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Décisions

Cass. com., 16 février 2022, n° 20-18.844

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Etablissements Roques (SARL)

Défendeur :

Groupement forestier de la compagnie des Landes, Forestière de la caisse des dépôts et consignations (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Darbois

Rapporteur :

Mme Comte

Avocats :

SCP Ohl et Vexliard, SCP Célice, Texidor, Périer

Avocat général :

M. Debacq

Paris, pôle 5 ch. 10, du 2 mars 2020

2 mars 2020

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 mars 2020), la Société d'exploitation des établissements Roques (la société Roques), qui exerce une activité d'exploitation forestière, a signé, le 5 juillet 2010, avec la société Forestière de la caisse des dépôts et consignations, qui gère des espaces forestiers pour le compte de plusieurs propriétaires dont le Groupement forestier de la compagnie des Landes (le Groupement forestier), un contrat pour le nettoyage de parcelles de pins, à la suite de la tempête Klaus de 2009. Ce contrat a été résilié le 5 novembre 2010 par le Groupement forestier pour faute commise par la société Roques.

2. Reprochant à la société Forestière de la caisse des dépôts et consignations ainsi qu'au Groupement forestier une rupture brutale de leur relation commerciale, la société Roques les a assignés en réparation de ses préjudices, sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce.

3. La société Roques a été mise en redressement judiciaire et la société [E] [O] a été désignée en qualité de mandataire judiciaire puis de commissaire à l'exécution du plan de redressement.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

4. La société Roques et la société [E] [O], ès qualités, font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes de dommages-intérêts, alors « que l'existence d'un délai de préavis suffisant pour rompre une relation commerciale établie s'apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances au moment de la notification de la rupture ; que la qualification de relations commerciales établies n'est pas conditionnée par l'existence d'un échange permanent et continu entre les parties et qu'une succession de contrats ponctuels peut être suffisante pour caractériser une relation commerciale établie ; qu'en se bornant à s'attacher aux conditions de la rupture du contrat du 5 juillet 2010 pour en déduire que ce contrat ayant été résilié pour faute quatre mois après sa conclusion, il n'était pas justifié d'une rupture brutale d'une relation commerciale établie, sans prendre en considération, comme elle y était invitée, la durée des relations commerciales antérieures nouées au plus tard à compter de l'année 2006, la société Roques ayant réalisé un chiffre d'affaires sur les prestations d'abattage et de débardage confiées par le Groupement forestier de 59 443 euros en 2006, 260 671 euros en 2007, 470 015 euros en 2008, 1 060 630 euros en 2009 et 664 188 euros en 2010, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010, applicable à l'espèce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 :

5. Selon ce texte, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait, par tout commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce.

6. Pour rejeter la demande de la société Roques, l'arrêt retient que celle-ci ne caractérise pas la rupture d'une relation commerciale établie, le contrat ayant été rompu quatre mois après sa conclusion.

7. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y avait été invitée, si la relation commerciale invoquée par la société Roques n'avait pas débuté en 2006, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

8. La société Roques et la société [E] [O], ès qualités, font le même grief à l'arrêt, alors « qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte, notamment, de la durée de la relation commerciale, ces dispositions ne faisant pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution, par l'autre partie, de ses obligations ou en cas de force majeure ; qu'en se bornant à retenir, pour en déduire qu'une rupture brutale d'une relation commerciale établie n'était pas caractérisée, que si la société Roques versait aux débats une attestation de fin des travaux au 16 novembre 2010 et que la majorité des travaux réalisés étaient conformes au 27 octobre 2010, elle avait été mise en demeure à cette date de rendre conforme l'ensemble des travaux avant le 4 novembre, de sorte que le contrat du 5 juillet 2010 avait été résilié le 5 novembre pour faute, sans caractériser un manquement suffisamment grave à ses obligations susceptible de justifier la rupture sans préavis de la relation commerciale continuée après la résiliation unilatérale du contrat du 5 juillet 2010 et diminuée par la suite jusqu'à prendre fin, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010, applicable à l'espèce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 :

9. Il résulte de ce texte qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale. Cette règle ne souffre d'exception qu'en cas de force majeure ou d'inexécution par l'autre partie de ses obligations, suffisamment grave pour justifier la rupture unilatérale immédiate de la relation.

10. Pour rejeter la demande de la société Roques, l'arrêt retient que le contrat a été résilié pour faute, le Groupement forestier ayant mis cette société en demeure à deux reprises pour défaut de conformité de certaines prestations réalisées.

11. En se déterminant ainsi, sans rechercher si ces fautes étaient d'une gravité telle qu'elles justifiaient la rupture sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale en cause, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Et sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

12. La société Roques et la société [E] [O], ès qualités, font le même grief à l'arrêt, alors « qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte, notamment, de la durée de la relation commerciale ; qu'en se fondant, pour en déduire l'absence de rupture d'une relation commerciale établie, sur la circonstance que le contrat du 5 juillet 2010 avait été résilié pour faute et qu'un nouveau contrat avait été conclu le 8 novembre 2010, postérieurement à cette résiliation sans rechercher, comme si elle y était invitée, si l'existence d'une rupture brutale partielle puis totale n'était pas établie dès lors que les prestations confiées à la société Roques avaient considérablement diminué à compter de fin 2010, le chiffre d'affaires réalisé avec le Groupement forestier s'étant effondré avant d'être réduit à néant, les contrats signés en 2013 n'ayant été suivis d'aucun bon de commande, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010, applicable à l'espèce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 :

13. Pour rejeter la demande, l'arrêt constate que la relation commerciale entre la société Roques et le Groupement forestier s'est poursuivie en 2011 et 2012, générant des chiffres d'affaires s'élevant respectivement à 213 544 euros et 51 024 euros.

14. En se déterminant ainsi, sans rechercher si, comme le soutenait la société Roques, la baisse significative, à compter du mois de novembre 2010, du chiffre d'affaires qu'elle réalisait avec le Groupement forestier, même avec la signature de contrats postérieurs, ne constituait pas une rupture partielle de la relation commerciale établie, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 mars 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.