CA Paris, 4e ch. B, 17 octobre 2008, n° 07/12475
PARIS
PARTIES
Demandeur :
Annie Couture (SARL)
Défendeur :
Matrimonia (SARL), Prudence Mace Centrale (Sté), Pm Succursales (SARL), Pontault Pm 94 So (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Girardet
Conseillers :
Mme Regniez , Mme Saint Schroeder
Avoués :
SCP Regnier Bequet, SCP Bolling - Durand - Lallement, SCP Monin - D'auriac de Brons
Avocats :
Me Le Guerneve, Selafa Mja, Me Bloch, Me Guerlain
- contradictoire
- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Monsieur GIRARDET, président et par Madame L. MALTERRE PAYARD, greffier auquel la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
La cour est saisie d'appels interjetés par la société Annie COUTURE SARL et les sociétés PRUDENCE MACE CENTRALE (actuellement dénommée GALACTIC WEDDING NETWORK Europe ci-après GALACTIC), PM SUCCURSALES SARL et PONTAULT PM 94 SARL d'un jugement rendu par le tribunal de commerce de Créteil le 14 juin 2007.
Il sera rappelé que la société MATRIMONIA crée et vend en gros des robes de mariées et costumes de mariés et de cérémonie et commercialisait notamment une robe de mariée référencée 'IDOLE' en 2003.
Estimant que les sociétés PRUDENCE, PM SUCCURSALES et PONTAULT PM 94 se rendaient coupables d'actes de contrefaçon de cette robe de mariée, en commercialisant une robe référencée ALEXA (représentée dans un catalogue 'POINT MARIAGE' de la collection 2004), la société MATRIMONIA, après avoir fait pratiquer saisie-contrefaçon le 30 décembre 2003, les a assignées, par acte du 14 janvier 2004, en contrefaçon et concurrence déloyale. Ces sociétés ont assigné en garantie le fournisseur, la société Annie COUTURE.
Par le jugement entrepris, le tribunal a :
- dit la société MATRIMONIA recevable à agir,
- condamné les sociétés PRUDENCE, PM SUCCURSALES et PONTAULT PM 94 à payer solidairement à la société MATRIMONIA en réparation du préjudice subi la somme de 15 797 euros,
- condamné la société ANNIE COUTURE à garantir les sociétés PRUDENCE, PM SUCCURSALES et PONTAULT PM 94 des condamnations prononcées à leur encontre,
- ordonné la publication de la décision, aux frais des défenderesses dans trois magazines professionnels et spécialisés sans que le coût financier global de ces trois publications ne dépasse la somme de 3 000 euros hors taxe,
- débouté la société ANNIE COUTURE de sa demande de dommages intérêts pour procédure abusive,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- condamné les sociétés PRUDENCE, PM SUCCURSALES et PONTAULT PM 94 solidairement à payer à la société MATRIMONIA la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du (nouveau) Code de procédure civile,
- condamné la société ANNIE COUTURE à payer la somme de 1 500 euros à chacune des sociétés PRUDENCE, PM SUCCURSALES et PONTAULT PM 94 au titre de l'article 700 du (nouveau) Code de procédure civile,
- condamné les sociétés ANNIE COUTURE , PRUDENCE MACE CENTRALE, PM SUCCURSALES et PONTAULT PM 94 aux entiers dépens.
Au cours de la procédure d'appel, en raison du prononcé du redressement judiciaire de la société MATRIMONIA par jugement du 23 octobre 2007, sont intervenus volontairement dans la procédure la SCP VALLIOT, LE GUERNEVE, ABITBOL agissant en la personne de Maître LE GUERNEVE, ès qualités d'administrateur judiciaire de la société MATRIMONIA et la SELAFA MJA agissant en la personne de Maître LELOUP THOMAS ès qualités de représentant des créanciers.
Par ses dernières conclusions du 5 septembre 2008, la société ANNIE COUTURE invite la cour, pour l'essentiel, à :
- infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
A titre subsidiaire,
- limiter la condamnation qui pourrait être prononcée au montant retenu par le tribunal de commerce de Créteil,
- dire n'y avoir lieu à publication de la décision,
- dire n'y avoir lieu de la condamner au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, réformer en conséquence le jugement qui l'a condamnée à payer aux sociétés PRUDENCE, PM SUCCURSALES et PONTAULT PM 94 la somme de 1500 euros à chacune,
- condamner en tout état de cause toute partie défaillante, ou à tout le moins fixer sa créance à l'encontre de la SCP VALLIOT LE GUERNEVE ABITBOL et de la SELAFA MJA aux dépens ainsi qu'à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Dans leurs dernières conclusions du 3 septembre 2008, les sociétés GALACTIC, PM SUCCURSALES et PONTAULT PM 94, appelantes et intimées, invitent essentiellement la cour à :
- infirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a condamné la société ANNIE COUTURE à les garantir et à leur verser 1500 euros à chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société MATRIMONIA à leur verser à chacune, ou à tout le moins à fixer leur créance à la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société ANNIE COUTURE à leur verser à chacune la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du de procédure civile,
- condamner solidairement les sociétés MATRIMONIA et ANNIE COUTURE aux dépens et débouter la société ANNIE COUTURE de sa demande au titre de l'article 700 du (nouveau) Code de procédure civile.
Dans leurs ultimes conclusions du 8 septembre 2008, la société MATRIMONIA, la SCP VALLIOT-LE GUERNEVE-ABITBOL pris en la personne de Maître LE GUERNEVE, ès qualités, et la SELAFA MJA prise en la personne de Maître LELOUP-THOMAS, ès qualités, demandent à la cour, pour l'essentiel, de confirmer le jugement mais y ajoutant de :
- condamner solidairement les sociétés GALACTIC WEDDING NETWORK EUROPE, PM SUCCURSALES et PONTAULT PM 94 à lui verser la somme de 305 000 euros en réparation du préjudice subi,
- ordonner la publication du présent arrêt,
- les condamner solidairement à lui verser la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens comprenant les frais de la saisie.
SUR CE, LA COUR
Sur la qualité pour agir de la société MATRIMONIA.
Considérant que les sociétés GALACTIC, PM SUCCURSALES et PONTAULT PM font valoir que la société MATRIMONIA invoque les dispositions des articles L.111-1, L.112-1 et L.112-2 du Code de la propriété intellectuelle qui se réfèrent à une personne physique, et qu'elle ne verse aux débats en appel qu'une attestation de son gérant Monsieur HABABOU, qui déclare être avec son épouse l'auteur de tous les modèles et avoir cédé tous leurs droits à la société MATRIMONIA, sans justifier toutefois par des croquis ou dessins, la réalité de la création et sans davantage justifier, par un acte de cession, la transmission des droits patrimoniaux à cette dernière ; que dès lors qu'elle ne peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle, la société MATRIMONIA, personne morale, est irrecevable à agir;
Considérant, cela étant, que selon les catalogues versés aux débats, qui s'échelonnent de 2001 à 2004, il est constant que le modèle IDOLE invoqué est une déclinaison des modèles de robes de mariées présentées sous les références différentes depuis 2001, sous le nom de la société MATRIMONIA ;
Considérant que dès lors que selon l'attestation de son gérant, des personnes physiques de la société créent l'ensemble des modèles et ont cédé les droits patrimoniaux à la société MATRIMONIA, et qu'aucune autre personne ne revendique la titularité de droits d'auteur sur la robe, cette dernière est recevable à agir en violation de ses droits patrimoniaux, le tiers n'étant pas fondé à se prévaloir d'une absence de contrat écrit de cession de droits ;
Sur l'originalité de la robe de mariée.
Considérant que selon la société MATRIMONIA, la robe de mariée référencée 'IDOLE' dans son catalogue 2004 (déclinaison de modèles diffusés depuis 2001) est originale en ce qu'elle se caractérise par :
- un corset lacé sur les côtés,
- un tissu du corset avec des broderies représentant des fleurs grimpantes,
- des emmanchures garnies de fleurs,
- une jupe bouillonnante et retenue à certains endroits par des fleurs,
- la couleur ivoire de la jupe et un bustier bicolore ;
Considérant que les appelantes soutiennent, ainsi qu'elles l'avaient fait en première instance, que cette robe est dénuée de toute originalité, (le défaut de nouveauté invoquée par la société ANNIE COUTURE étant inopérant au regard des dispositions du Livre I du Code de la propriété intellectuelle), tous les éléments ci-dessus mentionnés étant communément utilisés pour les robes de mariée et versent aux débats des magazines datés de 1997 et 1998 qui reprennent à leur sens la combinaison ci-dessus précisée ; qu'elles ajoutent qu'il s'agit d'éléments classiques ou banals; qu'en effet,
- le laçage du corset est un mode de fermeture connu de longue date,
- depuis le XVIIIème siècle qui représente l'apogée des arts de la broderie, le tissu du corset brodé n'a rien d'innovant,
- la jupe bouillonnante piquée de fleurs est fréquemment utilisée dans le domaine des robes de mariée (il en est ainsi notamment chez PRONUPTIA en 2003),
- l'utilisation du bicolore est une tendance de la mode pour les robes de mariées ;
Considérant que les documents mis aux débats révèlent que certains éléments ont été utilisés dans des robes de mariées, mais cela de manière séparée ; que la combinaison de l'ensemble des caractéristiques ci-dessus mentionnées manifeste par l'effet esthétique qu'elle produit tenant notamment à l'existence du lacet sur les côtés du corset et à la jupe bouillonnante piquée de quelques fleurs reprises également sur l'emmanchure, l'effort créatif de l'auteur qui rend cette robe éligible à la protection du droit d'auteur, étant observé que ne sauraient être opposées à la société MATRIMONIA les robes de mariées qu'elle-même commercialise depuis 2001, la robe IDOLE n'étant qu'une déclinaison de cette robe, (en différant essentiellement par les coloris) ; que le jugement sera sur ce point confirmé ;
Sur la contrefaçon.
Considérant que selon les sociétés ANNIE COUTURE, GALACTIC, PM SUCCURSALES et PONTAULT PM, il ne saurait leur être reproché des actes de contrefaçon dès lors que :
- de nombreuses différences existent entre les deux robes, (notamment deux jupes superposées l'une à l'autre dans la robe MATRIMONIA et une seule jupe dans l'autre, un nombre de fleurs différent, la terminaison du corset,..),
- les éléments communs ne sont que des détails de fabrication reprenant des éléments fonctionnels ou banals qui ne participent nullement à l'originalité des modèles ; qu'elles observent que l'impression d'ensemble étant différente, il n'existe pas d'actes de contrefaçon;
Mais considérant que la robe ALEXA incriminée comporte la combinaison des éléments dont il a été dit ci-dessus qu'elle conférait un caractère original à la robe de MATRIMONIA, c'est à dire : laçage sur les côtés du corset, l'effet bouillonnant de la robe comportant quelques fleurs et la reprise de ces fleurs sur les emmanchures, le corset comportant des broderies ; qu'il ne s'agit donc pas de reprises d'éléments fonctionnels ou banals ; que, par ailleurs, l'existence de différences est inopérante puisque se retrouvent les éléments originaux du modèle ; que dès lors il est établi que la robe ALEXA en ce qu'elle reproduit les éléments originaux de la robe 'IDOLE' en constitue la contrefaçon ; que son offre en vente caractérise également des actes de contrefaçon ; que le jugement sera en conséquence confirmé ;
Sur la concurrence déloyale.
Considérant que les sociétés appelantes font valoir à juste titre que la société MATRIMONIA n'invoque, au soutien de sa demande en concurrence déloyale aucun fait distinct autre que ceux déjà retenus au titre de la contrefaçon ; qu'en effet, il ne peut être prétendu, ainsi que le fait cette société que la copie est servile dès lors que comme l'ont relevé les appelantes, il existe des différences entre les robes ; que la vente à un moindre prix des robes n'est pas en soi un élément susceptible de caractériser un acte de concurrence déloyale ; que le jugement sera sur ce point infirmé ;
Sur l'imputation des actes délictueux.
Considérant que les sociétés GALACTIC et PM SUCCURSALES estiment que la société MATRIMONIA ne démontrent pas qu'elles auraient participé aux actes reprochés ;
Considérant toutefois que la société GALACTIC est la centrale d'achat dont font partie les magasins à enseigne POINT MARIAGE disséminés dans plusieurs régions de France ; que la facturation relative aux robes ALEXA dont un modèle a été trouvé dans les locaux de la société PONTAULT PM (POINT MARIAGE) est centralisé par la société GALACTIC ; qu'en commandant et centralisant la facturation relative à cette robe, la société GALACTIC a participé aux actes de contrefaçon reprochés ;
Considérant que la société PM SUCCURSALES regroupe différents établissements à l'enseigne POINT MARIAGE dont notamment un implanté à RENNES ; que le catalogue qui comporte reproduction du modèle ALEXA mentionne le nom des magasins établis sur l'ensemble du territoire dont celui de RENNES ; qu'ainsi, cette société ne saurait être mise hors de cause, dès lors que le catalogue a été diffusé sous le nom de ses établissements ;
Considérant que le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu la responsabilité des trois sociétés; qu'il sera seulement précisé qu'elles sont tenus in solidum et non pas solidairement ;
Sur les mesures réparatrices.
Considérant que la société MATRIMONIA estime que son préjudice n'a pas été suffisamment pris en compte ; qu'elle observe qu'au cours de l'année 2003 son chiffre d'affaires a très sensiblement baissé ;
Mais considérant que pas davantage en appel qu'en première instance, la société MATRIMONIA ne rapporte la preuve d'un lien entre la vente des robes de mariées contrefaisantes et la baisse de son chiffre d'affaires ; que compte tenu du nombre de robes commandées par les sociétés appelantes à la société ANNIE COUTURE (466 robes) ainsi que de la marge retenue par les premiers juges calculée sur le prix de vente, marge qui n'est pas contestée en appel, la cour relève que le tribunal a exactement déterminé le montant des dommages et intérêts de nature à réparer le préjudice subi par la société MATRIMONIA ; que le jugement sera confirmé de ce chef ;
Considérant que le jugement sera également confirmé en ce qu'il a ordonné des mesures de publication, étant précisé que celles-ci tiendront compte du présent arrêt ;
Sur la demande en garantie de la société ANNIE COUTURE.
Considérant que la société ANNIE COUTURE qui a fabriqué la robe de mariée 'ALEXA' ne conteste pas devoir sa garantie à ses acquéreurs ; que le jugement sera également confirmé sur ce point ;
Sur les indemnités au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Considérant que des raisons d'équité commandent d'allouer à la société MATRIMONIA la somme complémentaire de 4000 euros à ce titre à la charge in solidum des sociétés GALACTIC, PM SUCCURSALES et PONTAULT PM ; que la société ANNIE COUTURE devra également garantir les sociétés pour ces sommes ainsi qu'aux dépens;
Considérant qu'aucune somme supplémentaire ne saurait être allouée à ce titre aux sociétés GALACTIC, PM SUCCURSALES et PONTAULT PM, étant observé que le jugement sera confirmé sur les condamnations prononcées à l'encontre de la société ANNIE COUTURE sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
Confirme le jugement en toutes ses dispositions sauf sur la condamnation au titre de la concurrence déloyale ;
Ajoutant, et le précisant,
Dit que les condamnations prononcées sont non pas solidaires mais in solidum,
Dit que les mesures de publication tiendront compte du présent arrêt,
Condamne in solidum les sociétés GALACTIC WEDDING NETWORK EUROPE, PM SUCCURSALES et PONTAULT PM 94 à payer à la société MATRIMONIA, assistée par la SELAFA MJA prise en la personne de Maître LELOUP-THOMAS ès qualités de représentant des créanciers et la SCP VALLIOT-LE GUERNEVE-ABITBOL prise en la personne de Maître LE GUERNEVE, ès qualités d'administrateur judiciaire, la somme de 4000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Dit que la société ANNIE COUTURE devra les garantir pour cette condamnation supplémentaire ainsi qu'aux dépens ;
Rejette toutes autres demandes ;
Condamne in solidum les sociétés GALACTIC WEDDING NETWORK EUROPE, PM SUCCURSALES et PONTAULT PM 94 aux entiers dépens qui pour les dépens d'appel pourront être recouvrés par la SCP d'avoués BOLLING LALLEMENT.