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Décisions

CA Paris, 4e ch., 18 septembre 1996, n° D19960226

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

SYLMAN (SA) , JACQUES S. (SA)

T. com Paris, du 16 janv. 1993

16 janvier 1993

FAITS ET PROCEDURE

La société JACQUES S se prétendant titulaire des droits sur un modèle de combinaison pour motocycliste dénommé " SUNBEAM " a fait procéder le 1er octobre 1993 à la saisie contrefaçon d'une combinaison référencée " FLASH " sur le stand de la société SYLMAN au salon Mondial de la Moto, estimant qu'elle constituait la contrefaçon de son propre modèle.

Jacques S revendiquant la qualité de créateur du modèle " SUNBEAM " et la société JACQUES S celle de cessionnaire des droits ont ensuite assigné la société SYLMAN devant le Tribunal de Commerce de Paris en contrefaçon et subsidiairement en concurrence déloyale, demandant outre des mesures d'interdiction sous astreinte, de publication et de destruction, la condamnation de la société SYLMAN au paiement d'une indemnité provisionnelle de 300 000 frs à valoir sur leur préjudice à déterminer par expertise.

La société SYLMAN a soulevé l'irrecevabilité de la demande en contrefaçon et conclu subsidiairement à son mal fondé et à l'absence de toute faute sur le fondement des articles 1382 du code civil et reconventionnellement a réclamé la restitution de la combinaison saisie, des mesures de publication et le paiement d'une somme de 500 000 frs à titre de dommages et intérêts outre le bénéfice de l'article 700 du nouveau Code de Procédure civile.

Par jugement du 16 janvier 1993, le Tribunal de Commerce après avoir déclaré Monsieur SEGURA et la société JACQUES S recevables à agir en contrefaçon et estimé que le modèle opposé était original et protégeable a dit que la société SYLMAN s'était rendue coupable de contrefaçon par copie servile et l'a condamnée à payer aux demandeurs la somme de 150 000 frs à titre de dommages et intérêts avec exécution provisoire.

Il a débouté les parties du surplus de leurs demandes et condamné la société SYLMAN à payer à Jacques S et la société JACUES S une somme de 20 000 frs au titre de l'article 700 dunouveau Code de Procédure Civile.

La société SYLMAN a interjeté appel 22 février 1995.

A l'appui de son recours elle prétend essentiellement que :

- Jacques S ne justifie pas de sa qualité de créateur du modèle SUNBEAM,

- la société JACQUES S qui se prétend cessionnaire des droits de M. S ne peut être considérée comme cessionnaire régulière dès lors que M. S n'a pu lui céder des droits qu'il n'avait pas,

- les dates de création du modèle opposé et de sa divulgation ne sont pas établies,

- en agissant comme ils l'ont fait les intimés ont fait preuve de mauvaise foi et d'une volonté de nuire à un concurrent.

En conséquence elle demande à la Cour d'infirmer le jugement sauf en ce qu'il n'a pas retenu d'actes de concurrence déloyale à son encontre, d'ordonner la restitution de la combinaison saisie sous astreinte de 1 000 frs par jour de retard, subsidiairement de condamner la société intimée à lui en payer le prix soit 492, 19 frs, de condamner conjointement et solidairement M. S la société JACQUES S à lui payer la somme de 500 000 frs à titre de dommages et intérêts outre celle de 30 000 frs en vertu de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile et d'autoriser diverses mesures de publication de l'arrêt à intervenir.

Les intimés prétendent en réplique que :

- M. S a créé en 1990 le modèle invoqué,

- la société JACQUESS cessionnaire des droits d'exploitation sur cette combinaison l'a divulguée depuis juillet 1991,

- le vêtement incriminé reproduit à l'identique toutes les caractéristiques du vêtement SUNBEAM.

Ils concluent en conséquence à la confirmation du jugement sauf sur les mesures réparatrices.

Formant appel incident de ce chef, ils réclament paiement d'une indemnité provisionnelle de 300 000 frs à valoir sur leur préjudice à évaluer par expertise, des mesures de publication de confiscation et le paiement d’une somme de 20 000 frs pour appel abusif et la même somme en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

DECISION

I - SUR LA RECEVABILITE

Considérant que l'appelante fait valoir que M. S qui ne bénéficie d’aucune présomption de création puisqu'il n'a pas divulgué le modèle sous son nom et ne l'a pas déposé, ne peut établir sa qualité de créateur par une attestation qu'il se délivre à lui-même.

Que s'agissant de la société JACQUES S, elle expose que celle-ci ne prétendant nullement que le modèle soit une oeuvre collective, ne peut d'aucune manière être considérée comme cessionnaire régulière des droits de M. S dès lors qu'il n'est pas établi que ce dernier soit l'auteur véritable.

Considérant que les intimés lui opposent que :

- Jacques SEGURA a attesté avoir créé en 1990 la combinaison de pluie pour motocycliste dénommée SUNBEAM et en avoir cédé tous les droits de reproduction et d'exploitation à la société JACQUES S dont il est le Président,

- la société JACQUES S justifie par des catalogues ayant date certaine commercialiser sous son nom et depuis 1991 la combinaison SUNBEAM.

Considérant s'agissant de M. S qu'il ne verse aux débats pour établir sa qualité d'auteur du modèle opposé ni dessin, ni croquis de sa main ayant date certaine mais exclusivement une attestation qu'il se délivre à lui-même.

Or considérant que M. S étant partie à la présente instance ne peut, en application de l'article 201 du nouveau Code de Procédure Civile, établir une attestation à laquelle au demeurant n'est annexé aucun document justifiant de son identité.

Que dans ces conditions c'est à bon droit que l'appelante fait valoir que faute de prouver sa qualité d'auteur, M. S est irrecevable à agir en contrefaçon du modèle SUNBEAM.

Considérant qu'en ce qui concerne la société JACQUES S, il résulte des documents produits qu'à la date de la saisie, elle exploitait commercialement la combinaison SUNBEAM sous son nom.

Considérant qu'en absence de toute revendication de la part de personnes physiques autres que M. S ces actes de possession sont de nature à faire présumer, à l'égard de tiers contrefacteurs, que la société JACQUES S est titulaire sur cette combinaison, quelle qu'en soit la qualification, du droit de propriété incorporelle de l'auteur.

Qu'en conséquence le jugement doit être confirmé en ce qu'il a dit que la société JACQUES S était recevable à agir en contrefaçon sur le fondement du livre 1du Code de la Propriété Intellectuelle.

II - SUR L'ANTERIORITE DES DROITS

Considérant que l'appelante ne conteste pas l'originalité du modèle qui lui est opposé mais soutient que sa date de divulgation par la société intimée n'est pas établie.

Mais considérant que la société JACQUES S qui verse aux débats les catalogues de ses collections 91-92 et printemps été 1993 lesquels n'ont manifestement pas été imprimés pour les besoins delà cause, établit par ces documents que la combinaison SUNBEAM était offerte à la vente dès 1991 soit antérieurement à la société SYLMAN laquelle n'a présenté la combinaison critiquée que dans son catalogue 93/94.

Qu'en conséquence la société JACQUES S justifie de l'antériorité de ses droits.

III - SUR LA CONTREFACON

Considérant que SYLMAN ne conteste pas la matérialité de la contrefaçon.

Qu'au demeurant il résulte de l'étude comparative des photographies des deux modèles en cause que la combinaison FLASH de la société SYLMAN est la copie servile de celle de l'intimée dont elle reproduit les mêmes éléments caractéristiques à savoir :

- une combinaison d'un seul tenant à col fermé et montant, avec des manches Raglan se fermant sur les poignets par une bande Velcro et une taille ajustée par une fronce élastique se terminant par deux triangles opposés à quelques centimètres du rabat de fermeture,

- la même opposition de trois couleurs entre la partie basse et la partie haute à savoir :

. Une première couleur des chevilles à la poitrine,

. Une deuxième couleur pour le col, les manches, le rabat de fermeture et les triangles de la taille,

. Une troisième couleur pour les deux empiècements du devant en forme de trapèze et pour l'empiècement de même forme du dos.

Que le jugement doit donc être confirmé de ce chef.

IV - SUR LES MESURES REPARATRICES

Considérant que les intimés réclament paiement d'une indemnité provisionnelle de 300 000 frs, une expertise aux fins d'évaluation du préjudice et des mesures de publication et de confiscation.

Considérant que SYLMAN réplique que le Tribunal a fait une appréciation excessive du préjudice et demande à la Cour de minorer les dommages et intérêts.

Considérant ceci exposé que seul doit être indemnisé le préjudice subi par la société JACQUES Seule recevable à agir.

Considérant que les opérations de saisie contrefaçon ont simplement permis d'établir que SYLMAN diffusait le modèle contrefaisant dans le cadre de sa collection 93/94 au prix de 415 F HT.

Mais considérant qu'aucun élément n'a été produit quant au volume des ventes faites par la société SYLMAN avec ce modèle.

Que par ailleurs la société JACQUES S n'a fourni aucune pièce permettant de déterminer l'importance et l'évolution du chiffre d'affaires par elle réalisé entre 1991 et 1994 avec le modèle SUNBEAM.

Mais considérant que la diffusion du modèle contrefaisant en banalisant la création originale dont la commercialisation sur plusieurs années démontre qu'elle répond toujours aux besoins de la clientèle, porte atteinte aux droits privatifs de la société JACQUES S.

Qu'en outre le caractère servile de la copie réalisée contribue indéniablement à avilir et à déprécier le modèle aux yeux de la clientèle.

Que dans ces conditions et sans qu'il soit nécessaire de recourir à une mesure d'expertise, la Cour dispose des éléments d'appréciation suffisants pour fixer à 100.000 frs le montant des dommages et intérêts à allouer à la société JACQUES S en réparation du préjudice par elle subit.

Qu'il soit également fait droit aux mesures de confiscation dans les conditions précisées au dispositif mais pour les seuls modèles encore en possession de la société SYLMAN.

Que la mesure de publication sera ordonnée selon les modalités qui seront énoncées au dispositif.

Considérant en revanche que les intimés qui succombent partiellement en appel sont mal fondés à solliciter le paiement de dommages et intérêts pour appel abusif.

Considérant que la société intimée ne formant une demande pour faits de concurrence déloyale qu’à titre subsidiaire, il n'y a pas lieu de statuer de ce chef.

V - SUR LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE

Considérant que la société appelante qui succombe ne serait qualifier d'abusives la saisie contrefaçon pratiquée à son encontre et l'action engagée, observation étant faite qu'un seul exemplaire de la combinaison critiquée a été saisi.

Qu'elle sera donc déboutée de sa demande en paiement de dommages et intérêts.

VI - SUR L'ARTICLE700 DU N.C.P.C.

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la société JACQUES S la charge intégrale des frais hors dépens par elle engagés tant en instance qu'en appel.

Qu'il y a lieu de lui allouer de ce chef une somme de 20 000 frs.

Considérant en revanche que l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile au bénéfice de la société SYLMAN.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a :

- dit la société JACQUES S recevable à agir en contrefaçon du modèle SUNBEAM,

- dit que ce modèle était protégeable par le droit d'auteur,

- dit que la société SYLMAN avait commis des actes de contrefaçon dudit modèle en commercialisant le modèle référence FLASH,

- débouté la société SYLMAN de sa demande en paiement de dommages et intérêts,

Le réformant pour le surplus, statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit Monsieur S irrecevable à agir en contrefaçon du modèle SUNBEAM,

Condamne la société SYLMAN à payer à la société JACQUES S la somme de CENT MILLE FRANCS (100 000 frs) à titre de dommages ET Intérêts et la somme de VINGT MILLE FRANCS (20 000 frs) en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile,

Ordonne la confiscation et la remise des produits contrefaisants détenus par la société SYLMAN à la société JACQUES S en vue de leur destruction par devant huissier aux frais de celle-ci,

Autorise la société JACQUES S à faire publier la disposition du présent arrêt dans deux revues ou journaux de son choix et aux frais de la société SYLMAN dans la limite de 25 000 frs HT par insertion,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne la société SYLMAN aux dépens d'instance et d'appel,

Admet Me N avoué au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de Procédure Civile.