CA Paris, 4e ch., 19 janvier 2000, n° D20000007
PARIS
Confirmation
FAITS ET PROCEDURE
La société VAN CLEEF ET ARPELS, créatrice en 1968 d'une bague commercialisée sous l'appellation PHILIPPINE a fait procéder, le 10 juillet 1996, dans les locaux de la société ELYSEE OR située à Paris, à une saisie-contrefaçon qui a révélé que ce modèle de bijou avait été commandé en six exemplaires en couleur à Fayçal F de la société MARVEL et en un exemplaire en or lisse, à la société DESMOULINS DIFFUSION.
La société VAN CLEFF ET ARPELS a assigné les 31 juillet et 5 août 1996 les sociétés ELYSEE OR, MARVEL et DESMOULINS DIFFUSION ainsi que Fayçal F devant le tribunal de commerce de Paris en contrefaçon du modèle de bague sus-visé et de concurrence déloyale sollicitant la somme de 1 000 000 francs à titre de dommages et intérêts et celle de 40 000 francs en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par jugement du 9 juillet 1997 assorti partiellement de l'exécution provisoire, le tribunal, outre les habituelles mesures d'interdiction sous astreinte et de publication, a :
- reconnu sa compétence à l'encontre de Fayçal F,
- déclaré les sociétés ELYSEE OR, MARVEL et DESMOULINS DIFFUSION ainsi que Fayçal F coupables de contrefaçon et de concurrence déloyale,
- condamné in solidum les sociétés ELYSEE OR, MARVEL et DESMOULINS DIFFUSION ainsi que Fayçal F à payer la société VAN CLEEF ET ARPELS la somme de 100 000 francs à titre de dommages et intérêts et celle de 40 000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Fayçal F a interjeté appel de ce jugement par déclaration au greffe du 8 octobre 1997.
VU les conclusions signifiées le 9 février 1998 par Fayçal F tendant à faire juger que le tribunal de commerce de Paris était incompétent pour le condamner personnellement in solidum avec les autres sociétés défenderesses aux motifs que, n'étant pas commerçant et n'ayant pas agi à titre personnel dans le litige l'opposant à la société VAN CLEEF ET ARPELS mais en qualité de gérant de la société MARVEL, la juridiction saisie aurait du se déclarer incompétente au profit du tribunal de grande instance de Nanterre dans le ressort duquel il a son domicile et, qu'à tout le moins, pour les mêmes motifs, sa mise hors de cause aurait du être prononcée, ensemble d'éléments qui justifie sa demande de condamnation de la société intimée à lui payer la somme de 25 000 francs en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
VU les conclusions signifiées le 18 mars 1998 par la société VAN CLEEF ET ARPELS tendant à la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions, à l'exception du montant des dommages et intérêts qu'elle demande de porter à la somme de 1 000 000 francs à la charge de tous les contrefacteurs, au rejet de la demande de mise hors de cause formée par Fayçal F qui a personnellement et indépendamment de sa qualité de gérant de la société MARVEL participé aux actes de contrefaçon et de concurrence déloyale dont elle fait état et à la condamnation de Fayçal F ainsi que des sociétés ELYSEE OR, MARVEL et DESMOULINS DIFFUSIONS à lui verser la somme de 40 000 francs pour ses frais non compris dans les dépens ;
VU les conclusions signifiées le 26 mars 1998 par la société DESMOULINS DIFFUSION qui sollicite l'infirmation du jugement entrepris, le rejet de l'ensemble des demandes formées par la société VAN CLEEF ET ARPELS et sa condamnation à lui verser la somme de 50 000 francs à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et celle de 12 060 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile aux motifs qu'elle a de bonne foi répondu à la commande de la société ELYSEE OR et qu'elle ignorait que le modèle qui lui avait été demandé constituait une copie du modèle PHILIPPINE, que l'action en concurrence déloyale n'est pas fondée en l'absence d'éléments distincts de ceux qui fondent l'action en contrefaçon et que le préjudice allégué par la société VAN CLEEF ET ARPELS n'est pas démontré ;
VU les assignations et réassignations des 23 et 25 mars, 12 juin 1998, 23 et 25 février 1999 des sociétés ELYSEE OR et MARVEL qui n'ont pas constitué avoué.
DECISION
I - SUR L'EXCEPTION D'INCOMPETENCE
CONSIDERANT qu'une action engagée par une société à l'encontre d'une autre société est de la compétence du tribunal de commerce, peu important le fondement juridique invoqué ;
QUE cette juridiction est également compétente pour statuer sur une action dirigée contre le dirigeant d'une société, fût-il non commerçant, dès lors qu'il est établi que les agissements de ce dernier se rattachent par un lien étroit à la gestion de la société qu'il dirige ;
CONSIDERANT en l'espèce, que les griefs de contrefaçon et de concurrence déloyale imputés à Fayçal F par la société VAN CLEEF ET ARPELS, lesquels résulteraient de la faute que les sociétés défenderesses, et notamment la société MARVEL, auraient commises du fait de la fabrication et de la commercialisation d'un modèle reproduisant la bague PHILIPPINE, sont directement liés à sa fonction de dirigeant social de la société MARVEL ;
QU'il s'ensuit que le tribunal de commerce de Paris était compétent pour connaître des demandes formées par la société VAN CLEEF ET ARPELS contre Fayçal F ;
QUE l'exception d'incompétence que ce dernier a soulevée sera en conséquence rejetée ;
II - SUR LA DEMANDE DE MISE HORS DE CAUSE FORMEE PAR FAYÇAL F
CONSIDERANT que Fayçal F sollicite sa mise hors de cause au motif que les faits de contrefaçon et de concurrence déloyale allégués par la société VAN CLEEF ET ARPELS ne peuvent être imputés qu'à la société MARVEL et certainement pas à lui-même personnellement ;
CONSIDERANT qu'il résulte effectivement du procès-verbal de contrefaçon du 10 juillet 1996 que Claude H, salarié de la société ELYSEE OR, a indiqué avoir demandé à la société MARVEL de reproduire le modèle de bague PHILIPPINE et d'avoir ainsi trouvé l'occasion de la faire fabriquer par cette société ;
Que Fayçal F justifie que la production de factures datées des 7 septembre et 21 novembre 1995, que sa société a vendu à la société ELYSEE OR les modèles de bagues argués de contrefaçon et qu'il n'a agi que dans le cadre de sa mission de gérant de la société qu'il dirige ;
QU'il s'en déduit que la société VAN CLEEF ET ARPELS ne démontre pas que Fayçal F a commis une faute personnelle séparable de ses fonctions de dirigeaient social et extérieur à celle-ci de nature à engager à côté de la société MARVEL sa propre responsabilité ;
QUE le jugement déféré, en ce qu'il a condamné Fayçal F in solidum avec les sociétés ELYSEE OR, MARVEL et DESMOULINS DIFFUSION, sera en conséquence réformé ;
III - SUR LES ACTES DE CONTREFACON
CONSIDERANT que la société DESMOULINS DIFFUSION soutient, pour contester les actes de contrefaçon qui lui sont reprochés, d'une part qu'elle n'a fait que façonner un seul modèle de bague à la demande expresse de la société ELYSEE OR qui lui a fourni le moulage, d'autre part qu'elle ignorait totalement que le modèle litigieux était une copie servile du modèle PHILIPPINE de la société VAN CLEEF ET ARPELS ;
MAIS CONSIDERANT que la société DESMOULINS DIFFUSION, en sa qualité de spécialiste dans la fabrication de bijoux et d'articles de joaillerie, comme l'indique l'extrait Kbis versé aux débats, ne saurait invoquer sa bonne foi, inopérante en la matière, et ne peut sérieusement soutenir qu'elle ne connaissait pas le modèle que lui avait commandé Claude H de la société ELYSEE OR, lequel a déclaré connaître le modèle de bague qui lui a été présenté au cours des opérations de saisie-contrefaçon et qu'il a formellement identifié comme étant le modèle PHILIPPINE ;
QUE le jugement qui a déclaré la société DESMOULINS DIFFUSION responsable d'actes de contrefaçon de la bague sus-visé sera en conséquence confirmé ;
IV - SUR LES GRIEFS DE CONCURRENCE DELOYALE
CONSIDERANT que la société DESMOULINS DIFFUSION soutient que la société VAN CLEEF ET ARPELS ne démontre pas l'existence de faits distincts de ceux de contrefaçon ;
MAIS CONSIDERANT que la société VAN CLEEF ET ARPELS réplique pertinemment, qu'outre le fait que la société ELYSEE OR revendait les modèles contrefaits à un prix très inférieurs aux produits originaux, 7 000 francs au lieu de 22 000 à 25 000 francs, les sociétés défenderesses, en utilisant des matériaux de médiocre qualité pour recréer le modèle PHILIPPINE qui a été présenté à la cour, se trouve dévalorisé aux yeux d'une clientèle qui, constatant l'existence du modèle contrefaisant, sera enclin à ne plus vouloir acquérir le modèle qu'elle commercialise ;
QUE le jugement sera donc confirmé de ce chef ;
V - SUR LE PREJUDICE
CONSIDERANT que la société DESMOULINS DIFFUSION soutient que la société VAN CLEEF ET ARPELS se trouve dans l'incapacité de justifier de la réalité de son préjudice ;
MAIS CONSIDERANT que les seuls actes de contrefaçon démontrés et non contestés par les parties, à l'exception de la société sus-visée, engendrent en eux-mêmes un préjudice dont la société VAN CLEEF ET ARPELS est en droit de réclamer réparation ;
QU'au surplus, la dépréciation provoquée par les sociétés intimées qui ont proposé à la vente une copie servile du modèle de bague PHILIPPINE ne présentant pas les qualités du modèle originel justifie la réparation du préjudice tant commercial que moral subi par la société sus-visée du fait des actes de concurrence déloyale ;
QU'il convient de porter à la somme de 250.000 francs le montant des dommages et intérêts alloués à la société VAN CLEEF ET ARPELS ;
VI - SUR LA DEMANDE DE DOMMAGES ET INTERETS FORMEE PAR LA SOCIETE DESMOULINS DIFFUSION ET SUR LES FRAIS HORS DEPENS
CONSIDERANT que la société DESMOULINS DIFFUSION ne saurait pas soutenir que l'action engagée contre elle par la société VAN CLEEF ET ARPELS "est manifestement abusive et vexatoire" ;
CONSIDERANT que les frais non compris dans les dépens engagés en cause d'appel doivent être fixés à la somme de 30 000 francs ;
QUE les demandes formées au même titre par Fayçal F et par la société DESMOULINS DIFFUSION devront être rejetées.
PAR CES MOTIFS
REJETTE l'exception d'incompétence soulevée par Fayçal F,
DECLARE le tribunal de commerce de Paris compétent pour connaître du litige opposant la société VAN CLEEF ET ARPELS à Fayçal F,
CONFIRME le jugement rendu le 9 juillet 1997 par le tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions, à l'exception de celles se rapportant à la condamnation de Fayçal F et au montant des dommages et intérêts,
STATUANT à nouveau sur ces chefs,
MET hors de cause Fayçal F poursuivi en son nom personnel,
CONDAMNE in solidum les sociétés ELYSEE OR, MARVEL et DESMOULINS DIFFUSION à payer à la société VAN CLEEF ET ARPELS la somme de 250 000 francs à titre de dommages et intérêts en réparation de ses préjudices,
CONDAMNE les mêmes sous la même solidarité à payer à la société VAN CLEEF ET ARPELS la somme de 30n 000 francs en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
REJETTE les autres demandes formées par les parties,
CONDAMNE les sociétés ELYSEE OR, MARVEL et DESMOULINS DIFFUSION in solidum aux entiers dépens d'appel dont distraction au profit des avoués de la cause dans les conditions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.