CA Rennes, 5e ch., 23 novembre 2011, n° 10/04354
RENNES
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Mme Pourrahimi
Défendeur :
Jezequel (consorts)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avoués :
SCP d'Aboville de Moncuit St Hilaire, SCP Castres Colleu Perot le Couls Bouvet
Avocats :
Selarl Gourves et Associés, Me Coroller-Bequet
EXPOSE DU LITIGE
Suivant acte authentique en date du 8 août 1997, Monsieur et Madame Pierre JEZEQUEL donnaient à bail à Madame POURRAHIMI un local commercial situé [...] pour une durée de 9 ans et moyennant un loyer mensuel de 914,69 €. Le local était destiné à servir exclusivement à l'exploitation d'un commerce alimentaire.
Le bail contenait une clause de résiliation de plein droit à défaut de paiement d'un seul terme de loyer ou d'exécution d'une seule des conditions du bail.
Le 30 juin 2006, les consorts JEZEQUEL faisait délivrer à Madame POURRAHIMI un commandement aux fins de payer le mois de juillet 2005, de justifier de l'existence d'un contrat d'assurance et de mettre un terme à la vente de tout produit ne correspondant pas à l'exploitation d'un commerce alimentaire, en visant la clause résolutoire.
Par arrêt en date du 13 février 2008, la Cour d'Appel de Rennes donnait à Madame POURRAHIMI un délai de deux mois pour cesser la vente de tous produits n'entrant pas dans la destination du bail et disait que faute par elle de s'exécuter, le bail serait résilié de plein droit et qu'elle devrait libérer les lieux dans le mois suivant sous astreinte de 100 € par jour de retard. La Cour disait également que Madame POURRAHIMI serait alors redevable d'une indemnité d'occupation égale au montant du loyer et des charges.
Le 1er août 2008, les consorts JEZEQUEL saisissait le juge de l'exécution aux fins de liquidation de l'astreinte.
Par acte d'huissier en date du 18 décembre 2008, Madame POURRAHIMI saisissait le tribunal de grande instance de Quimper.
Par jugement en date du 11 mai 2010, le tribunal de grande instance de Quimper condamnait les consorts JEZEQUEL à payer à Madame POURRAHIMI la somme de 937,66 €, déboutait Madame POURRAHIMI de l'intégralité de ses autres demandes, constatait la résiliation du bail conclu le 8 août 1997 entre Monsieur et Madame Pierre JEZEQUEL et Madame POURRAHIMI quant au local commercial situé [...] et condamnait Madame POURRAHIMI au paiement d'une somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
Madame POURRAHIMI interjetait appel de cette décision.
Madame POURRAHIMI demandait l'infirmation de la décision entreprise en demandant à la Cour de dire que les époux et les consorts JEZEQUEL avait accepté l'exploitation du fonds de commerce incluant la vente de produits non alimentaires ou à défaut avaient renoncé à invoquer un quelconque manquement au bail sur ce fondement, de dire qu'elle n'avait procédé à aucune déspécialisation fautive de son fonds de commerce et qu'elle n'avait commis aucune infraction au bail. A titre subsidiaire, elle demandait à la Cour de dire que l'équité et l'usage faisaient obstacle à la résiliation du bail et que faute d'être de bonne foi, les consorts JEZEQUEL ne pouvait mettre en oeuvre la clause résolutoire insérée au bail. A titre très subsidiaire et avant dire droit, elle demandait d'enjoindre aux consorts JEZEQUEL de produire une attestation de la personne qui avait recueilli les tickets de caisse en fraude. Elle demandait de suspendre les effets de la clause résolutoire pendant les plus larges délais lui permettant de se mettre en règle par rapport aux dispositions du bail. Elle demandait la condamnation des consorts JEZEQUEL à faire procéder au remplacement du rideau de fer sous astreinte de 100 € par jour de retard et à lui payer la somme de 937,66 € outre la somme de 2500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Les consorts JEZEQUEL demandait la confirmation du jugement entrepris en demandant à la Cour de préciser que la résiliation, conformément à la clause de résiliation anticipée et aux dispositions de l'arrêt du 13 février 2008, avait pris effet au 12 avril 2008. A titre subsidiaire, ils demandaient à la Cour de prononcer la résiliation du bail à la date de l’arrêt, d'ordonner l'expulsion de Madame POURRAHIMI, de la condamner au paiement d'une indemnité d'occupation égale au montant du loyer, de déclarer irrecevable sa demande de remplacement du rideau de fer ainsi que ces prétentions relatives au non-respect de l'obligation de délivrance. Ils demandaient la somme de 2500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La Cour se réfère aux conclusions signifiées par Madame POURRAHIMI le 13 septembre 2011 et par les consorts JEZEQUEL le 21 janvier 2011 pour l'exposé des prétentions, moyens et arguments des parties.
MOTIFS DE LA DECISION
Considérant qu'aux termes du bail du 8 août 1997, le bien loué devait servir exclusivement à l'exploitation d'un commerce alimentaire, le locataire ne pouvant exercer dans les lieux loués, même à titre temporaire aucune autre activité ;
Considérant que le 30 juin 2006, les consorts JEZEQUEL ont fait délivrer à Madame POURRAHIMI un commandement de notamment cesser toute infraction à la destination des lieux en mettant un terme à la vente de tout produit qui ne correspond pas à l'exploitation d'un commerce alimentaire, en visant la clause résolutoire insérée au bail et en rappelant les dispositions de l'article L. 145-41 du code de commerce ;
Considérant que par arrêt infirmatif en date du 13 février 2008, la Cour a ,d'une part, donné à Madame POURRAHIMI un délai de deux mois à compter de la décision pour cesser la vente de tous produits n'entrant pas dans la destination du bail et d'autre part, dit que faute par elle de s'exécuter, le bail sera résilié de plein droit , qu'elle devra libérer les lieux dans le mois suivant sous astreinte de 100 € par jour de retard et qu'elle sera redevable d'une indemnité d'occupation égale au montant du loyer et des charges;
Considérant que le 03 avril 2008, Madame POURRAHIMI a fait établir un constat au terme duquel l'huissier instrumentaire a précisé qu'après l'examen en détail de l'ensemble des rayons du magasin, il n'avait trouvé exposés que des produits à usage alimentaire à l'exclusion de tous autres ;
Considérant que les consorts JEZEQUEL ont joint au courrier du 16 juillet 2008, dans lequel ils se prévalent de l'arrêt de la Cour et de l'acquisition de la clause résolutoire, et produisent aux débats la copie de sept tickets d'achats réalisés, dans le local commercial, les 11 mai, 13 mai,18 mai, 20 mai, 23 mai et le 25 mai 2008,à deux reprises, concernant des produits autres qu'alimentaires à savoir notamment un grille-pain, du charbon de bois, un nettoyant ménager, de la lessive , du liquide vaisselle, un titre bouchon, de l'alcool à brûler , du gel vaisselle et de la litière pour chat ;
Considérant que Madame POURRAHIMI ne conteste pas l'authenticité de ces tickets de caisse et la réalité de ces transactions , qu'à supposer même que son salarié ait répondu à une demande insistante d'une cliente , ainsi qu'il en atteste, il n'en demeure pas moins qu'en toute hypothèse , des produits non alimentaires ont été sortis de la réserve pour être vendus, à sept reprises différentes, alors que Madame POURRAHIMI ne pouvait vendre des produits autres qu'alimentaires ce dont elle était parfaitement avertie ;
Considérant qu'alors qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de Madame POURRAHIMI tendant à la production d'une attestation de la ou les personnes ayant réalisé les achats, il apparaît que la production des tickets de caisse établit de manière suffisante que Madame POURRAHIMI a continué après l'arrêt de la Cour en date du 13 février 2008 à vendre des produits autres qu'alimentaires ;
Considérant que le fait que Madame POURRAHIMI ait appelé son commerce Supérette sans opposition de la part de ses bailleurs et la circonstance que ceux-ci auraient visité la superette que celle-ci exploitait préalablement au [...] ne suffit pas à démontrer que les consorts JEZEQUEL auraient tacitement accepté une extension à la destination des lieux telle que prévue au bail alors qu'ainsi que l'ont rappelé à juste titre les premiers juges , le fait qu'ils lui aient adressé une lettre de mise en demeure le 24 février 2003 faisant état d'infractions à la destination des lieux et qu'ils aient fait délivrer le commandement du 30 juin 2006 démontre la constance de leur volonté de se prévaloir de la destination des lieux telle que prévue contractuellement ;
Considérant que Madame POURRAHIMI ne peut invoquer le fait que la vente de produits d'hygiène et d'entretien peut être considérée comme complémentaire ou connexe à celle de la vente de produits alimentaires ou que l'activité litigieuse serait une suite normale du commerce prévu à l'origine conformément aux usages alors que d'une part , au-delà de la vente de produits d'hygiène et d'entretien , il a été constaté la vente d'un grille-pain le 25 mai 2008 , et que d'autre part alors que l'opposition du bailleur à la vente de produits non alimentaires était connue de Madame POURRAHIMI depuis la mise en demeure du 24 février 2003, elle n'a pas respecté la procédure prévue par les dispositions du code de commerce sur la déspécialisation restreinte en cas de désaccord du bailleur et a continué à poursuivre la vente de produits autres qu'alimentaires en contravention avec le bail , alors que la décision de la Cour d'appel du 13 février 2008 constituait un avertissement dénué d'ambiguïté ;
Considérant que l'existence de cette décision s'oppose à ce que Madame POURRAHIMI puisse invoquer l'équité alors que la Cour lui a laissé la possibilité de se mettre en conformité avec les obligations découlant du bail ;
Considérant de même que la mauvaise foi des consorts JEZEQUEL qui ont fait connaître depuis plusieurs années leur opposition à la vente de produits autres qu’alimentaires, qui ont respecté les dispositions légales concernant la constatation de la clause résolutoire, n'est pas établie ;
Considérant qu'alors qu'elle a déjà bénéficié, aux termes de l'arrêt de la Cour du 13 février 2008, de délais et de la suspension des effets de la clause résolutoire, Madame POURRAHIMI ne peut prétendre obtenir de nouveaux délais sur le fondement de l'article L. 145-41 du code de commerce ;
Considérant que Madame POURRAHIMI indique dans ses écritures qu'aucune astreinte n'a lieu d'être prononcée à son encontre, que toutefois aucune astreinte n'a été prononcée par le tribunal dans le cadre de la présente instance ;
Considérant qu'alors que de nouvelles infractions à la destination des lieux prévue dans le bail ont été constatées postérieurement au délai de deux mois que la Cour avait donné à Madame POURRAHIMI pour se mettre en conformité avec ses obligations contractuelles, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce que les premiers juge ont constaté la résiliation du bail en y ajoutant toutefois que cette résiliation est intervenue à la date du 13 avril 2008 ;
Considérant que du fait de la résiliation, Madame POURRAHIMI est dépourvue de qualité pour demander la condamnation des consorts JEZEQUEL au remplacement du rideau de fer ;
Considérant qu'en ce qui concerne la demande en paiement de la somme de 937,66 € correspondant à une facture en date du 28 décembre 2004 pour la fourniture et la pose d'une grille roulante, fondée sur l'obligation de délivrance du bailleur , force est de constater qu'alors que le bail prévoit que le locataire 'prendra le bien loué dans l'état où il se trouvera le jour de l'entrée en jouissance' et 'qu'à défaut d'état des lieux , il sera réputé avoir reçu les lieux en parfait état', et nonobstant les conclusions du rapport d'expertise, aux termes duquel le local ne disposait pas lorsque Madame POURRAHIMI l'a loué d'un dispositif de fermeture conforme à la législation en vigueur , ce qui ne repose sur aucune pièce précise alors que l'expert indique par ailleurs qu'il ignorait dans quel état était le rideau de fer en 1997, la lettre du 10 août 1998 produite est insuffisante pour établir que les bailleurs auraient manqué à leur obligation de délivrance lors de son entrée dans les lieux le 1er août 1997 , ce d'autant que la facture dont elle demande le remboursement est en date du 28 décembre 2004, soit plus de sept ans après le début du bail , et qu'elle était tenue par ailleurs, aux termes du bail, d'effectuer l'ensemble des réparations à l'exception des grosses réparations prévues à l'article 606 du code civil; qu'elle ne peut dès lors qu'être déboutée de sa demande à ce titre;
Considérant qu'il paraît équitable d'allouer aux consorts JEZEQUEL la somme de 1500 € au titre des frais irrépétibles d’appel ;
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a condamné les consorts JEZEQUEL au paiement de la somme de 937,66 € ;
Infirme le jugement de ce chef et déboute Madame POURRAHIMI de sa demande à ce titre ;
Y ajoutant,
Constate que la résiliation du bail conclu le 8 août 1997 entre Monsieur et Madame Pierre JEZEQUEL et Madame POURRAHIMI quant au local commercial situé [...] est intervenue le 13 avril 2008 ;
Condamne Madame POURRAHIMI à payer aux consorts JEZEQUEL la somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Madame POURRAHIMI aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.