Livv
Décisions

CA Paris, 4e ch., 23 mai 1995, n° D19950055

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

PIER I (SA)

Défendeur :

NV CASA BELGIE (SA)

CA Paris n° D19950055

22 mai 1995

FAITS ET PROCEDURE

Référence étant faite au jugement entrepris pour l'exposé des faits, de la procédure et moyens antérieurs des parties, il suffit de rappeler les éléments essentiels suivants :

La société PIER IMPORT commercialise depuis le 1er janvier 1989 en exclusivité en FRANCE de la vaisselle comportant un dessin représentant un perroquet et des motifs floraux lequel a été déposé au JAPON le 21 juin 1988 par la société KASUGA.

PIER I ayant constaté que des modèles reproduisant les caractéristiques de ses propres modèles étaient offerts à la vente, a fait procéder le 17 janvier 1992 à une saisie contrefaçon dans le magasin exploité par la société DEPARTMENT STORE sous l'enseigne " CASA PASSY ".

C'est dans ces conditions que PIER Ia assigné le 7 février 1992 DEPARTMENT STORE en contrefaçon sur le fondement de la loi du 11 Mars 1957 et en concurrence déloyale.

Elle sollicitait outre des mesures d'interdiction et de publication le paiement d'une indemnité provisionnelle à valoir sur son préjudice et la désignation d'un expert.

DEPARTMENT STORE concluait à titre principal à ce que PIER I soit déclarée irrecevable en son action et subsidiairement sollicitait la garantie de la société NV CASA BELGIE qu'elle assignait à cette fin le 2 avril 1992.

NV CASA BELGIE concluait au débouté de DEPARTMENT STORE.

Chaque partie formait une demande sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

Le Tribuna1 par le jugement entrepris après avoir retenu que PIER I était recevable à agir en contrefaçon, l'a déboutée de son action de ce chef au motif que la preuve n'était pas rapportée que le modèle en cause soit protégé en France.

En revanche il a condamné DEPARTMENT STORE à lui payer la somme de 30 000 frs pour faits de concurrence déloyale et celle de 10 000 frs sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile et a fait droit à des mesures d'interdiction.

Par ailleurs il a condamné NV CASA BELGIE à garantir DEPARTMENT STORE et a ordonné l'exécution provisoire.

NV CASA BELGIE a interjeté appel le 24 juin 1993.

Elle demande à la Cour d'infirmer le jugement entrepris, de dire irrecevable l'action en contrefaçon de PIER I en vertu de l'adage " nul en France ne plaide par procureur " et de la loi du 11 Mars 1957, de déclarer nuls le procès-verbal de saisie contrefaçon du 17 Janvier 1992 et les mises sous scellés, de dire mal fondée l'action en concurrence déloyale et par voie de conséquence de dire mal fondé l'appel en garantie formé à son encontre par DEPARTMENT STORE.

Par ailleurs elle sollicite la condamnation de DEPARTMENT STORE à lui payer une indemnité sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure civile.

DEPARTMENT STORE formant appel incident conclut dans le même sens que NV CASA BELGIE en ce qui concerne les demandes de PIER I.

A titre infiniment subsidiaire elle sollicite la garantie de NV CASA BELGIE et sa condamnation à lui payer la somme de 10 000 frs en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

PIER I poursuit la confirmation du jugement sur le principe de la concurrence déloyale.

Formant appel incident pour le surplus, elle demande à la Cour de constater que la contrefaçon est établie, de porter à 500 000 frs le montant de l'indemnité provisionnelle et d'ordonner une expertise pour lui permettre de connaître l'importance de la masse contrefaisante et de fixer son préjudice.

Par ailleurs elle sollicite la condamnation de DEPARTMENT STORE à lui payer la somme de 100 000 frs pour procédure abusive et dilatoire et celle de 60 000 frs en vertu de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

DECISION

I - SUR LA RECEVABILITE DE L'ACTION EN CONTREFAÇON

Considérant que tant DEPARTMENT STORE que NV CASA BELGIE font valoir que PIER I est irrecevable à agir en contrefaçon au motif qu'à supposer qu'elle puisse se prévaloir d'un mandat d'intérêt commun avec K, un tel mandat ne lui permet pas en vertu de l'adage " nul ne plaide par procureur en France " d'exercer une telle action.

Que NV CASA BELGIE ajoute que PIER I n'étant pas cessionnaire des droits sur le modèle invoqué, elle ne peut agir en contrefaçon sur le fondement de la loi du 11 mars 1957.

Considérant que PIER I réplique qu'elle est recevable à agir en contrefaçon dès lors qu'elle intervient en tant que mandataire des propriétaires exclusifs du modèle.

Considérant ceci exposé que par lettre en date du 10 Janvier 1989 établi en français, le représentant de la société KASUGA précise que PIER I a l'exclusivité pour la France de la vente de la vaisselle au décor ARA dont K et CERAGLAS sont propriétaires exclusifs et qui a fait l'objet d'un dépôt au Japon le 21 juin.

Qu'il est précisé que cette exclusivité est consentie à PIER I pour une durée de 5 ans à compter du 1er Janvier 1989 et que dans l'hypothèse d'une concurrence déloyale ou d'une contrefaçon en France KASUGA l'a mandate pour exercer à ses frais toutes actions destinées à protéger ce modèle, étant ajouté que les indemnités qui pourraient être allouées lui resteraient acquises.

Considérant que si cet acte confère à PIER I la distribution exclusive pour la France de la vaisselle comportant le décor objet du dépôt susvisé, il n'en demeure pas moins que celle-ci ne bénéficie d'aucune cession des droits d'exploitation sur ce modèle.

Or considérant que selon les dispositions de la loi du 11 Mars 1957 codifiées sous les articles L. 111-1 et suivants du du Code de la Propriété Intellectuelle, seul l'auteur du modèle ou le cessionnaire des droits a qualité pour agir en contrefaçon.

Que dans ces conditions si PIER I a intérêt à agir pour faire sanctionner les actes litigieux qui auraient été commis par DEPARTMENT STORE, en revanche elle n'a pas qualité pour agir en contrefaçon sur le fondement de l'article L. 122-4 du du Code de la Propriété Intellectuelle.

Que le jugement doit donc être réformé de ce chef.

II - SUR LA SAISIE-CONTREFACON

Considérant que NV CASA BELGIE et DEPARTMENT STORE font valoir que PIER I n'ayant pas qualité pour agir en contrefaçon, la saisie pratiquée le 17 janvier 1992 doit être annulée.

Considérant qu'il résulte de la requête aux fins de saisie contrefaçon que celle-ci a été présentée par PIER I en son nom propre même si elle a déclaré que le décor dont elle avait l'exclusivité avait été déposé par son mandant.

Or considérant que la voie de la saisie contrefaçon n'est ouverte qu'à ceux qui sont recevables à agir en contrefaçon à savoir l'auteur ou ses ayants cause (héritiers, conjoint survivant, cessionnaire) et non à un simple distributeur fût-il distributeur exclusif.

Qu'il s'en suit pour les motifs ci-dessus exposés que PIER I n'avait pas qualité pour requérir le commissaire de police et que par voie de conséquence la saisie litigieuse doit être annulée.

III - SUR LA CONCURRENCE DELOYALE

Considérant que DEPARTMENT STORE et NV CASA BELGIE font valoir que la saisie étant nulle PIER I ne rapporte pas la preuve de la mise en vente des assiettes litigieuses.

Qu'elles ajoutent qu'aucune faute ne peut leur être imputée dès lors que le modèle litigieux n'a fait l'objet d'aucun dépôt et qu'en outre les modèles incriminés sont des modèles authentiques ayant fait l'objet d'importations parallèles.

Considérant ceci exposé que PIER I réplique à juste titre que l'action en concurrence déloyale peut être exercée par toute personne victime d'agissements déloyaux et ce même si celle-ci ne peut se prévaloir d'aucun droit privatif.

Qu'il échet donc de rechercher si PIER I rapporte la preuve que DEPARTMENT STORE a commis à son encontre de tels actes, étant précisé que PIER I ne peut se fonder sur le procès-verbal de saisie contrefaçon et les pièces qui y sont annexées, celui-ci ayant été annulé.

Considérant que PIER I rapporte la preuve par la production de ses catalogues qu'elle commercialise en France depuis le printemps Ï989 de la vaisselle comportant un décor conforme à celui déposé le 21 juin 1988 par K.

Or considérant qu'il résulte des pièces communiquées par NV CASA BELGIE en cours de procédure et en particulier d'une attestation de son chef d'administration, Monsieur D, et d'une liste de décomptes que cette société a vendu entre le 1er décembre 1991 et le 28 février 1992 des assiettes BIRDS (référence Casa 86541 et 86550) à DEPARTMENT STORE.

Qu'il n'est pas contesté que ces assiettes sont ornées d'un décor identique à celui déposé par K et dont PIER I a l'exclusivité pour la France.

Considérant qu'en offrant à la vente et en vendant de la vaisselle constituant la copie servile de celle commercialisée en France depuis au moins deux ans par PIER I et pour laquelle celle-ci avait engagé des frais publicitaires, DEPARTMENT STORE a agi de manière déloyale et engagé sa responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil.

Que s'agissant d'un professionnel dans les arts de la table, elle ne peut valablement soutenir qu'elle ne connaissait pas les articles vendus par PIER I qui est un de ses concurrents et qui reproduisait ce modèle dans ses catalogues.

Considérant enfin que ni DEPARTMENT STORE ni NV CASA BELGIE ne rapportent la preuve que les assiettes litigieuses aient été fabriquées et/ou commercialisées en France avec l'accord de K et qu'il s'agit d'assiettes authentiques.

Que dans ces conditions le jugement doit être confirmé en ce qu'il a dit que DEPARTMENT STORE avait commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de PIER I.

Considérant sur le préjudice qu'il est incontestable que la mise dans le commerce par DEPARTMENT STORE des assiettes litigieuses a causé un trouble commercial à PIER I et a porté atteinte au caractère attractif de ce modèle dont elle avait l'exclusivité.

Considérant qu'il apparait que les premiers juges ont fait une appréciation insuffisante du préjudice subi par PIER I.

Considérant en effet qu'il ressort des documents produits devant la Cour que la société BLOKKER a vendu à NV CASA BELGIE 684 assiettes référencées 86541 et le même nombre d'assiettes référencées 86550 (ces références étant portées sur la photocopie de la facture rédigée en hollandais).

Or considérant que ces références sont précisément celles mentionnées par Monsieur D dans son attestation du 8 mars 1995 déjà citée.

Que NV CASA BELGIE ne prétendant pas avoir vendu lesdites assiettes à d'autres distributeurs français, il existe des éléments précis et concordants permettant d'affirmer que les chiffres mentionnés par DEPARTMENT STORE sont inexacts et que cette société a vendu en fait un nombre plus important d'assiettes qu'elle ne veut l'avouer

Que dans ces conditions et sans qu'il soit besoin de recourir à une mesure d'expertise, il convient d'évaluer le préjudice subi par PIER I à la somme de 100 000 frs.

Qu'il y a lieu par ailleurs de confirmer les mesures d'interdiction telles qu'ordonnées par les premiers juges.

IV - SUR L'APPEL EN GARANTIE

Considérant qu'il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné NV CASA BELGIE à garantir DEPARTMENT STORE, NV CASA BELGIE ne contestant pas devant la Cour ce chef de la décision déférée.

V - SUR LA DEMANDE EN PAIEMENT DE DOMMAGES INTERETS POUR PROCEDURE ABUSIVE

Considérant que PIER I qui succombe pour partie en son appel incident, ne saurait valablement soutenir que l'appel incident de DEPARTMENT STORE était dilatoire.

Qu'elle sera donc déboutée de sa demande en paiement de dommages intérêts.

VI - SUR L'ARTICLE 700 DU NOUVEAU CODE DE PROCEDURE CIVILE

Considérant que l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile à DEPARTMENT STORE et NV CASA BELGIE pour les frais hors dépens par elles engagés devant la Cour.

Considérant en revanche qu'il convient d'allouer à PIER I de ce chef une somme supplémentaire de 10 000 frs et de confirmer le jugement en ce qu'il a alloué tant à PIER I qu'à DEPARTMENT STORE la somme de 10 000 FRS pour les frais hors dépens par elles engagés en première instance.

PAR CES MOTIFS :

Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a dit PIER I recevable à agir en contrefaçon et sur le montant des dommages-intérêts alloués à PIER I,

Le réformant de ces chefs et y ajoutant,

Dit PIER I irrecevable à agir en contrefaçon du modèle déposé au Japon le 21 juin 1988 par la société KASUGA et enregistré sous le numéro 88 NC 2687,

Annule le procès-verbal de saisie contrefaçon du 17 JANVIER 1992 et les mises sous scellés judiciaires,

Condamne DEPARTMENT STORE à payer à PIER I la somme de CENT MILLE FRANCS (100 000 frs) à titre de dommages et intérêts et une somme supplémentaire de DIX MILLE FRANCS (10 000 frs) en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne DEPARTMENT STORE et NV CASA BELGIE aux dépens d'appel,

Admet Me P titulaire d'un office d'avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de Procédure Civile.