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Décisions

CJUE, 7e ch., 24 février 2022, n° C‑52/21

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Pharmacie populaire – La Sauvegarde SCRL

Défendeur :

État belge

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Ziemele

Juges :

M. Xuereb, M. Kumin

Avocat général :

M. Hogan

Avocat :

Me Destrée

CJUE n° C‑52/21

23 février 2022

1        Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 56 TFUE.

2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre de deux litiges opposant, le premier, Pharmacie populaire – La Sauvegarde SCRL (ci-après « Pharmacie populaire ») (affaire C‑52/21) et, le second, Pharma Santé – Réseau Solidaris SCRL (ci-après « Pharma Santé ») (affaire C‑53/21) à l’État belge au sujet des conditions auxquelles est soumise, selon le droit fiscal de cet État membre, la déduction, du revenu imposable des sociétés établies en Belgique, des dépenses liées à l’achat de services auprès de prestataires établis dans un autre État membre.

 Le droit belge

3        L’article 57 du code des impôts sur les revenus (ci-après le « CIR 1992 »), dans sa version applicable aux litiges au principal, est libellé comme suit :

« Les frais ci-après ne sont considérés comme des frais professionnels que s’ils sont justifiés par la production de fiches individuelles et d’un relevé récapitulatif établis dans les formes et délais déterminés par le Roi :

1°      commissions, courtages, ristournes commerciales ou autres, vacations ou honoraires occasionnels ou non, gratifications, rétributions ou avantages de toute nature qui constituent pour les bénéficiaires des revenus professionnels imposables ou non en Belgique, à l’exclusion des rémunérations visées à l’article 30, 3° ;

[...] »

4        L’article 219 du CIR 1992, dans sa version applicable aux litiges au principal, dispose :

« Une cotisation distincte est établie à raison des dépenses visées à [l’article] 57 [...] qui ne sont pas justifiés par la production de fiches individuelles et d’un relevé récapitulatif [...]

Cette cotisation est égale à 100 [%] de ces dépenses [...], sauf lorsqu’on peut démontrer que le bénéficiaire de ces dépenses [...] est une personne morale [...], auxquels cas le taux est fixé à 50 [%].

[...]

Cette cotisation n’est pas applicable si le contribuable démontre que le montant des dépenses, visées à l’article 57, [...] est compris dans une déclaration introduite par le bénéficiaire conformément à l’article 305 [du CIR 1992] ou dans une déclaration analogue introduite à l’étranger par le bénéficiaire.

Lorsque le montant des dépenses visées à l’article 57 [...] n’est pas compris dans une déclaration introduite conformément à l’article 305 [du CIR 1992] ou dans une déclaration analogue introduite à l’étranger par le bénéficiaire, la cotisation distincte n’est pas applicable dans le chef du contribuable si le bénéficiaire a été identifié de manière univoque au plus tard dans un délai de 2 ans et 6 mois à partir du 1er janvier de l’exercice d’imposition concerné. »

5        Selon une pratique dite de « tolérance administrative », évoquée notamment au no 57/62 du commentaire administratif du CIR 1992 et dans la circulaire n° Ci.RH.243/581.810 (AFER No 7/2009) du 19 février 2009, les contribuables sont dispensés de l’exigence de produire de telles fiches individuelles et de tels relevés récapitulatifs lorsque deux conditions sont remplies. D’une part, pendant la période en cause au principal, les destinataires des paiements en cause doivent être des personnes soumises à la « loi du 17 juillet 1975 relative à la comptabilité et aux comptes annuels des entreprises », cette référence devant actuellement s’entendre, à la suite de l’abrogation de cette loi en 2014, comme une référence aux obligations comptables des entreprises prévues au livre III, titre 3, chapitre 2, du code belge de droit économique. D’autre part, les paiements en cause doivent être octroyés en rétribution d’opérations qui ne sont pas exemptes de l’obligation de facturer suivant la réglementation en matière de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).

 Les litiges au principal et la question préjudicielle

6        Les requérantes au principal, Pharmacie populaire et Pharma Santé, deux sociétés établies en Belgique, commercialisent des produits pharmaceutiques.

7        Ces deux sociétés ont contractuellement confié à LAD Sàrl, une société établie au Luxembourg, la mission d’effectuer des tournées de transport de médicaments.

8        Au cours des années 2010, 2011 et 2012, LAD a facturé à Pharmacie populaire des frais de tournée s’élevant respectivement à 20 846,20 euros, à 22 788,88 euros et à 16 723,44 euros. Les frais de tournée facturés par LAD à Pharma Santé, au cours des années 2008, 2009, 2010, 2011 et 2012, s’élevaient respectivement à 32 516,23 euros, à 22 653,95 euros, à 25 468,33 euros, à 27 197,78 euros et à 16 383,40 euros.

9        Ces faits ont donné lieu à des poursuites pénales contre Pharmacie populaire et Pharma Santé, qui ont été acquittées par jugements du tribunal correctionnel de Liège (Belgique) du 28 février 2019. Selon ces jugements, revêtus de l’autorité de la chose jugée, aucun élément des dossiers n’établissait que les prestations fournies aux requérantes au principal ne correspondaient pas à la réalité et que les prix indiqués par celles-ci ne correspondaient pas aux prix réellement payés. En outre, aucun élément du dossier ne remettait en cause la réalité de l’existence de LAD.

10      Les requérantes au principal n’ayant pas établi de fiches individuelles et de relevés récapitulatifs relatifs à ces dépenses conformément à l’article 57 du CIR 1992, l’administration fiscale belge leur a adressé des avis de rectification, respectivement le 20 août et le 4 novembre 2015, les informant de son intention de soumettre les sommes en question à la cotisation distincte prévue à l’article 219 du CIR 1992.

11      Les requérantes au principal ont fait valoir qu’elles avaient procédé aux paiements en cause de bonne foi en contrepartie de prestations réellement effectuées et que, dans la mesure où le bénéficiaire était une société luxembourgeoise soumise à une comptabilité obligatoire, il n’y avait pas lieu d’établir des fiches individuelles.

12      Par décisions adressées aux requérantes au principal, respectivement le 23 novembre et le 11 décembre 2015, l’administration fiscale belge a maintenu sa position, en précisant notamment que ces dernières n’avaient pas établi que les paiements en cause étaient compris dans une déclaration introduite par le bénéficiaire de ces paiements conformément à l’article 305 du CIR 1992 ou dans une déclaration analogue introduite à l’étranger par ce bénéficiaire. Par conséquent, les sommes en question ont été soumises à la cotisation distincte prévue à l’article 219 du CIR 1992.

13      Le 26 mai 2016, les requérantes au principal ont chacune introduit une réclamation contre ces décisions. Par décisions du 7 novembre 2016, ces réclamations ont été rejetées par l’administration fiscale belge.

14      Par requêtes introduites respectivement les 27 janvier et 30 janvier 2017, les requérantes au principal ont contesté ces décisions devant le tribunal de première instance de Liège (Belgique). Ces recours ont été rejetés comme étant non fondés par deux arrêts rendus le 25 octobre 2018.

15      Les requérantes ont interjeté appel de ces arrêts devant la juridiction de renvoi, la cour d’appel de Liège (Belgique).

16      La juridiction de renvoi observe que la tolérance administrative, visée au point 5 du présent arrêt, ne s’applique pas aux paiements effectués en contrepartie de services rendus par des sociétés telles que LAD qui ont leur siège dans un autre État membre et qui ne disposent pas d’un établissement stable en Belgique.

17      Selon la juridiction de renvoi, il apparaît que, par la combinaison de l’article 219 du CIR 1992 et de cette tolérance administrative, l’obligation d’établir des fiches individuelles et un relevé récapitulatif pour éviter l’application de la cotisation distincte s’impose aux acheteurs de services fournis par des sociétés non résidentes et implique une charge administrative supplémentaire dans leur chef qui n’est pas exigée des acheteurs de mêmes services fournis par un prestataire résident soumis à la législation belge relative à la comptabilité et aux comptes annuels des entreprises. Par conséquent, une telle obligation pourrait être susceptible de rendre les services transfrontaliers moins attrayants que les services fournis par des prestataires de services résidents et dissuader ainsi les acheteurs de faire appel à des prestataires de services établis dans d’autres États membres. Cette situation pourrait ainsi être qualifiée de restriction à la libre prestation des services, en principe interdite par l’article 56 TFUE.

18      La juridiction de renvoi estime qu’il y a donc lieu d’interroger la Cour, afin de déterminer si la réglementation belge en cause constitue une restriction à la libre circulation des services et si, le cas échéant, une telle restriction peut être justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général.

19      Dans ces conditions, la cour d’appel de Liège a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 56 TFUE doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation, ou à une pratique nationale, en vertu de laquelle les sociétés établies dans un premier État membre recourant à des services de sociétés établies dans un second État membre sont obligées, afin d’éviter l’établissement d’une cotisation à l’impôt des sociétés égale à 100 [%] ou à 50 [%] des sommes facturées par ces dernières, d’établir et de transmettre à l’administration fiscale des fiches et [des] relevés récapitulatifs relatifs à ces dépenses alors que, si elles ont recours aux services de sociétés résidentes, elles ne sont pas astreintes à une telle obligation afin d’éviter l’établissement de ladite cotisation ? »

 Sur la question préjudicielle

20      Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre qui impose à toute société établie sur le territoire de ce premier État membre de transmettre à l’administration fiscale des relevés relatifs aux paiements en rétribution de services achetés auprès de prestataires établis dans un autre État membre, dans lequel ces derniers sont soumis tant à la réglementation en matière de comptabilité des entreprises qu’à l’obligation d’émettre des factures conformément à la réglementation relative à la TVA, et ce sous peine d’une majoration de l’impôt des sociétés égale à 50 % ou à 100 % de la valeur de ces services, alors que, conformément à une pratique administrative, ledit premier État membre n’impose aucune obligation équivalente lorsque ces services sont fournis par des prestataires établis sur son territoire.

21      À titre liminaire, étant donné que la réglementation en cause au principal prévoit tant une obligation de fournir certaines informations aux autorités fiscales qu’une sanction prenant la forme d’un impôt direct, en cas de non-respect de cette obligation, il importe de préciser que, si la fiscalité directe relève de la compétence des États membres, ces derniers doivent toutefois exercer celle‑ci dans le respect du droit de l’Union et, notamment, des libertés fondamentales garanties par le traité FUE (arrêt du 11 juin 2015, Berlington Hungary e.a., C‑98/14, EU:C:2015:386, point 34 et jurisprudence citée).

22      Il y a lieu de rappeler, en premier lieu, que l’article 56 TFUE s’oppose à l’application de toute réglementation nationale ayant pour effet de rendre la prestation de services entre les États membres plus difficile que la prestation de services purement interne à un État membre. En effet, l’article 56 TFUE exige la suppression de toute restriction à la libre prestation des services imposée au motif que le prestataire est établi dans un État membre différent de celui dans lequel la prestation est fournie (arrêt du 3 mars 2020, Google Ireland, C‑482/18, EU:C:2020:141, point 25 et jurisprudence citée).

23      Constituent de telles restrictions à la libre prestation des services les mesures nationales qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de cette liberté. En revanche, ne sont pas visées par l’interdiction prévue à l’article 56 TFUE des mesures dont le seul effet est d’engendrer des coûts supplémentaires pour la prestation en cause et qui affectent de la même manière la prestation de services entre les États membres et celle interne à un État membre (arrêt du 3 mars 2020, Google Ireland, C‑482/18, EU:C:2020:141, point 26 et jurisprudence citée).

24      En outre, selon une jurisprudence constante de la Cour, l’article 56 TFUE confère des droits non seulement au prestataire de services lui‑même, mais également au destinataire desdits services (arrêt du 30 janvier 2020, Anton van Zantbeek, C‑725/18, EU:C:2020:54, point 24 et jurisprudence citée).

25      À la lumière de cette jurisprudence, il y a lieu de constater qu’une réglementation et une pratique administrative imposant une obligation déclarative assortie d’un régime de sanction qui instaure une différence de traitement entre prestataires de services selon qu’ils sont ou non établis en Belgique doivent être considérées comme susceptibles de rendre les services transfrontaliers moins attrayants pour des destinataires de services établis en Belgique que les services fournis par des prestataires établis dans ledit État membre et de dissuader lesdits destinataires de faire appel à des prestataires de services établis dans d’autres États membres. Partant, une telle réglementation et une telle pratique administrative sont susceptibles de constituer une restriction de la libre circulation des services, ce que le gouvernement belge a d’ailleurs reconnu dans ses observations.

26      Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argumentation du gouvernement belge dont il résulte que, conformément à l’article 219 du CIR 1992, la sanction pour le cas de violation de l’obligation déclarative prévue à l’article 57 de ce code n’est pas applicable lorsque les paiements en cause sont compris dans une déclaration faite par le bénéficiaire de ces paiements à l’administration fiscale belge conformément à l’article 305 dudit code ou dans une déclaration analogue à l’étranger, ou lorsque ce bénéficiaire a été identifié de manière univoque au plus tard dans un délai de deux ans et six mois à partir du 1er janvier de l’exercice d’imposition concerné.

27      En effet, ainsi qu’il ressort en substance de cette argumentation, dans ces cas, l’obligation déclarative visée à l’article 57 du CIR 1992 serait simplement remplacée par une obligation analogue, qui ne semble pas affecter de manière équivalente les prestations de services purement internes à la Belgique et est autant susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice de la libre circulation des services entre les États membres.

28      Par ailleurs, s’agissant de l’argument du gouvernement belge selon lequel les obligations déclaratives prévues par la réglementation en cause au principal seraient limitées aux éléments strictement nécessaires à l’identification univoque des paiements concernés ainsi que la nature des paiements et leur montant, et que ces renseignements seraient en principe accessibles dans les comptes du payeur sans que celui-ci soit astreint à des recherches susceptibles d’engendrer des coûts administratifs substantiels, il ressort de la jurisprudence que même une restriction de faible portée ou d’importance mineure à une liberté fondamentale est prohibée par le traité FUE (arrêt du 18 octobre 2012, X, C‑498/10, EU:C:2012:635, point 30 et jurisprudence citée).

29      En deuxième lieu, il convient de rappeler qu’une différence de traitement constitutive d’une restriction à la libre prestation des services peut néanmoins être admise si elle se justifie par des raisons impérieuses d’intérêt général et pour autant que, en pareil cas, son application soit propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et n’excède pas ce qui est nécessaire pour l’atteindre (arrêt du 3 mars 2020, Google Ireland, C‑482/18, EU:C:2020:141, point 45 et jurisprudence citée).

30      La juridiction de renvoi, tout en se demandant si une éventuelle restriction peut être justifiée par de telles raisons impérieuses d’intérêt général, n’a pas fourni de précisions à cet égard.

31      Dans ses observations, le gouvernement belge a fait valoir que la réglementation en cause au principal est justifiée par la nécessité d’assurer l’efficacité des contrôles fiscaux. L’objectif de cette réglementation serait d’assurer que les montants que l’acheteur de services déduit de son revenu imposable correspondent aux revenus déclarés par le prestataire de ces services. Certes, lorsque ce dernier est soumis à la législation comptable belge et est tenu d’émettre une facture, l’obligation de l’acheteur d’établir et de soumettre des fiches individuelles et des relevés récapitulatifs de ces paiements ferait, en principe, double emploi avec les obligations à charge du prestataire de services, étant donné que les données du listing client de ce dernier correspondraient, en principe, à celles figurant dans les documents à établir par le payeur. Le gouvernement belge expose que c’est pour cette raison qu’il existe, dans de telles situations, une tolérance administrative.

32      Le gouvernement belge fait cependant valoir que l’obligation déclarative à la charge des acheteurs de services conserverait toute son utilité lorsque les prestataires de services, bien que soumis à la législation comptable de leur État d’établissement et tenus d’émettre une facture, ne sont pas établis en Belgique. Dans de tels cas, les paiements effectués ne seraient pas imposables en Belgique, en vertu des dispositions des conventions préventives de la double imposition relatives aux bénéfices d’entreprises. L’administration fiscale belge « passerait le relais » à l’administration fiscale de l’État membre où est établi le prestataire de services, seule habilitée à contrôler si ce dernier a bien déclaré ses revenus. Il s’agirait d’un échange de renseignements spontané et automatique auquel participeraient l’ensemble des États membres ainsi que plusieurs États tiers, les informations ainsi communiquées étant celles figurant dans les fiches individuelles.

33      Le gouvernement belge estime que les fiches individuelles et les relevés récapitulatifs visés à l’article 57 du CIR 1992 demeurent indispensables pour permettre à l’État d’établissement du prestataire de services de procéder à ce contrôle. Étendre la tolérance administrative applicable aux paiements effectués par des sociétés établies en Belgique à des prestataires de services établis dans d’autres États membres impliquerait de renoncer à cet échange de renseignements et compromettrait la supervision que cet échange rend possible.

34      À cet égard, il ressort de la jurisprudence que la nécessité de garantir l’efficacité des contrôles fiscaux peut constituer une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier une restriction à la libre prestation des services (arrêts du 25 juillet 2018, TTL, C‑553/16, EU:C:2018:604, point 57, et du 3 mars 2020, Google Ireland, C‑482/18, EU:C:2020:141, point 47 ainsi que jurisprudence citée).

35      Encore faut-il, ainsi que cela a été relevé au point 29 du présent arrêt, que les mesures qui restreignent la libre prestation des services soient propres à garantir la réalisation de l’objectif qu’elles poursuivent et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (arrêt du 10 mars 2021, An Bord Pleanála, C‑739/19, EU:C:2021:185, point 24).

36      En ce qui concerne le caractère approprié d’une réglementation telle que celle en cause au principal, il convient de rappeler que, dans le but d’assurer l’efficacité des contrôles fiscaux, lesquels visent à lutter contre la fraude fiscale, un État membre est autorisé à appliquer des mesures qui permettent la vérification, de façon claire et précise, du montant des frais déductibles dans cet État au titre des frais professionnels (arrêt du 5 juillet 2012, SIAT, C‑318/10, EU:C:2012:415, point 44 et jurisprudence citée). Il n’y a aucune raison d’en juger autrement s’agissant de mesures permettant une telle vérification par un autre État membre.

37      Or, ainsi que le gouvernement belge l’a relevé, en substance, dans ses observations, l’obligation imposée aux sociétés établies en Belgique de déclarer les dépenses liées aux services achetés auprès de prestataires établis dans d’autres États membres est susceptible d’aider les autorités fiscales de ces États membres à vérifier si les paiements en rétribution de ces services sont bien repris parmi les revenus imposables de leurs bénéficiaires.

38      En effet, la transmission par l’administration fiscale belge des informations figurant sur les fiches individuelles visées à l’article 57 du CIR 1992 concernant des paiements qui ne sont imposables que dans un autre État membre, aux autorités fiscales de cet État membre, pourrait permettre à ces dernières de contrôler la déclaration fiscale du prestataire de services concerné.

39      S’agissant de la question de savoir si une réglementation telle que celle en cause au principal ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif d’assurer l’efficacité des contrôles fiscaux, il convient de rappeler, premièrement, que, pour expliquer la raison d’être de la tolérance administrative visée au point 5 du présent arrêt, le gouvernement belge a fait valoir que, lorsque le prestataire de services est soumis à la réglementation comptable belge et est tenu, en vertu de la réglementation belge en matière de TVA, d’émettre une facture, l’obligation déclarative prévue à l’article 57 du CIR 1992 ferait largement double emploi avec les obligations qui incombent à ce prestataire au titre de ces réglementations. Ainsi que la Commission européenne l’a relevé dans ses observations, la tolérance administrative en cause repose donc sur la prémisse que les prestataires de services soumis à de telles obligations comptables et de facturation relative à la TVA, prévues par le droit belge, ne présentent pas le même degré de risque de fraude fiscale que les prestataires qui ne sont pas soumis auxdites obligations.

40      À cet égard, il y a lieu de relever que, étant donné que les normes régissant la comptabilité des entreprises et celles relatives à la TVA ont été harmonisées au sein de l’Union européenne, les prestataires de services établis dans d’autres États membres sont soumis à des obligations comparables à celles qui incombent aux prestataires de services établis en Belgique. En outre, il ressort de la réglementation en cause au principal que l’établissement des fiches individuelles et des relevés récapitulatifs ne peut pas être considéré comme étant nécessaire pour permettre aux autorités fiscales belges de procéder à la vérification des déclarations des prestataires de services établis en Belgique, puisque celles-ci en sont dispensées lorsque les conditions d’application de la tolérance administrative visée au point 5 du présent arrêt sont remplies. Dès lors, il ne saurait être considéré que les informations figurant dans les fiches individuelles seraient indispensables aux autorités fiscales des autres États membres pour la vérification des déclarations fiscales des prestataires de services établis sur leurs territoires.

41      Deuxièmement, s’agissant de l’argument du gouvernement belge selon lequel l’obligation déclarative imposée aux sociétés établies en Belgique pour les services fournis par des prestataires de services établis dans d’autres États membres serait nécessaire pour entretenir un échange de renseignements spontané et automatique auquel participeraient l’ensemble des États membres ainsi que plusieurs États tiers, il y a lieu de relever que ce gouvernement ne fournit aucune précision quant à la base juridique d’un tel échange.

42      Certes, tant la directive 77/799/CEE du Conseil, du 19 décembre 1977, concernant l’assistance mutuelle des autorités compétentes des États membres dans le domaine des impôts directs (JO 1977, L 336, p. 15), que la directive 2011/16/UE du Conseil, du 15 février 2011, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CEE (JO 2011, L 64, p. 1, et rectificatif JO 2013, L 162, p. 15), qui, aux termes de son article 28, a abrogé la directive 77/799 avec effet au 1er janvier 2013, ont prévu des possibilités pour les autorités fiscales des États membres de demander des informations fiscales aux autorités fiscales d’autres États membres et d’échanger de telles informations avec ces autorités. Toutefois, aucune de ces directives ne prévoit une obligation pour lesdites autorités d’échanger de manière spontanée et automatique des informations telles que celles visées par la procédure au principal.

43      En outre, l’article 2 de la directive 77/799, lu en combinaison avec l’article 1er de celle-ci, permettait aux autorités fiscales d’un État membre de demander aux autorités fiscales d’un autre État membre de lui communiquer toutes les informations susceptibles de leur permettre l’établissement correct des impôts sur le revenu, y compris l’impôt sur les sociétés, en ce qui concerne un cas précis, et obligeait ces dernières autorités d’effectuer, s’il y avait lieu, les recherches nécessaires pour obtenir ces informations. Des obligations correspondantes figurent aux articles 1, 5 et 6 de la directive 2011/16. Il s’ensuit que, même en l’absence d’un échange de renseignements spontané et automatique, les autorités fiscales des États membres sont en mesure, dans le cadre d’enquêtes visant un contribuable donné, d’obtenir toutes les informations qui leur sont nécessaires pour permettre l’établissement correct des impôts en cause.

44      Troisièmement, en tout état de cause, il y a lieu de rappeler que la réglementation en cause au principal est assortie d’une sanction, désignée de « cotisation distincte », consistant à majorer l’impôt sur les sociétés d’un montant égal, selon les circonstances, à 50 % ou à 100 % des sommes facturées par les prestataires de services établis dans d’autres États membres.

45      Selon le gouvernement belge, l’objectif de cette sanction consiste non pas à pénaliser l’inaccomplissement des formalités déclaratives prévues à l’article 57 du CIR 1992, mais à le dissuader en neutralisant l’avantage fiscal que l’acheteur et le prestataire de services pourraient en retirer.

46      Or, il ressort des informations fournies par la juridiction de renvoi et confirmées par le gouvernement belge que ladite sanction est imposée dans tous les cas où une société belge a manqué à son obligation déclarative prévue par la réglementation en cause au principal sans faire usage des possibilités, décrites au point 26 du présent arrêt, permettant d’éviter cette sanction. À supposer même que, ainsi que le gouvernement belge l’a fait valoir, le payeur est dispensé de cette obligation lorsque le montant des paiements n’excède pas 125 euros, il est donc évident que, sous réserve de ce seuil de minimis, ladite sanction est exigible même lorsque le prestataire a effectivement déclaré, dans l’État membre où il est établi, les revenus de sources belges en rétribution de ses services. Partant, la sanction est encourue même lorsque l’inaccomplissement de l’obligation déclarative n’a soustrait aucun revenu à l’impôt, que ce soit par l’acheteur ou le prestataire des services en question.

47      Or, bien que les États membres sont libres de sanctionner le non-respect des obligations administratives qu’ils imposent, à condition que ces sanctions soient proportionnées à l’objectif poursuivi, une sanction consistant en une majoration de l’impôt d’un montant pouvant représenter 50 %, voire 100 % de la valeur des services concernés, même en l’absence de toute soustraction à l’impôt, va au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer l’efficacité des contrôles fiscaux. Le caractère disproportionné de cette sanction apparaît d’autant plus flagrant que, grâce à la tolérance administrative visée au point 5 du présent arrêt, une prestation de service purement interne à la Belgique, n’est pas susceptible de donner lieu à sanction, même lorsque le prestataire de services n’a pas déclaré le paiement perçu.

48      Il s’ensuit que la restriction visée au point 25 du présent arrêt ne peut pas non plus être justifiée au titre de la lutte contre la fraude fiscale, évoquée par les requérantes au principal et la Commission dans leurs observations. Cet objectif constitue une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier une restriction à l’exercice des libertés de circulation garanties par le traité FUE (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2009, X et Passenheim-van Schoot, C‑155/08 et C‑157/08, EU:C:2009:368, point 45 et jurisprudence citée). En l’occurrence, il est vrai que la réglementation en cause peut contribuer à dissuader la fraude fiscale, grâce à la sanction visée au point 44 du présent arrêt. Cependant, cette sanction étant applicable même en l’absence de toute fraude fiscale, ainsi qu’il a été relevé au point 46 du présent arrêt, elle va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ce but.

49      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre qui impose à toute société établie sur le territoire de ce premier État membre de transmettre à l’administration fiscale des relevés relatifs aux paiements en rétribution de services achetés auprès de prestataires établis dans un autre État membre, dans lequel ces derniers sont soumis à la réglementation en matière de comptabilité des entreprises ainsi qu’à l’obligation d’émettre des factures conformément à la réglementation relative à la TVA, et ce sous peine d’une majoration de l’impôt des sociétés égale à 50 % ou à 100 % de la valeur de ces services, alors que, conformément à une pratique administrative, ledit premier État membre n’impose aucune obligation équivalente lorsque lesdits services sont fournis par des prestataires établis sur son territoire.

 Sur les dépens

50      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :

L’article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre qui impose à toute société établie sur le territoire de ce premier État membre de transmettre à l’administration fiscale des relevés relatifs aux paiements en rétribution de services achetés auprès de prestataires établis dans un autre État membre, dans lequel ces derniers sont soumis à la réglementation en matière de comptabilité des entreprises ainsi qu’à l’obligation d’émettre des factures conformément à la réglementation relative à la taxe sur la valeur ajoutée, et ce sous peine d’une majoration de l’impôt des sociétés égale à 50 % ou à 100 % de la valeur de ces services, alors que, conformément à une pratique administrative, ledit premier État membre n’impose aucune obligation équivalente lorsque lesdits services sont fournis par des prestataires établis sur son territoire.