d’un euro de dommages-intérêts.
5. Considérant que ces faits étaient constitutifs de parasitisme, la SPA a assigné l'association LMPT et la Fondation [4] sur le fondement de l'article 1382, devenu 1240, du code civil, aux fins d'indemnisation du préjudice en résultant. Moyens Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième et cinquième branches ci-après annexé Motivation
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Moyens
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. L'association LMPT fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la SPA la somme de 15 000 euros en réparation de préjudices subis du fait d'actes de parasitisme et de dire que la Fondation [4] y était tenue à hauteur de 5 000 euros, alors « que le parasitisme consiste pour un opérateur économique à se placer dans le sillage d'un autre pour tirer indûment un profit économique de la notoriété acquise ou des investissements consentis ; qu'une campagne à des fins politiques n'a pas pour finalité de tirer un profit économique d'une notoriété acquise ou des investissements ; qu'il est constant que la campagne engagée par la SPA n'a pour finalité que d'attirer l'attention du public et des politiques sur la nécessité de mettre fin à certaines pratiques nuisibles pour les animaux et n'a pas de finalités économiques ; que la parodie des affiches par les associations LMPT et [4] avait pour finalité d'accentuer ce trait, par un humour caustique, en montrant la nécessité que l'enfant soit protégé de la même façon, sans aucune finalité économique ; qu'en retenant l'existence d'un parasitisme sans caractériser aucune finalité économique de la part de l'une (la SPA) ou de l'autre (la LMPT) de ces associations, la cour d'appel a violé l'article 1240 du code civil. »
Motivation
Réponse de la Cour
8. L'action en parasitisme, fondée sur l'article 1382, devenu 1240, du code civil, qui implique l'existence d'une faute commise par une personne au préjudice d'une autre, peut être mise en oeuvre quels que soient le statut juridique ou l'activité des parties, dès lors que l'auteur se place dans le sillage de la victime en profitant indûment de ses efforts, de son savoir-faire, de sa notoriété ou de ses investissements.
9. L'arrêt constate d'abord que la SPA, dont la notoriété est établie auprès du public français qui la place en troisième position des associations caritatives les plus connues, justifie d'investissements publicitaires pour une opération de communication dénonçant la maltraitance animale, qui a été relayée dans des médias nationaux, et ensuite que l'association LMPT et la Fondation [4] ont détourné ses affiches, sur leurs sites internet respectifs, pour traiter des causes qui leurs sont propres, quelques jours seulement après le lancement de la campagne nationale de la SPA.
10. En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a établi l'utilisation, par l'association LMPT et la Fondation [4], des outils de communication conçus et financés par la SPA, a pu en déduire, peu important la finalité de leurs campagnes respectives, qu'elles avaient commis des actes de parasitisme.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
Moyens
Et sur le moyen, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
12. L'association LMPT fait le même grief à l'arrêt, alors « que l'utilisation de la marque, des concepts ou des idées d'autrui est permise à des fins polémiques ou humoristiques, sauf abus ; qu'en particulier, les buts de santé publique ou de protection de l'environnement sont considérés comme justifiant même des dénigrements de produits ou services, à plus forte raison s'il s'y ajoute une pointe d'humour ; qu'en l'espèce, en l'absence même de tout dénigrement du bien-fondé de la poursuite de la santé animale, la reprise humoristique d'une campagne d'information en vue de la protection de la santé humaine relève de la liberté d'expression et ne pouvait être qualifiée de fautive sans que soit caractérisé l'abus ; qu'en considérant que le parasitisme était constitué, nonobstant la liberté d'expression, du seul fait que la "campagne" menée par LMPT aurait "brouillé" celle de la SPA, sans que soit caractérisée ni volonté de nuire, ni aucun abus dans la liberté d'expression, la cour d'appel a violé l'article 1240 du code civil ensemble l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. »
Motivation
Réponse de la Cour
13. Après avoir exactement énoncé que la liberté d'expression protégée par l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales peut faire l'objet de restrictions prévues par la loi, qui doivent constituer des mesures nécessaires, dans une société démocratique, pour atteindre des buts légitimes et notamment la protection des droits d'autrui, l'arrêt constate que le message de la SPA était destiné à sensibiliser le public au problème de la maltraitance animale et que l'association LMPT et la Fondation [4] ont détourné cette campagne d'affichage au profit de leurs propres causes, notamment l'opposition à la PMA sans père et la GPA, faisant ainsi ressortir que ces campagnes participaient à des débats intéressant le grand public et portaient sur des questions d'intérêt général.
14. L'arrêt relève ensuite que l'association LMPT affirmait que ce qui touche la personne humaine est plus grave et plus important que la maltraitance animale. Il considère que du fait du détournement volontaire de la campagne de la SPA par l'association LMPT au profit de ses propres causes, la campagne de la SPA a perdu en clarté et en efficacité, a été en partie brouillée en ce qu'elle s'est trouvée associée à des organisations et à des causes qui lui sont étrangères voire antagonistes, et qu'elle a été aussi affaiblie en ce que sa cause est présentée comme moins importante.
15. L'arrêt retient en outre, par motifs adoptés, que les thèmes de l'association LMPT, tels que « enfermée pour enfanter », « l'exploitation des femmes », « arrachée à sa mère dès la naissance », ne sont pas employés dans les « visuels » litigieux dans le but de provoquer le rire ou de manière humoristique.
16. De cette analyse concrète de l'ensemble des faits de l'espèce, la cour d'appel, qui n'avait pas à établir l'existence d'une intention de nuire, a pu déduire que l'ingérence causée à l'association LMPT et à la Fondation [4] par leur condamnation au paiement de dommages-intérêts, à raison de leur comportement fautif, constituait une mesure proportionnée au but légitime de la protection des droits de la SPA.
17. Le moyen n'est donc pas fondé.
Dispositif
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne l'association La Manif pour tous aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'association La Manif pour tous et la condamne à payer à l'association Société protectrice des animaux la somme de 3 000 euros.