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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 22 février 2022, n° 20/00990

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Maison Balzac (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Douillet

Conseillers :

Mme Barutel, Mme Bohée

T. com. Paris, 15e ch., du 7 oct. 2019, …

7 octobre 2019

EXPOSÉ DES FAITS ET DU LITIGE

Mme X se présente comme exerçant en qualité d'auto-entrepreneur depuis avril 2013 une activité de conception, fabrication et distribution de bijoux.

La société MAISON BALZAC (ci-après MAISON BALZAC), immatriculée en avril 2014, exploite la marque et le nom commercial BALZAC PARIS pour des vêtements de prêt à porter féminin, accessoires et chaussures commercialisés sous forme de collections éphémères, sur son site internet www.balzac-paris.fr.

À la suite d'une démarche de Mme X, une collaboration avec la MAISON BALZAC a débuté en mai 2017, laquelle en fonction du thème de ses collections, présélectionnait les modèles proposés par Mme X et lui passait commande de différentes pièces pour les faire fabriquer, puis les commercialisait via son site internet.

Le 27 mars 2019, la MAISON BALZAC a notifié à Mme X la rupture de leurs relations commerciales avec une prise d'effet le 27 mai 2019, soit un préavis de deux mois.

C'est dans ce contexte que dénonçant la rupture brutale de sa relation commerciale avec la MAISON BALZAC ainsi que des faits concurrence déloyale et de parasitisme au travers de la vente de deux bijoux copiés à partir de ses modèles, Mme X l'a fait assigner à bref délai devant le tribunal de commerce de Paris le 4 juin 2019.

Par jugement rendu le 7 octobre 2019 dont appel, le tribunal de commerce de Paris a rendu la décision suivante :

- Déboute Maison Balzac de son exception d'incompétence, et se déclare compétent ;

- Déboute Maison Balzac de sa demande visant à déclarer nulle l'assignation, et déclare recevable et bien fondée l'action de Madame X ;

- Déboute Madame X de l'ensemble de ses demandes au titre de l'indemnisation de l'insuffisance de préavis résultant de la rupture abusive et brutale du contrat ;

- Condamne la société Maison Balzac à payer à Madame X, la somme de 1600 € au titre des frais de recherche et de conception pour les deux prototypes réalisés par Madame X ;

- Condamne La société Maison Balzac à payer à Madame X la somme de 5000 € au titre de la perte de revenus résultant des actes de parasitisme commis par la société Maison Balzac ;

- Condamne la société Maison Balzac à verser à Madame X la somme de 4000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

- Ordonne l'exécution provisoire du jugement ;

- Condamne la société Maison Balzac aux entiers dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 € dont 12,20 € de TVA.

La société MAISON BALZAC a interjeté appel de ce jugement le 2 janvier 2020.

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 1er octobre 2021 par la société MAISON BALZAC, appelante et intimée incidente, qui demande à la cour, de :

A TITRE PRINCIPAL :

SE DECLARER incompétent pour juger l'entier litige, au profit du Tribunal judiciaire de Paris, saisi au fond ;

A TITRE SUBSIDIAIRE :

JUGER nulle l'assignation délivrée le 4 juin 2019 à Maison Balzac, faute de capacité à agir de Madame X pour son activité commerciale litigieuse, non immatriculée au registre du commerce et des sociétés au jour de la requête et de l'assignation ;

A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE :

JUGER que Maison Balzac n'a pas commis d'acte de contrefaçon de droits d'auteur au détriment de Madame X, faute pour Madame X de détenir un droit d'auteur portant sur les modèles Justine ou Ethel ;

JUGER que Maison Balzac n'a pas commis d'acte de parasitisme concernant les modèles Justine ou Ethel ;

JUGER que les relations commerciales entre les Parties ne sont pas établies, au sens du Code de commerce et qu'en tout état de cause, la rupture n'a pas été brutale, au sens du Code de commerce ;

DECLARER irrecevable la demande de X de rupture abusive, nouvelle en cause d'appel ;

REJETER l'ensemble des demandes, fins et prétentions, formulées par Madame X à l'encontre de Maison Balzac ;

EN TOUT ETAT DE CAUSE :

CONFIRMER les chefs de Jugement non visés au sein de la déclaration d'appel de Maison Balzac ;

CONDAMNER Madame X au paiement de la somme de 10.000 euros à Maison Balzac compte tenu de la légèreté blâmable avec laquelle la présente procédure a été engagée, et ce, à titre reconventionnel ;

CONDAMNER Madame X au paiement de la somme de 7.500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNER Madame X aux entiers frais et dépens dont distraction au profit de Maître Coraline F., avocat aux offres de droit.

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 27 septembre 2021 par Mme X, intimée et appelante incidente, qui demande à la cour de :

- Confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 7 octobre 2019 qui a débouté Maison Balzac de ses demandes d'exception d'incompétence et de nullité de l'assignation et de l'article 700 ;

- Confirmer la condamnation de Maison Balzac au titre d'actes de parasitisme et de la participation aux frais de recherche engagés par Madame X en portant les dommages et intérêts alloués à hauteur du préjudice réel subi par Madame X ;

- Infirmer le jugement du Tribunal ayant débouté Madame X de ses demandes au titre de l'insuffisance de préavis résultant de la rupture abusive et brutale du contrat et de ses autres demandes, fins, moyens et prétentions ;

- En tout état de cause, débouter Maison Balzac de toutes ses demandes, fins, moyens et prétentions.

Statuant de nouveau,

- Juger que la durée du préavis fixée par Maison Balzac est insuffisante en application de l'article L. 442-6-I du code de commerce compte tenu des circonstances de la rupture ;

- Juger que Maison Balzac a exercé de façon abusive son droit à résiliation ;

- Juger que Maison Balzac a commis des agissements parasitaires et de concurrence déloyale.

Par conséquent :

- Condamner Maison Balzac à verser des dommages et intérêts à Madame X d'un montant de :

- 16.000 € au titre de la perte de chance d'obtenir les commandes des modèles réalisés pour Maison Balzac fin 2018 ;

- 70.000 € au titre de la perte de revenus résultant de la concurrence déloyale et des actes de parasitisme commis par Maison Balzac ;

- 800 € par modèle bijou réalisé par Madame X, au titre des frais de recherche et de conception pour chacun des 13 modèles réalisés par Madame X en octobre et novembre 2018 ;

- 26 250 € en indemnisation de l'insuffisance de préavis résultant de la rupture abusive et brutale du contrat ;

- 10.000 € en réparation du préjudice subi au titre de la rupture fautive (mauvaise foi) et sans motif ;

- Ordonner la cessation de toute distribution non autorisée des produits réalisés par Madame X et de toute copie des prototypes réalisés par Madame X.

- Condamner Maison Balzac à verser la somme de 7500 € au titre de l'article 700.

- Condamner Maison Balzac aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 octobre 2021.

MOTIFS DE L'ARRÊT

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées, la cour relevant cependant que les numéros de pièces visées dans les conclusions de Mme X ne correspondent pas, pour certains, à la numérotation figurant dans le bordereau (notamment page 19 ou 30), compliquant l'examen du bien-fondé de ses demandes.

Sur l'exception d'incompétence,

La MAISON BALZAC soulève l'incompétence du tribunal de commerce pour statuer sur le présent litige fondé sur le droit d'auteur comme en atteste, selon elle, le dispositif de l'assignation qui lui a été délivrée, ce que conteste Mme X qui précise reprocher à l'appelante la rupture abusive de leurs relations commerciales, ainsi que des faits de parasitisme et des agissements frauduleux.

En l'espèce, il convient de constater que l'action intentée par Mme X est exclusivement fondée sur l'article L. 442-6-I du code du commerce dans sa rédaction applicable à la cause, soit la rupture alléguée brutale d'une relation commerciale établie ainsi que sur l'article 1240 du code civil, l'intimée dénonçant l'existence d'actes de concurrence déloyale et parasitaire commis à son encontre par la MAISON BALZAC.

Ces actions ressortissent en conséquence à la compétence de la juridiction commerciale, l'article L. 721-3 du code du commerce disposant que cette dernière connaît des contestations relatives aux engagements entre commerçants ou relatives aux sociétés commerciales ou encore aux actes de commerce entre toutes personnes.

En outre, si dans l'assignation qui a été délivrée à la MAISON BALZAC, figurait une référence au code de la propriété intellectuelle, ces mentions ont par la suite été supprimées.

C'est donc à juste titre que le tribunal de commerce a retenu sa compétence pour statuer sur la présente affaire, le jugement déféré étant confirmé de ce chef.

Sur la nullité de l'assignation délivrée par Mme X pour défaut de capacité à agir.

Invoquant les articles 32 et 117 du code de procédure civile, la MAISON BALZAC fait grief à Mme X de ne pas avoir été immatriculée au RCS le jour où elle a fait délivrer l'assignation, irrégularité affectant la validité de l'acte selon elle, s'agissant d'un défaut de capacité d'agir en justice.

Mme X conteste cette exception en soulignant que la MAISON BALZAC entretient une confusion entre la sanction du défaut d'immatriculation applicable aux personnes morales, qui conditionne effectivement leur droit d'agir en justice, et celle applicable aux personnes physiques, rappelant en outre qu'elle est régulièrement immatriculée à l'INSEE et qu'elle justifie de la régularisation de sa situation d'immatriculation au RCS à effet au 4 septembre 2013.

Sur ce, si dans ses écritures, la MAISON BALZAC entretient manifestement une confusion entre la notion de fin de non-recevoir et la nullité des actes pour irrégularité de fond, il convient de rappeler que l'article 1842 du code civil, qui dispose que seule l'immatriculation permet à une personne morale d'acquérir la personnalité juridique, n'est pas transposable aux personnes physiques, même exerçant une activité commerciale.

En outre, Mme X justifie d'une immatriculation au répertoire des métiers depuis le début de son activité, ainsi que d'une régularisation de son immatriculation au RCS à compter du 4 septembre 2013.

En conséquence, l'exception de nullité ainsi soulevée par la MAISON BALZAC doit être rejetée et le jugement dont appel sera dès lors confirmé de ce chef.

Sur les faits de rupture brutale de relations commerciales établies

Mme X estime que les conditions tenant à l'application de l'article L. 442-6 I 5° du code du commerce sont réunies et dénonce la rupture brutale de ses relations commerciales continues, régulières et sans interruption pendant deux années avec la MAISON BALZAC, sans qu'elle puisse l'anticiper et sans que son adversaire respecte un juste préavis qui prenne en compte les circonstances préjudiciables de la rupture, son investissement dans la conception des modèles et le temps nécessaire à sa réorganisation, alors qu'elle était en situation de dépendance à son égard au regard du montant du flux d'affaires (65 % de son revenu annuel). Elle ajoute qu'au vu du domaine d'activité, le délai de préavis devait en outre être doublé.

La société MAISON BALZAC conteste cette analyse et retient, au contraire, le caractère précaire de la relation commerciale décrite, en l'absence de tout contrat conclu entre les parties sans obligation quelconque, avec une mise en concurrence pour les commandes en cause, de sorte que selon elle, l'intimée disposait de tous les éléments pour anticiper une rupture prévisible de leurs relations. Elle ajoute au surplus avoir respecté un délai de préavis de deux mois parfaitement justifiés au cas d'espèce.

La cour rappelle qu'en vertu de l'article L. 442-6 I 5° du code du commerce, dans sa rédaction applicable à la cause, « I. -Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : (...)

5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas (...).

La relation commerciale, pour être établie au sens de ces dispositions, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.

Le texte précité vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou l'insuffisance de préavis.

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.

Les principaux critères à prendre en compte sont l'ancienneté des relations, le volume d'affaires et la progression du chiffre d'affaires, les investissements spécifiques effectués, les relations d'exclusivité, la spécificité des produits et la dépendance économique.

En l'espèce, il est constant que c'est Mme X qui a d'abord contacté la MAISON BALZAC pour lui proposer une collaboration le 3 avril 2017, cette dernière lui répondant le 5 avril que « d'un point de vue timing, nous avons déjà deux collaborations de bijoux prévues, une en cours, l'autre à venir, ce qui fait qu'il serait compliqué pour nous d'intégrer une collaboration supplémentaire dans l'immédiat. En revanche, ce que nous pouvons vous proposer, parce que nous travaillons déjà avec d'autres créateurs de bijoux de cette façon, c'est que nous pourrions penser ensemble certaines pièces en y ajoutant la patte Balzac Paris, ou vous achetez des pièces de votre collection que nous pourrions proposer à nos clientes sur notre site. Cela pourrait être un test pour vous comme pour nous et nous pourrions envisager par la suite une collaboration si les résultats sont positifs. »

Suite à cet échange, aucun contrat n'a été signé entre les parties, la MAISON BALZAC choisissant certains bijoux, au sein de divers produits proposés par Mme X, après lui avoir fait part d'abord des inspirations retenues pour ses collections, puis lui passant commande et lui réglant les sommes dues suivant facture.

Dans ce cadre, les relations entre les parties ont duré 22 mois entre mai 2017 et mars 2019, une vingtaine de commandes ont été réglées par la MAISON BALZAC à Mme X entre juillet 2017 et mai 2019, date de fin du préavis, la lettre de rupture étant notifiée le 27 mars 2019.

Cependant, tant l'historique des commandes que celui relatif à la facturation ne permet pas de caractériser un flux d'affaires continu et régulier et sans interruption, comme le prétend Mme X, puisque sur les 22 mois en cause, 5 mois n'ont fait l'objet d'aucune facturation entre les parties, alors que les mois de novembre 2017 et juillet 2018 correspondent à une facturation supérieure à 7.000 €, soit sur toute la période un montant total de 61.144,82 € facturé (soit 15.800,50 euros en 2017, 35.212,77 euros en 2018 et 10.131,55 euros en 2019), Mme X indiquant réaliser une marge brute de 50 % sur les sommes encaissées.

Ainsi, comme l'a retenu le tribunal, Mme X démontre uniquement avoir été liée avec la MAISON BALZAC par une succession de bons de commandes, indépendants les uns des autres et portant sur des montants différents et très irréguliers et, au demeurant, sur une période relativement courte.

En outre, la cour relève qu'aucune collaboration n'a été formalisée par la MAISON BALZAC qui ne s'est jamais engagée à garantir un montant de chiffre d'affaires ou une exclusivité à Mme X pour la création et la fabrication des bijoux, cette dernière ne contestant pas avoir été mise en concurrence avec d'autres stylistes pour l'élaboration de ces collections, donnée confirmée dans un mail adressé à Mme X par la MAISON BALZAC indiquant « il nous arrive également de demander à plusieurs fabricants de travailler sur un produit qui nous tient à cœur. Par exemple, vous étiez plusieurs à travailler sur notre briefing de barrette coquillage pour cette saison P/E19 et nous retenons les modèles qui nous conviennent le mieux en termes de qualité/style/prix. Nous pouvons évidemment te préciser lorsque nous n'avons pas sélectionné certaines de tes propositions et t'expliquer la différence de prix. (...) ».

Il y a lieu également de souligner que cette relation s'inscrit dans un domaine d'activité spécifique, s'agissant de la création de bijoux-fantaisie portant sur des collections renouvelées à chaque saison, l'ensemble des modèles proposés par Mme X n'étant au demeurant pas retenu et faisant l'objet de choix subjectifs et aléatoires propres à cet univers, ce que ne pouvait ignorer la créatrice qui se présente comme une professionnelle, de sorte que les premiers juges ont justement retenu que la conclusion de chacun des bons de commande était soumise à un aléa tel qu'il plaçait la relation commerciale dans une perspective de précarité certaine et la privait de toute permanence prévisible.

Par ailleurs, le seul fait qu'en 2018, 65 % des revenus de Mme X aient été générés par les commandes passées avec la MAISON BALZAC ne peut suffire à établir le caractère établi de la relation, aucune exclusivité ne lui ayant été imposée, et alors qu'elle ne justifie pas davantage avoir engagé des investissements spécifiques pour honorer les commandes de l'appelante.

Mme X soutient également que la MAISON BALZAC aurait exercé « abusivement » sont droit à résiliation en invoquant des motifs infondés et de mauvaise foi, demande déjà présentée aux premiers juges, contrairement à ce que soutient l'appelante, et partant, recevable.

Cependant, il convient de constater que la MAISON BALZAC a notifié, au préalable et par écrit, à Mme X la rupture de leur relation en prévoyant un préavis de deux mois, adapté au regard de la durée de leur flux d'affaires et aux usages du commerce, et en le motivant par l'existence d'un litige en contrefaçon concernant un des bijoux fournis par l'intimée (litige dont elle avait été informée au préalable) et par un changement de stratégie interne quant à la commercialisation de ses bijoux et accessoires, de sorte que Mme X n'est pas fondée à invoquer un exercice abusif de son droit à résiliation ou l'absence de motifs légitimes par la MAISON BALZAC, libre par ailleurs de mettre fin à une relation sous réserve des dispositions propres du code du commerce comme examiné ci-dessus.

En conséquence, c'est à juste titre que le tribunal de commerce a rejeté les demandes présentées par Mme X au titre de la rupture brutale et abusive de ses relations commerciales avec la MAISON BALZAC, le jugement dont appel étant confirmé de ce chef.

Sur les faits de concurrence déloyale et parasitaire,

Mme X dénonce des actes de concurrence déloyale et parasitaire commis par la MAISON BALZAC qui a mis en vente sans son accord et fait fabriquer sans passer par elle deux modèles de sa précédente collection, bénéficiant ainsi indûment de son travail et de ses investissements.

La société MAISON BALZAC conteste les faits soulignant la banalité des modèles en cause et rappelle qu'une entreprise est libre de commercialiser un produit similaire à celui d'un concurrent qui n'est pas protégé par des droits de propriété intellectuelle, Mme X ne démontrant selon elle aucun acte fautif de sa part susceptible d'être qualifié de parasitaire s'agissant de bijoux que l'intimée n'a pas conçu personnellement, s'inscrivant dans les tendances de la mode et ne présentant pas une valeur économique individualisée, procurant un avantage concurrentiel et alors qu'elle a été rémunérée pour rechercher et fournir les produits en cause, sans aucune exclusivité quant à leur réassort.

La cour rappelle que la concurrence déloyale et le parasitisme sont pareillement fondés sur l'article 1240 du code civil mais sont caractérisés par l'application de critères distincts, la concurrence déloyale l'étant au regard du risque de confusion, considération étrangère au parasitisme qui requiert la circonstance selon laquelle, à titre lucratif et de façon injustifiée, une personne morale ou physique copie une valeur économique d'autrui individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d`un savoir-faire, d`un travail intellectuel et d'investissements.

Ces deux notions doivent être appréciées au regard du principe de la liberté du commerce et de l'industrie qui implique qu'un produit ou un service qui ne fait pas l'objet d'un droit de propriété intellectuelle puisse être librement reproduit, sous certaines conditions tenant à l'absence de faute par la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit ou par l'existence d'une captation parasitaire, circonstances attentatoires à l'exercice paisible et loyal du commerce.

La charge de la preuve incombe au cas présent à l'appelante.

A titre liminaire, il convient de constater que, tout en revendiquant des relations contractuelles suivies entre les parties, Mme X a fait le choix d'agir sur le terrain spécifique de responsabilité délictuelle, invoquant des actes de concurrence déloyale et parasitaire.

Dans la mesure où Mme X n'a pas revendiqué de droits de propriété intellectuelle concernant les divers modèles qu'elle a vendus à la MAISON BALZAC, l'intimée n'est pas fondée à reprocher à cette dernière d'avoir poursuivi la commercialisation de ces modèles, qui pouvaient en conséquence être librement reproduits et commercialisés, sauf à démontrer un comportement fautif de l'appelante.

Or, outre le fait que pour le collier « Ethel », la MAISON BALZAC démontre avoir fait appel à une autre styliste pour sa conception (pièce 22), il ressort des pièces versées que Mme X a été rémunérée pour la conception et la fourniture des modèles en cause et que la MAISON BALZAC ne s'est jamais engagée contractuellement à s'adresser exclusivement à elle pour leur réassort, de sorte que les agissements déloyaux allégués de nature délictuelle ne sont pas démontrés, aucun risque de confusion n'étant au demeurant établi puisque Mme X ne commercialisait pas elle-même ses produits directement auprès de la clientèle.

De plus, si les parties ont envisagé la conception de nouveaux bijoux pour une collection à commercialiser en mars 2019 et qu'enfin, la MAISON BALZAC n’a retenu que trois modèles, il ne peut pour autant en être déduit un comportement fautif de la MAISON BALZAC qui ne s'était nullement engagée à acquérir l'ensemble de la collection proposée. 

Par ailleurs, pour revendiquer des agissements parasitaires, il importe de démontrer l'existence d'une valeur économique individualisée, fruit d`un savoir-faire, d`un travail intellectuel et d'investissements.

Or, la cour constate que si Mme X produit aux débats un courrier qu'elle a rédigé expliquant sa démarche en matière de conception des bijoux (recherche de « trouvailles » et présentation) en relation avec des ateliers de soudeurs, polisseurs ou doreurs, elle ne verse aucune pièce justifiant de la réalité de ce travail créatif ou de l'existence d'une valeur économique individualisée au travers d'investissements réalisés pour la recherche ou la conception des modèles en cause. En l'absence de ces éléments, aucune captation parasitaire procurant un avantage concurrentiel indu à la MAISON BALZAC ne peut être caractérisée, cette dernière faisant justement remarquer que Mme X a été rémunérée pour le temps passé à la recherche et à la conception de ces produits.

En conséquence, il convient de débouter Mme X de l'ensemble de ses demandes fondées sur la concurrence déloyale et parasitaire et d'infirmer le jugement du tribunal de commerce de ce chef.

Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,

La cour rappelle que l'accès au juge étant un droit fondamental et un principe général garantissant le respect du droit, ce n'est que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles que le fait d'agir en justice ou d'exercer une voie de recours légalement ouverte est susceptible de constituer un abus. Or, la société MAISON BALZAC ne démontre pas la faute commise par Mme X qui aurait fait dégénérer en abus son droit d'agir en justice, l'intéressée ayant pu légitimement se méprendre sur l'étendue de ses droits. Elle ne démontre pas en outre l'existence d'un préjudice distinct de celui causé par la nécessité de se défendre en justice qui sera réparé par l'allocation d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

En conséquence, il convient de rejeter la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive présentée par la société MAISON BALZAC, le jugement dont appel étant confirmé de ce chef.

Sur les autres demandes,

Mme X, succombant, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés par Maître Coraline F., conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés à l'occasion de la première instance et de l'appel, les dispositions prises sur les dépens et frais irrépétibles de première instance étant infirmées.

Enfin, l'équité et la situation des parties commandent de condamner Mme X à verser à la société MAISON BALZAC, une somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a :

- Débouté la Maison Balzac de son exception d'incompétence, et s'est déclaré compétent ;

- Débouté la Maison Balzac de sa demande visant à déclarer nulle l'assignation, et déclaré recevable et bien fondée l'action de Madame X ;

- Débouté Madame X de l'ensemble de ses demandes au titre de l'indemnisation de l'insuffisance de préavis résultant de la rupture abusive et brutale du contrat ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déboute Mme X de sa demande de dommages et intérêts au titre de la rupture abusive.

Déboute Mme X de ses demandes au titre de la concurrence déloyale et parasitaire.

Condamne Mme X aux dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés par Maître Coraline F. conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Condamne Mme X à verser à la société MAISON BALZAC une somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.